Yves Tchakounte

La montée du jihad en Afrique : le top 10 des groupes islamistes

Le continent Africain est, depuis plus de deux décennies, confronté aux jouxtes  des mouvements islamiques dits révolutionnaires. Les pays comme la Somalie, le Mali, le Kenya, l’Algérie, le Nigéria et le Cameroun, pour ne citer que ceux-là, continuent de subir les frasques de la sauvagerie des groupuscules de gens, surtout de jeunes adolescents, qui se revendiquent d’une nouvelle vision du monde par le respect de la Charia. Puissamment armés ces groupes ont généralement pour cible le gouvernement, l’équipe dirigeante. La bataille entre les deux camps (groupes d’insurgés d’une part et l’autorité gouvernementale de chaque pays d’autre part) se manifeste par des attentats terroristes suicides à la bombe, des sites historiques sacrés détruits et des centaines de milliers de civils déplacés et enlevés. Au fur et à mesure que le temps passe, la capacité de ces groupes islamiques à diviser les pays pour finalement s’emparer de vastes territoires a fini par céder la place à une instabilité politique à telle enseigne que la perspective de l’émergence d’un militantisme islamique et d’une exacerbation des tensions dans le reste du continent est devenue très préoccupante. Le sommet de l’Union Africaine (UA) tenue à la fin de la semaine dernière à Malabo en est une illustration palpable. La question sur l’objectif de ces groupes islamiques ne se pose plus puisque l’application de la Charia est leur leitmotiv. Reste alors la question de savoir, qui a intérêt à ce que la Charia s’applique ? Pour aller plus loin, la religion peut-elle être une raison suffisante pour mobiliser autant d’énergie en vue d’imposer au monde leur volonté par la force ? D’où alors la question : Qui se cacherait derrière ces groupes terroristes ? Pour mieux saisir cette problématique trop complexe dont ce cadre n’est pas approprié, je me propose de mettre en exergue ici la question du militantisme islamique en Afrique. J’entends par militantisme ici une nouvelle forme ou une résurgence d’une vision du monde face à l’incapacité des idéologies dominantes à gérer les questions fondamentales de la justice sociale. Avant d’y répondre dans le deuxième billet, je vous propose de revisiter un panorama de 10 groupes islamiques non exhaustifs et très importants pour comprendre la suite.

Des combattants shebab au sud de Mogadiscio, le 5 septembre 2010. (Photo Feisal Omar. Reuters)
Des combattants shebab au sud de Mogadiscio, le 5 septembre 2010. (Photo Feisal Omar. Reuters)

1. Boko Haram (Nigéria)

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Crédit Photo: www.solarnews.ph

Né en 2002 au Nigéria, pays de plus de 160 millions d’habitants, ce groupe terroriste, basé principalement au Nord-Est, est alors composé de simples étudiants dont l’idéologie principale était tout naturellement : le rejet « d’un enseignement perverti par l’Occidentalisation ». Ainsi, Boko Haram se définit comme d’un Peuple engagé dans la propagation de l’enseignement du Prophète et du jihad. Le leader spirituel, Mohammed Yusuf, est l’incarnation même de cette pensée idéologique et Abubakar Shekau qui est le commandant de bord et qui font de ce groupe l’un des plus dangereux en Afrique par les Etats-Unis. Mohammed Yusuf c’était le gourou et le chouchou qui, en 2009, a été tué par la police nigériane. Après cette mort, c’est désormais le seul gourou Abubakar Shekau qui a durci le ton et qui dirige les opérations. Ce n’est qu’en ce moment-là que Boko Haram a changé son discours et son mode opératoire s’est transformé en attentats et en enlèvements sans oublier que son objectif est d’imposer la charia dans les 36 Etats du Nigéria où 12 Etats suivent déjà le pas.

2. Ansaru (Nigéria)

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Crédit photo: t0.gstatic.com

L’apparition officielle du groupe Ansaru remonte en juillet 2012. Le véritable nom du groupe est : « Jama’atu Ansarul Muslimina Fi Biladi Sudan » qui signifit : « L’avant-garde pour la protection des musulmans en Afrique noire ». Jeune groupe dirigé des mains de maître par le gourou et personnage encore méconnu du nom d’Abu Ussamata Al Ansari. Ansaru est un groupe dissident de Boko Haram. Comme un communiqué d’Ansaru l’indique lui-même, les deux groupes se battent pour un même objectif : « L’instauration d’un État islamique dans le nord du Nigeria et même dans l’ensemble des 36 Etats ». Si les objectifs sont les même, pourquoi alors cette scission avec le groupe-mère Boko Haram ? C’est encore ce même communiqué qui précise en ces termes : « Nous sommes engagés dans la même bataille, mais avec différents leaders ». Il faut quand même le préciser, les deux sont aussi différents de par leur idéologie car Ansaru est plus tolérant et moins radical que Boko Haram sur certains aspects de la spiritualité et de par leur idéologie jihadiste.

3. AQMI (Algérie)

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Crédit photo: mali-web.org

AQMI signifie : « Al-Qaida au Maghreb islamique ». Né en 2007 suite à l’intégration du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) au sein d’Al-Qaida d’Oussama Ben Laden. GSPC est donc GSPC un vieux groupe qui existe depuis 1998. Et depuis 2004, AQMI est dirigé par Abdelmalek Droukdal, alias Abou Moussab Abdelwadoud. L’objectif principal de ce groupe avait pour champ d’action le Vieux Continent (Europe). Incapable de conquérir un terrain inconnu, Abou Moussab Abdelwadoud s’est vu réservé l’ensemble du Sahel, de la Mauritanie, du Tchad, du Mali, du Niger et du Nigeria, en bref de tout le Sahel et le Sahara. C’est donc un groupe qui peut agir partout puisqu’il est maintenant considéré comme la branche d’Al-Qaida pour l’Afrique maghrébine et de l’Ouest. Organisé autour de deux Katibas (Unités administratives et dirigeantes d’AQMI) qui sont dirigés par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, alias Khaled Abou El Abbas, est également surnommé « Mister Marlboro » du fait de son implication dans la contrebande de cigarettes (La katiba de l’Ouest) et par Abid Hammadou, alias Abdel Hamid Abou Zeïd (La katiba de l’Est). La chute du régime de Mouammar Kadhafi est pour beaucoup dans l’implantation et la progression d’AQMI fin 2011. Bien structuré à partir de ce territoire, AQMI représente un danger et une menace pour l’ensemble de la région sahélienne, de la Mauritanie au Tchad en passant par l’Algérie et le Niger.

4. MUJAO (Mali)

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Crédit photo: idata.over-blog.com

Le Mouvement pour l’Unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Jamat Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriqqiya) est né en 2011 d’une scission d’avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et est dirigé par le Touareg Ahmed Ould Amer. La dissidence a donc lieu pour deux raisons au moins : le désaccord sur le partage de butins des rançons des prises d’otages au sein de la branche saharienne d’AQMI d’une part, et d’autre part la concentration du leadership sur le seule territoire Algérien fait naître la volonté de créer un autre mouvement concentré sur l’Afrique de l’Ouest. Ce qui fait dire à certains analystes que le MUJAO est un sous-traitant d’AQMI créé pour opérer en Afrique de l’Ouest. En janvier 2012, un leader du groupe connu comme porte-parole, le nommé Hamma Ould Mohamed Kheyrou, alias Abou Qumqum, annonce les couleurs dans un enregistrement vidéo posté sur Internet, en dévoilant les objectifs de cette nouvelle entité à savoir : « Imposer la charia dans toute l’Afrique de l’ouest » et déclare, en passant, la guerre à la France et déclarant que l’un des objectifs est de «frapper le cœur de la France ».

5. Al Mouakaoun Be Dam (Algérie)

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www.45enord.ca

La Katiba de l’Ouest, unité administrative d’AQMI qui est dirigé par Mokhtar Belmokhtar a créé, en 2012, un groupe dissident d’AQMI appelé Al Mouakaoun be dam et qui signifie : « Les signataires par le sang ». Certains analystes estiment même que c’est un simple changement de nom puisqu’il conserve sa propre structure : katiba (unité combattante) appelé les « Moulathamounes ». Le gourou leader de ce groupe a le mérite de donner à son mouvement une réputation personnelle et qui fait de lui un personnage mythique. Mokhtar Belmokhtar (MBM) – alias Khaled Abou El Abbas, « Le borgne » (il a perdu un œil en Afghanistan en 1991/Belaouer) ou Mister Marlboro – est né en 1972. Nanti d’une lourde expérience en Afghanistan, il rentre en Algérie en 1993 et rejoint les Groupes islamiques armés (GIA) afin de poursuivre le jihad contre les autorités algériennes et il lui est alors confié la responsabilité de la zone saharienne. Cette mythique personne ne laisse personne indifférent, même chez ses paires. MBM développe de nombreuses activités criminelles et fait passer le business (trafics, kidnappings, tueries, etc.) avant ses convictions politico-religieuses, ce que lui reproche régulièrement  la direction du GSPC, puis d’AQMI.

6. Ansar Eddine ou Ansar Dine (Mali)

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Crédit photo: www.lefigaro.fr

Né en 2012 vers le Nord du Mali, le groupe Ansar Eddine (défenseurs de l’Islam) est plus berbère qu’arabe, donc, les Touaregs islamiques. le noyau dur est constitué par la famille de la tribu des Ifoghas . Son dirigeant, Iyad Ag Ghaly, est considéré comme l’incarnation de l’aile le plus radical. Son objectif principal, c’est l’autonomie de l’Azawad (région du Nord-Mali) et son principal fiel est Kidal. C’est donc un groupe sécessionniste. Considéré comme le mouvement clé de la guerre du désert, Ansar Eddine est réputée pour sa stratégie du silence. Le gourou Iyad Ag Ghaly a plusieurs faits d’arme à savoir : a participé à la guerre au Liban contre Israël, aux opérations commandos contre l’armée tchadienne, a survécu à un bombardement de F-16, a échappé cent fois à la mort, etc. Iyad Ag Ghali est le fils d’un homme très pieux et maître de Kidal. Ce chef touareg a côtoyé les hommes de la Dawa au Niger, des piétistes pakistanais, des missionnaires du retour aux sources de l’islam. Comme tous les chefs conservateurs des tribus, il se désole de voir les jeunes Touaregs se livrer à la débauche, d’abandonner la morale traditionnelle, de s’abandonner à la déliquescence des mœurs et par ricochet perdre leur identité. Du coup, la formule magique pour le nouveau dévot est de croire que seule la charia peut lutter contre ces maux tels que : l’insécurité, le désordre et la corruption.

7. MNLA (Mali)

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Crédit photo: www.algerie1.com

Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) est créé en 2011 suite à l’intégration des Touaregs au Mouvement national de l’Azawad. Il serait quand même difficile de parler de MNLA sans faire allusion au colonel Mouammar Kadhafi. De son vivant, le colonel avait de très fortes ambitions dans les années 1970 : devenir le « Guide », non seulement de la « Grande Jamahiriya (République) arabe libyenne populaire et socialiste », mais aussi de toute l’Afrique entière. Ambitions justifiées quand même compte tenu du très flatteur potentiel pétrolier de la Lybie. Le colonel ne pouvait pas y parvenir sans une armée composée d’hommes solides et robustes. Il a donc ciblé les Touaregs qui sont un peuple réputé pour leur tradition de guerriers, qui sont minoritaires, qui ont été marginalisés par les pouvoirs centraux de leurs pays respectifs et pour toutes ces raisons, ont été pour la plupart intégrés l’armée libyenne. Le mariage de raison avec le colonel Kadhafi et les Touaregs va chavirer malheureusement au cours de 2011 lorsque le colonel sera combattu et tué par la France à travers la communauté internationale dans une guerre démarrées à Benghazi. Après la chute du colonel, ces soldats Touaregs prennent la fuite vers le Mali où ils trouvent sur place le Mouvement national de l’Azawad et décident de l’intégrer en changeant le nom. La particularité du MNLA est qu’il est un groupe qui a des positions idéologiques très ambigües.  Le fait qu’il soit laïc et à la fois proche d’Al-Qaïda est tout de même surprenant puisque ses hommes lutteront aux côtés d’Ansar Eddine et d’AQMI en janvier et en mars 2012 pour revendiquer l’indépendance du Nord du Mali et où les villes Maliennes comme Ménaka, Aguelhok, Tessalit, Kidal et Gao seront prises et aux côtés des troupes françaises et d’un contingent ouest-africain sous mandat onusien en janvier 2013.

8. Shebab (Somalie)

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Crédit photo: static9.nguyentandung.org

Officiellement formé en 2006 et dirigé par Ahmed Abdi Godan alias Mukhtar Abu Zubair, le Shebab qui signifie « jeunes » en arabe (al-Shabaab, en référence à leur recrutement auprès de la jeunesse), est issu d’une insurrection contre les troupes éthiopiennes au secours de l’armée Somalienne pour renverser l’Union des Tribunaux Islamiques qui contrôlaient la capitale Mogadiscio. Cet échec contre les Shebab, ne démobilisera pas l’armée Somalienne qui, en plus de l’armée éthiopienne, recevra le soutien de la Force de l’Union africaine (Amisom) épaulée par les États-Unis en 2011. D’ailleurs, tous les pays qui ont participé à cette attaque de l’Amisom sont aujourd’hui menacés d’attentats et d’enlèvements par les Shebab, à l’exemple du Kenya, de l’Ouganda et de l’Ethiopie. Tandis qu’AQMI est la branche d’Al-Qaïda pour l’Afrique maghrébine et le MUJAO pour l’Afrique de l’Ouest, Le Shebab l’est pour l’Afrique de l’Est et il a été rallié à Al-Qaïda en février 2012. C’est leur capacité de nuire à grande échelle qui leur valut ce statut malgré leur repli en zone rurale après avoir été chassé de Mogadiscio par Amisom.

9. Katibat Ansar Al-Charia (Tunisie)

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Crédit photo: www.webdo.tn

Selon le site tunisie-secret.com, le chef d’Ennahda, Rached Ghannouchi est le vrai fondateur de cette organisation terroriste. Seifallah Ben Hassine, alias Abou Iyadh en devient le chef en mars 2011 après la révolution du Jasmin. Cette organisation a probablement été créée en janvier 2011 à Londres, officiellement après le retour de son fondateur en Tunisie. A la suite de la chute du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, les enquêtes ne permettent pas d’identifier les auteurs des attaques du consulat américain de Benghazi que Ansar Al-Charia nie. Leur objectif : d’abord, instaurer un Etat islamique en Libye ; ensuite, imposer la charia comme seule et unique source de législation en Libye et enfin, que la justice applique la charia immédiatement. Pour y parvenir, Ansar Al-Charia adopte les mêmes stratégies que celles utilisées en Tunisie à savoir : la provocation, le spectaculaire et la médiatisation. La particularité du groupe Ansar Al-Charia est qu’il est composé de quelques centaines d’hommes seulement : de 200 à 300 personnes. Curieusement, ce groupe est tellement imposant que la stabilité et la paix en Libye ne pourraient se faire sans lui.

10. Al Mourabitoune ou Groupe des Mourabitounes de l’Azawad-GMA (Mali)

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Crédit photo: graphics8.nytimes.com

En août 2013, deux groupes terroristes ont annoncés à l’Agence Mauritanienne de l’Information (AMI) leur fusion. Il s’agit du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao) dirigé par le Touareg Ahmed Ould Amer, et le mouvement dirigé par l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, les « Moulathamounes ». Dans ce communiqué de fusion, on peut y lire : « Le ‘’Mujao‘’ (de Ahmed Ould Amer) et les ‘’Moulethemoune » (de Mokhtar Belmokhtar) annoncent leur rassemblement et leur fusion en un seul mouvement qu’ils appellent les  ‘’ mourabitoune » pour unifier les rangs des musulmans autour d’un même projet, du Nil à l’Atlantique ». L’objectif est donc clairement mentionné. Selon le site djazairess.com, en plus de leur lien avec Al-Qaïda, « Tous font partie des groupes armés islamistes qui ont occupé le nord du Mali pendant plusieurs mois en 2012, avant d’en être chassés à la suite d’une intervention internationale dirigée par la France à partir de janvier 2013 ».

En conclusions à cette brève historique non moins exhaustive des groupes terroristes opérant en Afrique, la question qui effleure l’esprit de moult observateurs est celle de savoir quel est le lien exacte entre ces différents groupes ? Je serai tenté de dire, sans risque de me tromper, que tous ont un lien avec le puissant et l’indétrônable Al-Qaïda de Ben Laden. Pour nous convaincre, empruntons ici les propos de Marc-Antoine Pérouse De Montclos, chercheur à l’Institut de Recherche pour le développement (IRD) qui affirme, dans un article de Clara Beaudoux, qu’« il n’y a pas de lien opérationnel, mais en revanche il y a des convergences, un peu de circulation des hommes » généralement dans l’entraide et la formation. Pour mieux étayer son propos, il va plus et explique en ajoutant : « Il faut distinguer ce qui relève de convergences tactiques : le fait que cela coûte moins cher d’acheter à plusieurs des armes, et d’autre part une coordination stratégique qui ferait qu’il y aurait une sorte de commando central au Nord-Mali, où on aurait appuyé sur un bouton pour demander à Boko Haram d’aller enlever des Français : ça non ». Cette problématique ne manque pas d’intérêt dans la mesure où un probable regroupement entre ces associations, comme viennent de le faire le MUJAO et les Moulathamounes, serait très « inquiétant » selon les termes du général Carter Ham, le commandant de la mission Africa Command des Etats-Unis (Africom) à la BBC. Cela confirme encore plus la montée visiblement effrayante des groupes islamiques en Afrique et même dans le monde. Les questions sur les raisons et la progression et le militantisme islamique au sein des populations africaines feront donc l’objet d’un autre billet.

Inch’Allah !

