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Le « Génocide » au Cameroun et le « silence » complice de la France : de la décentralisation à la guerre d’indépendance (1/4)

Y a-t-il génocide au Cameroun ? Pourquoi la France choisit-elle la position de la stabilité, du statu-quo en faisant la sourde oreille depuis le début de le début de la guerre civile en région anglophone ? En octobre/novembre 2016, de ce qu’on avait appelé au départ « crise anglophone », est finalement devenue une guerre civile, une guérilla. De son côté, le gouvernement camerounais, après trois ans de guerre atroce avec au compteur plus de 12.000 morts, selon Tibor Nagy, n’a pas changé de position d’un iota. Il continue de tourner l’opinion nationale et internationale en bourrique malgré ce bilan lourd. Aujourd’hui, la pression internationale, et surtout américaine, ébranlée par les scandales humanitaires, oblige Paul Biya à sortir de sa réserve. Il a fini par brandir aux yeux du monde une solution qui n’est pas loin de celle de la France : la décentralisation.

Statistics on the Humanitarian situation in Cameroon are not #fakenews. Humanitarian aid is based on needs, it is…

Publiée par United Nations Cameroon sur Lundi 30 décembre 2019

Cet article fait partie d’une série qui traite du « silence » (dixit Sébastien Nadot) complice de la France face au « génocide » (dixit Karen Bass) qui a lieu au Cameroun. Vous vous posez sûrement la question en quoi la France serait-elle impliquée dans ce génocide ? Elle y est impliquée parce que c’est elle qui impose sa solution de la « décentralisation » au gouvernement de Yaoundé à la place d’une solution de consensus à l’issue d’un dialogue ou d’une discussion entre les parties. C’est elle qui dit connaitre ce que veulent les Camerounais en parlant de « stabilité » alors que ce même peuple, qui ne s’est jamais prononcé et qui, au regard des tendances de l’opinion, du moins la majorité, souhaitent plutôt un « changement ». Stabilité et changement sont bien deux visions différentes, voire opposées, qui mettent en conflit le peuple Camerounais, du moins la majorité, et ses gouvernants qui sont soutenus par la France. Il ne fait plus l’ombre d’aucun doute que, depuis le déclenchement de la guerre, c’est qui tient la manivelle.

Cet article a donc pour objectif de démontrer, point par point, les stratégies de la France pour faire passer ses idées à la place de celles du peuple Camerounais. Cette posture de la France suscite quand même des interrogations : pourquoi la France agit-elle ainsi contre la volonté des Camerounais ? Quel est l’intérêt de la France de soutenir la décentralisation ? Pourquoi soutient-elle une solution qui n’est qui n’est pas de nature à mettre fin à la guerre ? Bien malin qui s’aurait répondre efficacement à ces questions. Elles sont bien embarrassantes ! Des débats enflent sur un éventuel soutient apporté par la France à un tyran qui, visiblement, les Camerounais n’en veulent plus depuis qu’ils l’ont exprimé à la présidentielle d’octobre 2018. Je me contenterai tout simplement ici de relater les faits qui, pour moi, sont largement suffisants pour incriminer la France et qui la positionnent comme co-responsable de ce que les Etats-Unis considèrent déjà a priori comme un génocide.

Première partie : de la décentralisation à la guerre d’indépendance

La guerre dans les régions anglophones du Cameroun, Nord-Ouest et Sud-Ouest (NOSO), commence véritablement le 30 novembre 2017. Ce jour-là, c’est Paul Biya qui, après la mort de 4 soldats, accuse les indépendantistes, les « groupes armés », les « terroristes », de vouloir semer la terreur. Mais avant d’en arriver là, les deux régions étaient en proie à une crise terrible qui a secoué le pays à partir d’octobre/novembre 2016. Les enseignants et les avocats s’étaient mis en grève pour se plaindre de la stigmatisation dont ils sont victimes.

Décentralisation à la place du fédéralisme

Pendant leurs discussions avec quelques membres du gouvernement venus de Yaoundé, les leaders grévistes insistent sur la nécessité de passer à une République fédérale comme solution à la crise. Ce qui n’a pas été du goût du gouvernement qui, furieux, a mis fin au dialogue déjà amorcé et caractérisé par des coups fourrés. Le gouvernement a immédiatement senti une menace et a opté pour la force : les leaders grévistes sont interpellés et traduits devant le tribunal militaire de Yaoundé pour « acte de terrorisme ». Leur Consortium des organisations de la société civile anglophone a été interdit d’activité.Tout ça se déroule le 17 janvier 2017.

