Après mille et un rendez-vous manqué, trois mondoblogueurs de Douala se rendent, enfin, chez Florian. En ce mois de juin où dame pluie dicte sa loi, ce vendredi 24, était, sans nul doute, presque béni. Un climat clément et envieux, une journée ni pluvieuse ni ensoleillée. Il ne restait plus qu’à nous mobiliser pour profiter de ce temps si charmant. Une visite de lamentation dans la maison familiale de Florian, qui était prévu depuis plus d’un mois déjà, devait avoir lieu ipso facto, qu’il pleuve ou qu’il neige.
Voilà presque trois mois que le mondoblogueur Florian Kaptué nous a quitté. Les témoignages les plus sensationnels aux plus émotifs ont été dites par les mondoblogueuses et mondoblogueurs. Chaque témoignage révélait la simplicité qui caractérisait l’homme. Ce chapitre de témoignages (Eric, Roger, Jeff, Bouba, Fanchon et Dieretou) étant clos, il ne restait plus qu’à essuyer les larmes de la famille du défunt. Comme il est de coutume chez les Bamilékés, à la mort d’un être qui vous est cher, les témoignages et les lamentations ne suffisent pas. Il faut, et c’est le plus important, offrir un présent à la famille, aussi symbolique soit-il. Les mondoblogueurs, grâce aux réflexes de Dieretou Diallo, n’ont pas failli à la règle. Le temps de mettre tout en ordre, deux mois ont suffi pour venir à bout du souffle d’une attente d’un rendez-vous qui causait déjà beaucoup d’anxiété.
Ce 24 juin était le jour fatidique où le temps devait s’arrêter. Mes prières pour la clémence du climat après les ravages d’une pluie diluvienne qui ne finissaient pas de meubler l’actualité ont finalement marché. Un détour chez la « secrétaire » à Ange Raphaël était nécessaire pour imprimer quelques billets de Florian. C’était la meilleure manière, au nom de Mondoblog, de montrer à la famille, concrètement, ce que faisait Florian. Au Cameroun, le blog n’est pas encore quelque chose de très connu, même chez les habitués de la Toile.
Il est 18h et à cette heure de pointe, quinze à vingt minutes ont suffi, Ecclésiaste et moi, pour faire le trajet d’Ange Raphaël pour le Lycée de Nylon-Brazzaville. Attention à la confusion ! Certains quartiers de la capitale économique portent les noms des capitales des pays Africains (Brazzaville, Dakar, Johannesburg, etc.) et même des pays (Afrique du Sud, Madagascar, etc.). C’est donc à Brazzaville le lieu de chute. Et l’hostilité a été ouverte dans un bar-bistrot non loin du lycée où, pour la première fois, je fais la connaissance d’Olivier, le frère aîné de Florian bien connu d’Ecclésiaste. Ils se sont rencontrés dès la publication de l’hommage au défunt. Emmanuel, ami d’enfance d’Olivier, est notre convive surprise. À quatre, nous nous échangeons quelques confidences sur certains secrets de Florian qui était, comme nous l’a confirmé Emmanuel, un homme discret. Curieusement, il ne l’a pas hérité de ses parents, mais de son frère aîné Olivier, l’homme qui m’a particulièrement séduit par son franc-parler.
Il est presque 19h30, las d’attendre les autres potentiels mondoblogueurs qui devaient nous rejoindre, nous prenons la route pour la case familiale sise à quelques mètres de là. Brazzaville est un quartier populaire de la capitale économique. Il est généralement confondu avec Dakar et Madagascar confinés dans un espace restreint comme retranchés à la périphérie de la ville. J’avais, un instant, imaginé que j’aurais à traverser les obstacles, comme dans toutes les bidonvilles de Douala. La famille nous attendais de pieds ferme depuis l’après-midi. Elle avait justement entendu parler de Mondoblog et l’anxiété habitait déjà les uns et les autres au point où notre arrivée devait décanter l’atmosphère terne qui y régnait. Le départ de Florian pesait encore lourd. Le portait du défunt, visible à l’entrée principale, trônait encore sur le mur. Les choses sérieuses ne devraient pas tarder à commencer.