Tchakounté kemayou 


La presse écrite camerounaise : Le débat sur le droit d’auteur (suite et fin)

La série de billets sur la situation de la presse écrite camerounaise s’achève à présent et l’occasion est arrivée d’aborder un sujet très important qui concerne la survie même de cette presse agonisante. Comme je l’avais dit tantôt la presse camerounaise a commencé sa décadence à travers des années de braise (1990-1992) et après l’arrivée et la vulgarisation de l’outil internet (Généralement après les années 2000). Ce n’est que dans ce contexte-là qu’on pourrait analyser sérieusement la situation de la presse écrite camerounaise. Compte tenu de la modicité de leurs moyens financiers, les organes de presse éditeurs de journaux écrits ont du mal à s’engager dans le développement de leur média. L’avènement d’internet les a coincé dans une sorte de crise financière les empêchant d’amorcer cette étape importante en matière d’innovation technologique. Cette lacune managériale a provoqué la création, par des particulier et surtout par les camerounais de la diaspora, des sites web qui reprennent des articles de la presse écrite. La problématique majeure ici est donc celle de savoir si ces organes de presse sont aujourd’hui financièrement menacés du fait de la reprise par quelques gestionnaires ou administrateurs des sites de relai et partage d’infos qui reproduisent leurs articles sans autorisation explicite ? Le débat est ouvert.

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Crédit photo: fr.starafrica.com

Que dit la loi camerounaise concernant la reproduction des œuvres ?

Pour ce qui concerne la reproduction des œuvres artistiques, des œuvres de l’esprit, catégorie sur lequel sont classés les articles de presse écrite, les billets de blog, le décret N° 2001/956/PM du 1er Novembre 2001 fixant les modalités d’application de la loi n° 2001/11 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins en son article 17 et alinéa (1) stipule ainsi qu’il suit : « Par ‘’reproduction’’ il faut entendre la fixation matérielle de tout ou partie d’une œuvre littéraire ou artistique par tous moyens qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte, y compris par stockage permanent ou temporaire sous forme électronique. Elle s’effectue notamment par photographie, imprimerie, dessin, gravure, moulage, enregistrement audiovisuel, magnétique ou mécanique ».

Ce débat sur la reproduction des articles de presse par les éditeurs de sites internet privés de partage et de relai d’infos a donc mis en face des contradicteurs sur les droits d’auteur qui divisent les propriétaires des sites de reproduction d’une part et d’autre part les journalistes et quelques analystes. Au départ, les discussions qui tournaient autour de la problématique des droits d’auteur se transformeront petit à petit sur la sempiternelle question de la santé financière des organes de presse camerounais. Et du coup, le camerounais Théophile Tatsitsa conclue que « La distribution des articles en ligne participait bien, quelque part à ‘‘tuer’’ les maisons d’éditions » au Cameroun.  Les propriétaires des sites de partage se sentant donc interpellé, s’invitent à la discussion pour interpeller les patrons de presse à poser les vrais problèmes relatifs à leur manquement en matière d’innovations technologiques.

La question du « piratage » des articles et de billets par les sites de partage

Un certain nombre de journalistes s’insurgent sur cette propension qu’ont certains compatriotes propriétaires d’édition de site de reproduction à copier sans l’autorisation des auteurs les articles et de billets de journalistes et de blogueurs pour alimenter leur sites de partage. Et Théophile Tatsitsa de s’insurger en criant « Alt à la piraterie des sites de colportage ! ». Des questions tout de même sensées et osées sont alors posées pour ouvrir le débat sur le phénomène : « Qu’est-ce qui pousse les animateurs des sites internet à reprendre sans autorisation les articles de presse ? Qu’est-ce qui autorisent les sites de colportage à relayer les articles de presse au même moment ou parfois avant même l’arrivée de la presse dans les kiosques ? ». Ainsi, pour Théophile Tatsitsa et les autres, les propriétaires de ces sites web de reproduction qui font ce « colportage » doivent être considérés comme des « voleurs d’articles » à partir du moment où ils font ce qui est interdit par la loi, à savoir que la « reproduction » d’une « œuvre littéraire ou artistique » sous toute forme que ce soit, est strictement interdite. S’il faut s’arrêter à cette loi, il est tout à fait aisé, pour Théophile Tatsitsa, de condamner cet état de fait qui serait la cause de la plombée des organes de presse camerounaise dans une déprime financière inacceptable depuis plus de deux décennies. Pour lui, les propriétaires « voleurs » au-delà de servir l’intérêt public, doivent avoir d’autres motivations qui ne sont pas connues par le commun des mortels. Les organes de presse qui ont essayé d’avoir un site web ont fait faillite parce qu’ils étaient soumis à une concurrence déloyale des sites web de reproduction. Car, en plus des charges de fonctionnement, les patrons avaient à leur charge le personnel qui devrait assurer la gestion du site web. Comme le dit Théophile Tatsitsa lui-même, comment comprendre que «Tous les organes qui ont essayé de développer leur propre site web pour proposer une offre alternative aux lecteurs hors de porter du papier ont succombé à la concurrence des sites de reprise ». A la suite de cette sentence, la seule solution qu’il préconise lui-même est de demander aux propriétaires ces sites de reproduction de stopper purement et simplement la mascarade pour permettre à la presse camerounaise de reprendre son souffle d’antan. Mais, cette solution est-elle vraiment réaliste compte tenu du retard technologique de cette presse qui tarde à répondre à la demande ? Faut-il le souligner encore ici, comme dans mes précédents billets de cette série, les exigences de la demande en matière de rapidité, de qualité et d’actualisation des informations en un seul clic doivent être des priorités car les lecteurs internautes sont devenus trop capricieux et trop exigeants. Pour ce faire, la presse camerounaise manque justement les moyens de répondre à ces attentes. Pour quelle raison ?

Les propriétaires ou gestionnaire des sites de reproduction s’en défendent

L’un des administrateurs du site de reproduction www.aeud.fr, Ngassa H. Lewe, monte sur le créneau pour donner justement de la voix au débat qui envenimait déjà l’opinion. pour cet ingénieur informaticien, amoureux de la diffusion et des médias, avoue que le problème est mal posé dans la mesure où c’est la santé financière ou encore le manque à gagner des organes de presse camerounaise qui est la source des invectives. Pour lui, les affirmations selon lesquelles les sites web de reproduction sont venus concurrencer et même mettre à mal les sites web des organes de presse camerounais sont dénuées de tout fondement pour deux raisons simples : Primo, la presse écrite camerounaise soufrent depuis bien longtemps de ce mauvais état financier, avant même l’apparition de ces sites de reproduction et secundo le déficit des ventes de journaux peut être, en partie, dû à l’avènement de l’internet au Cameroun  mais surtout à la lenteur de ces organes de presse à s’arrimer à la donne technologique actuelle. Les sites web de reproduction sont venus combler le vide laissé par la presse écrite face à une demande mondiale de plus en plus nombreuse et exigeante. Evidemment, pour établir la relation entre l’apparition des sites web de reproduction et la chute des ventes des journaux papiers, les chiffres statistiques seraient d’une importance capitale. En possession de ces chiffres, il serait donc possible de faire une analyse des liaisons entre les variables sur les causes de la crise financière de la presse camerounaise : l’arrivée d’internet ? L’apparition des sites web de partages ? La qualité des articles ? Le prix des journaux ? La mauvaise distribution ? Le « trop plein » ou la multitude des titres ? Le manque de cadrage sous le plan idéologique de la presse écrite camerounaise ? Etc. Il serait donc abusif et péremptoire d’affirmer avec conviction que ces sites web de reproduction sont la cause de cette décadence. Evidemment, l’internet étant considéré comme une innovation, comment prétendre que son apparition serait considérée comme une cause de la décadence ? Les organes de presse camerounaise sont-ils en manque de professionnalisme dans la mesure où, comme l’affirme si bien Théophile Tatsitsa lui-même, qu’« Avec le manque de considération professionnelle qui fait naître les organes de presse comme les partis politiques aux nombres d’ethnies et de villages, il reste la voie du magazine numérique pour assurer la démarcation entre le professionnel et le tout-venant » ?.

Eh bien, personne de s’oppose, il faut le dire, sur le fait que les droits d’auteurs doivent être protégés comme la loi camerounaise l’exige. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de ne pas jouir des fruits du travail d’un journaliste ou d’un blogueur. A ce sujet, même la loi est claire. Mais, le problème de fond est posé par l’article 19 de la loi citée plus haut qui définit ce que signifie la « distribution » en ces termes : « La distribution est l’offre de vente, de location. La vente, la location ou tout autre acte de mise en circulation à titre onéreux de l’original ou des exemplaires d’une œuvre littéraire ou artistique ». Il s’avère donc qu’à la suite de la lecture de cet article, les produits incriminés ici ne doivent pas être destinés à la vente sous quelque prétexte que ce soit. Après vérification, non seulement aucun site web de reproduction camerounais ne vend ses contenus, mais chaque article est signé du nom de l’auteur et de l’organe de presse éditrice avec, généralement, un lien URL qui conduit à sa source.

Une autre question fondamentale reste tout de même à éclaircir : à savoir comment vivent les promoteurs et les administrateurs de ces sites web de reproduction si les articles « colportés » ne sont pas commercialisés ? La réponse donnée par l’informaticien est aussi toute simple : les promoteurs et les administrateurs des sites web de reproduction font du bénévolat. Le monde des médias pour eux, est leur passion, leur passe-temps favori, car chacun d’eux a un métier et c’est de ça qu’ils vivent. Ils se donnent à cœur joie en temps, en énergie, en argent pour faire vivre leur site. L’entretien des sites web de partage vient de leur propre économie pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir les annonceurs dont les revenus sont de loin capables de prendre en charges les personnes travaillant pour ces sites. Que peuvent d’ailleurs représenter les pubs Google ? L’ingénieur Ngassa H. Lewe de répondre : « Un site web peut coûter environ 120€ le mois pour l’hébergement. En un an, le total nous donne 1400€. Combien de sites camerounais peuvent dégager cet argent avec les pubs Google? Il y a les frais d’hébergement et l’administration du site qu’il faut payer et aussi les attaques du web qu’il faut assumer. Je vous épargne le temps à consentir pour alimenter le site. Google paie par coups de 1000, 1 centime. C’est-à-dire qu’il faut non seulement ouvrir une page, mais aussi cliquer sur la pub qui est sur la page. Naturellement, si vous seul cliquez 1000 fois sur la pub ce ne sera pas comptabilisé. Il faut donc que 1000 personnes sur des ordinateurs distincts cliquent 1 fois sur une pub de l’article pour que le site gagne 1 centime… ».

Au-delà de la reproduction des articles et les billets, certains sites web de reproduction vont même jusqu’à créer des liens qui permettent aux internautes du monde entier d’écouter les radios et de regarder les télés locales camerounaises en live ou en différé. Une belle manière de permettre aux camerounais vivants loin du pays de ne pas être coupé de l’actualité du terroir. Il est à noter que même à ce niveau, les patrons des médias camerounais confondus n’ont pas encore compris que l’innovation dans le monde d’internet est une exigence primordiale pour une visibilité internationale. Par conséquent, l’accès au satellite (Déjà effective pour la plupart des chaînes de télés locales) doit obligatoirement s’accompagner du développement des options offertes par la technologie de la toile. D’ailleurs, Canal 2 International, chaîne de télévision émettant de Douala, vient de le comprendre en diffusant en direct par internet ses émissions télévisées. Les annonceurs ne viendront que si le média possède les possibilités d’atteindre toutes les cibles de l’audimat. Le problème posé ici par Théophile Tatsitsa est donc loin d’être celui du droit d’auteur proprement dit. Mais, c’est la « distribution » ou encore des fruits, les gains de ces droits d’auteurs, comme le stipule l’article 19 du décret de 2001, qui sont en cause. Comme pour dire que si le partage générait des bénéfices, le débat aurait alors un sens. Cependant, peut-on considérer que, même sans générer de gains, les sites web de reproduction et de relai-infos n’ont pas le droit de « colporter » les articles de presse et les billets de blog sans autorisation des auteurs ? « Non », répond sans hésiter l’ingénieur informaticien, car « Il y a des médias qui ont des articles libres de toute reprise. C’est donc au média de dire clairement ‘’ne touchez pas’’ et on ne touchera pas. Rien n’empêche à un média de refuser le partage libre de ses  productions… Allez sur « Mediapart », il y a des articles qui sont payants ». Cette sentence de l’ingénieur Ngassa H. Lewe est donc claire et sans équivoque : les sites web de partage et de relai-infos continueront d’exister n’en déplaise aux médias camerounais qui ne font que traîner le pas en matière d’innovations techniques et technologiques. Reste donc à trouver des stratégies qui permettront de redonner à cette camerounaise la visibilité qu’elle recherche tant. Place aux solutions de sortir de crise, si je peux l’appeler ainsi.

Les organes de presse doivent s’associer : « Teamarbeit »

Une camerounaise de la diaspora, ingénieure informaticienne, elle aussi, Lydie Seuleu, s’invite dans le débat et propose une solution pour sortir de débat interminable. Pour elle, la nécessité de se regrouper pour faire un bloc serait une solution salutaire. Elle s’inspire de la stratégie qu’elle a appelée en allemand « Teamarbeit » et qui signifie : « Travail en équipe ». Cette stratégie se résume en cinq étapes à savoir : 1 : Quelques médias de la presse écrite, par exemples Mutations, Kalara, Le Jour, La Nouvelle Expression, Le Message, Ouest-Littoral, L’Actu, etc…), s’entendent et se mettent ensemble ; 2 : Ils créent un banner avec des expressions telle que : « La culture », « La politique », « L’économie » et qui conduisent au liens de ce type : https://spenden.wikimedia.de/spenden/ ; 3 : Ils contactent quelques sites web de reproduction, de partage et relai-infos en lignes tels que : www.aeud.fr, www.cmaroon-info.net, www.camer.be, etc… ; 4 : Pendant 6 à 12 mois (périodes et fréquences à choisir en interne entre les promoteurs), les médias presse écrite qui se sont mis ensemble envoient à ces sites web de partage et de relai-infos quelques extraits d’articles à publier ; 5 : Chaque extrait d’article apparaît donc dans des sites web de reproduction et de partage avec, à sa suite, le banner au début et à la fin de l’extrait de l’article. Evidemment, le lien du banner qui conduit au site de l’organe de presse peut être payant ou pas. Dans le cas où c’est payant, avant de créer le banner, les promoteurs d’organes de presse et de site web de reproduction et de partage contactent une banque camerounaise pour avoir un IBAN ou Swift. C’est donc à la suite de cette période de 6 mois que ces promoteurs pourront s’entendre sur les modalités du partage des bénéfices ou gains récoltés.

Et que dire alors des organes de presse qui n’ont pas du tout de site web et donc les articles sont reproduits ?  Un économiste camerounais résident au Etats-Unis, Elysée Yonta, propose une solution uniquement payante : un mail-liste est créé et regroupe tous les abonnés qui bénéficieront des envois de téléchargements d’une série de 10 à 20 titres de journaux camerounais sous le format PDF. Ainsi, un abonnement annuel à un coût très concurrentiel pour les quotidiens, un pour les hebdomadaires et un autre pour les mensuels ou les magazines seront soumis à un payement d’un montant bien précis. Chaque abonné recevra donc les éditions complètes sous le format PDF.

En tous les cas, le débat reste ouvert.

Tchakounte Kemayou 


La situation des enfants dans le monde : Le cas du Cameroun

Le 16 juin de chaque année est célébrée comme d’habitude la journée internationale des droits des enfants. A cette occasion, le Cameroun, à travers l’ouverture de la 2ème session ordinaire de l’année 2014, les députés de l’Assemblée Nationale (AN) ont cédé leur siège durant toute cette journée aux enfants camerounais. Cette 16ème session de l’Assemblée Nationale junior a été marquée par une pléthore de revendications au respect des droits des enfants camerounais notamment : le droit à la vie, à l’éducation, à la santé, etc. dans le présent billet, j’ai profité de cette occasion pour revoir les conclusions de mon mémoire de Master de 2010 où je posais justement cette problématique des droits des enfants en prenant l’exemple du droit au travail des enfants qui reste jusqu’ici une question où beaucoup de sociologues, de philosophes et de juristes et mêmes des politiques ne semblent pas s’accorder. Après avoir actualisé mes données, j’y reviens ici en posant encore le problème des droits des enfants dans sa globalité et les statistiques les plus récentes (« La situation des enfants dans le monde 2014 » publiée par l’Unicef) seront ma base d’analyse. Les organisations internationales et plus particulièrement l’Unicef accorde une place importante à la publication des chiffres, des tableaux statistiques nationales et mondiales normalisés visant à fournir une image détaillée de la situation des enfants. Les 2,2 milliards d’enfants de la planète vivent dans des conditions socio-économiques très diverses et disparates. La stratégie de l’Unicef vise à faire connaître non seulement l’existence de ces disparités mais à y accorder plus d’attention particulière, car l’enfant est le présent et le futur de l’humanité.

UNICEF
Crédit photo: Unicef

Le fait de compter les enfants les rend visibles

Les disparités assez criardes entre les enfants s’observent à travers les catégories urbain/rural ; riche/pauvre ; garçon/fille ; école primaire/école secondaire ; etc. Ce sont des disparités révélatrices de la situation très désastreuses des enfants tant sur le plan de la santé que de l’éducation. L’objectif de l’Unicef à travers ces publications des tableaux statistiques rendus publics depuis janvier 2014 est triple :

1 : « mettre à la disposition des gouvernants des informations concrètes, des données chiffrées » ; 2 : « identifier les besoins en appuyant les activités de plaidoyer et en mesurant les progrès »; 3 : « apporter un changement positif ».

La protection des enfants doit nécessairement commencer par son enregistrement dès la naissance. Plus de 50% d’enfants en Afrique subsaharienne n’ont pas de documents officiels. Les enfants non enregistrés sont considérés comme des êtres qui n’existent pas et par conséquent ne sont pas pris en compte dans les politiques de développement et d’aménagement territorial en vue d’améliorer les conditions de vie des populations pauvres et vulnérables. Evidemment, ces tableaux statistiques ne sont pas que destinés aux gouvernements des pays concernés. Les citoyens du mondes que nous sommes et des communautés doivent s’en imprégner dans le but de demander des comptes aux responsables chargés de l’amélioration des conditions de vie des enfants qu’ils sont censés protéger.

La situation des enfants au Cameroun est très mitigée. Un bref aperçu des tableaux statistiques nous montre comment, même dans la mentalité des aînés sociaux, la perception de l’enfant reste limitée aux considérations traditionalistes qui veut que l’enfant soit une « propriété » et non comme acteur, encore moins un sujet. Beaucoup oublie qu’« En instaurant la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), la communauté internationale a reconnu que les enfants sont des personnes qui ont des droits qui doivent être respectés au même titre que ceux des adultes ». Les enfants sont des êtres, des personnes qui ont des droits multiples : le droit à la santé, à l’éducation, à la nutrition, à la protection et au progrès. Mon analyse se limitera sur la description sociologique que je fais de la situation des enfants au Cameroun.

