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La presse écrite camerounaise : Le débat sur le droit d’auteur (suite et fin)

La série de billets sur la situation de la presse écrite camerounaise s’achève à présent et l’occasion est arrivée d’aborder un sujet très important qui concerne la survie même de cette presse agonisante. Comme je l’avais dit tantôt la presse camerounaise a commencé sa décadence à travers des années de braise (1990-1992) et après l’arrivée et la vulgarisation de l’outil internet (Généralement après les années 2000). Ce n’est que dans ce contexte-là qu’on pourrait analyser sérieusement la situation de la presse écrite camerounaise. Compte tenu de la modicité de leurs moyens financiers, les organes de presse éditeurs de journaux écrits ont du mal à s’engager dans le développement de leur média. L’avènement d’internet les a coincé dans une sorte de crise financière les empêchant d’amorcer cette étape importante en matière d’innovation technologique. Cette lacune managériale a provoqué la création, par des particulier et surtout par les camerounais de la diaspora, des sites web qui reprennent des articles de la presse écrite. La problématique majeure ici est donc celle de savoir si ces organes de presse sont aujourd’hui financièrement menacés du fait de la reprise par quelques gestionnaires ou administrateurs des sites de relai et partage d’infos qui reproduisent leurs articles sans autorisation explicite ? Le débat est ouvert.

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Crédit photo: fr.starafrica.com

Que dit la loi camerounaise concernant la reproduction des œuvres ?

Pour ce qui concerne la reproduction des œuvres artistiques, des œuvres de l’esprit, catégorie sur lequel sont classés les articles de presse écrite, les billets de blog, le décret N° 2001/956/PM du 1er Novembre 2001 fixant les modalités d’application de la loi n° 2001/11 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins en son article 17 et alinéa (1) stipule ainsi qu’il suit : « Par ‘’reproduction’’ il faut entendre la fixation matérielle de tout ou partie d’une œuvre littéraire ou artistique par tous moyens qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte, y compris par stockage permanent ou temporaire sous forme électronique. Elle s’effectue notamment par photographie, imprimerie, dessin, gravure, moulage, enregistrement audiovisuel, magnétique ou mécanique ».

Ce débat sur la reproduction des articles de presse par les éditeurs de sites internet privés de partage et de relai d’infos a donc mis en face des contradicteurs sur les droits d’auteur qui divisent les propriétaires des sites de reproduction d’une part et d’autre part les journalistes et quelques analystes. Au départ, les discussions qui tournaient autour de la problématique des droits d’auteur se transformeront petit à petit sur la sempiternelle question de la santé financière des organes de presse camerounais. Et du coup, le camerounais Théophile Tatsitsa conclue que « La distribution des articles en ligne participait bien, quelque part à ‘‘tuer’’ les maisons d’éditions » au Cameroun.  Les propriétaires des sites de partage se sentant donc interpellé, s’invitent à la discussion pour interpeller les patrons de presse à poser les vrais problèmes relatifs à leur manquement en matière d’innovations technologiques.