Nous avons eu juste quelques secondes pour nous installer, Ecclésiaste, Olivier, Emmanuel et moi, avant d’être rejoint par Élisabeth, la maman encore éplorée, appelée affectueusement « Maman Eli », et quelques membres de la fratrie. C’est en ce moment que le mondoblogueur Didier Ndengué se signale et nous rejoint quelques minutes plus tard. Il est presque 20h plus quelques minutes et Olivier, visiblement considéré comme le « moteur » de la famille après le décès de Papa Mathieu, le géniteur, a la responsabilité d’ouvrier la séance, pour ainsi dire. Après une courte prière (je précise ici que c’est une famille foncièrement catholique), Olivier nous introduit en ces termes : « Voici donc les amis de Florian dont je vous avez parlé. Ils vont prendre la parole tout à l’heure pour expliquer ce qu’ils font exactement ». C’est en ce moment que je réalise que tout le monde était curieux de savoir ce que Florian faisait exactement sur le net au point où ça lui a permis d’aller à Dakar. Visiblement, personne ne s’était intéressé concrètement aux activités de Florian. Qui sont donc ces amis mystérieux qui ne vivent que sur le net, qui n’écrivent que des choses qui ne rapportent pas d’argent ? Cette question se lisait sur tous les visages.
Évidemment, Mondoblog, pour ne pas dire tout simplement le blog, reste encore un concept méconnu de la grande majorité. Même Olivier qui, apparemment, semblait plus instruit que toute l’assemblée, n’y comprenait que dalle. Ecclésiaste ne s’est donc pas fait prié pour donner son témoignage non sans avoir expliquer le mode de fonctionnement d’un blog à un auditoire qui, médusé, semblait découvrir les merveilles du monde d’internet. Mon témoignage et celui de Didier ont suivis. Une constance s’en est révélée : nous nous sommes connus, les quatre mondoblogueurs de Douala invités à la formation de Dakar, pour la première fois qu’à partir de l’aéroport, à l’exception d’Ecclésiaste et moi. C’est cette particularité d’internet qui a un peu intrigué Olivier : Internet a cet avantage de mettre en contact des personnes de plus en plus éloignées. Par contre, ceux qui vivent dans la même ville ont-ils besoin d’internet pour communiquer ? Plus vous êtes plus proche géographiquement, plus Internet vous éloigne si vous compter toujours sur lui. C’est après ce constat d’Olivier que nous pouvons désormais comprendre les raisons du grand retard subi par la famille Mondoblog à avoir l’information du décès de Florian. Il suffit qu’un mondoblogueur soit discret pour que personne ne soit au courant de ce qui lui arrive. Ce débat meublera la conversation que j’ai eu avec Olivier durant toute la soirée jusqu’au quatrième chant du coq.
Les témoignages terminés, place maintenant au choses sérieuses : la bouffe et la boisson. Pour éviter de susciter la curiosité des regards (vous connaissez les Camerounais avec ces histoires d’argent ?), Ecclésiaste s’est retiré avec Maman Eli pour la remise du nécessaire pour essuyer les larmes. Par contre, le recueil de billets de Florian dûment imprimé, a été remis solennellement à la maman qui, comme tout le monde, a eu l’occasion de découvrir le billet prémonitoire qui a secoué la plate-forme au lendemain de la nouvelle du décès. Avant d’ouvrir le buffet, Olivier profite pour présenter la « princesse » de la famille, la cadette de Florian : Laure. C’est grâce à elle que le repas a été concocté : riz (pas les petits riz boueux de l’Espace Thialy là hein), sauce tomate, poissons bar, Kondrè à la viande de porc (pour ce met, Lucrèce en sait sûrement quelque chose). Les Guigui n’ont évidemment pas manqué à l’appel, sauf Didier qui ne s’est contenté que d’eau colorée qu’on appelle vulgairement jus d’ananas.