La malnutrition au menu du jour

L’alimentation des enfants est l’un des aspects par lequel le droit à la vie se manifeste le plus souvent. Les statistiques insistent sur le fait qu’allaiter son bébé de moins d’un an est un signe de bonne santé pour l’enfant. Ainsi, même cette variable est aussi prise en compte dans l’espérance de vie des enfants. Autrement, un enfant qui n’a pas droit au sein maternel est un être humain en danger et susceptible de mourir par manque de nutriments adaptés pour sa croissance dont l’allaitement au lait maternel est la seule source. Au Cameroun, 20% d’enfants seulement se nourrissent exclusivement au lait maternel durant ses 6 à 8 premiers mois. Ce chiffre est effroyable et indicateur des dangers que peuvent subir les enfants avant l’âge de 1 an. Les analyses sociologiques nous donnent de plus amples explications sur ce faible taux d’allaitement exclusivement au sein.

Initiation

précoce de

l’allaitement

(%)

Allaitement

Exclusivement

 au sein

<6 mois (%)

Introduction

d’aliments

solides,

semi-solides

ou mous

6−8 mois (%)

Nourris au sein à

l’âge de 2 ans

 (%)

20

20

63

24

Sources : Unicef (2014)

 

Insuffisance

pondérale (%)

modérée et

grave

croissance (%)

modérée et

grave

Émaciation (%)

modérée et

grave

Surpoids (%)

modérée et

grave

15

33

6

7

Sources : Unicef

La première explication viendrait du fait que les femmes sont de plus en plus appelées à participer à la survie du ménage. Elles exercent de plus en plus une activité économique de subsistance : le commerce, les champs, les services. Les femmes qui sont surtout des agents, des cadres dans des entreprises nationales ou multinationales ne bénéficient que de 3 mois (dont 2 mois après la naissance de l’enfant) de vacances de maternité. La nounou ou un membre de la famille qui est chargé de la garde de l’enfant passe une très grande partie du temps avec le bébé. Si la maman rentre le soir, l’enfant n’aura droit qu’à son lait acheté sur le marché qui n’est malheureusement pas conseillé avant 6 mois. L’enfant est donc sevré, de temps en temps, des éléments nécessaires à sa bonne croissance : le lait maternel. Malgré les campagnes pour alerter les femmes sur le bien-fondé du lait maternel, celles-ci ne semblent pas comprendre qu’elles mettent les enfants en danger en nourrissant le bébé au lait artificiel. Les statistiques indiquent néanmoins que 24% d’enfants continuent à prendre le lait maternel jusqu’à l’âge de 2 ans. Ces chiffres n’indiquent malheureusement pas si ce sont les enfants nourris exclusivement au lait maternel qui, après 6 mois, sont nourris aussi d’aliments solides, semi-solides ou mous. En tous les cas, force est de constater que la mauvaise alimentation entraîne les anomalies telles que : l’insuffisance pondérale grave[1] (5%), le retard de croissance[2] (33%), l’émaciation[3] (6%) et le surpoids[4] (7%). S’il n’y a donc rien à dire pour les uns, l’inquiétude plane surtout sur le retard de la croissance des enfants camerounais.

« S’il vous plaît docteur, mon enfant chauffe »

Ces mots de détresse sont généralement entendus par les médecins, les infirmiers et les aides-soignants qui reçoivent les enfants à la phase terminale de leur maladie. Les parents ont donc cette habitude d’attendre que la maladie soit bien grave avant de songer qu’il faut aller dans un centre de santé. Pourtant, les mesures simples de préventions et de soins sont mises à la disposition des parents pour éviter d’en arriver là ! Les campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticides n’ont permis qu’à 36% de familles d’en obtenir. Chaque fois qu’une campagne est lancée au Cameroun, toute une corruption est organisée autour de cette distribution. Certaines familles avouent avoir  acheté elles-mêmes leurs moustiquaires qui étaient pourtant gratuites. Même lorsque c’est payant, les prix ne sont pas à la portée des familles les plus démunies. Conclusion, plus de 64% de familles ont des enfants qui dorment sans moustiquaires.

Couverture vaccinale (%)

BCG

DTC1ß

DTC3ß

Polio3

Rougeole

HepB3

Hib3

Nouveau-nés protégés

contre le tétanos

81

94

85

85

82

85

85

85

Sources : Unicef (2014)

Pour ce qui concerne les campagnes de vaccination, le Cameroun souffre plutôt de stéréotypes divers à travers la perception que les parents, les familles et certaines communautés religieuses et traditionnelles ont de la vaccination. Pour ne pas aller dans les profondeurs de l’analyse qui me semble trop complexe pour être exposé dans ce cadre, il faut dire simplement que l’appartenance aux religions réveillées qui estiment que seul Dieu est le protecteur de tous les êtres vivants, est l’une des entraves à l’accès des enfants aux campagnes de vaccination. Des rixes sont souvent observées entre les équipes de vaccination et des parents dans les zones rurales. D’ailleurs, une campagne bat son plein en ce moment au Cameroun où le Ministère de la santé publique (MINSANTE), l’OMS et la société de téléphonie Orange se sont associés pour lancer un appel à tous les parents à venir vacciner et revacciner les enfants gratuitement : « La poliomyélite est encore là. Protégeons nos enfants ! Revaccinons-les à chaque occasion. C’est gratuit ! ». Le résultat semble satisfaisant puisque 85% d’enfants, selon l’OMS ont été vaccinés contre la polio. C’est de même pour les vaccins exigés par l’OMS pour tous les enfants tels que : BCG[5] (81%), DTC1[6] (94%), DTC3[7] (85%), Rougeole[8] (82%), HepB3[9] (85%), Hib3[10] (85%), Tétanos[11] (85%).

Pneumonie

Diarrhée

Consultations pour

enfants avec

symptômes de pneumonie

(%)

Traitement par antibiotiques

pour enfants avec

symptômes de pneumonie

(%)

Traitement par sels

de réhydratation

orale (SRO)

(%)

30

45

17

Sources : Unicef (2014)

 

Paludisme

Traitement antipaludique

chez les enfants fiévreux

(%)

Enfants dormant

sous une moustiquaire

imprégnée d’insecticide

(%)

Ménages possédant

au moins une moustiquaire

imprégnée d’insecticide

(%)

23

21

36

Sources : Unicef (2014)

Pour ce qui concerne l’accès à l’eau potable, il faut dire qu’il existe une disparité entre les zones urbaines et rurales. Ainsi, les enfants des zones rurales sont les plus exposés aux maladies dues au manque d’eau ou à sa mauvaise qualité. Les campagnes d’adduction d’eau de forage et de source n’ont pas encore connu un succès qu’il faille dire ici que les paysans ont aujourd’hui la possibilité de s’alimenter convenablement en eau potable. Dans les zones urbaines où la Camerounaise Des Eaux (CDE) est censée couvrir les villes et plus principalement Yaoundé et Douala, l’eau est la denrée la plus rare. Certains habitants de quartiers périphériques et même des grands centres urbains font des jours et des mois entiers sans que le robinet ne coule. Le risque de recourir aux moyens rudimentaires d’approvisionnement reste donc grand. Ces chiffres de 74% du taux d’accès à l’eau potable améliorée au Cameroun révèlent, malgré la satisfecit, les difficultés que la majorité des habitants ont à avoir l’eau. Evidemment, si 26% n’ont pas accès à l’eau, cela signifie que la couche la plus fragile qu’est l’enfant est plus exposée.

Utilisation de sources d’eau

potable améliorées (%) 2011

Utilisation d’installations

Sanitaires améliorées (%) 2011

total

urbain

rural

total

urbain

rural

74

95

52

48

58

36

Sources : Unicef (2014)

Le taux d’infection au VIH-SIDA est assez révélateur du niveau de prévalence des adultes ici au Cameroun. Si 59.000 enfants vivent avec le VIH-SIDA, et que 310.000 femmes en sont aussi porteuses, il est à craindre que ce chiffre ne soit alarmant dans les prochaines années compte tenu du taux de prévalence qui est de 4,5%. Pour une estimation de 660.000 personnes vivant avec le VIH-SIDA, il est évident que la maladie devient de plus en plus fréquente. Chez les jeunes enfants ayant une activité sexuelle avec des partenaires multiples, l’utilisation des préservatifs n’est pas encore totalement dans les mœurs : 67% d’hommes et 47% de femmes utilisent les préservatifs. C’est évident, dans ces conditions, que les maladies sexuellement transmissibles soient toujours présentes lorsqu’une partie encore de la population jeunes pensent, pour diverses raisons, que le contact « indirect » n’assure pas le plaisir total souhaité. Malheureusement, ici aussi règnent des stéréotypes sur cette utilisation du préservatif qui a des conséquences néfastes à long terme. L’une d’elle est, bien sûr, la mort des parent et par ricochet l’accroissement du nombre exponentiel d’enfants orphelins : 1.300.000 enfants sont orphelins donc 94.000 le sont suite à la mort des parents due à l’infection au VIH-SIDA.

L’éducation au cœur du développement

Dans l’Article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant, les États parties reconnaissent le droit des enfants à l’éducation et s’engagent à « assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité des chances ». L’une des priorités des gouvernements des pays en développement a toujours été l’éducation. Ce secteur est le plus consommateur du budget annuel de l’Etat camerounais. La politique de l’éducation au Cameroun comprenant les deux sous-systèmes, francophones et anglophones, est plus critiquée à l’heure actuelle pour des raisons historiques et fonctionnelle. Ces sous-systèmes sont d’abord hérités de la colonisation, ensuite son mode de fonctionnement reste inadapté au contexte de modernisation conforme aux canons des normes universellement acceptables. Là aussi, toute une littérature sociologique existe sur les dysfonctionnements du système qui n’ont pour conséquence que de former des citoyen en déphase avec son environnement. D’où l’éternelle problématique de l’adéquation formation-emploi. Malgré tout, le Cameroun a réussi le challenge de l’accès des enfants à l’instruction. Son taux d’alphabétisation des jeunes de 15 à 24 ans le confirme bien : 85% d’hommes et 76% de femmes. Le problème ici réside sur la disparité entre les deux sexes. Cette disparité sera observée tout autour des tableaux statistiques sur les taux bruts et les taux net de scolarisation.

Participation à l’école pré-primaire

Taux brut de scolarisation (%)

2008–2012*

garçons

filles

30

30

Sources : Unicef

 

Participation à l’école primaire

Taux brut de

scolarisation (%)

Taux net de

scolarisation (%)

Taux net de

fréquentation (%)

Taux de survie en

dernière année

d’école primaire (%)

2008–2012*

2008–2011*

2008–2012*

2008–2011*

2008–2012*

garçons

filles

garçons

filles

garçons

filles

données

admin

données de

l’enquête

128

111

100

87

87

82

57

87

Source : Unicef (2014)

L’accès à l’école primaire et au collège ou lycée est plus finement perceptible dans les faits que dans les chiffres issus des tableaux statistiques de l’Unicef. Ainsi, sur 21.700.000 habitants, les jeunes de moins de 18 ans se chiffrent à 10.808.000 personnes. Donc, presque la moitié de la population (49,80%) est âgée de moins de 18 ans ! Et 3.572.000 sont âgées de moins de 5 ans ! Donc, 16,46%. Le taux brut de scolarisation à l’école pré-primaire est de 30% pour les filles comme pour les garçons. Plusieurs enfants en âge d’aller à la maternelle sont encore à la maison. Les raisons sont multiples et celle qui domine le plus c’est que les parent considèrent l’école maternelle comme une perte de temps pour les enfants et par ricochet un gaspillage inutile compte tenu de sa cherté et la précarité du ménage. L’école primaire présente les plus forts taux qui sont quasiment supérieurs aux attentes. C’est donc l’un des meilleurs en Afrique et dans le monde : taux brut de scolarisation[12] 128% chez les garçons et 111% chez les filles ; le taux net de scolarisation[13] 100% chez les garçons et 87% chez les filles. Ces résultats plus que positifs peuvent s’expliquer par l’accès gratuit à l’école d’une part, et d’autre part, par une nécessité qu’ont les parents que les enfants aient un niveau d’instruction acceptable en sachant ne serait-ce que lire, écrire et compter.

Participation à l’école secondaire

Taux net de scolarisation (%)

Taux net de scolarisation (%)

2008–2011*

2008–2012*

garçons

filles

garçons

filles

44

39

53

49

Sources : Unicef (2014)

Le secondaire présente les résultats très mitigés : taux net de scolarisation (2011) 44% chez les garçons et 39% chez les filles ; taux net de scolarisation (2012) 53% chez les garçons et 49% chez les filles. Il y a donc un progrès de l’ordre de 9 à 10% entre 2011 et 2012. Comme pour dire qu’il y a des améliorations au fur et à mesure. La qualité approximative du système éducatif camerounais m’amène à penser que les enfants, malgré le taux brut satisfaisant de scolarisation à l’école primaire, n’ont malheureusement pas le niveau qu’il faut. Il s’avère donc que la qualité de l’enseignement reste problématique au Cameroun. Plus grave, en zone rurale, beaucoup d’école et collège manquent d’enseignants et de personnels d’encadrement qui préfèrent s’installer en ville et en général dans les grandes que sont Douala et Yaoundé. Aucune stratégie gouvernementale pour inciter les enseignants à opter pour les écoles de campagne. C’est la raison pour laquelle les régions septentrionales, par le manque de viabilisation et son enclavement, sont réputées très hostiles aux enseignants ambitieux. Chez les fonctionnaires généralement, les affectations pour ces régions sont jusqu’à présent considérées comme une sanction administrative. En plus des inégalités entre les zones rurales et urbaines, il faut aussi préciser qu’il existe des inégalités entre les régions du nord (plus peuplées et plus pauvres) et celles du sud du Cameroun.

Le travail des enfants : un débat sans fin

Environ 2,5 millions de personnes se trouvent aujourd’hui en train de subir des affres des dures conditions dues au travail forcé. Et 22 à 50% d’entre elles sont des enfants. Même lorsqu’ils ne sont contraints au travail forcé, plusieurs enfants sont néanmoins contraints par la précarité de la vie. Les disparités que nous avons relevées plus haut sont révélatrices des situations très désastreuses des enfants. Les études qui ciblent les enfants des zones urbaines sont de plus en plus porteuses d’espoir dans la mesure où les zones urbaines regorgeront, avec le temps, plus d’enfants que les zones rurales. Les statistiques comparatives nous présentent une progression sensible de la population mondiale d’enfants en zone urbaine.

 

1955

1965

1975

1985

1995

2005

Zones urbaines

(%)

27

30

33

36

40

43

Zones rurales

(%)

73

70

67

64

60

57

Total

(%)

100

100

100

100

100

100

Source : Unicef (2014)

La prise en compte de l’urbain est donc fondamental dans les analyses sociologiques du travail pour observer et résorber les problèmes en termes de perspective. La ville a des réalités affreuses de la vie qui obligent les familles pauvres à mettre les enfants, même les moins de 5 ans, dans la rue à la recherche de la subsistance. « Des dizaines de millions d’enfants vivent ou travaillent dans les rues des différentes villes du monde, un chiffre en augmentation du fait de la croissance démographique mondiale, des migrations et de l’urbanisation croissante »[14]. Les enfants travailleurs vivant en zone urbaine sont généralement ceux qui affrontent la précarité. Au Cameroun, cette précarité est plus visible dans la rue où les enfants s’activent aux petits commerces : vente d’arachides, d’œufs cuits, de beignets, de cigarettes, de maïs, de fruits (Avocats, bananes, papayes, ananas, pastèques, oranges, etc.), et ils s’exercent aussi dans les petits métiers comme la maçonnerie, la menuiserie en bois, la menuiserie métallique, la plomberie, la mécanique, la coiffure, la couture et bien d’autres encore. La rue est donc le lieu privilégié et par excellence pour mieux apprécier ce niveau de précarité des enfants en situation de travail.

En les approchant pour mieux savoir comment ils gèrent leurs activités au quotidien, les résultats de l’enquête sont pour le moins surprenants. Les enfants travailleurs supportent aussi, comme les parents, les charges du ménage. Il est souvent incongru d’entendre certaines critiques enlever cette qualité d’acteurs socio-économiques aux enfants qui jouent pourtant ce rôle. La question qui divise les observateurs est donc celle de savoir : doit-on, sous le prétexte de leur fragilité, interdire le travail aux enfants dont le fruit soutient les ménages ? Il faut dire que ce phénomène ne saurait être éradiqué dans sa totalité dans la mesure où ce travail, loin d’être un fardeau, participe en tant que tel au développement intellectuel et psychologique des enfants. Le débat reste essentiellement sur les aspects néfastes de l’exploitation du  travail et les discours qui tournent autour de ce phénomène en général. C’est cet aspect du phénomène qui fera l’objet de ma thèse que j’achèverai probablement dans un an et demi, inch ’allah !

Tchakounté Kemayou



[1] Pourcentage d’enfants âgés de 0 à 59 mois dont le poids est inférieur de trois écarts types au poids médian pour leur âge tel qu’il est défini dans les Normes OMS de croissance de l’enfant

[2] Pourcentage d’enfants âgés de 0 à 59 mois dont la taille pour l’âge est inférieur de deux écarts types à la taille pour l’âge médiane telle qu’elle est définie dans les Normes OMS de croissance de l’enfant.

[3] Pourcentage d’enfants âgés de 0 à 59 mois dont le poids pour la taille est inférieur de deux écarts types au poids pour la taille médian tel qu’il est défini dans les Normes OMS de croissance de l’enfant.

[4] Pourcentage d’enfants âgés de 0 à 59 mois dont le poids pour la taille est supérieur de deux écarts types au poids pour la taille médian tel qu’il est défini dans les Normes OMS de croissance de l’enfant.

[5] Pourcentage de nourrissons nés vivants à qui on a administré le bacille de Calmette et Guérin (vaccin contre la tuberculose).

[6] Pourcentage de nourrissons survivants à qui on a administré leur première dose de vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche.

[7] Pourcentage de nourrissons survivants à qui on a administré trois doses de vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche.

[8] Pourcentage de nourrissons survivants à qui on a administré leur première dose de vaccin contre la rougeole.

[9] Pourcentage de nourrissons survivants à qui on a administré trois doses de vaccin contre l’hépatite B.

[10] Pourcentage de nourrissons survivants à qui on a administré trois doses de vaccin contre l’Haemophilus influenzae type b.