La question du « piratage » des articles et de billets par les sites de partage

Un certain nombre de journalistes s’insurgent sur cette propension qu’ont certains compatriotes propriétaires d’édition de site de reproduction à copier sans l’autorisation des auteurs les articles et de billets de journalistes et de blogueurs pour alimenter leur sites de partage. Et Théophile Tatsitsa de s’insurger en criant « Alt à la piraterie des sites de colportage ! ». Des questions tout de même sensées et osées sont alors posées pour ouvrir le débat sur le phénomène : « Qu’est-ce qui pousse les animateurs des sites internet à reprendre sans autorisation les articles de presse ? Qu’est-ce qui autorisent les sites de colportage à relayer les articles de presse au même moment ou parfois avant même l’arrivée de la presse dans les kiosques ? ». Ainsi, pour Théophile Tatsitsa et les autres, les propriétaires de ces sites web de reproduction qui font ce « colportage » doivent être considérés comme des « voleurs d’articles » à partir du moment où ils font ce qui est interdit par la loi, à savoir que la « reproduction » d’une « œuvre littéraire ou artistique » sous toute forme que ce soit, est strictement interdite. S’il faut s’arrêter à cette loi, il est tout à fait aisé, pour Théophile Tatsitsa, de condamner cet état de fait qui serait la cause de la plombée des organes de presse camerounaise dans une déprime financière inacceptable depuis plus de deux décennies. Pour lui, les propriétaires « voleurs » au-delà de servir l’intérêt public, doivent avoir d’autres motivations qui ne sont pas connues par le commun des mortels. Les organes de presse qui ont essayé d’avoir un site web ont fait faillite parce qu’ils étaient soumis à une concurrence déloyale des sites web de reproduction. Car, en plus des charges de fonctionnement, les patrons avaient à leur charge le personnel qui devrait assurer la gestion du site web. Comme le dit Théophile Tatsitsa lui-même, comment comprendre que «Tous les organes qui ont essayé de développer leur propre site web pour proposer une offre alternative aux lecteurs hors de porter du papier ont succombé à la concurrence des sites de reprise ». A la suite de cette sentence, la seule solution qu’il préconise lui-même est de demander aux propriétaires ces sites de reproduction de stopper purement et simplement la mascarade pour permettre à la presse camerounaise de reprendre son souffle d’antan. Mais, cette solution est-elle vraiment réaliste compte tenu du retard technologique de cette presse qui tarde à répondre à la demande ? Faut-il le souligner encore ici, comme dans mes précédents billets de cette série, les exigences de la demande en matière de rapidité, de qualité et d’actualisation des informations en un seul clic doivent être des priorités car les lecteurs internautes sont devenus trop capricieux et trop exigeants. Pour ce faire, la presse camerounaise manque justement les moyens de répondre à ces attentes. Pour quelle raison ?

Les propriétaires ou gestionnaire des sites de reproduction s’en défendent

L’un des administrateurs du site de reproduction www.aeud.fr, Ngassa H. Lewe, monte sur le créneau pour donner justement de la voix au débat qui envenimait déjà l’opinion. pour cet ingénieur informaticien, amoureux de la diffusion et des médias, avoue que le problème est mal posé dans la mesure où c’est la santé financière ou encore le manque à gagner des organes de presse camerounaise qui est la source des invectives. Pour lui, les affirmations selon lesquelles les sites web de reproduction sont venus concurrencer et même mettre à mal les sites web des organes de presse camerounais sont dénuées de tout fondement pour deux raisons simples : Primo, la presse écrite camerounaise soufrent depuis bien longtemps de ce mauvais état financier, avant même l’apparition de ces sites de reproduction et secundo le déficit des ventes de journaux peut être, en partie, dû à l’avènement de l’internet au Cameroun  mais surtout à la lenteur de ces organes de presse à s’arrimer à la donne technologique actuelle. Les sites web de reproduction sont venus combler le vide laissé par la presse écrite face à une demande mondiale de plus en plus nombreuse et exigeante. Evidemment, pour établir la relation entre l’apparition des sites web de reproduction et la chute des ventes des journaux papiers, les chiffres statistiques seraient d’une importance capitale. En possession de ces chiffres, il serait donc possible de faire une analyse des liaisons entre les variables sur les causes de la crise financière de la presse camerounaise : l’arrivée d’internet ? L’apparition des sites web de partages ? La qualité des articles ? Le prix des journaux ? La mauvaise distribution ? Le « trop plein » ou la multitude des titres ? Le manque de cadrage sous le plan idéologique de la presse écrite camerounaise ? Etc. Il serait donc abusif et péremptoire d’affirmer avec conviction que ces sites web de reproduction sont la cause de cette décadence. Evidemment, l’internet étant considéré comme une innovation, comment prétendre que son apparition serait considérée comme une cause de la décadence ? Les organes de presse camerounaise sont-ils en manque de professionnalisme dans la mesure où, comme l’affirme si bien Théophile Tatsitsa lui-même, qu’« Avec le manque de considération professionnelle qui fait naître les organes de presse comme les partis politiques aux nombres d’ethnies et de villages, il reste la voie du magazine numérique pour assurer la démarcation entre le professionnel et le tout-venant » ?.