La libération de ces leaders n’interviendra que le 30 août 2017 par un communiqué du Secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, qui parle de « l’arrêt des poursuites pendantes devant le tribunal militaire de Yaoundé ».

La posture des leaders Anglophones était compréhensible. Ils exigeaient donc un changement de la forme de l’Etat qui leur permettrait de se rapprocher le plus près de leurs gouvernants. Pour eux, les autorités des Etats fédérés ayant les pouvoirs que leur conférait la Constitution, la République fédérale est mieux que la République décentralisée que proposait le gouvernement. Nous sommes en janvier 2017.

La déclaration de guerre de Paul Biya le 30 novembre 2017 intervenu douze mois plus tard est donc une confirmation de la position du gouvernement camerounais à ne pas lâcher du lest et à maintenir le statu-quo, du moins à s’engager sur cette forme de gouvernance qu’est la décentralisation. Cette position, contenue dans la constitution de 1996 issue de la Tripartite (du 30 octobre au 15 novembre 1991) à la suite d’une crise sociopolitique des années de braise (1990-1991) n’a jamais été appliquée jusqu’ici.

A cette Tripartite, il avait été décidé de revoir la Constitution du 2 juin 1972 qui instituait la République unie du Cameroun dominée par le mode de gouvernance jacobin à la française. Ce mode de gouvernance est caractérisé par une centralisation du pouvoir politico-administratif. La nouvelle démarche, revendiquée par la majorité des Camerounais, est de changement qui consiste à désengorger Yaoundé, la capital. Elle, par la force des choses, devenue une ville qui concentre tous les pouvoirs de décisions et de gestion des cités aux mains des fonctionnaires, de la présidence de la République et des ministères au détriment des élus locaux. Même pour la construction des points d’eau potable, les maires, élus par la population, doivent se référer à Yaoundé qui a le dernier mot pour le financement.

Pour la rédaction d’une nouvelle constitution qui répond à ces aspirations, une équipe est constituée et le Pr Joseph Owona, universitaire, en est le responsable. Il est notamment chargé de recueillir toutes les propositions des différentes corps socio-politiques et socio-professionnels qui le désire. C’est alors dans ces circonstances que les Anglophones, sous le label de « All Anglophone Conference » se réunissent à Buea les 2 et 3 avril 1993. Une Déclaration est publiée à l’issue de la rencontre. Et il est bel et bien mentionné que les Anglophones sont favorables pour une République Fédérale. Certains partis politiques de l’opposition issus de la partie Francophone du pays (les 8 régions sur les 10 que compte le Cameroun) en étaient également favorables.

Curieusement, la décentralisation a été adoptée comme une poire coupée en deux pour départager les tenants du jacobinisme, c’est-à-dire du statuquo et les tenants du fédéralisme, c’est-à-dire du changement radical. 

Échec de la décentralisation

Depuis la promulgation de la loi le 18 janvier 1996 sur l’adoption de la nouvelle Constitution, la fameuse décentralisation n’a jamais été mise en œuvre. Le gouvernement n’a jamais déposé à l’Assemblée nationale un projet de loi concernant ce mode de gouvernance. C’est bien en décembre 2019 qu’un texte sur la décentralisation est sorti de l’ornière ! Donc, 23 ans après !

Qu’a donc fait le gouvernement pendant ces 23 ans ? Effectivement, Paul Biya et son gouvernement ont promulgué des lois et signé des décrets sur la décentralisation appelés « Collectivités Territoriales Décentralisées » (CTD). Ces textes concernent la gestion des collectivités locales sans pouvoir de décision sur la réalisation et le financement des projets de développement local. Ils n’ont manifestement rien apporté en matières de réformes quant à la décentralisation effective des pouvoirs du centre vers les périphéries que sont les les mairies.

Je fais partie de ces observateurs qui constatent avec amertume que les fonctionnaires et tous les personnels au service de la République, à la présidence comme dans les ministères, détenteurs d’une quelconque parcelle de pouvoirs s’obstinent à s’en départir pour des raisons personnelles contre-productives. La corruption et les détournements en sont le Rempart. Ainsi, les statuts des collectivités territoriales que sont les régions, les mairies, etc., bien qu’ayant changés, ne donnent malheureusement aucuns pouvoirs aux élus locaux de disposer des ressources financières leurs permettant de prendre eux-mêmes en charge les besoins de leurs populations. Yaoundé reste durant 23 ans, le maître-chanteur qui décide, contre vent et marée, du sort de la population dont il ignore justement les besoins.   