[11] Pourcentage de nouveau-nés protégés à la naissance contre le tétanos.

[12] Nombre d’enfants inscrits à l’école primaire, indépendamment de leur âge, exprimé en pourcentage du nombre total d’enfants ayant l’âge officiel d’aller à l’école.

[13] Nombre d’enfants inscrits à l’école primaire ou secondaire ayant l’âge officiel de fréquenter l’école primaire, en pourcentage du nombre total d’enfants ayant l’âge officiel d’aller à l’école primaire. En raison de l’inclusion des enfants en âge de fréquenter l’école primaire inscrits à l’école secondaire, cet indicateur est parfois désigné comme étant le taux net ajusté de scolarisation dans l’enseignement primaire.

[14] Unicef (2012), « Les enfants dans un monde urbain »


Visite officielle de Guillaume Soro : Quelle leçon pour le Cameroun ?

Le président de l’Assemblée Nationale de la Côte d’Ivoire, Guillaume Kigbafori SORO, en visite de travail au Cameroun, a presque partagé l’actualité avec la sortie manquée des Lions Indomptables à la coupe du monde au Brésil. Il a été invité sur le pupitre de la chambre basse de l’Assemblée Nationale pour s’adresser aux Camerounais. Fidèles à leur habitude de boycott, les députés du principal parti de l’opposition (SDF) sont sortis de la salle. Les députés du parti au pouvoir (RDPC) les ont accompagnés par de acclamations. Mais, ce que j’ai remarqué dans ce discours de Soro, c’est l’utilisation du mot « panafricanisme » plus de 10 fois dans son discours. Depuis une décennie que la crise ivoirienne a déclenchée, le concept de panafricanisme, cher à Kwame Nkrumah, et le celui très couru de « nationalisme » ont de plus en plus pris de l’ampleur dans l’opinion. Ces concepts sont la manifestation, ces derniers temps, d’une certaine volonté de changement dans l’approche et la vision du développement du continent Africain que les leaders se donnent pour les objectifs de l’Unité Africaine. Les crises qui ont successivement suivies celles de la Côte d’Ivoire, la Libye, le Mali et la Centrafrique ont consolidée ce durcissement dans le ton et le discours. Au fait, de quoi s’agit-il ?

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Guillaume Soro au perchoir pendant son speech.
Crédit Photo: Cameroon_Politics

La France au box des accusés

C’est devenu presqu’une ritournelle et un secret de polichinelle : « Ce sont les Français qui sont derrières ». Voilà la sentence que beaucoup lance à tort ou à raison lorsqu’une crise survient dans un pays où les rebelles armés déclenchent l’insurrection pour lutter contre ce qu’ils appellent eux-mêmes « l’injustice ». D’ailleurs, selon le droit international, ne dit-on pas que tout peuple qui se sent écarté de la gestion du gâteau national, peut prendre les armes pour revendiquer leur droit lorsqu’il est dos au mur ? Et comment les Français se retrouvent-ils dans ce pétrin ? « Ils sont des complices des rebelles », arquent certains. Ils profitent d’une situation de crise interne pour attiser le feu et viennent jouer au pompier. D’autres critiques vont même plus loin en avouant avec certitude que les rebelles sont une fabrication de la France. La stratégie est toute simple, disent les tenants de cette thèse : les régions les plus riches en ressources du sol et du sous-sol sont les plus convoitées. Lorsqu’un régime ne convient pas aux attentes, la France et ses alliés créent une situation d’insécurité pour déstabiliser la région et compromettre la paix. C’est la conséquence d’une France qui se voit réduit économiquement si l’Afrique se libérait du joug colonial qui est encore considéré comme une chaîne dont il faut se départir. Donc, une France sans ses ex-colonies est une France finie, sans envergure mondiale. Une France dépourvue de ses sources de richesses et appelée à disparaître de la carte du monde. Cette thèse confirme par ailleurs que l’esclavage est toujours d’actualité mais sous une autre forme : le néo-colonialisme. En fait, le colonialisme a été la nouvelle trouvaille après l’esclavage. Toutes ces stratégies des Occidentaux avaient pour but de ne pas lâcher l’Afrique considérée comme la mamelle nourricière. Il existe dans l’histoire les faits institutionnellement établis qui avaient pour but de maîtriser toutes les richesses du monde afin de s’en accaparer au détriment des peuples. Ce sont des raisons suffisantes qui montrent la nécessité pour chaque dirigeant de considérer que l’amitié entre les Etats n’existe pas, il n’y a que des intérêts. Au lieu de lutter pour sauvegarder les intérêts de leur pays respectifs, les dirigeants Africains construisaient autour d’eux des réseaux d’amis et cercles du pouvoir pour assurer la longévité de leur gouvernance. Pourquoi les dirigeants africains considèrent-ils alors les Occidentaux comme leurs amis ?

La pseudo-indépendance des pays africains : Le cas du Cameroun

Les mouvements d’indépendance vécus en Afrique dans les années 1960 étaient le fait des leaders qui considéraient que les peuples avaient soif de sa liberté et souhaitaient une indépendance totale de toutes les colonies sans exception. A côté d’eux, il y en a qui n’en voulaient surtout pas et considéraient, par contre, que les Africains n’étaient prêts pour l’indépendance. Ce qui est pourtant curieux, c’est que ces derniers se sont retrouvés à la tête des jeunes Etats indépendants. Ils ont donc eu le privilège d’être appelé aux affaires et à proclamer l’indépendance dans leur pays respectif. Pour le cas particulier du Cameroun, ces derniers ont pris le pseudonyme d’ « aujoulatiste » du colon Français et maçonnique Louis Paul Aujoulat (1910-1973) qui était le faiseur de personnalités politiques. Ministre et secrétaire d’Etat de la France d’Outre-mer sous plusieurs gouvernements français de 1950 à 1955, c’est sur son auspice que l’Etat du Cameroun a été créé et beaucoup n’hésitent pas à penser que son système de gouvernance continue de régner, malgré tout, jusqu’à présent. Il a été au four et au moulin dans la mise en place des deux Assemblées nationales constituantes (ARCAM et ATCAM) et de l’Assemblée nationale du Cameroun. C’est donc à lui, selon les historiens, qu’on doit cette pseudo-indépendance. Il a œuvré pour le changement du statut du Cameroun du « Territoire sous tutelle de la SDN » au « Territoire associé » pour intégrer le pays dans l’Union Française en décembre 1946 et l’Assemblée de l’Union était composée, « Par moitié, de membres représentant la France métropolitaine et, par moitié, de membres représentant les départements et territoires d’outre-mer et les États associés »[1]. En conséquence, le Cameroun a été un territoire privé de l’Allemagne (le 12 juillet 1884), de la France et de l’Angleterre sous mandat de la SDN (le 28 juin 1919) et sous tutelle (le 13 décembre 1946) après la seconde guerre mondiale. C’est cette politique d’assimilation qui a créé deux tendance dans le paysage politique camerounais : la tendance évolutionniste et celle révolutionnaire.

Les Camerounais de la première tendance n’étaient pas satisfaits du bilan de la politique d’assimilation de la France. Mais, curieusement voulait travailler dans son accomplissement. Le deuxième front appelé la tendance révolutionnaire, comprenait ceux qui voulaient changer la politique française pour évoluer vers l’autonomie interne ou l’indépendance totale. La première tendance a remporté les élections législatives de 1945 pour être des représentants du Cameroun à l’Assemblée Nationale Française. Au total, sur les 624 députés que compte l’Assemblée nationale de Paris, 4 députés sont élus pour le Cameroun : 1 par les Français (Louis Paul Aujoulat) et 3 par les autochtones (Alexandre Douala Manga Bell, Georges Mo Linati et Jules Ninine). Ces élections ont réveillé les consciences et beaucoup de partis politiques qui voient le jour ont eu comme débat idéologique le droit à l’autonomie ou l’assimilation des peuples « indigènes » ou « autochtones » comme les colons aimaient si bien appeler les Africains à l’époque. Les leaders comme les Ruben Um Nyobe de l’UPC (1948) ; les Aujoulat avec Ahmadou Ahidjo, André Marie Mbida et André Fouda du BDC (1951) initialement opposé au programme politique de l’UPC ; les André-Marie Mbida  des Démocrates Camerounais (1954) où le leader claqua la porte du BDC après avoir été accusé de trahison par le leader du mouvement ; les Paul Soppo Priso du Mouvement D’Action Nationale du Cameroun (1956) fondé après avoir quitté le BDC ; les Ahmadou Ahidjo de l’Union Camerounaise (UC); les Mathias Djoumessi du Mouvement des Indépendants et Paysans Camerounais, etc.

Le front révolutionnaire qui avait à sa tête les Um Nyobe de l’UPC avait tellement durcit le ton, à tel enseigne que de 1955 en 1970, lui et ses paires sont entrés dans le maquis sous les menaces d’extermination de l’armée française. La région de l’Ouest du Cameroun, qui n’était pas la seule, mais était la cible principale des Français puisque les « maquisards » s’y sont réfugiés pour des raisons de son relief pittoresque, a connu des affres horribles considérés pour beaucoup comme un génocide.  Au plus fort de cette guerre civile, la France lâche du lest en 1958 et consentit à octroyer l’indépendance au Cameroun le 1er janvier 1960. Comme je l’ai dit tout au début de ce paragraphe, ce qui est paradoxal c’est que la gestion du pays a été confié au camp opposé à l’indépendance : au camp des Aujoulat et compagnies. Question à mille inconnus : comment peut-on octroyer la gestion d’un pays après l’indépendance entre les mains de ceux qui étaient pourtant contre cette indépendance ? Voilà où viendrait l’origine de la haine des Camerounais pour la France : l’indépendance du Camerounais est ainsi symbolisée par l’image de la chèvre qu’on libère sans détacher la corde qui la lie à son propriétaire. Pour les upécistes, il serait donc malhonnête de parler d’indépendance du Cameroun. Pour ceux qui s’entêtent à reconnaitre, malgré tout, cette indépendance, sont, tout de suite, taxés d’aujoulatistes, donc ennemis du Cameroun. Du coup, le débat sur la nécessité d’acquérir cette fameuse indépendance du Cameroun est remise sur la table. Ce débat s’est accentué, avec le temps, par la nécessité de l’appropriation du concept de panafricanisme de Henry Sylvester Williams (1869-1911)[2] et cher à Kwamé Nkrumah. La remise en cause perpétuelle de la gestion postcoloniale ou postindépendance a réactivé les débats sur le panafricanisme et certains sont même allé plus loin et prônent le nationalisme ou la préférence nationale, idéologie proche des concepts de l’extrême-droite.

La leçon de Guillaume Soro au Camerounais

Ce qui m’intéresse dans la visite du président de l’Assemblée Nationale (AN) de la Côte-d’Ivoire, c’est le fait qu’il est l’une des rares personnes à monter sur le pupitre de l’Hémicycle du palais des verres de Ngoa-Ekélé (Palais de l’Assemblée Nationale Camerounaise). A ma connaissance, aucun leaders de l’opposition n’a jamais, oui au grand jamais, eu ce privilège. Même le leader du principal parti de l’opposition camerounaise (SDF), Ni John Fru Ndi, tout comme les partis qui ont comme idéologie politique le panafricanisme, n’ont pas réussi ce challenge. Voilà donc le président Soro qui vient au Cameroun, sous une vaste contestation de ces partis-là, prononcer à plusieurs reprises le concept de panafricanisme sur le pupitre d’une AN d’un régime aujoulatiste. Que c’est intéressant ! Cela peut sembler, pour beaucoup de détracteurs de la France comme un épiphénomène, car pour eux, Alassane Ouattara et Guillaume Soro ont été installés par la France, ce sont donc des aujoulatistes. Il n’y a donc rien à cirer avec un homme, de surcroit,  deuxième personnalité de la Côte d’Ivoire. Sa faute ? C’est qu’il a pris des armes pour accéder au pouvoir. Les leaders camerounais l’accusent donc d’être un rebelle. Et à Guillaume Soro de répondre aux journalistes : « Oui, je suis rebelle comme Um Nyobe, comme Felix Moumie, comme Manga Bell. Je suis rebelle, mais surtout pas comme les petits rebelles du SDF, incapables de supporter la contradiction et l’adversité »[3]. Ouf ! Quelle gifle ! Cette réponse a vexé plus d’un et qui estimaient, à juste titre, que ces propos de Guillaume Soro sont une injure aux nationalistes et au peuple camerounais tout entier en ce sens que les leaders comme les Um Nyobe et compagnies avaient pris les armes contre la France coloniale et non contre le peuple comme Alassane Ouattara, Guillaume Soro et compagnies l’ont fait. Au fait, que signifie même ce concept du panafricanisme ? Je me suis livré à un exercice de cogitation intellectuelle qui m’a amené à comprendre une chose : je ne dirais pas que les leaders camerounais manque d’éducation politique, mais je dirais plutôt qu’il y a une déviation dans la vision qui ressemblerait à un manque de politesse, de culture et de lucidité politique. Mon rôle n’est pas de donner les leçons politiques aux camerounais. Il me semble plutôt que les camerounais sont assez intelligents, mais il règne dans ce pays une sorte de mesquinerie et de malhonnêteté intellectuelles qui ne disent pas leur nom.

Le panafricanisme ne se fait pas dans la rue

Le challenge de Guillaume Soro a été celui d’introduire le débat sur l’idéologie d’Um Nyobe dans un milieu où elle était presque bannie. Ce milieu, ce régime ou cet Etat aujoulatiste que l’écrivain Patrice Nganang appelle à juste titre l’« Etat tribal » est considéré comme la chasse gardée du dépositaire du totalitarisme. C’est le lieu par excellence de la fabrication du contrôle du pouvoir. C’est une sorte de lieu sacré où il est possible de bouleverser le destin national. C’est le lieu où Soro a choisi de s’adresser aux Camerounais pour leur dire ceci, en posant la question suivante : la conférence de Brazzaville de 1944 a-t-elle été un « acte fondateur d’une décolonisation réussie, ou simple signe annonciateur d’un long et difficile processus d’émancipation de notre continent ? ». Au vu de cette analyse, la deuxième thèse pourrait être la réponse la plus adaptée. C’est donc la preuve que la lutte engagée par les leaders de l’UPC reste encore d’actualité. Que signifie alors ce concept de « panafricanisme » si cher à beaucoup de camerounais ?

Le terme « panafricanisme » recouvre les courants divers : Garveyiste, Négritude, Afrocentricité, Consciencisme philosophique, Panafricanisme révolutionnaire, etc. Et même Guillaume Soro a donné, dans son discours, les différentes tendances en parlant de « nuances de l’idéologie panafricaniste » et il cite : « Les mouvances capitalistes et socialistes, pragmatistes et traditionnalistes ». Malgré tout, ces divergences de vue sont loin d’être un problème en soi. Ce qu’il faut cependant retenir, c’est que toutes ces composantes ont un dénominateur commun qui peut se résumer en deux idées majeures à savoir : primo, la question de l’Unité africaine et secundo, la question de la libération, avec comme substratum la désaliénation. Ce dénominateur commun nous autorise la définition suivante : « Le panafricanisme est à la fois une vision sociale, politique et culturelle de résistance et un mouvement qui cherche à unifier les Africains d’Afrique et de la diaspora africaine en une communauté africaine globale, et qui appelle à l’unité politique de l’Afrique au sein de l’Etat Fédéral d’Afrique Noire (EFAN), à travers le processus de la Renaissance Africaine »(2012)[4]. Si nous voulons rester dans l’esprit du fondateur de cette idéologie, et même de Kwamé Nkrumah dans son ouvrage « L’Afrique doit s’unir » publié en 1994, il est convenu que les concepts de nationalisme, de tribalisme, d’autochtonie, etc. ne doivent plus faire partie du vocabulaire de nos leaders et même des citoyens ordinaires. Mais, que remarquons-nous actuellement ? Une tendance très poussé à la négation de l’autre considéré comme un étranger parce que venant d’ailleurs. Si le problème s’est posé en Côte d’Ivoire sous le prisme de l’ivoirité, ici au Cameroun, c’est le tribalisme vu d’une part sous l’angle d’« autochtone » et d’« allogène » que la loi fondamentale (Constitution) a institué comme valeur, et d’autre part sous le système d’équilibre régional qui a pour fondement la sélection sur la base tribale des candidats des concours administratifs. C’est donc cet « Etat tribal » d’Aujoulat que Soro est venu vilipender en ces termes : « Tout au long de mon enfance et de mon adolescence, je m’étais familiarisé avec l’idée qu’être Ivoirien et être fier d’être Ivoirien, c’était la même chose, qu’il y avait au cœur de chacun de mes concitoyens cet indéfectible attachement à une Côte d’Ivoire unie, qui vit en parfaite harmonie avec tous ses voisins et amis. J’ai fait mes classes avec des camarades dont je ne me suis jamais soucié ni de l’origine ethnique, ni de l’appartenance religieuse, car, pendant longtemps, ces données sectaires n’ont jamais habité, ni la façon de penser, ni la façon de faire des ivoiriens. Imaginez donc ma stupéfaction, quand je m’aperçus peu à peu qu’il y avait désormais en Côte d’Ivoire, des ivoiriens à part entière et des Ivoiriens entièrement à part, et que rentraient dans cette catégorie de l’infamie, toutes celles et tous ceux dont on pouvait supposer qu’ils n’étaient pas de chez nous et qu’ils venaient d’ailleurs, de l’un de ces pays dont il était dit qu’ils ne pouvaient être que nos ennemis ». Et il conclue en martelant : « Je vous le dis: je me suis rebellé contre l’ivoirité qui catégorisait les Ivoiriens ».

Il faudrait bien qu’on me dise si le discours ou la vision du panafricanisme est bel et bien celle du nationalisme prônée par certains. Il me semble aussi que la tendance révolutionnaire avec comme tête de file Um Nyobe était des panafricanistes et non des nationalistes. Pourquoi cette doctrine de la préférence nationale prônée par les partis de l’extrême-droite en Occident et que les Africains condamnent pourtant est-elle tolérée en Afrique ? Il n’y a qu’à imaginer comment les Africains vont crier au racisme si un Français d’origine Africaine venait à voir ses droits remises en question. Pourquoi accepter donc cette discrimination entre les Africains ? Entre les Camerounais ?

