Le point d’orgue du problème anglophone, c’est bel et bien la conférence de Foumban. Elle marque le tournant décisif d’un mariage que les anglophones appellent « mariage de dupe » pour la simple raison qu’ils estiment avoir été pris au piège par Ahidjo. Pour cela, tout doit être repris à zéro dans la garantie du respect de l’égalité des forces. Les anglophones estiment-ils avoir été en position de faiblesse ? Quels sont les éléments pour démontrer ce qu’on pourrait appeler le banditisme politique des francophones ?

Problème anglophone : le fédéralisme comme un accord consensuel (?)
Le « Oui » ayant remporté la majorité à ce référendum sur l’acceptation (Oui) ou le refus (Non) pour un rattachement au Nigéria, tout était fin prêt pour un « mariage » avec le Cameroun occidental pour deux raisons : premièrement, le Southern Cameroons est géographiquement très petit pour former un Etat, deuxièmement le reéférendum du 11 février 1961 avait connu la victoire du « Oui » pour une réunification avec le Cameroun occidental. Il ne restait plus qu’à organiser une sorte de « conférence nationale » ou encore « table ronde » comme on l’appelait à l’époque, pour rassembler les deux pays. L’opinion sera donc surprise qu’à la place de cette table ronde, on organisa plutôt une conférence dite constitutionnelle (« conférence constitutionnelle ») à Foumban du 17 au 21 juillet 1961. Cette conférence est aujourd’hui considérée, par certains observateurs avertis comme celle qui a vu naître le problème anglophone. Que s’est-il donc passé à cette conférence ?
Elle réunissait, autour d’une même table, des délégués du Southern Cameroons conduits par leur Premier ministre John Ngu Foncha et les délégués du Cameroun francophone conduits par leur Président Amadou Ahidjo. Sur la table, le Président Ahidjo, à la surprise générale des délégués anglophones, déposa le projet de Constitution d’une république fédérale. Avec le concours des juristes Français, Ahidjo avait pris le soin de se rendre à Foumban avec une constitution déjà élaborée avec le concours de Paris. Les délégués anglophones qui s’attendaient sûrement à concevoir ensemble la forme de l’Etat avec une constitution rénovée, étaient pris au piège. D’autres sources indiquent d’ailleurs que Foncha était au courant de cette manœuvre. Ce que certains historiens anglophones nient. Comment Foncha et ses paires, qui n’avaient apporté aucun contre-projet, ont-ils géré cette situation ?
Les amendements apportés par les délégués anglophones
Les délégués anglophones décident néanmoins de consulter le projet de Constitution proposé par Ahidjo afin d’y apporter des amendements. Ceux-ci portaient notamment sur :
- Le drapeau, l’hymne national et la devise du pays,
- le transfert du siège du gouvernement fédéral à Douala,
- Buea et Yaoundé capitales des deux Etats fédérés,
- le bulletin secret et le droit de vote à 21 ans,
- les attributions et les pouvoirs du président de la République,
- le mandat présidentiel réduit à deux,
- une assemblée fédérale constituée d’une assemblée nationale et d’un sénat,
- la double nationalité,
- le système scolaire et universitaire,
- Le retour à l’orthographe Kamerun,
- la suppression du mot « indivisible » de la Constitution…
La décision du Président Ahidjo aux amendements des délégués anglophones
A la suite de ces amendements présentés par les délégués anglophones, à sa prise de parole, le président Ahidjo clôture les travaux de Foumban le 21 juillet 1961 par une réponse à ces amendements comme suit :
- le mot « indivisible » disparaîtra du projet,
- une clause garantissant l’intégrité de la fédération et empêchant toute possibilité de sécession sera introduite,
- faute de ressources financières importantes, il ne saurait être question de parlement bicaméral,
- la « House of Chiefs » sera maintenue,
- Yaoundé demeurera la capitale fédérale,
- il n’y aura pas de double nationalité,
- le Président et le Vice-Président seront élus au suffrage universel,
- en attendant la mise sur pieds des nouvelles institutions, les fonctions de président et de vice-président seront assurées respectivement par le Président de la République du Cameroun et le Premier ministre du Southern Cameroons…
Bienvenue à la réunification, bienvenue au problème anglophone
Le fédéralisme est donc décidé et adopté (en consensus ?) lors d’une conférence à Foumban entre les leaders anglophones et francophones. Les accords consensuels signés à Foumban le 21 juillet 1961 étaient considérés comme un élément fondateur d’une gestion séparée et rigoureuse des deux Etats fédérés. Plusieurs historiens ne sont pas unanimes sur le caractère consensuel de la Constitution adoptée à Foumban. Pourquoi ? Premièrement, parce que, selon Pierre Messmer, Haut-commissaire de la République française au Cameroun, le président Ahidjo était en position de force. Celle-ci venait du fait que son projet de constitution avait été préparé plusieurs mois à l’avance avec l’aide des juristes français.
Les délégués anglophones, venus bras ballants, malgré leurs connaissances acquises après une participation à trois conférences constitutionnelles à Londres et à Lagos, n’avaient que trois jours pour étudier de fond en comble le projet qui leur était proposé par Ahidjo. Et deuxièmement, la population du Cameroun francophone était quatre fois plus grande que celle du Cameroun anglophone. Ahidjo était convaincu d’être le porte-parole de la majorité. Ce qui conférait d’avoir le droit d’être au-dessus de ses adversaires. Mais pour l’écrivain Enoh Meyomesse, dans son ouvrage intitulé La rencontre de la roublardise, de Foumban ou la conférence constitutionnelle de 1961, Ahidjo était en position de faiblesse parce qu’il était, en réalité, sous les ordres de Paris, car ce projet, selon les dires de Pierre Messmer lui-même, n’était pas de lui.
Ahidjo savait qu’il venait de faire un coup de force et que ses compatriotes du Cameroun Occidental (Southern Cameroons) n’étaient pas entièrement satisfaits de la manière dont les travaux se sont déroulés. Pour les apaiser, il n’avait jamais cesser de se plier aux moindres caprices de Foncha qui se plaignait de la marginalisation des anglophones dans le recrutement à la fonction publique. Les anglophones se sentaient donc à l’aise dans le fédéralisme qui les consacrait des sortes de prébendes au détriment de leurs compatriotes francophones.
A SUIVRE : Accords de Foumban : aux origines du problème anglophone au Cameroun (suite)
Tchakounte Kemayou
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