Les mets de la princesse étaient succulents, délicieux et bien aromatisés et nous avons bien mangé et bien bu à l’honneur de plus de 700 mondoblogueuses et mondoblogueurs. La panse étant bien pleine, le moment était venu de nous retirer. À ma montre, les aiguilles pointaient presque 23h et demi. N’allez pas pensé que la soirée est terminée hein. Les quatre mousquetaires, Ecclésiaste, Olivier, Emmanuel et moi embarquons pour une prolongation dans un espace chic à la cité Sic : Connexion. C’est un bar dancing comme en trouve ici à Douala. Didier a profité de mon ivresse pour m’embrouiller en me confiant qu’il doit nous quitter parce qu’il est en période de jeun du Ramadan. C’est après ma lucidité que je me suis rendu compte qu’il est plutôt chrétien. Hé ! Dieu !
À peine installés dans un salon VIP, Olivier revient sur le débat dont j’ai fais allusion plus haut. Il insiste pour mettre l’accent sur la nécessité des mondoblogueurs vivant dans un même pays ou dans une même ville, de se confronter au réel de temps en temps. Il n’a sûrement pas digéré le fait de faire connaissance seulement à l’occasion de la formation. Il serait donc important de préciser ici que les blogueurs camerounais ont créé plusieurs plate-formes de rencontres qui existent. Je pense notamment à l’association Blogueurs Camerounais dont Florian Guimbis et René Jakson en sont, respectivement, président et secrétaire général. Elle a eu à faire des sorties historiques où les blogueurs camerounais se sont retrouvés pour se recueillir sur la tombe du nationaliste camerounais le plus célèbre : Um Nyobè. Dans l’incapacité d’avoir des informations sur ce que cette association est devenue, j’ai évité d’en faire allusion avec Olivier. Mais, en dehors de cette association, les blogueurs camerounais sont actifs et se retrouvent généralement à l’occasion de « Bloggers Forum« .
Il est 3h30 du matin, la fatigue et l’épuisement nous dominent déjà et nous nous séparons avec ce vœux d’Olivier de voir les mondoblogueuses et mondoblogueurs quitter leur claviers, le temps de découvrir qui se cache derrière les mots et les billets publiés chaque jour. Être informé du décès d’un membre de la famille un ou deux mois après, pour Olivier, ça manque du sérieux : si le blogging est un instrument de propagande pour plus d’humanité dans le monde, les citoyens du monde que sont les blogueurs doivent se connaître. C’est une logique qui peut, certainement, être partagée par beaucoup. Mais, ce défaut laisse apparaître l’absence d’une solidarité de corps entre des personnes qui se battent pour la même cause : la justice. Ce vœux d’Olivier de briser le mythe du virtuel a été accompagné d’une promesse : il s’engage à mettre les mains dans la poche au cas où les mondoblogueurs du Cameroun s’engageraient à franchir le pas.
Pour dire vrai, cette promesse d’Olivier n’est pas anodine. Je me rappelle de la première question qu’il me posa à 18h après m’avoir tendu la main en me proposant de m’asseoir près de lui : qu’est-ce qu’on gagne en écrivant à Mondoblog ? En français facile pour ceux qui ne comprennent pas très bien le sens caché de cette question à la camerounaise : est-ce que ça donne l’argent ? Rien, lui ai-je répondu spontanément. Cette réponse lui a semblé bizarre. En tant qu’homme d’affaire bien avisé, cela relèverait d’un miracle de voir des gens de nationalité et d’âge confondus s’adonner à une activité pour ne rien gagner. Comment faites-vous pour vous prendre en charge ? Renchérit-il. Il existe des blogueurs qui ne vivent que de cette activité. Mais, pour arriver à ce stade, il faut le faire par passion. Lui ai-je dis en souriant. C’est la passion de l’écriture qui fais donc la particularité de la plate-forme où les blogging reste une activité secondaire et non une activité principale comme c’est le cas de ceux dont c’est devenu un business.
Ces vœux d’Olivier ne sont pas ses derniers mots. Il a été subjugué par cette passion qui anime les gens à écrire pour partager, simplement pour partager, au point où il m’a proposé un billet pour exprimer cette joie débordante. Je lisais dans les yeux d’Olivier, malgré cette méchante obscurité, l’envie de tenter l’expérience au point de me proposer un billet pour dire de sa propre plume, deux petits mots, mais d’une grandeur fascinante : « Merci Mondoblog ».
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