Et à propos de la haine que les leaders du panafricanisme ont contre les ex-colonies (Les puissances occidentales en général), il faut l’avouer sans langue de bois, après avoir lu L’Afrique doit s’unir  (1194) de Kwamé Nkrumah, De la post-colonie. Essai sur l’imaginaire politique dans l’Afrique actuelle (2000) d’Achille Mbembe, La France contre l’Afrique (1999) de Mongo Béti, La philosophie négro-africaine (1995) de J.G. Bidima, Manifeste pour une nouvelle littérature africaine(2007) de Patrice Nganang, Négritude et Condition africaine (2009) de Francis Abiola sans oublier les Livrets d’informations publiés par la Ligue Panafricaine UMOJA et bien d’autres encore, je ne vois nulle part, comme le stipule Guillaume Soro lui-même : une idéologie de la « haine contre l’Occident ». je retrouve plutôt partout les concepts de « Union » et « Fédération » qui se propose comme modèle politique le dépassement le cadre des frontières hérités de la colonisation sans nier l’existence des groupes ethniques. Le contentieux historique, revendiqué par les upécistes, reviendrait ici à remettre néanmoins sur la table le projet aujoulatiste afin d’établir les responsabilités de la trahison. Mais l’essentiel, il me semble, reste et restera la mise en place d’une Assemblée Constitutive ou constituante pour la création d’un nouvel Etat du Cameroun comme le stipule la politologue et féministe engagée Marie-Louise Otabela.

Vivement les Etats Unis d’Afrique !

Tchakounté Kemayou



[1] Alinéa 1er de l’article 65 de la Constitution française du 27 octobre 1946

[2] La paternité du terme « Panafricanisme » est généralement attribuée à Henry Sylvester Williams ; un africain caribéen né à Trinidad, de parents originaires de la Barbade. En 1898, futur avocat de profession, Henry Sylvester Williams crée à Londres l’«African Association » destinée à défendre les droits civils et politiques des personnes d’origine africaine. C’est cette association qui organisa, en juillet 1900, la première « Conférence panafricaine » consacrant ainsi d’une manière institutionnelle les préoccupations panafricanistes et les termes visant à les spécifier.

[3] Tous les extraits de Guillaume Soro sont tirés de son discours du 11 juin 2014 au perchoir de l’Assemblée Nationale du Cameroun

[4] Livret d’information N°3 : « Le panafricanisme en quelques questions », publié par la Ligue Panafricaine UMOJA (LP-U)


Samuel Eto’o : « Tirez sur moi. Laissez mes jeunes frères tranquille »

Décidément, l’épisode Eto’o au sein de l’équipe nationale du Cameroun, Lions Domptables Indomptables du Cameroun, ne finit pas d’attiser les polémiques, des commentaires tendancieux autour de sa personne. Oui, je dis bien de sa personne, car les critiques n’ont pour la plupart rien à voir avec le jeu. La coupe du monde qui aura lieu dans quelques heures au Brésil est une occasion, une fois encore de plus, pour les médias camerounais de réveiller chez le public ce qui est considéré comme un égo surdimensionnée de la star mondiale victime de sa gloire. Comme il est de coutume donc, beaucoup d’informations susceptibles de saper le moral de la star ont circulé et circulent encore. Sans doute que ces informations viendraient des détracteurs. Même si elles s’avèrent être vraies, la question qui se posent est celle de savoir l’opportunité de la diffusion. Je suis mal placé ici pour faire un démenti et laver l’honneur d’Eto’o qui est capable lui-même d’affronter ses détracteurs. D’ailleurs, il le réitère à chaque fois qu’il se trouve devant les critiques : « Tirez sur moi. Laissez mes jeunes frères tranquilles ».

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Eto’o souriant, lors du match Cameroun-Allemagne.
Crédit photo: www.goal.com

Oui, Eto’o fait le buzz en ce moment dans les médias et les réseaux sociaux qui cherchent éperdument les boucs émissaires à qui on va attribuer une probable défaite des Lions Indomptables. Puisque lui-même accepte les flèches, il est bien servi depuis un certain temps, du moins, depuis que l’équipe nationale est entrée en phase préparatoire du mondial brésilien.

Le drapeau camerounais remis à qui de droit

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L’entraîneur allemand Finke tenant le drapeau camerounais.
Crédit photo: Thierry Ngogang

Cette image honteuse qui alimente les causeries en ce moment est à toute de même révélatrice de milles choses longtemps mises à nues et que personne n’en avait la moindre idée de ce que cela représentait. Un étranger, de surcroit, un Blanc, un « Moukala » comme on dit au matango, a bien tenu le drapeau, oui notre drapeau ; et c’est Eto’o, le capitaine des Lions Indomptables qui est en cause. Il se dit donc que les gars ont décidé, la veille du match amicale Cameroun-Moldavie du 08 juin dernier, de boycotter le match si leurs primes n’étaient pas payées. En fin de compte, sans avoir l’assurance que la situation sera décantée, les gars ont quand même convenus de jouer la rencontre en espérant que tout sera réglé d’ici avant le départ pour Brésil prévu pour le lendemain. Samuel Eto’o, en tant que porte étendard, qui était donc chargé de prendre le drapeau des mains du premier ministre a décidé de déclencher le mouvement de grève qui ne disait pas son nom. Lui et ses coéquipiers étaient restés au vestiaire et manifestaient donc, par ce geste, leur refus de tenir le drapeau national. Du coup, le vieux Finke, l’entraîneur en chef, puisque les Lions indomptables ont collège d’entraîneurs pour le Brésil, s’est emparé du symbole national, j’allais dire, de l’emblème national, signe que lui aussi est camerounais ! Comme l’a si bien dit mon compatriote Florian Gimbis dans son récent billet, ce n’est pas une surprise. Cette image démontre bien que tout ce qui appartient aux Camerounais est entre les mains des étrangers. A quelque chose, malheur est bon. Cette image ne peut surprendre que ceux qui sont naïfs : le Cameroun n’appartient pas aux camerounais. Cette image restera dans l’histoire et sera bien exploitée par les nationalistes camerounais qui accusent l’Etat camerounais d’être « néocolonial ». Preuve suffisante et parlante. Eto’o nous a donc aidé à ouvrir les yeux. C’est bien de cela qu’il s’agit au lieu de s’en prendre au pauvre « Pitchitchi ».

Confusion dans le protocole d’Etat ?

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Dans le parking présidentiel, la voiture du PM à droite et celle de Eto’o à gauche.
Crédit photo: Thierry Ngogang

Eto’o n’a pas joué le match Cameroun-Moldavie, mais il était là, présent en chair et en os. Il n’est pas non plus venu en bus, transport commun comme ses coéquipiers. Il est arrivé en voiture de sport personnelle. Mais, le hic c’est d’avoir le culot de garer sa bagnole près de celle du premier ministre chef du gouvernement Yang Philémon. Erreur du protocole, diront certains. Mais non, il ne s’agit pas de ça ! Les camerounais les plus futés en matière d’analyse le disent haut et fort : c’est une preuve que le « Pitchitchi » se croit tout permis. Comment le protocole d’Etat peut-il permettre qu’un joueur, même si c’est Eto’o, vienne se garer près de la Mercedes immatriculée PM ? Conclusion, cet Eto’o a les bras long et est bien placé, comme on dit chez nous ici. Est-ce que le « Pitchitchi » c’est n’importe qui ? Il se prend pour le vice-roi. Après le roi du Cameroun, c’est lui. Y a quoi ? Y a rien, c’est l’homme qui a peur. Même les vigiles, les gardes de corps, la sécurité d’Etat sont incapables de lui adresser la moindre parole. D’ailleurs, malheur à celui qui oserait lui intimer l’ordre d’aller garer loin. Aïe ! Il sait combien ça coûte, cette voiture sport ? Je vous jure que ce Eto’o là me dépasse seulement. Il a lui-même dit qu’il est habitué à recevoir des flèches empoisonnées des camerounais. Toutes les critiques de l’équipe nationale doivent lui être adressées, martèle-t-il à tout vent. Comme pour dire : « Le chien aboie, et la caravane passe ».

Ces histoires de primes

Souvenez-vous de la grève que l’équipe nationale a « organisée » le dimanche 8 juin dernier, jour du départ pour Victoria au Brésil. Le vol prévu à 9 heures du matin n’a plus décollé. Pour cause. Le capitaine et ses coéquipiers réclament leurs primes avant le décollage pour le Brésil. Ils sont donc, pour la plupart, restés dans leur hôtel en signe de protestation. Les négociations ont duré plus de 24 heures d’horloge, entraînant ainsi le retard du vol qui a coûté au contribuable, dit-on, plus de 200 millions de nos pauvres francs CFA que les contribuables que nous sommes allons payer. Voilà où nous en sommes avec la mauvaise gouvernance. Mais, ce qui m’intéresse ici, c’est l’impasse dans laquelle les discussions et les négociations se sont menées. Face à la réticence des autorités de se plier aux exigences des joueurs, et pour faire l’économie en temps et en argent, notre « Pitchitchi » fidèle à son arrogance, sort de sa réserve et propose une solution de sortie de crise en disant : « Je vais payer les primes des joueurs et on embarque à condition d’en discuter avec le chef de l’Etat ». C’est comme ça que ceux qui l’ont suivi rapportent les paroles du capitaine qui sont visibles dans de nombreux réseaux sociaux. Du coup, des commentaires fusent encore de partout : « Comme il est riche, il veut montrer même quoi aux camerounais ? » ; « Le chef de l’Etat c’est son ami ? » ; « Ce gamin se prend même pour qui ? ». Les détracteurs en profitent donc pour dire tout haut tout ce qu’ils pensaient tout bas. Inutile de rapporter les propos des uns et des autres ici, parce qu’il y a de tout et de rien, des verts et des jaunes, des murs et des pas murs. Bref, c’est chacun qui vide son sac sur Eto’o qui n’est que prêt à encaisser seul des flèches. En tous les cas, le « capi » est blindé, hein. Pour lui quoi ?

Le « big eyes » et le déballage d’Hélène Nathalie Séraphine Koah

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Séraphine Koah, à la fleur de l’âge. Belle!
Crédit photo: www.koaci.com
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Séraphine Koah, après sept de « menaces », dit-elle.
Crédit photo: www.koaci.com

La dernière flèche et pas la moindre, c’est le journal en ligne Koaci.com qui a publié ce lundi 09 juin l’information selon laquelle la star a menacé son ex-copine la nommé Hélène Nathalie Séraphine Koah d’emprisonnement. Ordre a été donné par la star de l’arrêter, dit-elle au journaliste qui l’a interviewé pour sa version des faits : « Il m’a fait passer trois jours au commissariat, dans une cellule infecte. Il a franchi le rubicond. Au petit matin, du jeudi 29 mai, je sortais de la boite, on m’a interpellé ». L’interview de la jeune fille qui a, dit-elle, passé sept ans à subir les menaces de la star qui a décidé de retirer à la belle Séraphine tous les cadeaux à lui offerts par le « Pitchitchi » national : « Bijoux, montres, véhicules, sous vêtement et vêtements, sacs et chaussures », etc. Mon Dieu ! Même les sous-vêtements ?! Ce qu’il y a lieu de dire ici c’est l’acharnement avec lequel tous les camerounais et plus particulièrement la gente féminine s’y est pris pour condamner la star. Toutes les femmes se sont pris à Eto’o en le traitant d’homme « violent ». Il n’y a qu’à voir comment cette Séraphine le qualifie maintenant : « Il a un côté possessif, manipulateur et dominateur. […]. C’est un homme très violent. Une fois, il parlait avec ma mère au téléphone pendant qu’il avait son pied sur mon cou ». Ces révélations sont assez graves pour une personne qui se trouve être Eto’o et surtout en cette période justement de la coupe du monde.  Cet homme qu’on qualifie maintenant de « violent » ne le devient-il que lorsqu’une femme décide de le quitter ? Je veux bien comprendre. Le temps que Séraphine a passé avec lui, lui était-il impossible de savoir que son mec était un homme violent ? Toutes ces révélations de Séraphine ont pour but d’obtenir quoi de ses compatriotes ? Bien, j’oubliais. Elle dit qu’elle est en danger parce que la star lui en veut beaucoup pour son arrogance après qu’elle ait trouvé du boulot. Conséquence, elle n’aura donc plus besoin des « cadeaux » de notre « Pitchitchi » national. Et du coup, elle décide de faire de sa vie ce qu’elle veut, pourtant son mec lui avait prévenu : « C’est moi qui t’ai faite, c’est moi qui vais te défaire ». Les filles adorent être amoureuses d’une star en oubliant ce que ça pourrait leur coûter plus tard. Voilà où peut mener l’arrogance. Comme les deux partenaires sont arrogants, le crash est donc inévitable. Au quartier, ce genre de fille, on les appelle vulgairement « The Big eyes » (« Les longs yeux », « Le gros cœur »), car elles veulent tout : la gloire, l’argent, la beauté. Elles ne rêvent que du glamour, quoi. Généralement, les conséquences sont désastreuses et la belle Séraphine vit donc ce martyr depuis sept ans. Faut-il en rire ou pleurer ? Franchement, je suis catégorique : si vous n’appartenez pas au monde de la star-mania, il faut éviter de penser qu’une relation amoureuse fera long feu, surtout pour le cas d’Eto’o qui est un homme marié avec des enfants. La séparation, il faut la préparer en conséquence surtout lorsqu’on a en face un milliardaire arrogant. D’ailleurs, Séraphine finit son interview en donnant les conseils à ses compatriotes « Big eyes » comme elle, à toutes ces filles qui font des rêves en couleur au lieu d’avoir les pieds sur terre : «  Aux filles, je dis les stars ça fait rêver. Il y a ce côté glamour, paillettes, l’envers du décor est parfois très noir. Je leur conseille d’être méfiantes ». Voilà qui est bien dit ! Si elle l’avait su et pensé elle-même avant, elle ne serait pas là aujourd’hui. Je vous assure, en homme d’expérience, les filles ne sont prêtes à suivre ce conseil. Elles sont toujours en train de sermonner : « ça ne pourra jamais m’arriver, car je suis très prudente ». Elles sont toutes comme ça ! Toujours prêtes à bondir devant les frics comme le diable. Je me souviens d’un conseil d’un oncle, paix à son âme, qui me disait toujours : « Mon fils, met ton énergie à chercher d’abord l’argent, les femmes vont te suivre et tu choisiras celle que tu veux. Si tu mets ton énergie à chercher d’abord la femme, tu perdras tout, ton énergie, ton argent et la femme ». C’est tout dire ! Pardon, Séraphine, rembourse seulement les cadeaux-là, même les strings, hein.

Pardon les filles chéries, faut pas fâcher hein ! C’est la vie.

Tchakounté Kemayou 


Comprendre l’immigration clandestine

Le week-end du 31 mai au 02 juin 2014 n’a pas été de tout repos pour les navires marchands et ceux de la marine italienne qui se sont battus comme de beaux diables pour sortir des bateaux surchargés d’immigrés clandestins en difficulté qui tentaient pourtant la dangereuse traversée. Ce vendredi, 2500 migrants ont été sauvés de la noyade au large de l’Italie, au moins 60 morts à proximité des côtes du Yémen. Les navires marchands et ceux de l’armée marine italienne sont habitués à ces scénarios presque toutes les semaines. Depuis janvier 2014, les statistiques révèlent que plus de 43.000 immigrés clandestins venant des pays du sud et surtout d’Afrique ont été repêchés en plein océan sur des bateaux de fortune en partance pour Sicile et Lampedusa. Décidemment, les populations pauvres n’ont encore rien compris après les deux drames d’octobres 2013 au large des côtes de Lampedusa où, malheureusement, des centaines d’africains ont perdus la vie après le naufrage du bateau qui les avait embarqué pour l’eldorado, « la terre promise » donc !

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Bateau intercepté sur les côtes du Yémen et s’apprêtant à la traversée dangereuse de l’Atlantique.
Crédit photo: https://www.lanouvellerepublique.fr/

 

Des catastrophes, des naufrages enregistrés toutes les semaines, devenus récurrents et réguliers et qui ne font même plus la une des médias parce que devenus des faits banals resteront à jamais des blessures béantes et puantes dans l’histoire de l’humanité de l’immigration clandestine. La nécessité de cogiter sur ce phénomène m’amène à revisiter les problématiques de l’immigration clandestine qui ont été mises en jeu pour extirper la graine microbienne de l’origine et de ce fléau. La sentence scientifique trouvée tout de go pour justifier, en termes d’analyse, les drames qui, en 6 mois seulement ont déjà fait plus des centaines et des milliers de naufragés au large de la Méditerranée est que la pauvreté est la cause de l’immigration clandestine. J’ai de la peine à croire que depuis plus de deux décennies les analyses pour diagnostiquer ces drames ont des résultats mitigés. La préoccupation qu’il importe de mettre sur la table actuellement est celle de s’interroger sur la persistance  des pauvres à devenir des candidats à l’immigration clandestine, à affronter l’inconnu malgré les dangers. Les avertissements, les contraintes réglementaires, naturelles et environnementales pour les dissuader restent vains. Les problématiques du risque ont été jusqu’ici été utilisée dans l’économie, la politique, à la théorie des jeux, et surtout dans la pratique du sport et même au tourisme. Les théories du risque que je transpose ici sur l’immigration clandestine m’ont donc permis de comprendre comment le concept du risque n’est pas seulement l’apanage des sociétés industrielles ; mêmes les populations les plus pauvres de la planète développent des logiques rationnelles telles que des stratégies de survie en faisant simplement recours à leur bon sens et à leur subjectivité. Pour comprendre l’immigration clandestine, la réponse à la question suivante donnera, à mon humble avis, une ébauche de réponse à ceux qui voient en ces clandestins des personnes incapables d’avoir la lucidité de mesurer les risques avant la prise de décision : « Pourquoi immigrer est-il le meilleur risque pour les jeunes africains en quête d’un mieux vivre ? ».

La société de la peur

Il faut d’ailleurs dire que la culture du risque zéro n’est pas si vieille que ça. Elle ne date seulement qu’à partir des années 1990 où l’espérance de vie a commencé à croitre grâce aux progrès de la médecine. Malgré l’évolution de la science, les individus sont toujours confrontés aux risques non maîtrisés. Le risque est donc considéré comme les obstacles de toute nature qui sont susceptibles de nous empêcher d’atteindre les objectifs souhaités dans les actions collectives ou individuelles. Dans la vie, il n’y a donc pas de risque zéro.