Eh bien, personne de s’oppose, il faut le dire, sur le fait que les droits d’auteurs doivent être protégés comme la loi camerounaise l’exige. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de ne pas jouir des fruits du travail d’un journaliste ou d’un blogueur. A ce sujet, même la loi est claire. Mais, le problème de fond est posé par l’article 19 de la loi citée plus haut qui définit ce que signifie la « distribution » en ces termes : « La distribution est l’offre de vente, de location. La vente, la location ou tout autre acte de mise en circulation à titre onéreux de l’original ou des exemplaires d’une œuvre littéraire ou artistique ». Il s’avère donc qu’à la suite de la lecture de cet article, les produits incriminés ici ne doivent pas être destinés à la vente sous quelque prétexte que ce soit. Après vérification, non seulement aucun site web de reproduction camerounais ne vend ses contenus, mais chaque article est signé du nom de l’auteur et de l’organe de presse éditrice avec, généralement, un lien URL qui conduit à sa source.

Une autre question fondamentale reste tout de même à éclaircir : à savoir comment vivent les promoteurs et les administrateurs de ces sites web de reproduction si les articles « colportés » ne sont pas commercialisés ? La réponse donnée par l’informaticien est aussi toute simple : les promoteurs et les administrateurs des sites web de reproduction font du bénévolat. Le monde des médias pour eux, est leur passion, leur passe-temps favori, car chacun d’eux a un métier et c’est de ça qu’ils vivent. Ils se donnent à cœur joie en temps, en énergie, en argent pour faire vivre leur site. L’entretien des sites web de partage vient de leur propre économie pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir les annonceurs dont les revenus sont de loin capables de prendre en charges les personnes travaillant pour ces sites. Que peuvent d’ailleurs représenter les pubs Google ? L’ingénieur Ngassa H. Lewe de répondre : « Un site web peut coûter environ 120€ le mois pour l’hébergement. En un an, le total nous donne 1400€. Combien de sites camerounais peuvent dégager cet argent avec les pubs Google? Il y a les frais d’hébergement et l’administration du site qu’il faut payer et aussi les attaques du web qu’il faut assumer. Je vous épargne le temps à consentir pour alimenter le site. Google paie par coups de 1000, 1 centime. C’est-à-dire qu’il faut non seulement ouvrir une page, mais aussi cliquer sur la pub qui est sur la page. Naturellement, si vous seul cliquez 1000 fois sur la pub ce ne sera pas comptabilisé. Il faut donc que 1000 personnes sur des ordinateurs distincts cliquent 1 fois sur une pub de l’article pour que le site gagne 1 centime… ».

