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20 mai au Cameroun : Le discours biaisé de l’unité nationale

Chaque 20 mai le Cameroun célèbre sa fête nationale. Une fête nationale qui, loin de représenter une épopée, est une fête qui suscite plus d’interrogations qu’un rappel mémoire. Baptisée à souhait et à contre sens « Fête de l’Etat unitaire » ou « Fête de l’unité nationale », la fête nationale du 20 mai instituée depuis 1972 est donc à sa 42ème édition et est depuis lors considérée par l’opinion nationale comme une escroquerie politique dont le but est de servir les intérêts politiciens inavoués. Revenons dans un premier temps sur l’historique et la signification de cette fête.

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République du Cameroun
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République fédérale du Cameroun

 

Quelques petits rappels historiques

En référence au référendum du 20 mai 1972, le président de la République Fédérale du Cameroun, le feu Amadou Ahidjo a institué une République sous la dénomination « République unie du Cameroun ». C’est donc un référendum marquant la fin du système fédéral. C’est cet acte qui a mis fin à la « République fédérale du Cameroun » consacrée le 1er octobre 1961. Ce système fédéral était aussi l’œuvre d’un référendum où la population de la partie anglophone (Les régions du sud-ouest et du nord-ouest) était appelée à faire le choix entre le Cameroun et le Nigéria. Le « Oui » qui l’avait emporté faisait donc du Cameroun une république de deux Etats fédérés (Un Etat anglophone et un Etat francophone). En février 1984, par un acte unilatéral, le président Paul Biya décide de supprimer le terme « unie » et donne naissance à la « République du Cameroun ». Si cette décision est condamnable, le référendum du 20 mai 1972 l’est plus. Quelques leaders politiques anglophones considérés comme des radicaux soutiennent que ce référendum de 1972 est un « coup d’Etat » car l’alinéa 1 de l’article 47 de la constitution du 1er septembre 1961, consacrant le fédéralisme, déclarait irrecevable toute proposition de révision de ladite constitution, portant atteinte à l’unité et à l’intégrité de la Fédération. En réponse, le parti au pouvoir (RDPC, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais) soutient une « Nécessité politique » d’unir les camerounais. D’ailleurs, son argument se fonde sur le fait que le référendum de 1972 a connu une forte participation.

Depuis cette date, des débats autour de la nécessité du retour au fédéralisme sont toujours en vogue. C’est la conséquence de la mauvaise gestion des ressources naturelles et humaines dont dispose le pays. Les débats les plus récurrents et qui ravivent les esprits sur les velléités de troubles sont ceux relatifs à la « Question anglophone » que j’avais présenté dans un billet, et la « Question Bamiléké » que j’ai eu le plaisir de présenter à travers un entretien de l’écrivain Patrice Nganang et Bing Burley. Il ne s’agit donc pas pour moi de revenir ici sur ces débats qui ont cours depuis longtemps chez de nombreux intellectuels. Il est plutôt question ici de montrer la contradiction entre le discours sur « L’unité nationale » prônée par le régime dirigeant et les actes posés par ce même régime.

Quel sens donner à « L’unité nationale » ?

Chaque 20 mai, le Cameroun célèbre son « unité nationale » à travers une « fête nationale ». La curiosité ici et qui n’échapperait à personnage, c’est le choix de cette date qui me semble très important à signaler. Pour reprendre le linguiste Jean Takougang « Une fête nationale commémore un événement qui a marqué de façon profonde, indélébile et irréversible le destin d’un peuple ; un événement dont l’impact et la charge émotionnelle sont tels que plus personne de sensé ne puisse jamais  remettre en cause sa pertinence, sa signification et son importance ; un événement fondateur, capable de résister aux morsures du temps, aux humeurs des politiciens les plus torves, aux régimes et aux alternances politiques de tous bords. Une fête nationale commémore un événement révolutionnaire, qui a apporté des changements radicaux marquant une rupture qualitative nette entre le passé et l’avenir, qui émeut chaque citoyen au tréfonds de lui-même et qui chatouille son patriotisme. Un tel événement ne peut être imposé, ni par un décret, une loi ou toute autre force extérieure ».