Dans son ouvrage « La société du risque » (2001), Ulrich Beck estime que notre société est fondée sur la peur. Toutes les actions que l’homme pose ne peuvent avoir de risque zéro. Par exemple, pour l’homme qui emprunte un avion pour ses déplacements, ses voyages, sa psychologie de la peur dépendra du niveau de développement des informations véhiculées par les médias en quête de sensationnels sur les catastrophes des vols. C’est pour dire que ce sont des faits relatés par les médias et l’entourage qui nourrissent la perception que les hommes peuvent avoir de l’idée du danger. La déferlante, dans les médians, des informations de drames et de crashs, la proximité (familiale, amicale, etc.) avec les victimes d’un crash, l’implication des gouvernements à travers l’instauration des journées nationales de deuils, sont des effets qui génèrent et suscitent la peur et de l’angoisse. Nul doute que le voyage en tant que tel, en lui-même, visiblement malgré les dangers, ne constitue en rien dans le développement de la peur (Cf. D. Heiderich dans « Crise, risque & tourisme », 2005). Ce sont les hommes et l’environnement qui développent cette angoisse. Les voyages par avions ou par bateaux suscitent plus d’émotions alors qu’ils sont moins familiers que les voyages par voiture et autobus dont les accidents sont plus légion sur nos autoroutes. Mais, les médias font plus de tapages pour des crashs d’avions alors que nos axes routiers font des dizaines de mort tous les jours. La prise de risques non familiers est donc plus propice à provoquer la peur. D’où la persistance de la peur dans les voyage par avions et/ou par bateaux. Comme l’homme ne peut se passer de l’avion pour faire des déplacements de longues distances, avec la persistance de l’effet des médias et de l’environnement, cette peur va continuellement hanter son esprit au point de devenir une obsession. Chez l’homme voyageur, l’analyse rationnelle et subjective de la situation mobilisera sa vision sur la perception du risque (L’avion est le mode de transport le plus sûr). Voilà où cette subjectivité ici l’emportera sur le sensationnel et l’émotionnel.

En somme, la peur est un facteur émotionnel qui est transmise, non seulement par les médias, mais surtout grâce à la proximité que les individus ont avec les victimes. La peur a une telle puissance psychologique et sociale telle que la plupart des régimes politiques peu crédibles et peu scrupuleux en profitent pour abuser de leur peuple. Ils utilisent cette situation de désespérance du peuple pour susciter la peur en eux sous l’effet de la manipulation de la communication de masse. Cette problématique de la peur de Heiderich, telle que nous l’avons exposée plus haut pourrait être ainsi perçue pour comprendre des phénomènes de l’immigration clandestine à travers des voyages par bateau par la traversée des mers et océans en direction de l’Occident. Mais ici, le sensationnisme sur les événements des noyades fait par les médias pourrait être moins considéré comme étant un développement du découragement, de la peur. La subjectivité, la vision du futur ici viendrait sous l’emprise de lendemain incertain face aux difficultés de la vie, alimentée consciemment par les pouvoirs publics.

La construction des risques en situation de pauvreté

Il s’avère que depuis les indépendances des pays Africains les gouvernements les moins populaires par leur dictature n’ont eu que dalle dans la gestion du développement. Les conséquences de cette mauvaise gestion ont été pour la plupart une situation de pauvreté et même d’extrême pauvreté des populations qui s’efforcent de sortir de l’ornière. Le constat amer sur le fait que l’Afrique de par sa richesse reste le continent le plus mal famé à cause de l’exploitation sans scrupule de ses richesses par les autres avec la complicité des élites gouvernantes, est une preuve suffisante pour que les pauvres, dans leur subjectivité pensent toujours que le bonheur se trouve là où vont leurs richesses. La façon donc les affaires publiques sont gérées en Afrique, l’on a l’impression que la pauvreté est une logique du pouvoir pour amener les jeunes à se lasser et à opter pour l’exil. Car, il serait dans l’intérêt du pouvoir de se débarrasser de cette gangrène, de cette jeunesse encombrante qui pourrait être prête à mettre le régime en péril. C’est cette logique qui justifierait la recrudescence de l’exil des jeunes vers l’Occident. C’est donc un système de dictature fort bien organisé pour maintenir la population dans cette situation car, disent les critiques et certains analystes, la logique du développement ne sauraient être dans l’agenda des régimes de dictature. Pour se développer et exister par-dessus tout, ce système a besoin de maintenir la majorité dans la précarité et la clochardisation les plus criardes. La population jeune, se sentant en insécurité dans son propre pays, développent le sentiment de peur du lendemain, face à un régime qui n’est pas prêt à lâcher du lest. L’exil volontaire devient donc un impératif pour sauver sa génération.

Dans la théorie de « l’irresponsabilité organisée », tous les acteurs concernés ont une part de responsabilité dans la situation de pauvreté et de cacophonie actuelle. En d’autres termes, si l’on considère que les risques sont involontaires et les responsabilités du danger se dissolvant dans la bureaucratie, il serait difficile de localiser et de préciser la responsabilité de chaque individu dans un contexte de crise. Si l’on veut donc impliquer chaque individu dans la situation de dépravation, on parlera de « coresponsabilité organisée ».  Celle-ci fait référence à la responsabilité partagée de chaque individu et de chaque institution impliqués dans la gestion d’une situation donnée. Il est cependant important de distinguer ceux qui sont la cause du problème et ceux qui sont des victimes d’une part et ceux qui ont trouvés des solutions et sont prêts à prendre le risque, d’autre part. Cette théorie fait apparaître la part de responsabilité partagée dans la construction des risques. Appliquée au contexte de pauvreté où immigrer est un risque, il est tout à fait logique d’avoir à faire à l’irresponsabilité, non pas partagée et issue d’un accroissement des risques involontaires, mais d’une irresponsabilité non partagée et volontaire. C’est l’effet de la conscience qui est en cause ici. Les pouvoirs publics donnent comme l’impression que les pays africains ne constituent pas une terre de rêve. Le comportement des élites en dit long : elles sont les premières à se faire soigner en Occident pour une simple migraine ; l’Occident est aussi le lieu privilégié pour la scolarisation de leurs progénitures et aussi et surtout le lieu par excellence de leurs vacances. Au Cameroun, certaines personnalités sont citées dans de nombreux quotidiens comme des détenteurs de la double nationalité et occupent des fonctions de pouvoirs régaliens alors que les lois de la République les considèrent comme les étrangers, donc non Camerounais. La subjectivité (Voyager par bateau, partir où se trouve la richesse est le meilleur risque pour fuir en échappant au contrôle) est plus forte que l’émotionnel orchestré par les médias par le fait des risques à haute mer.

La légitimation du pouvoir politique en question

Il ressort donc de cette démonstration que la coresponsabilité organisée doit être repositionnée au centre des préoccupations citoyennes. Le processus de responsabilité passera donc par l’implication des gouvernants dans leur gestion saine de la chose publique d’une part et d’autre part, par la prise de conscience des citoyens de leur rôle dans l’accès à leurs droits. Car l’objectif primordial des perspectives démocratiques vise en premier l’accès aux droits dans la mesure où si « quelqu’un n’est responsable de rien, ce sera exclusivement parce qu’il ne détient aucun pouvoir (la loi, en déclarant une personne incapable, lui ôte la responsabilité). Le développement d’une démocratie locale participative est un élément clé pour l’appréhension, la compréhension et la résolution du risque, du point de vue de la coresponsabilité des différents acteurs sociaux interférent dans les problèmes posés, et en définitive, pour le contrôle social du risque » (Mercedes Pardo, 2002). La gestion du risque est donc perçue comme l’implication de tous dans la gestion de la cité pour que la responsabilité des dégâts soit partagée. Dans un pays où le citoyen ne se sent pas concerné dans la gestion de la cité, il a peur d’être le seul à subir les dégâts et les affres de la gestion calamiteuse des affaires politiques, à être seul à supporter les responsabilités. Il fuit donc parce que, dans sa subjectivité, le pays en lui-même est plus un risque que celui de la traversée du désert ou de l’océan. Il vaut mieux souffrir ailleurs que de mourir dans son pays natal.

L’exil volontaire ou si on veut, l’émigration doit être considérée comme une situation de crise. Pourquoi les drames de Lampedusa et de Sicile n’indignent outre mesure les gouvernements africains ? Pourquoi les drames, jusqu’ici, n’ont-ils donc pas provoqués de stress émotionnels ? Il n’y a même pas eu des pays qui ont réclamé, à la suite des naufrages, les corps de leurs ressortissants pour les obsèques dus en leur honneur. L’angoisse et la peur de vieillir, de ne pas profiter de la vie sont considérées comme des stress terriblement harassants. Le constat selon lequel les pays dont la courbe de la pyramide d’âge est descendante se trouvent en Afrique est plus que terrifiant vue le sort que les gouvernants réservent à cette couche sociale. Les enjeux fondamentaux, pour les jeunes Etats Africains, à économie balbutiante, devraient être le sort que l’on réservé à cette force de travail extraordinaire et en hyperactivités. Les pays occidentaux sont en train, du fait du vieillissement de leur population, de profiter de cette hyperactivité en misant sur la fameuse « immigration choisie ». Cela me rappelle encore la période de l’esclavage où les millions de nos braves bras étaient embarqués de force. A la seule différence qu’aujourd’hui les négriers sont plutôt nos dirigeants supposés nous protéger et qui maintiennent la pauvreté volontairement pour faire fuir la jeunesse. L’immigration en général (clandestine ou non) a donc fabriqué une élite puissance appelée « diaspora ». Au Cameroun, cette diaspora est jusqu’ici considérée comme le parent pauvre de la citoyenneté à qui la loi d 11 juin 1968 refuse les droits de porter la double nationalité. C’était donc ça, la volonté masquée du régime de dictature : contraindre la jeunesse à l’exil, à l’immigration pour après leur refuser la nationalité !

Pathétique !

*Ce billet a été rédigé le 12 octobre 2013 et qui a été publié à la suite du drame de Lampeduza dans un magazine Pont Culturel édité en Allemagne. Compte tenu de la persistance du phénomène sur les côtes Siliciennes, j’ai repris et actualisé le billet qui me semble reste d’actualité.

Tchakounte Kemayou


Boko Haram : la déclaration (maladroite) de guerre de Paul Biya suffit-elle ?

Dans la nuit du 25 au 26 mai 2014, autour de 20 h, un arsenal de guerre camerounais se déploie à Ngaoundéré en se livrant à une démonstration spectaculaire dans les rues de la ville chef-lieu de la capitale régionale de l’Adamaoua surnommée « Château d’eau du Cameroun ». Ce menu spectacle a vite fait de réveiller les habitants qui étaient déjà presque endormis. Les souvenirs à peine oubliés des soldats de l’armée française sous l’opération Sangaris hantaient encore les esprits. De quoi s’agit-il ?

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Air Force One
Crédit photo: LeTchadhantrophus Tribune

 

Le 17 mai 2014, lors de sa convocation invitation à Paris, le président de la République Paul Biya a déclaré la guerre au groupe islamique Boko Haram. La lenteur ou même l’absence de réaction de l’Union africaine ou encore des pays concernés par la crise a poussé Français Hollande à initier, bien que maladroitement, cette rencontre entre les présidents voisins. Même si cette rencontre était nécessaire, il faut l’avouer tout de même, le président français a fait preuve de manque de considération envers ses pairs africains. Conséquence, le président Paul Biya, fidèle à lui-même dans sa posture d’extraverti, fait une déclaration d’aveux d’échec de l’armée camerounaise en avouant publiquement, en parlant de Boko Haram, que : « Ce sont des gens qui attaquent à partir de minuit et pas le jour, or la nuit nos éléments de défense se reposent ». Pauvre président ! Ainsi, une milice de bandits et de sectaires maîtrise toute une armée camerounaise au point de la surprendre ? Une armée se repose-t-elle ? Et pourquoi, surtout en temps de crise ?!

Pour montrer donc aux yeux de son maître Hollande du monde qu’il respecte les consignes sa parole, tout un arsenal de guerre comprenant les semi-remorques portant des chars, des blindés et autres avions de guerre (chasseurs-bombardiers) et de 1 000 à 3 000 hommes bien baraqués appelés « blindés » entrent en trompe dans la ville de Ngaoundéré. Le moins qu’on puisse dire est que ce déploiement des milices est bel et bien organisé dans tout le territoire national, pas seulement dans les villes des régions du Grand Nord frontalières avec le Nigeria : Makari, Banyo, Darak, Waza ou Fotokol, etc. Les villes intérieures aussi en sont concernées. Les habitués des voyages Douala-Yaoundé-Bafoussam-Dschang-Ngaoundéré et bien d’autres trajets sont soumis aux fouilles systématiques et draconiennes. Il en découle que les Camerounais sont mus par un sentiment de revanche envers ce groupe islamique. Ils sont à la fois contents de ce déploiement et inquiets pour les désagréments qu’ils subissent au quotidien. Cette démonstration de force à travers des parades dans la ville de Ngaoundéré a rassuré certains habitants de la ville qui étaient encore septiques sur la volonté de l’Etat camerounais de prendre à bras le corps cette affaire de Boko Haram qui ne cessait de dicter sa loi de jour comme de nuit.

« une guerre contre l’inconnu »

Pas plus tard qu’hier, le 27 mai, dans le quartier de Gada Mabanga, sept jeunes gens en partance pour Yaoundé ont été interpellés par les éléments de la légion de gendarmerie de l’Adamaoua à Ngaoundéré. Il existe donc une hantise dans presque toutes les villes du septentrion où la population qui jubilait au départ en arrive à se demander ce qui se passe au juste. Comme ce jeune homme Abatchoua Abdou, l’un des cousins des sept jeunes gens arrêtés s’offusque en ces termes dans le quotidien camerounais Le Jour  : « Nous avons des petits frères qui ont été arrêtés par la gendarmerie.  Je ne sais pas pour quel motif, mais ils sont à la légion de gendarmerie ». Ce jour même, le journal  LeTchadhantrophus Tribune donne l’information selon laquelle cinq  gros porteurs militaires de type Galaxy américains (le plus gros avion de transport militaire au monde) se sont posés sur l’aéroport Hassan Djamous de Ndjamena le dimanche soir 25 mai. Plusieurs matériels et des véhicules ont été débarqués en plus des hommes en uniforme . Ce déploiement a lieu après une visite de 48 heures du président tchadien Idriss Déby Itno en premier  et du ministre tchadien de la Défense en second, à Yaoundé au cours de laquelle les deux hommes, Biya et Déby, se sont sûrement mis d’accord sur les stratégies de « guerre » qui seront adoptées pour venir à bout de cette secte qualifiée de « nébuleuse ». Toute cette armada et ce déploiement de force pour lutter contre ce que d’aucuns appellent désormais « une guerre contre l’inconnu ». Et pourtant…

Boko Haram, pourrait-on le dire, n’est rien d’autre qu’un groupe de gens hantés par leur soif et leur volonté d’imposer une loi permissive. D’où peut même venir leur force à tel point qu’ils puissent tenir tête aux Etats ? Il serait difficile, pour les habitués de discours populistes du pouvoir régnant, de penser que cette nébuleuse est la résurgence de laxisme dans la gestion d’un Etat. Comme le soulignait le Professeur Touda Ebode, géostratège et enseignant à l’Université de Yaoundé II, l’illettrisme de la population est une porte ouverte à la délinquance. Voilà donc qui est bien dit ! Il ne faut surtout pas l’oublier, la lutte contre le groupe islamiste Boko Haram est essentiellement une guerre de renseignements. Plusieurs spécialistes à l’instar du Pr Shanda Tonme, du droit international, affirment que ce groupe est une résurgence de braqueurs à main armée que l’on appelle « Coupeurs de routes ». Cette activité ne faisait plus recette et ces bandits se sont donc convertis en kidnappeurs des Occidentaux (Français, Italiens et Canadiens) et des Asiatiques, plus particulièrement des Chinois qui ont été pris le jour du sommet de Paris.

La posture du président Biya frise le ridicule

Selon le professeur Touda Ebode, des personnes illettrées sont susceptibles, par leur ignorance criarde, d’être manipulées par les bandits prompts à leur promettre ciel et terre pour changer leur vie. Ces régions septentrionales ont la sinistre réputation d’être la partie du Cameroun la plus analphabète selon les sources de l’Unesco. Pour aller plus loin, ne peut-on pas plutôt penser à la situation de pauvreté matérielle qu’à l’analphabétisme ? Autrement dit, la couche de la population la plus susceptible d’être entraînée dans les gangs, puisqu’il faut appeler Boko Haram ainsi, n’est-elle pas celle qui a un niveau de scolarisation acceptable et qui est frustrée de ne pas pouvoir bénéficier d’une reconnaissance de la nation pour les efforts qu’elle a fournis ? L’enseignant ne se tromperait-il pas d’analyse en indexant les illettrés et/ou les analphabètes ? De toutes les façons, ces différentes tares sont, à savoir l’illettrisme et la pauvreté sont loin d’échapper à la vigilance de l’armée camerounaise qui s’évertuera, je l’espère, à mettre le paquet pour réussir à démystifier les secrets de toutes les infos en circulation au sein de la population qui, à n’en point douter, dissimule ces infos de première nécessité. Il ne serait pas méchant de dire à l’Etat camerounais qu’il doit maintenant assumer ses responsabilités, car c’est trop facile de prendre la population à témoin en réclamant leur collaboration. Ces bandits sont donc parmi nous, camouflés dans la populace insoupçonnable. Il est donc  difficile de les appréhender par un quelconque arsenal de guerre. Ces milliers d’hommes seront-ils appelés à être stationnés sur la frontière de plus de 2 000 km en vue de ne plus être surpris par les assauts de ce gang la nuit tombée ?

Au-delà du fait que cette déclaration de « guerre totale » à Boko Haram a été faite à Paris, chez le maître, devant ses pairs, le président Paul Biya ne faisait-il pas son show pour tester « sa » milice (Le BIR) contre celle de Aboubakar Shekaoui ? Cette déclaration maladroite avait l’air de faire du bien à la population camerounaise bien qu’étant empreinte de tant d’incongruités. Des incongruités que l’écrivain Patrice Nganang a bien fait de relever en affirmant que la meilleure posture du président aurait été de 1 : faire sa déclaration au palais d’Etoudi, à la nation camerounaise; 2 : prendre la parole à l’Assemblée nationale et au Sénat, sinon aux deux en même temps; 3 : aller dans une mosquée rassurer les musulmans qu’ils ne sont pas les ennemis ; 4  : aller en France « stratégiser » avec les voisins et autres Français…

Voilà comment aurait été la posture la plus honorable du président. Cette attitude du président Biya me fait penser à la violence avec laquelle l’armée camerounaise avait massacré les jeunes dans les rues en février 2008 et  pendant les années de braise. Il est tout à fait légitime de se poser la question de savoir, au-delà de l’esprit patriotique que peut avoir toute personne de bon sens, le peuple camerounais est-il en harmonie avec « son » armée ? Si oui, comment comprendre donc la posture du président Biya qui frise le ridicule ?