Au-delà de la reproduction des articles et les billets, certains sites web de reproduction vont même jusqu’à créer des liens qui permettent aux internautes du monde entier d’écouter les radios et de regarder les télés locales camerounaises en live ou en différé. Une belle manière de permettre aux camerounais vivants loin du pays de ne pas être coupé de l’actualité du terroir. Il est à noter que même à ce niveau, les patrons des médias camerounais confondus n’ont pas encore compris que l’innovation dans le monde d’internet est une exigence primordiale pour une visibilité internationale. Par conséquent, l’accès au satellite (Déjà effective pour la plupart des chaînes de télés locales) doit obligatoirement s’accompagner du développement des options offertes par la technologie de la toile. D’ailleurs, Canal 2 International, chaîne de télévision émettant de Douala, vient de le comprendre en diffusant en direct par internet ses émissions télévisées. Les annonceurs ne viendront que si le média possède les possibilités d’atteindre toutes les cibles de l’audimat. Le problème posé ici par Théophile Tatsitsa est donc loin d’être celui du droit d’auteur proprement dit. Mais, c’est la « distribution » ou encore des fruits, les gains de ces droits d’auteurs, comme le stipule l’article 19 du décret de 2001, qui sont en cause. Comme pour dire que si le partage générait des bénéfices, le débat aurait alors un sens. Cependant, peut-on considérer que, même sans générer de gains, les sites web de reproduction et de relai-infos n’ont pas le droit de « colporter » les articles de presse et les billets de blog sans autorisation des auteurs ? « Non », répond sans hésiter l’ingénieur informaticien, car « Il y a des médias qui ont des articles libres de toute reprise. C’est donc au média de dire clairement ‘’ne touchez pas’’ et on ne touchera pas. Rien n’empêche à un média de refuser le partage libre de ses  productions… Allez sur « Mediapart », il y a des articles qui sont payants ». Cette sentence de l’ingénieur Ngassa H. Lewe est donc claire et sans équivoque : les sites web de partage et de relai-infos continueront d’exister n’en déplaise aux médias camerounais qui ne font que traîner le pas en matière d’innovations techniques et technologiques. Reste donc à trouver des stratégies qui permettront de redonner à cette camerounaise la visibilité qu’elle recherche tant. Place aux solutions de sortir de crise, si je peux l’appeler ainsi.

Les organes de presse doivent s’associer : « Teamarbeit »

Une camerounaise de la diaspora, ingénieure informaticienne, elle aussi, Lydie Seuleu, s’invite dans le débat et propose une solution pour sortir de débat interminable. Pour elle, la nécessité de se regrouper pour faire un bloc serait une solution salutaire. Elle s’inspire de la stratégie qu’elle a appelée en allemand « Teamarbeit » et qui signifie : « Travail en équipe ». Cette stratégie se résume en cinq étapes à savoir : 1 : Quelques médias de la presse écrite, par exemples Mutations, Kalara, Le Jour, La Nouvelle Expression, Le Message, Ouest-Littoral, L’Actu, etc…), s’entendent et se mettent ensemble ; 2 : Ils créent un banner avec des expressions telle que : « La culture », « La politique », « L’économie » et qui conduisent au liens de ce type : https://spenden.wikimedia.de/spenden/ ; 3 : Ils contactent quelques sites web de reproduction, de partage et relai-infos en lignes tels que : www.aeud.fr, www.cmaroon-info.net, www.camer.be, etc… ; 4 : Pendant 6 à 12 mois (périodes et fréquences à choisir en interne entre les promoteurs), les médias presse écrite qui se sont mis ensemble envoient à ces sites web de partage et de relai-infos quelques extraits d’articles à publier ; 5 : Chaque extrait d’article apparaît donc dans des sites web de reproduction et de partage avec, à sa suite, le banner au début et à la fin de l’extrait de l’article. Evidemment, le lien du banner qui conduit au site de l’organe de presse peut être payant ou pas. Dans le cas où c’est payant, avant de créer le banner, les promoteurs d’organes de presse et de site web de reproduction et de partage contactent une banque camerounaise pour avoir un IBAN ou Swift. C’est donc à la suite de cette période de 6 mois que ces promoteurs pourront s’entendre sur les modalités du partage des bénéfices ou gains récoltés.

Et que dire alors des organes de presse qui n’ont pas du tout de site web et donc les articles sont reproduits ?  Un économiste camerounais résident au Etats-Unis, Elysée Yonta, propose une solution uniquement payante : un mail-liste est créé et regroupe tous les abonnés qui bénéficieront des envois de téléchargements d’une série de 10 à 20 titres de journaux camerounais sous le format PDF. Ainsi, un abonnement annuel à un coût très concurrentiel pour les quotidiens, un pour les hebdomadaires et un autre pour les mensuels ou les magazines seront soumis à un payement d’un montant bien précis. Chaque abonné recevra donc les éditions complètes sous le format PDF.

En tous les cas, le débat reste ouvert.

Tchakounte Kemayou 

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