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Boko Haram : la déclaration (maladroite) de guerre de Paul Biya suffit-elle ?

Dans la nuit du 25 au 26 mai 2014, autour de 20 h, un arsenal de guerre camerounais se déploie à Ngaoundéré en se livrant à une démonstration spectaculaire dans les rues de la ville chef-lieu de la capitale régionale de l’Adamaoua surnommée « Château d’eau du Cameroun ». Ce menu spectacle a vite fait de réveiller les habitants qui étaient déjà presque endormis. Les souvenirs à peine oubliés des soldats de l’armée française sous l’opération Sangaris hantaient encore les esprits. De quoi s’agit-il ?

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Air Force One
Crédit photo: LeTchadhantrophus Tribune

 

Le 17 mai 2014, lors de sa convocation invitation à Paris, le président de la République Paul Biya a déclaré la guerre au groupe islamique Boko Haram. La lenteur ou même l’absence de réaction de l’Union africaine ou encore des pays concernés par la crise a poussé Français Hollande à initier, bien que maladroitement, cette rencontre entre les présidents voisins. Même si cette rencontre était nécessaire, il faut l’avouer tout de même, le président français a fait preuve de manque de considération envers ses pairs africains. Conséquence, le président Paul Biya, fidèle à lui-même dans sa posture d’extraverti, fait une déclaration d’aveux d’échec de l’armée camerounaise en avouant publiquement, en parlant de Boko Haram, que : « Ce sont des gens qui attaquent à partir de minuit et pas le jour, or la nuit nos éléments de défense se reposent ». Pauvre président ! Ainsi, une milice de bandits et de sectaires maîtrise toute une armée camerounaise au point de la surprendre ? Une armée se repose-t-elle ? Et pourquoi, surtout en temps de crise ?!

Pour montrer donc aux yeux de son maître Hollande du monde qu’il respecte les consignes sa parole, tout un arsenal de guerre comprenant les semi-remorques portant des chars, des blindés et autres avions de guerre (chasseurs-bombardiers) et de 1 000 à 3 000 hommes bien baraqués appelés « blindés » entrent en trompe dans la ville de Ngaoundéré. Le moins qu’on puisse dire est que ce déploiement des milices est bel et bien organisé dans tout le territoire national, pas seulement dans les villes des régions du Grand Nord frontalières avec le Nigeria : Makari, Banyo, Darak, Waza ou Fotokol, etc. Les villes intérieures aussi en sont concernées. Les habitués des voyages Douala-Yaoundé-Bafoussam-Dschang-Ngaoundéré et bien d’autres trajets sont soumis aux fouilles systématiques et draconiennes. Il en découle que les Camerounais sont mus par un sentiment de revanche envers ce groupe islamique. Ils sont à la fois contents de ce déploiement et inquiets pour les désagréments qu’ils subissent au quotidien. Cette démonstration de force à travers des parades dans la ville de Ngaoundéré a rassuré certains habitants de la ville qui étaient encore septiques sur la volonté de l’Etat camerounais de prendre à bras le corps cette affaire de Boko Haram qui ne cessait de dicter sa loi de jour comme de nuit.

« une guerre contre l’inconnu »

Pas plus tard qu’hier, le 27 mai, dans le quartier de Gada Mabanga, sept jeunes gens en partance pour Yaoundé ont été interpellés par les éléments de la légion de gendarmerie de l’Adamaoua à Ngaoundéré. Il existe donc une hantise dans presque toutes les villes du septentrion où la population qui jubilait au départ en arrive à se demander ce qui se passe au juste. Comme ce jeune homme Abatchoua Abdou, l’un des cousins des sept jeunes gens arrêtés s’offusque en ces termes dans le quotidien camerounais Le Jour  : « Nous avons des petits frères qui ont été arrêtés par la gendarmerie.  Je ne sais pas pour quel motif, mais ils sont à la légion de gendarmerie ». Ce jour même, le journal  LeTchadhantrophus Tribune donne l’information selon laquelle cinq  gros porteurs militaires de type Galaxy américains (le plus gros avion de transport militaire au monde) se sont posés sur l’aéroport Hassan Djamous de Ndjamena le dimanche soir 25 mai. Plusieurs matériels et des véhicules ont été débarqués en plus des hommes en uniforme . Ce déploiement a lieu après une visite de 48 heures du président tchadien Idriss Déby Itno en premier  et du ministre tchadien de la Défense en second, à Yaoundé au cours de laquelle les deux hommes, Biya et Déby, se sont sûrement mis d’accord sur les stratégies de « guerre » qui seront adoptées pour venir à bout de cette secte qualifiée de « nébuleuse ». Toute cette armada et ce déploiement de force pour lutter contre ce que d’aucuns appellent désormais « une guerre contre l’inconnu ». Et pourtant…