Tchakounté Kemayou 


20 mai au Cameroun : Le discours biaisé de l’unité nationale

Chaque 20 mai le Cameroun célèbre sa fête nationale. Une fête nationale qui, loin de représenter une épopée, est une fête qui suscite plus d’interrogations qu’un rappel mémoire. Baptisée à souhait et à contre sens « Fête de l’Etat unitaire » ou « Fête de l’unité nationale », la fête nationale du 20 mai instituée depuis 1972 est donc à sa 42ème édition et est depuis lors considérée par l’opinion nationale comme une escroquerie politique dont le but est de servir les intérêts politiciens inavoués. Revenons dans un premier temps sur l’historique et la signification de cette fête.

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République du Cameroun
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République fédérale du Cameroun

 

Quelques petits rappels historiques

En référence au référendum du 20 mai 1972, le président de la République Fédérale du Cameroun, le feu Amadou Ahidjo a institué une République sous la dénomination « République unie du Cameroun ». C’est donc un référendum marquant la fin du système fédéral. C’est cet acte qui a mis fin à la « République fédérale du Cameroun » consacrée le 1er octobre 1961. Ce système fédéral était aussi l’œuvre d’un référendum où la population de la partie anglophone (Les régions du sud-ouest et du nord-ouest) était appelée à faire le choix entre le Cameroun et le Nigéria. Le « Oui » qui l’avait emporté faisait donc du Cameroun une république de deux Etats fédérés (Un Etat anglophone et un Etat francophone). En février 1984, par un acte unilatéral, le président Paul Biya décide de supprimer le terme « unie » et donne naissance à la « République du Cameroun ». Si cette décision est condamnable, le référendum du 20 mai 1972 l’est plus. Quelques leaders politiques anglophones considérés comme des radicaux soutiennent que ce référendum de 1972 est un « coup d’Etat » car l’alinéa 1 de l’article 47 de la constitution du 1er septembre 1961, consacrant le fédéralisme, déclarait irrecevable toute proposition de révision de ladite constitution, portant atteinte à l’unité et à l’intégrité de la Fédération. En réponse, le parti au pouvoir (RDPC, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais) soutient une « Nécessité politique » d’unir les camerounais. D’ailleurs, son argument se fonde sur le fait que le référendum de 1972 a connu une forte participation.

Depuis cette date, des débats autour de la nécessité du retour au fédéralisme sont toujours en vogue. C’est la conséquence de la mauvaise gestion des ressources naturelles et humaines dont dispose le pays. Les débats les plus récurrents et qui ravivent les esprits sur les velléités de troubles sont ceux relatifs à la « Question anglophone » que j’avais présenté dans un billet, et la « Question Bamiléké » que j’ai eu le plaisir de présenter à travers un entretien de l’écrivain Patrice Nganang et Bing Burley. Il ne s’agit donc pas pour moi de revenir ici sur ces débats qui ont cours depuis longtemps chez de nombreux intellectuels. Il est plutôt question ici de montrer la contradiction entre le discours sur « L’unité nationale » prônée par le régime dirigeant et les actes posés par ce même régime.

Quel sens donner à « L’unité nationale » ?

Chaque 20 mai, le Cameroun célèbre son « unité nationale » à travers une « fête nationale ». La curiosité ici et qui n’échapperait à personnage, c’est le choix de cette date qui me semble très important à signaler. Pour reprendre le linguiste Jean Takougang « Une fête nationale commémore un événement qui a marqué de façon profonde, indélébile et irréversible le destin d’un peuple ; un événement dont l’impact et la charge émotionnelle sont tels que plus personne de sensé ne puisse jamais  remettre en cause sa pertinence, sa signification et son importance ; un événement fondateur, capable de résister aux morsures du temps, aux humeurs des politiciens les plus torves, aux régimes et aux alternances politiques de tous bords. Une fête nationale commémore un événement révolutionnaire, qui a apporté des changements radicaux marquant une rupture qualitative nette entre le passé et l’avenir, qui émeut chaque citoyen au tréfonds de lui-même et qui chatouille son patriotisme. Un tel événement ne peut être imposé, ni par un décret, une loi ou toute autre force extérieure ».

Pourquoi le Cameroun fait le choix de célébrer sa « fête nationale » le 20 mai au lieu du 1er janvier, jour de son indépendance, comme le font la plupart des pays ? Tout part de la nécessité du régime politique, du parti unique au pouvoir d’agir dans la conscience collective par une sorte de « Lavage de cerveau » à travers des discours pompeux sur « L’unité nationale ». Des concepts comme « La paix », « L’unité », « L’équilibre régional » et bien d’autres sont balancés depuis des années et surtout à partir des années de braise (à partir de 1990) à tout détracteurs qui oseraient mettre sous la table la question du fédéralisme. C’est cet endoctrinement que le Cameroun subit depuis 42 ans déjà. Ainsi, remettre la théorie de « l’équilibre régional » en cause c’est remettre en cause « l’unité nationale ». Tout est donc fait pour noyer les problèmes sérieux dont souffre le pays afin de légitimer ce « coup d’Etat » comme le disent mes compatriotes des parties anglophones du pays. Même les thèmes de chaque édition de cette fête nationale traduisent cette volonté de musellement du peuple pour les éviter de dire ce qui fâche. Cette année par exemple, le thème communiqué par la Présidence de la République est : « Armée et Nation, en synergie pour la préservation de la paix et de la sécurité, gage de l’intégration, de la stabilité et du développement socio-économique ». Ce discours est plus une propagande qu’une volonté de développement, car le constat simple est qu’il y a dans ce discours redondant un non-dit de menace probable de la « paix et de la sécurité » nécessaires pour « l’intégration, […] la stabilité et du développement socio-économique ». Pourtant, les faits et les actes posés les démontrent moins.

Le musellement des leaders d’opinion

A côté des violences physiques à travers des assassinats des leaders historiques, des manifestations réprimandées, il existe une violence psychologique que nous rencontrons à travers la volonté qu’ont les gestionnaires de l’Etat camerounais d’effacer toutes les traces de l’histoire du Cameroun. D’ailleurs, Yves Mintoogue le dit bien en ces termes : « Dans son souci de purger le pays d’une part importante de son passé, le pouvoir n’a pas hésité à s’investir dans la production d’une histoire officielle expurgée des souvenirs jugés « dangereux ». dans les discours officiels et les manuels d’histoire, l’indépendance et la réunification des deux Cameroun furent présentés comme des trophées du régime postcolonial et le chef de l’Etat, dans l’optique de son projet hégémonique, en accapara l’avènement par des images telles que « Père de l’indépendance », « Père de la nation » ou encore « premier camerounais »… le discours et l’ouvre des nationalistes furent falsifiés et confinés dans le lexique du terrorisme, lorsqu’ils n’étaient pas tout simplement passés sous silence ».

De quelle unité parlons-nous lorsqu’une menace à la paix et la cohésion est brandie lorsqu’une partie de la population, par la bouche de certains leaders d’opinion ou intellectuels, met sur la table un problème préoccupant qui pourrait menacer cette paix si rien n’est fait ? Avant de dire que « la paix et […] la sécurité » sont le « gage de l’intégration, de la stabilité et du développement socio-économique », il faut aussi dire, sans langue de bois, que « la paix et […] la sécurité » ont aussi des gages. Et le seul gage véritable ce n’est pas de museler  le peuple dont les revendications ont pour but principal de mettre l’Etat camerounais face à ses responsabilités. Donc, le discours qui consiste à traiter de tribaliste le Bamiléké qui oserait s’interroger sur la question de l’équilibre régional est malsain. Car, dans cette question justement, se pose le problème fondamental d’accès et de partage des ressources du pays. Il se développe un discours qui vise à présenter le peuple Bamiléké comme des « envahisseurs », comme un peuple de la « bourgeoisie ». Comme le peuple Bamiléké, dans la conscience collective, est réputé pour son dynamisme économique, la crainte de voir les enfants d’origine Bamiléké aux affaires donne des frissons au régime de Yaoundé. Les discours qui consistent à montrer comment les enfants d’origine Bamilékés sont les plus intelligents de tous sont de mauvaise foi. Car, ces discours visent justement à écarter ces enfants des concours administratifs sous le sceau de « L’équilibre régional ». Comme pour dire qu’il faut que toutes les ethnies soient représentées dans l’administration camerounaise pour éviter que ce peuple Bamiléké victime de son soit-disant dynamisme d’envahir cette administration. Mais, ce qu’on évite de dire c’est que l’équilibre régional, pratiquée depuis la nuit des temps, est une loi, non écrite bien sûr et qui date de l’époque du colon français Lamberton, est antérieure au système éducatif camerounais. Quand est-ce que le régime de Yaoundé a-t-il constaté que les Bamilékés sont « les plus intelligents » pour justifier cette loi ? Il serait aussi utile de dire ici que toute ethnie, à la place des Bamilékés, serait dans la même situation, car les enfants Bamilékés qui sont les premiers de leur classe, comme le montre les résultats du baccalauréat série C session 2013 publiés par l’Office du Baccalauréat du Cameroun (OBC), ont toujours été poussé à l’effort personnel par leurs parents qui estiment qu’il ne faut pas compter sur l’équilibre régional. C’est aussi un faux débat de dire que l’équilibre régional vise à donner la chance aux enfants, originaires d’autres ethnies, qui n’ont pas eu la moyenne qu’il fallait pour passer un concours. C’est même une insulte à ces peuples à qui on veut faire croire que leurs enfants sont tous des idiots et que seul cet équilibre régional pourrait les sauver pour accéder au gâteau national, à la mangeoire, donc.

Le débat est donc loin d’être clos sur cette question de l’unité nationale.

Tchakounté Kemayou


La question Bamiléké au Cameroun : Le point de vue de l’écrivain Patrice Nganang

« L’Etat camerounais doit aux Bamiléké une excuse formelle pour les crimes qu’il a commis entre 1960-1970. Cela, c’est le minimal, je répète le minimal, car cela n’exclue pas d’autres revendications. Ça a pris cent ans pour l’Etat turc pour s’excuser du génocide arménien, mais il y est arrivé parce que des citoyens l’ont mis devant ses responsabilités historiques. L’Etat camerounais va y arriver aussi ». Voilà l’une des révélations fortes qui n’est pas nouveau mais qui a retenu mon attention dans cet entretien tenu des mains de maître par King Burley sur le mur facebook de l’écrivain. Non seulement cet entretien est riche d’enseignement, il pourrait aussi être considéré comme une « boussole » à ceux qui considèrent que le « problème Bamiléké » est une vue de l’esprit pour une certaine caste d’élite à la recherche d’un positionnement politique. Lisez plutôt…

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Patrice Nganang
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King Burley

Voilà, Patrice… J’aimerais savoir pour te comprendre: Qu’attends-tu des non-bamiléké pour que ton esprit soit enfin en paix?

Rien du tout. J’ai un problème avec l’Etat camerounais, et ceux qui l’incarnent.

Qu’attends tu donc du gouvernent Camerounais sur le « Problème » Bamiléké? Je dis problème car à te lire, on a l’impression qu’il y’en a.

La, tu vois donc que nous élevons le débat, comme on dit au pays, mais tu n’as pas encore suffisamment élevé, car je parle-moi de l’Etat, je répète, de l’Etat, je répète encore, de l’Etat camerounais qui est tribal. Changeons d’Etat, et nous aurons de nouveaux réflexes citoyens.

Qu’attends-tu, Patrice, de l’Etat Camerounais sur le « problème » Bamiléké?

Tu vois donc que ça vient pas-à-pas. Ce que j’attends de l’Etat camerounais qui est tribal, c’est: 1) son auto-sabordement (donc l’interdiction du RDPC) et son remplacement, le remplacement de l’Etat tribal donc, par un autre Etat, partisan celui-là; 2) l’introduction de lois anti discrimination fermes, c’est-à-dire au moins vingt (20!) ans de prison pour tout acte tribaliste; 3) la pratique de la démocratie comme respect des minorités, et ici le parlementarisme est idéal car il est fondé sur la balance des pouvoirs institutionnels, en lieu de chambres de papier comme le Sénat et l’Assemblée chez nous; 4) l’instauration du fédéralisme comme forme administrative de l’Etat. Comme tu vois, les Béti, comme les Moundang, ou les Bakoko, etc. m’indiffèrent complément.

Maintenant, parce que le problème Bamiléké est historique et moral, j’attends de l’Etat camerounais au minimal des excuses formelles aux victimes du génocide perpétré entre 1960-1970, car le 1er janvier 1960, l’Etat camerounais était devenu indépendant, et doit donc répondre de ses actes, surtout quand ceux-ci sont criminels. Voilà.

Sous quelle base le Cameroun deviendrait-il Fédéral? Appartenance tribale ou tu as autre chose à proposer?

Les régions que nous avons peuvent sans problème, pour moi, devenir des Etats, car le fédéralisme veut dire ceci : les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets et les juges sont élus, et répondent de leurs actes, 1) devant leurs électeurs, et 2) devant le gouvernement fédéré. Il y a donc une culture de la responsabilité qui vient de la base, des électeurs donc. Le fédéralisme est donc une remise de la responsabilité de l’Etat aux mains des citoyens. Il va de soi que dans cette constellation, les villes Yaoundé et Douala auront un statut particulier, seront donc des villes-Etat, dont le responsable ne sera plus nommé sur des bases tribales (comme l’est le délégué du gouvernement actuellement), mais élu par les populations de ces villes-là, comme c’est le cas pour Washington, DC, Berlin, etc. Voilà ce que le fédéralisme veut dire pour moi. Il y aurait donc au total 12 Etats fédérés.

Seuls les bamiléké auraient-ils un « problèmes » avec « l’Etat tribal » du Cameroun ?

Moi je suis Bamiléké, je pose le problème à partir de ce que je connais – c’est-à-dire de mon identité choisie. Ici, Bamiléké. Cela s’appelle avoir un point de vue. Le mien est Bamiléké. Je n’empêche pas à quiconque d’autre de poser son problème selon son point de vue. Il y a des points de vue de femmes, d’homosexuels, de handicapés, etc., qui doivent à tout prix être pris en compte dans la composition de l’Etat. Celui que j’ai choisi, ce n’est pas le point de vue des Béti, ou des Moundang, ou alors des femmes, ou des handicapés, mais le point de vue Bamiléké.

Et donc avec ton Etat fédérale, ne crains tu pas le détachement de certains « Etats fédérés » pour se rattacher à d’autres pays? Genre Crimée – Russie? Qu’est-ce que le Cameroun aura à gagner à être fédéral? Ne vois-tu pas que ça le fragiliserait?

Les Etats fédérés n’ont pas le droit d’avoir une armée, ni d’ailleurs les citoyens d’appartenir à une milice. Le pouvoir militaire et la diplomatie sont aux mains du chef de l’Etat fédéral qui seul peut déclarer la guerre. Dans cette constellation, le détachement d’un Etat fédéré est impossible. Il n’aura pas d’armée.

Ce ne serait-il pas là le tribalisme que vous condamnez ? En tant qu’intellectuel, ne devriez-vous pas poser le problème du tribalisme d’une façon globale ?

Notez ce détail : je pose mon problème à partir de mon point de vue – j’ai dit Bamiléké -, et c’est le problème de la responsabilité historique de l’Etat du Cameroun devant les crimes qu’il a commis depuis le 1er janvier 1960, date de son indépendance, mais je défends, je dis bien, je défends quiconque veut poser son problème à partir de son point de vue et n’est pas écouté par l’Etat: ici, les femmes, les handicapés, des Bétis, les homosexuels, etc. Je les défends, je répète encore, je les défends, mais moi je pose mon problème à moi à partir de mon point de vue. Je sais que c’est difficile à entendre, mais je n’ai pas l’habitude que l’on pense à ma place. Voilà en bref, comment je pense: il y a une différence essentielle dans l’action entre poser son problème, et au besoin défendre des gens pour leur permettre de poser le leur. Je pense que faire ces deux choses-là, c’est faire un travail intellectuel. C’est faire le travail d’un intellectuel au Cameroun, car on est ancré dans son pays, et ouvert aux problèmes des autres.

Parce que je pose mon problème, celui de la responsabilité historique de l’Etat camerounais devant le génocide perpétré entre 1960-1970, et en même temps aide tout le monde (Teyou, Enoh, Marafa, etc., etc., etc.) à poser son problème à lui, j’agis donc de manière globale. Comme intellectuel, je pose donc le problème camerounais de manière globale, en étant vraiment spécifique, c’est-à-dire, en évitant les généralités et les phrases passe-partout. C’est cela agir.

« 2) L’introduction de lois anti discrimination fermes, c’est-à-dire au moins vingt (20!) ans de prison pour tout acte tribaliste; ». C’est quoi le tribalisme Patrice? Es-tu tribaliste?

Es-tu tribaliste? Es-tu pédé? Es-tu rosicrucien? Es-tu un fou? Es-tu… etc.? Ce sont toutes des questions d’identité. J’y ai déjà répondu plus haut : je suis Bamiléké. J’adopte le point de vue Bamiléké, bref, je choisis de m’identifier comme Bamiléké, pour poser le problème de la responsabilité historique du Cameroun par rapport aux milliers des morts à immense majorité et exception Bamiléké, morts qui ont été causés par l’Etat camerounais entre 1960-1970. Il en découle les problèmes de discrimination, etc., mais le problème de fond est historique. Cette question de responsabilité historique de l’Etat camerounais donc, n’a rien à voir avec le niveau d’étude des Bamiléké, leur fortune financière, ou quoi que ce soit, car c’est tout simplement une question de sang versé, et une question de conscience. La conscience, comme nous savons tous, ne s’achète pas, du moins pas la mienne, et le sang dépasse toujours l’argent comme nous savons. La question de la responsabilité de l’Etat camerounais n’est donc pas négociable selon moi, et tant que je vis et écris, elle sera sur la table, quel que soit celui qui est président de ce pays.