Le déclenchement de la crise anglophone en octobre/novembre 2016 n’est qu’une suite logique de la demande anglophone depuis les années de braise qui a vu naître la All Anglophone Conference. L’échec de la décentralisation, il faut plutôt dire la non application de la décentralisation, conforte les anglophones sur le fédéralisme comme solution.

Pourquoi alors la sécession aujourd’hui

La sécession comme solution existe depuis la nuit des temps. En fait, c’est depuis 1993, à la création du groupe sécessionniste SCNC à Buea que cette idée fait des émules.

Pendant la All Anglophone Conference, deux camps se sont formés : le premier camp est celui des Anglophones favorables au fédéralisme, tandis que le deuxième était celui des Anglophones favorables à l’indépendance du NOSO. Celui-ci était restée jusqu’ici minoritaire. Le camp des fédéralistes, majoritaire, remporte la partie et rédige une Déclaration : All Anglophone Conference Declaration.

Mais, l’idée indépendantiste, bien que mise en minorité, grandissait au fur et à mesure des frustrations nourrie dans cette population anglophone qui en avait marre de subir des humiliations du fait de leur langue (l’anglais). Des frustrations qui ont mûri pour enfin s’éclorent en octobre/novembre 2016. Jusque-là, elle était en coude à coude avec le fédéralisme qui leur damait toujours le pion auprès de l’opinion nationale Anglophone, et même chez certains Francophones du pays. Malheureusement, c’est après la dissolution du Consortium syndicaliste anglophone et l’arrestation de ses leaders que l’idée de l’indépendance du NOSO a commencé à embraser l’opinion. Mais la cerise sur le gâteau est que, depuis en décembre 2017, les rumeurs couraient sur l’arrestation de Sissiku Ayuk Tabe, le président de la Federal Republic of Ambazonia, et ses camarades. C’est finalement le 1er novembre 2018 que ces leaders font leur première apparition publique après un long silence voulu par les autorités de Yaoundé. Ces leaders sont toujours en prison jusqu’à nos jours.

C’est donc à partir de 2018 que, subitement, les emblèmes comme l’hymne national, le drapeau et le nom de baptême du territoire (Ambazonia) commencent à envahir les espaces médiatiques à grande échelle comme les réseaux sociaux. C’est donc depuis le 30 novembre 2017 et surtout depuis l’arrestation des leaders anglophones favorables au fédéralisme, que les indépendantistes ont pris le dessus sur l’opinion nationale. Les groupes armées (les Amba-Boys) s’organisent et mènent une guérilla contre l’armée camerounaise que les indépendantistes appellent « l’armée de Biya » ou encore « l’armée de de la République » . Pourquoi la terminologie « armée de Biya » ? Parce que, pour les Amba-Boys que Paul Biya appelle « terroristes » ou « groupes armés », il n’existe pas de guerre entre Anglophones et Francophones. Les Amba-Boys se battent contre Biya et son gouvernement composé en majorité par les Francophones sous la houlette d’une tribu, celle de Paul Biya, les Bulu.   

Un bilan lourd de conséquen

A ce jour, des sources diverses nous indique un bilan de plus de 12.000 morts, plus de 50.000 réfugiés au Nigéria voisin, plus de 500.000 déplacés internes et quelques 400.000 maisons détruites et brûlées. Du côté de l’éducation, 855.000 enfants ne vont plus à l’école, 70 écoles détruites ou brûlées, 4.100 établissements primaires (90%), et 744 établissements secondaires (77%) sont déjà fermés.

A partir de ce lourd bilan et des exactions de part et d’autre rapportées par les ONG, de lourds soupçons pèsent sur l’hypothèse du génocide. Ce lourd bilan n’est pas de nature à rendre la communauté internationale indifférente malgré le retour annoncé en grande pompe de certains réfugiés par le Ministre Atanga Nji.

Au nom du droit humanitaire, les pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Angleterre et notamment l’Union Européenne, ont déjà discuté de cette question en séance plénière de l’assemblée nationale tandis que France ne s’est contenté que d’une question d’un député au ministre des affaires étrangères. Ces pays sont favorables au fédéralisme comme solution à la crise. Pourquoi la France adopte-t-elle une position solitaire et une solution non consensuelle face à une escouade de tueries que se livre « l’armée de Biya » et les Amba-Boys au NOSO ?

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Auteur·e

tkcyves

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