Pourquoi le Cameroun fait le choix de célébrer sa « fête nationale » le 20 mai au lieu du 1er janvier, jour de son indépendance, comme le font la plupart des pays ? Tout part de la nécessité du régime politique, du parti unique au pouvoir d’agir dans la conscience collective par une sorte de « Lavage de cerveau » à travers des discours pompeux sur « L’unité nationale ». Des concepts comme « La paix », « L’unité », « L’équilibre régional » et bien d’autres sont balancés depuis des années et surtout à partir des années de braise (à partir de 1990) à tout détracteurs qui oseraient mettre sous la table la question du fédéralisme. C’est cet endoctrinement que le Cameroun subit depuis 42 ans déjà. Ainsi, remettre la théorie de « l’équilibre régional » en cause c’est remettre en cause « l’unité nationale ». Tout est donc fait pour noyer les problèmes sérieux dont souffre le pays afin de légitimer ce « coup d’Etat » comme le disent mes compatriotes des parties anglophones du pays. Même les thèmes de chaque édition de cette fête nationale traduisent cette volonté de musellement du peuple pour les éviter de dire ce qui fâche. Cette année par exemple, le thème communiqué par la Présidence de la République est : « Armée et Nation, en synergie pour la préservation de la paix et de la sécurité, gage de l’intégration, de la stabilité et du développement socio-économique ». Ce discours est plus une propagande qu’une volonté de développement, car le constat simple est qu’il y a dans ce discours redondant un non-dit de menace probable de la « paix et de la sécurité » nécessaires pour « l’intégration, […] la stabilité et du développement socio-économique ». Pourtant, les faits et les actes posés les démontrent moins.

Le musellement des leaders d’opinion

A côté des violences physiques à travers des assassinats des leaders historiques, des manifestations réprimandées, il existe une violence psychologique que nous rencontrons à travers la volonté qu’ont les gestionnaires de l’Etat camerounais d’effacer toutes les traces de l’histoire du Cameroun. D’ailleurs, Yves Mintoogue le dit bien en ces termes : « Dans son souci de purger le pays d’une part importante de son passé, le pouvoir n’a pas hésité à s’investir dans la production d’une histoire officielle expurgée des souvenirs jugés « dangereux ». dans les discours officiels et les manuels d’histoire, l’indépendance et la réunification des deux Cameroun furent présentés comme des trophées du régime postcolonial et le chef de l’Etat, dans l’optique de son projet hégémonique, en accapara l’avènement par des images telles que « Père de l’indépendance », « Père de la nation » ou encore « premier camerounais »… le discours et l’ouvre des nationalistes furent falsifiés et confinés dans le lexique du terrorisme, lorsqu’ils n’étaient pas tout simplement passés sous silence ».

De quelle unité parlons-nous lorsqu’une menace à la paix et la cohésion est brandie lorsqu’une partie de la population, par la bouche de certains leaders d’opinion ou intellectuels, met sur la table un problème préoccupant qui pourrait menacer cette paix si rien n’est fait ? Avant de dire que « la paix et […] la sécurité » sont le « gage de l’intégration, de la stabilité et du développement socio-économique », il faut aussi dire, sans langue de bois, que « la paix et […] la sécurité » ont aussi des gages. Et le seul gage véritable ce n’est pas de museler  le peuple dont les revendications ont pour but principal de mettre l’Etat camerounais face à ses responsabilités. Donc, le discours qui consiste à traiter de tribaliste le Bamiléké qui oserait s’interroger sur la question de l’équilibre régional est malsain. Car, dans cette question justement, se pose le problème fondamental d’accès et de partage des ressources du pays. Il se développe un discours qui vise à présenter le peuple Bamiléké comme des « envahisseurs », comme un peuple de la « bourgeoisie ». Comme le peuple Bamiléké, dans la conscience collective, est réputé pour son dynamisme économique, la crainte de voir les enfants d’origine Bamiléké aux affaires donne des frissons au régime de Yaoundé. Les discours qui consistent à montrer comment les enfants d’origine Bamilékés sont les plus intelligents de tous sont de mauvaise foi. Car, ces discours visent justement à écarter ces enfants des concours administratifs sous le sceau de « L’équilibre régional ». Comme pour dire qu’il faut que toutes les ethnies soient représentées dans l’administration camerounaise pour éviter que ce peuple Bamiléké victime de son soit-disant dynamisme d’envahir cette administration. Mais, ce qu’on évite de dire c’est que l’équilibre régional, pratiquée depuis la nuit des temps, est une loi, non écrite bien sûr et qui date de l’époque du colon français Lamberton, est antérieure au système éducatif camerounais. Quand est-ce que le régime de Yaoundé a-t-il constaté que les Bamilékés sont « les plus intelligents » pour justifier cette loi ? Il serait aussi utile de dire ici que toute ethnie, à la place des Bamilékés, serait dans la même situation, car les enfants Bamilékés qui sont les premiers de leur classe, comme le montre les résultats du baccalauréat série C session 2013 publiés par l’Office du Baccalauréat du Cameroun (OBC), ont toujours été poussé à l’effort personnel par leurs parents qui estiment qu’il ne faut pas compter sur l’équilibre régional. C’est aussi un faux débat de dire que l’équilibre régional vise à donner la chance aux enfants, originaires d’autres ethnies, qui n’ont pas eu la moyenne qu’il fallait pour passer un concours. C’est même une insulte à ces peuples à qui on veut faire croire que leurs enfants sont tous des idiots et que seul cet équilibre régional pourrait les sauver pour accéder au gâteau national, à la mangeoire, donc.

Le débat est donc loin d’être clos sur cette question de l’unité nationale.

Tchakounté Kemayou

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