Le génocide qui commença en 1955 (car tout part de là) et finit à 1970 n’a pas fait que des victimes Bamilékés. Les Bassa (tête de file), Douala, Béti, Bamum et certainement beaucoup d’autres y sont morts. Oui, comme tu dis, tu ne réponds qu’en Bamiléké. Pas de problème.

Si chaque Camerounais pratique le même repli tribal que toi, cela ferait moins du Cameroun un Etat tribal? Je repose la question en d’autres termes: Moi je t’aime bien et je t’admire. Voulant t’imiter (vu que tu es un leader d’opinion), je pratique le même repli tribale que toi et disons, comme moi, nous sommes plus de 10.000 Intellos de tribus différentes. A ton avis, cela aiderait-il le pays? Cela serait-il moins tribal que ce qui se vit aujourd’hui?

Ce qu’au Cameroun, suivant le langage de la Droite française sous Sarkozy, c’est-à-dire de l’extrême-droite, on appelle « repli identitaire », c’est le geste simple que pose chaque citoyen de se choisir une identité. Chacun de nous en a plusieurs. Je suis professeur d’université, écrivain, père de famille, Bamiléké, etc. Maintenant, si je choisis mon identité Bamiléké pour poser le problème de la responsabilité historique de l’Etat camerounais, c’est un choix. Si les Camerounais choisissent de se fixer sur « Bamiléké », ils ont un problème. Le mien est très simple au fond : tout Etat indépendant doit répondre de ses actes, parce que l’indépendance veut dire l’acquisition du monopole de la violence. Ce que le Cameroun a acquis le 1 janvier 1960, en se constituant une armée mise alors sous la direction de Pierre Semengue (https://www.youtube.com/watch?v=hBkqXwTs6ns). Voilà ce que l’indépendance veut dire dans les faits. Je commence en 1960, parce que c’est à cette date-là que l’Etat camerounais devient responsable de moi. Je suis citoyen camerounais. Je porte plainte contre l’Etat camerounais. Maintenant, quiconque peut s’attaquer à ce qu’a fait le Cameroun entre 1955-1960, là c’est son choix. Moi, je suis citoyen, et cela veut dire que je commence juridiquement, je répète encore, juridiquement, je répète bien, juridiquement, à compter le 1 janvier 1960. Là, l’Etat camerounais avait un problème avec les… Bamilékés.

Détail : j’encourage tout camerounais à mettre l’Etat camerounais devant ses responsabilité, et cela en tant que Béti, Haoussa, femme, handicapé, syndicaliste, Musulman, rosicrucien, homosexuels, etc. Chacun doit fondamentalement toujours choisir son point de vue, et demander à l’Etat camerounais : « que fais-tu des homosexuels dans ce pays? », « Que fais-tu des femmes dans ce pays? »; « Que fais-tu des Bétis dans ce pays? »; « Que fais-tu des Musulmans dans ce pays? ». Le faire c’est agir en citoyen. Aucun citoyen ne pouvant assumer tous les points de vue d’une République, chacun doit en choisir quelques-uns selon ses moyens, sa force, son intelligence, sa capacité d’organisation. Mais mettre l’Etat camerounais devant ses responsabilités à partir d’un point de vue bien précis, c’est cela être un citoyen camerounais.

Mettre l’Etat camerounais devant ses responsabilités, c’est faire à ce que des Camerounais qui ont été déclarés héros nationaux en 1991, ne soient plus traites comme ça par celui qui leur a coupé la tête : https://www.dailymotion.com/…/xgfd4j_tetes-coupees-le…

Nous sommes Camerounais, Patrice. Ce n’est un secret pour personne que « repli identitaire » chez nous veut dire « repli tribal ». Refuser de le reconnaitre ne serait pas très honnête. Gauche, droite, extrême-gauche, extrême-droite : Ces notions n’existent pas dans le paysage politico-culturel de notre pays. Je repose ma question: Si tes admirateurs non-Bamiléké connaissent le même repli que toi, est-ce un pas en avant pour notre pays? Est-ce bénéfique? Autrement : est-ce que ce ne sont pas ceux qui ont ce « repli identitaire » non-Bamiléké que ceux-ci (les Bamiléké) traitent de tribalistes?

Cette phrase « nous sommes camerounais » n’a aucun sens pour moi, parce que justement j’agis pour un Cameroun meilleur, mais pas pour accepter les injustices de ce pays, injustices qui incluent le lynchage des homosexuels, le génocide contre les Bamiléké entre 1960-1970, etc. Mettre l’Etat camerounais devant ses responsabilités, comme je le fais et comme j’espère chaque citoyen camerounais le fera (en tant que homosexuel, en tant que femme, en tant que Musulman, en tant que Béti, etc.) c’est en d’autres termes faire que Pierre Semengue qui est devenu responsable de l’armée camerounaise le 1 janvier 1960, n’éclate pas de rire quand il parle de citoyens camerounais dont il a coupé la tête, à moins évidemment qu’il ne soit déclaré cliniquement fou. Voilà, pour être bien concret, et pourquoi je crois que partant du point de vue Bamiléké, l’Etat camerounais doit aux Bamiléké une excuse formelle pour les crimes qu’il a commis entre 1960-1970. Cela, c’est le minimal, je répète le minimal, car cela n’exclue pas d’autres revendications. Ça a pris cent ans pour l’Etat turc pour s’excuser du génocide arménien, mais il y est arrivé parce que des citoyens l’ont mis devant ses responsabilités historiques. L’Etat camerounais va y arriver aussi. https://www.lemonde.fr/…/la-turquie-presente-ses…

Manifestement tu évites ma question. Pas grave.

Je lis ceci: ‘gauche, Droite, extrême-gauche, extrême-droite: Ces notions n’existent pas dans le paysage Politico-culturel de notre pays.’ Ça ne veut pas dire que ça n’existera pas, vu que ça existe par exemple au Sénégal. Les termes ‘partis politiques’, etc., n’existaient pas non plus dans ce qui est le Cameroun au 19eme siècle. Aujourd’hui, ces termes existent, parce que les Camerounais l’ont voulu. Eh bien, ces Camerounais-là, c’est nous. Si nous voulons organiser notre scène politique d’une manière particulière après l’Etat tribal, eh bien, nous le ferons.

Pour la question ‘qui est le tribaliste?’, je crois que dans tout Etat fonctionnel, il y a des tribunaux qui y répondent, et des lois qui aident a circonscrire le crime, car alors sinon c’est la chasse aux sorcières. La formulation de lois définit qui est tribaliste, et lie cela a une sanction claire, et là j’ai dit 20 ans de prison. Pour le reste, c’est une perte de temps comme ce qui se fait au Cameroun aujourd’hui ou au tout venant on accuse tout le monde, y compris son chien d’être tribaliste. On le fait parce que ça n’a aucune conséquence.

Larousse dit: Tribalisme .Organisation sociale fondée sur la tribu. Hum! Au vu de ce que tu as dit plus haut Patrice, Larousse lui dit que tu es Tribaliste deh!

J’ai une ‘Organisation sociale’ fondée sur la Tribu? Voici mon organisation sociale, sorry : www.tribunalarticle53.com

Tchakounté Kemauou


La situation de la presse écrite camerounaise (suite)

Les problèmes de financement de la presse écrite camerounaise ne sont pas le fait du hasard. Depuis les années 2000, cette presse a du mal à s’arrimer aux nouvelles technologies qui auraient eu un impact sur son développement ne serait-ce qu’au niveau de son image marketing. Il serait tout de même malhonnête de mettre sur le dos des nouvelles technologies cette décadence qui ne dit pas son nom. Les deux premiers billets consacrés à ce dossier sur la situation de la presse écrite camerounaise évoquaient : 1-Les débuts de la décadence due en grande partie au changement des habitudes des lecteurs camerounais avec l’arrivée de l’Internet ; 2-La création et la gestion des sitesInternet des journaux et l’état de la connexion Internet au Cameroun qui freine le développement des sites Internet. J’ai choisi de vous entretenir ici sur le mode de fonctionnement de la presse écrite à travers son système de production et de distribution de son produit de consommation : le journal papier. Pour comprendre en général les problèmes de financement de la presse écrite au Cameroun, il est indéniable de mettre en exergue ce système où tous les contours de sa mort subite y sont développés.

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Un aperçu de la diversité des journaux publiés au Cameroun
Crédit phot: blogitude.mondoblog.org

La chaîne des intervenants

Il sera question ici de démontrer la chaîne de production, d’une part, du journal papier, et d’autre part du journal en ligne pour montrer comment le journal papier reste très coûteux et exigeant en matière d’intervenants qui ont pour rôle de mettre le journal papier à la disposition des consommateurs ou lecteurs. L’identification à la fois des difficultés et des pistes de collaboration probable entre les différents acteurs impliqués dans la production et la publication des journaux et livres au Cameroun sont décrites ici de manière sommaire afin de mieux saisir le nœud du problème qui fait l’objet de notre présent billet.

Le journaliste qui est considéré ici comme un « auteur » est, comme pour le cas d’un livre, l’auteur de l’article qu’il rédige. En tant qu’auteur, il est aussi considéré, en terme juridique, comme « Le droit d’auteur » de l’ensemble des articles qui sont signés en son nom, puisqu’il en est la matière grise. Le journal ou l’organe de presse qui l’emploi est son « Editeur » ou « Le diffuseur ». C’est celui-ci qui assure le montage, c’est-à-dire la mise en forme, la mise en page et la mise à jour de l’article du journaliste par les soins de son secrétaire de rédaction. C’est après avoir eu le « OK » du rédacteur en chef que l’article de presse, ou mieux le journal final est envoyé chez « l’imprimeur ». Au Cameroun, il existe deux grands imprimeurs de journaux : MACACOS et SOPECAM. Le produit ainsi fini qui sort de l’imprimerie (le journal en papier) sera immédiatement et par la suite confié à un transporteur ou un distributeur. Ici au Cameroun, l’entreprise MESSAPRESS, détenue par les Français, est le plus important distributeur des journaux et livres sur toute l’étendue du territoire. Il est considéré comme « Le transporteur » ou « Le grand distributeur ». C’est elle qui sollicite les autres distributeurs de la chaîne que j’appelle ici « Les vendeurs à la crié ». Chez ce type de vendeurs, il y a des « vendeurs aux kiosques verts » agréés par MESSAPRESSE et des « colporteurs » qui assurent la vente et la livraison à domicile ou dans les bureaux.

La répartition des charges de publication

C’est justement à ce niveau où les difficultés de financement de la presse écrite camerounaise sont décelées. L’éditeur qui est l’organe de presse et qui emploie le journaliste auteur de l’article est celui qui choisit le distributeur responsable de la vente. Cet éditeur sollicite donc le distributeur chez qui le produit (journal) est déposé. Généralement, le transporteur ou le grand distributeur comme MESSAPRESSE se taille un pourcentage de 35 à 40 % du prix de vente. C’est donc en fonction de la quantité de journaux vendus que ce pourcentage va jouer. Mais le maximum est de 40%. Ensuite vient la part de petits distributeurs ou les vendeurs aux kiosques qui se taillent 25% du prix de vente. Les kiosques qui emploient des revendeurs laissent à leur tour un pourcentage de 10 à 15% de leur part au profit des vendeurs à la crié. L’éditeur, ou le diffuseur ne reste donc théoriquement qu’avec 15%.

Avant d’en arriver là, l’éditeur est d’abord passé voir l’imprimeur pour payer sa note directement et au comptant avant la sortie des journaux de la chaîne d’imprimerie. Sur les 60% qui restent, l’éditeur (l’organe de presse) a donc déjà dépensé 23 à 30 % chez cet imprimeur pour le tirage du produit. Curieusement, il serait trop risquant de s’hasarder tout de go sur les comptes puisque le transporteur ou le grand distributeur ne les dispose pas à la fin des ventes. MESSAPRESSE prend son temps et ne met les comptes à la disposition de l’éditeur qu’après 3 à 6 mois. Le temps pour elle de faire des récapitulations des exemplaires de journaux vendus et non vendus. Ce temps est trop long pour permettre à l’éditeur de mettre sa comptabilité à jour. Et ce n’est qu’après ces comptes que les invendus sont retournés chez le grand distributeur.

Au vue de tous ces détails très sommaires et non exhaustifs, il apparaît que, si l’entreprise d’édition (l’organe de presse) n’a pas reçu de publicité et que le tirage n’excède pas 5.000 exemplaires, il ne lui restera que 30 à 37% du prix de vente d’un exemplaire de journal tirés et effectivement vendus qui coûte 400 FCFA au Cameroun. Ce qui reste à l’éditeur est donc reparti entre les charges de fonctionnement de l’entreprise : Le personnel permanent, le fonctionnement de la structure (Biens matériels et immobiliers), la pige, les courses diverses, etc. L’une des bêtes noires de la presse écrite dite indépendante (La presse privée en l’occurrence), c’est la fiscalité qui ne fait surtout pas de cadeau aux éditeurs. Il me souvient que le quotidien « Le Messager » et bien d’autres avaient eu de sérieux soucis avec le fisc camerounais qui considérait que les journaux exagéraient déjà avec ses rendez-vous manqués qu’ils n’honoraient pas pour solder leurs comptes.

Voici, pour résumer, ce qui reviendrait à la fin à l’éditeur ou au diffuseur en termes de bilan financier des ventes d’un exemplaire de journal au Cameroun :

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Pour une édition de journal

Responsable

Pourcentage

Coût CM/FCFA

1

Imprimerie L’Imprimeur

25 %

100

2

Transporteur distributeur Le Distributeur

40%

160

3

Edition/Assemblage Montage/Taxes/Droit Invendus/Imprévus Le Promoteur du Journal (L’éditeur Le diffuseur)

35%

140

4

L’exemplaire Lecteur

100%

400

1-Tableau des ressources financières d’un journal écrit au Cameroun (Source: Théodore Tatsitsa)

S’il m’était permis de faire une comparaison avec la production sur le net, bien que cela ait un coût, il ne serait pas exagéré de dire que la presse écrite profiterait à mettre l’accent sur la mise en place d’une rédaction strictement réservée au site internet du journal comme le préconise depuis un certain temps le doyen Jean Vincent Tchiénéhom. Ce journaliste avait une très grande ambition lorsqu’il avait été appelé à présider aux destinées de la direction du quotidien « Le Message » qui avait besoin d’un souffle nouveau. Hélas ! Cette nomination avait accouché d’une souris. Il avait donc pour ambition, à l’époque, de doter le journal d’une rédaction réservée uniquement aux publications internet. Dans ce cas, le journal aurait donc eu en son sein au minimum deux rédactions : celui du papier et celui de son site web. Innovation dans la mesure où aucun organe de presse ne possède jusqu’aujourd’hui une rédaction internet au Cameroun. Ce qui est inconcevable au 21ème siècle et à l’heure de la révolution des nouvelles technologies. Même au-delà de la presse écrite, aucune chaîne de radio et de télé ne dispose de cette importante structure. Il faut tout de même signaler qu’il existe des titres publiant uniquement sur le net : www.goducamer.com. En général, ici, le fournisseur d’accès est considéré comme l’imprimeur comparé à la production du journal papier. A lui seul, il s’empare de 60% des revenus du site, puisque c’est lui qui héberge le site du journal. Les 40% qui restent reviendraient donc à l’éditeur du site internet qu’est le promoteur du journal. Ce taux reste à prendre avec des pincettes, car un site web peut produire beaucoup plus que ce qu’on aurait dû penser : à travers ses publicités, l’accès payant de ses publications, etc. Les promoteurs de journaux au Cameroun n’osent pas y penser pour des raisons que j’avais déjà évoquées dans les précédents billets de cette série sur la presse écrite camerounaise : la prise en charge des frais supplémentaires comme le recrutement des journalistes spécialisés dans le domaines, les webmasters qui seront chargés de mettre à jour les infos et les scoops à la minute près, les community managers qui seront chargés d’assurer les interactivités avec le public internaute, et sans oublier les informaticiens chargés de gérer la maintenance du site, surtout contre le hacking. Donc, disposer d’une rédaction internet reste un challenge pour les éditeurs de presse au Cameroun.

Voici, comme pour la presse écrite, un tableau récapitulatif très sommaire des prises en charges et de la gestion d’un site internet de journal écrite :

0

Pour une édition

de journal

Responsable

Pourcentage

Coût/ Online Multidevise

1

Imprimerie/Diffuseur : Hébergement de site de publication et d’affichage d’articles, gestion des comptes d’abonnements Site Web/Fournisseur d’accès/Le Promoteur du Site

60 %

V1

3

Edition/Auteur : fournisseur des donnée/ Droits Le Promoteur du Journal

40%

V2

4

L’exemplaire Lecteur

100%

PPP/PPV, Dlw or Abon*

2-Tableau des ressources financières d’un site web de journal écrit au Cameroun (Source: Théodore Tatsitsa)

En somme, la presse écrite au Cameroun reste handicapée par son incapacité à s’arrimer et à s’adapter à son environnement, à un contexte mondial dominé par l’innovation incessante dans le domaine des nouvelles technologies sur qui elle pouvait compter pour se faire une meilleure santé financière dont elle souffre. Ce vide, ou alors ce manquement technologique laisse une partie des camerounais dans l’embarra. La diaspora camerounaise, puisqu’il s’agit d’elle, se sent couper du pays car les journaux camerounais ne sont pas distribués à l’extérieur. Ce besoin inspire quelques camerounais qui conçoivent des sites de partages des articles publiés dans les journaux de la presse écrite camerounaise. Cette ingénieuse idée donne à ces sites une renommée internationale qui frustre et rend jaloux les journalistes et les patrons de presse. Du coup, la problématique sur les droits d’auteur est mise sur la table. Une rixe verbale à travers les réseaux sociaux oppose l’ingénieur Guy Ngassa H. Lewe, administrateur du site www.aeud.fr, le journaliste Hugues Seumo, administrateur du site www.camer.be, vivant tous les deux en Europe contre le journaliste Gony Waday qui accuse les deux compatriotes de « voleurs d’articles », selon ses propres termes. Je vous donne rendez-vous pour analyser cette question des droits d’auteurs dans le prochain billet.

Peut-on fonder un espoir de voir la presse se relever un jour à la suite de la mise sur pieds de la Fédération des Editeurs de Presse (Fédipresse) qui a vue le jour le 03 mai dernier à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse? En tous les cas, wait and see!

Tchakounté Kemayou