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Paul Biya : « Ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun »

Le président de la République Paul Biya parle enfin ! Depuis les moments tragiques que traverse le Cameroun sous l’effet des sorties mises sur le compte de Boko Haram, le président a parlé pour la 2e fois à l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen après sa triste sortie à l’Elysée où il avait déclaré, à l’occasion d’un sommet convoqué par le président Hollande, la guerre à cette secte nébuleuse. Cette deuxième sortie du président Biya fait donc suite, cette fois-ci, à une invitation du président américain Barack Obama à l’occasion du sommet Etats-Unis-Afrique qui commence aujourd’hui et ce, jusqu’au 6 août prochain. Voilà donc le décor qui est planté : les sorties de Biya sont rythmées par des voyages à l’étranger. Rien à voir avec un discours ou une déclaration de circonstance au peuple camerounais. Sa sortie de l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen s’apparente à un cri d’appel au peupleà qui il demande de « faire preuve de courage, de solidarité et de patriotisme ». Avec plus de recul, le comble est de constater que le peuple à qui le président Biya demande le courage, la solidarité et le patriotisme est très loin d’être concerné par cet appel. Pourquoi ?

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L’arrivée du couple présidentiel camerounais à Washington.
Crédit photo: www.prc.cm

Très simple :

Parce que le président Biya n’a pas besoin du courage, de la solidarité et du patriotisme du peuple camerounais pour venir à bout de Boko Haram, car « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya a révélé lui-même, pour ceux qui doutaient encore, que les gouvernants, depuis Amadou Ahidjo avaient et ont pour objectif principal de lutter contre les nationalistes et ceux qui se battent et se sont battus pour leur liberté. Le Cameroun, a donc eu la poigne et la bravoure de mettre hors d’état de nuire les « maquisards » des mouvements d’indépendance, les « apprentis sorciers » des mouvements contre la vie chère de février 2008, les  « opposants irresponsables et sans programme politique », les vendeurs de cartons rouges des « villes mortes » des années 1991-1992. Comme pour dire que tous ces mouvements de révoltes étaient organisés par les ennemis du Cameroun, et par conséquent « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ». Ce n’est donc pas ces « ennemis pervers, sans foi ni loi » qui empêcheront Biya de gouverner.

Parce que le président Biya est allé contre la Tripartite (Concertation entre le parti au pouvoir RDPC, les partis de l’opposition et la société civile) qui a accouché de la Constitution de 1996 en faisant sauter le verrou qui limitait le mandat présidentiel à deux, il est donc allé contre son peuple, ce peuple à qui il demande de « faire preuve de courage, de solidarité et de patriotisme », alors il n’a pas besoin de ce peuple et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya n’a pas besoin de la voix du peuple (vox populi), mais plutôt de « l’appel du peuple » (du nom des fameux mémorandums rédigé par les élites, au nom du peuple, à travers le territoire national appelant le président Biya à se représenter à la présidentielle de 2011) pour gagner la présidentielle, il n’a donc pas besoin du peuple pour gouverner et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya réussit à utiliser les populations clochardisées pour en faire le bétail électoral, en organisant des meeting de beuverie à tour de bras, en leur donnant du riz et du poisson lors des élections locales, en leur promettant des billets de banque à la sortie des bureaux de vote, il n’a donc besoin de ce bétail électoral pour gouverner et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya, par cet acte de hold-up électoral, a réussi à amener le peuple à se désintéresser de la chose politique, à abandonner les élections à ceux qui n’ont justement aucun intérêt pour la chose politique au Cameroun, a réussi à amener le peuple à penser que les élections ne servent plus à rien, à telle enseigne que sur un potentiel de 10 à12 millions de Camerounais en âge de voter, le fichier ne comporte que 4 à5 millions d’inscrits où probablement les « étrangers » y figurent en grand nombre, si le président Biya gagne sans la participation de ce peuple-là, il va sans dire qu’il n’en a pas besoin pour gouverner et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya, à travers ses pontes, ses partisans et ses « créatures » (dixit Fame Ndongo, ministre de l’Enseignement supérieur), pour gonfler les chiffres d’inscrits dans le fichier électoral, fait venir les « étrangers » (Nigérians, Nigériens, Maliens, Tchadiens, Centrafricains et autres) en leur donnant des cartes nationales d’identité camerounaise. Si le président Biya réussir cet exploit, il n’a donc pas besoin de ce peuple-là et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya en disant lui-même « aide-toi, le Ciel t’aidera », a trouvé que les Camerounais sont capables de se « débrouiller » seuls, comme on dit chez nous. Supprimer la bourse estudiantine depuis 1993 et laisser les jeunes Camerounais faire  du diplôme une fin en soi, un objectif au lieu d’en faire un moyen, c’est dire aux jeunes Camerounais ceci : « Vous pouvez vivre sans le soutien de l’Etat », et que l’Etat apprenne aussi à vivre sans le soutien des Camerounais et on verra bien si « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya disait lui-même « aide-toi, le Ciel t’aidera », les Camerounais ont donc appris à être désormais stoïques, calmes et courtois. Privés d’électricité à travers la politique de délestage, ils ne disent rien ; ils subissent l’augmentation du tarif du kilowatt de l’électricité, ils sont calmes ; la Société des eaux (CDE) suspend la fourniture d’eau en pleine capitale durant des mois, ils sont de marbre ; ils se réveillent un matin du 1er juillet et constatent subitement que les prix du carburant à la pompe ont augmenté, ils continuent de payer sans se lamenter ; les conséquences de cette augmentation ne les chagrine même plus : les transport en commun surtout ! Comme pour dire que les Camerounais ont appris à supporter la pauvreté, j’allais dire la misère. Oui, ces Camerounais-là qui ont fini par se dire, comme une ritournelle : « On va faire comment ? », ont laissé au président sa « chose » en lui souhaitant une fin paisible par cette sentence : « Qu’il meurt même là-bas ! ». Le président Biya n’a donc pas besoin de ce peuple-là pour gouverner, il n’a pas besoin d’espérer le courage, la solidarité et le patriotisme de ce peuple car celui-ci a appris à se débrouiller seul et Biya doit apprendre à se débrouiller seul car il sait pouvoir se passer de ce peuple et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya a réussi, à travers ses « créatures », à crisper le corps social : la clochardisation des personnes en situation de handicap, le musellement des mères qui ont vu disparaître leurs enfants, soit dans les maternités, soit dans les centre d’accueil, a réussi à montrer aux jeunes élèves que, même des personnes de moralité douteuses et ayant des démêlés avec la justice peuvent continuer à gérer leur éducation et signer leur parchemin ; Oui, si Biya a réussi à faire accepter cette humiliation au peuple camerounais qui continue de l’accepter, « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