Boko Haram, pourrait-on le dire, n’est rien d’autre qu’un groupe de gens hantés par leur soif et leur volonté d’imposer une loi permissive. D’où peut même venir leur force à tel point qu’ils puissent tenir tête aux Etats ? Il serait difficile, pour les habitués de discours populistes du pouvoir régnant, de penser que cette nébuleuse est la résurgence de laxisme dans la gestion d’un Etat. Comme le soulignait le Professeur Touda Ebode, géostratège et enseignant à l’Université de Yaoundé II, l’illettrisme de la population est une porte ouverte à la délinquance. Voilà donc qui est bien dit ! Il ne faut surtout pas l’oublier, la lutte contre le groupe islamiste Boko Haram est essentiellement une guerre de renseignements. Plusieurs spécialistes à l’instar du Pr Shanda Tonme, du droit international, affirment que ce groupe est une résurgence de braqueurs à main armée que l’on appelle « Coupeurs de routes ». Cette activité ne faisait plus recette et ces bandits se sont donc convertis en kidnappeurs des Occidentaux (Français, Italiens et Canadiens) et des Asiatiques, plus particulièrement des Chinois qui ont été pris le jour du sommet de Paris.

La posture du président Biya frise le ridicule

Selon le professeur Touda Ebode, des personnes illettrées sont susceptibles, par leur ignorance criarde, d’être manipulées par les bandits prompts à leur promettre ciel et terre pour changer leur vie. Ces régions septentrionales ont la sinistre réputation d’être la partie du Cameroun la plus analphabète selon les sources de l’Unesco. Pour aller plus loin, ne peut-on pas plutôt penser à la situation de pauvreté matérielle qu’à l’analphabétisme ? Autrement dit, la couche de la population la plus susceptible d’être entraînée dans les gangs, puisqu’il faut appeler Boko Haram ainsi, n’est-elle pas celle qui a un niveau de scolarisation acceptable et qui est frustrée de ne pas pouvoir bénéficier d’une reconnaissance de la nation pour les efforts qu’elle a fournis ? L’enseignant ne se tromperait-il pas d’analyse en indexant les illettrés et/ou les analphabètes ? De toutes les façons, ces différentes tares sont, à savoir l’illettrisme et la pauvreté sont loin d’échapper à la vigilance de l’armée camerounaise qui s’évertuera, je l’espère, à mettre le paquet pour réussir à démystifier les secrets de toutes les infos en circulation au sein de la population qui, à n’en point douter, dissimule ces infos de première nécessité. Il ne serait pas méchant de dire à l’Etat camerounais qu’il doit maintenant assumer ses responsabilités, car c’est trop facile de prendre la population à témoin en réclamant leur collaboration. Ces bandits sont donc parmi nous, camouflés dans la populace insoupçonnable. Il est donc  difficile de les appréhender par un quelconque arsenal de guerre. Ces milliers d’hommes seront-ils appelés à être stationnés sur la frontière de plus de 2 000 km en vue de ne plus être surpris par les assauts de ce gang la nuit tombée ?

Au-delà du fait que cette déclaration de « guerre totale » à Boko Haram a été faite à Paris, chez le maître, devant ses pairs, le président Paul Biya ne faisait-il pas son show pour tester « sa » milice (Le BIR) contre celle de Aboubakar Shekaoui ? Cette déclaration maladroite avait l’air de faire du bien à la population camerounaise bien qu’étant empreinte de tant d’incongruités. Des incongruités que l’écrivain Patrice Nganang a bien fait de relever en affirmant que la meilleure posture du président aurait été de 1 : faire sa déclaration au palais d’Etoudi, à la nation camerounaise; 2 : prendre la parole à l’Assemblée nationale et au Sénat, sinon aux deux en même temps; 3 : aller dans une mosquée rassurer les musulmans qu’ils ne sont pas les ennemis ; 4  : aller en France « stratégiser » avec les voisins et autres Français…

Voilà comment aurait été la posture la plus honorable du président. Cette attitude du président Biya me fait penser à la violence avec laquelle l’armée camerounaise avait massacré les jeunes dans les rues en février 2008 et  pendant les années de braise. Il est tout à fait légitime de se poser la question de savoir, au-delà de l’esprit patriotique que peut avoir toute personne de bon sens, le peuple camerounais est-il en harmonie avec « son » armée ? Si oui, comment comprendre donc la posture du président Biya qui frise le ridicule ?

Tchakounté Kemayou 

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