Parce que le président Biya a réussi tout seul à arracher au peuple ce qui lui restait comme orgueil (le football), et a réussi pratiquement à cantonner le peuple dans son mutisme en après la débâcle de l’Afrique du Sud (2010) et du Brésil (2014), le président Biya, n’a pas besoin du courage, de la solidarité et du patriotisme du peuple pour gouverner et « ce n’est pas Boko Haram qui va dépasser le Cameroun ».

De quel peuple s’agit-il donc, in fine ? S’il s’agit de ce peuple que je connais-là, non, il restera de marbre. Ce peuple n’écoute pratiquement rien : ne dit rien après l’augmentation des prix du carburant parce tout le monde a peur de faire la grève qui pourrait avoir pour conséquence le licenciement comme épée de Damoclès, ne riposte pas après la double débâcle des Lions indomptables, ne bronche pas à la suite des coupures de l’électricité et d’eau courante, ne part pas s’inscrire sur les listes électorales encore moins voter, ne pleure pas mais rigole plutôt des gesticulations de leur président qui les appelle à plus de courage, de solidarité et de patriotisme. Que c’est malin ça ! Biya croit prendre son peuple dans son propre piège alors qu’il faut bien s’en méfier. Le président se souvient-il avoir dit lui-même « aide-toi, le Ciel t’aidera » ? Non, il a sûrement la mémoire courte ! Eh ben, qu’il se débrouille seul comme le fait son peuple depuis belle lurette, depuis la date d’indépendance où, dit-il, « on a éradiqué les maquis (des mouvements révolutionnaires) ». Comment résister à cette déclaration alors que, comme le déclare le journaliste Camerounais en service à la Banque mondiale Boh Herbert, « mêmes nos pires ennemis (que sont les Français) ont fini par reconnaitre tout le grave mal que représente le génocide par eux perpétré contre les peuples Bamilekes, Bassas, etc. ». Ainsi donc, le président confond pas Um Nyobe, Ernest Ouandié, Felix Roland Moumie, Abel Kingue, Osende Afana, etc. aux Islamistes de Boko Haram et autres excroissances ! Que ceux qui ont soutenu le président Biya et son gouvernement se ravisent en nous expliquant cette deuxième sortie maladroite et plus grave que la première.  Le président Biya doit tranquillement s’occuper seul de son Boko Haram et laisser en même temps le peuple camerounais se débrouiller seul comme il en a l’habitude.

Ces attaques de Boko Haram alimentent les débats au sein de l’opinion et du coup, les camps se forment soit pour soutenir l’argument selon lequel c’est la France et Communauté internationale qui serait derrière ces attaques et que Boko Haram n’a rien à y voir. Si on compare le mode opératoire de Boko Haram en territoire Nigérian et Camerounais, il va s’en dire que les deux ne se ressemblent aucunement. Certains sont même allés au bout de leur réflexion en stipulant que les armes utilisées par Boko Haram au Cameroun viennent tout droit du Tchad. Compte tenu du contexte, l’argument d’une rébellion soutenue par la France et la Communauté Internationale alimente les chaumières. Pour l’autre camp, il ne s’agit ni plus ni moins que des dignitaires et des élites du Nord qui agiteraient le spectre de la succession du président Biya qui est presque en fin de règne compte tenu de son bilan négatif, de la durée de son règne et de son âge. Déstabiliser le pays par le Nord est une hypothèse de ce camp qui exclut donc toute immixtion de la Communauté Internationale dans ces attaques. Ces hypothèses qui prévalent pour le moment montrent bien que le président Biya semble jouer à l’ignorant en appelant le peuple à lui faire confiance, lui et son gouvernement.

Le peuple camerounais, comme à son habitude, reste stoïque et tarde à dire son dernier mot.

Tchakounté Kemayou 

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tkcyves

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