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Patrice Youmbi : « A la place de l’insuffisance rénale, je préfère le SIDA »

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Patrice Youmbi en séance de dialyse à l’hôpital général de Douala. Crédit photo: Tchakounté Kemayou

Patrice Youmbi est un camerounais la quarantaine sonnée. Il a la réputation d’être un combattant aguerri et perspicace. Il y a deux ans, son dynamisme vient d’être anéanti par une terrible insuffisance rénale, maladie jusque-là inconnue du grand public camerounais. Une maladie qui ceci de particulier qu’il rend l’individu complètement incapable de faire quoi que ce soit. Du combattant que Patrice était connu, il devient tout à coup un clochard. 

Patrice, est un jeune camerounais né dans les hautes montagnes de l’ouest Cameroun. La ville de Foumban l’a vu grandir. Les études primaires et secondaires effectuées dans la même ville lui donnent pas mal de facultés à intégrer trop tôt le monde du business. Adolescent de son état, même avant d’achever ses études secondaires il se donne pour mission de voler de ses propres ailes contrairement aux autres jeunes de son âge qui attendaient encore tout de leurs géniteurs. Mais, Pat, comme je l’appelle affectueusement, ne se fait pas prier pour trouver vite son autonomie. Orphelin de père, il s’habitue avec les caprices de sa tendre mère qui pour lui, représente un soutien incommensurable dans ce qu’il entreprend de faire. Pat est un garçon grand et robuste de nature. Une démarche de cow-boy, de combattant qui rappelle cette allure d’homme de combat démesuré. Intelligent et bosseur, il s’habitue à se libérer du cocon familial bien qu’étant sous le même toit avec sa tendre mère. Cet amour pour sa mère l’empêche de se séparer d’elle. Il vivra donc avec elle tout en étant un « garçon de la rue », comme on dit chez nous ici au Cameroun. De la friperie aux ustensiles, du charbon au cacao, de la chasse à la plantation… Pat a tout fait dans sa jeunesse. Fin limier dans les « négociations » de business, il ne résigne pas sur les moyens à mettre en jeu pour se trouver une place au soleil. En langage populaire camerounais, on dira de lui qu’il est un « attaquant ». Comme pour désigner les félins en pleine savane en train de chercher des stratégies pour avoir leur repas de midi. Il est habitué à ne pas avoir du repos. Il a vite fait de trouver qu’il était apte dans les affaires par son flair, futé dans les pièges à con et averti dans les méandres des pots-aux-roses.

Son activité florissante l’oblige à migrer pour la ville de Douala, capital économique du Cameroun. Il se découvre une passion presque fulgurante et se donne des objectifs dignes d’un jeune homme ambitieux de son âge. Du coup, l’idée lui vient d’immigrer. Pour lui, le Cameroun n’était plus le cadre idoine pour se déployer. Il immigre en passant par le Mali, le Niger, l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie, etc.

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Patrice Youmbi, amoindri par la maladie. Crédit photo: Tchakounté Kemayou

Sa robustesse et la résistance de son corps aux maladies fait croire aux observateurs et tout son entourage qu’il est presque invincible. Cette résistance lui donne des ailes d’homme super-résistant et de superman. Ses affaires qui commençaient à être florissantes le prédestinaient à un avenir radieux. Comme par surprise, la chute du baobab arrive toujours du côté où on l’attend le moins. C’est en Algérie que Pat commence à sentir des fatigues pulmonaires. On aurait pensé à une simple fatigue liée aux activités intenses qu’il menait sans repos. On aurait aussi cru à un cancer. Pat ne se reposait pas justement. Il n’a jamais connu de repos d’ailleurs ! Tous les examens qu’il fait ne permettent pas au vaillant combattant Camerounais de recouvrer sa santé. C’est une équipe de scientifiques en Algérie qui découvrent la méchante bête : l’insuffisance rénale. Les activités commerciales étaient suffisamment complexes et occupait la plus grande partie de son temps à tel point que Pat n’avait plus du temps pour lui-même. Un beau matin, Une sensation de fatigue s’empara de lui et commença à lui causer beaucoup de soucis. Après  plusieurs tours dans les hôpitaux, de multiples examens médicaux effectués signalent une anomalie appelée « rétrécissement d’urètre ». C’était une déclaration de guerre que Pat n’allait jamais imaginer, car il croyait dur comme fer que c’était une maladie qu’on pouvait guérir. Il prend donc son courage à deux mains et retourna au pays de ses ancêtres pour y subir des soins appropriés ; être auprès de sa famille et surtout auprès de sa tendre maman adorée.

L’anomalie en question a cette particularité qu’elle empêche la vessie de jouer pleinement son rôle d’épurateur. Les déchets secrétés par le corps et qui se reconstituent en urine en remplissant la vessie n’ont plus la possibilité d’être évacué. Conséquence, les urines font obligatoirement  chemin retour  dans  les reins et ceux-ci n’arrivent plus à assurer leur fonctionnement normal, à savoir assurer l’évacuation des déchets du corps vers la vessie sous forme d’urine. Il faut signaler que ce diagnostic (l’insuffisance rénale chronique) a été détecté après de longues périodes de maladie et de souffrances. La solution scientifique donnée  à ce  mal est l’accès de la victime à l’hémodialyse.

Pat, naïvement  se dit qu’il va se consacrer à sa guérison afin de reprendre ses activités commerciales d’antan. Il se met donc à la disposition de l’hôpital général de Douala qui est par ailleurs  le seul centre de dialyse de Douala. Une première opération de pose de cathéter d’urètre est faite en attendant une fistule pour la dialyse. Elle est constitue de deux séances par semaine de 120.000Fcfa par séance. C’est ce taux qui était en vigueur avant 2010. Il est pratiquement hors de portée pour le camerounais moyen,. Surtout que le SMIG qui s’élève à 32.000FCFA. Pat se ravise sur son sort et commence à comprendre que son destin était déjà scellé. Après 2010 donc, l’opinion publique proteste sur le coût exorbitant des séances de dialyse. L’Etat camerounais, grâce à la coopération internationale, a consenti à subventionner l’hémodialyse qui a finalement été ramené à 5.000FCFA la séance et cela jusqu’aujourd’hui. Sans oublier que les examens, les médicaments, les poches mensuelles de sang, et le suivi du régime alimentaire ne sont pas accessible à tout camerounais moyen pour ne pas dire pauvre. Les maigres économies et les espoirs de Pat s’envolent aussi rapidement en peau de chagrin. Commence alors le vrai calvaire de l’homme commerçant jadis fort et robuste.

Son combat de tous les jours s’est transformé en requiem. Cette maladie a pour particularité d’anéantir en mettant complétement hors de production économique ceux qui la portent. Le sens des affaires a cédé la place à l’humanitaire et aux activités de récolte des fonds pour sauver les malades. Ainsi, le premier challenge de Pat était de pouvoir surmonter ce handicap financier pour respecter les prescriptions médicales. Il ne pouvait le faire qu’en tendant la main à sa famille qui a vite fait de l’abandonner. Oui, ainsi va la vie ! Du grand baobab, l’insuffisance rénale peut vous réduire à presque rien. la survie du vaillant homme ne se réduit donc qu’à travers le concours de ses amis et quelques personnes de bonne volonté. Il a dû prendre des décisions de sa vie pour remettre les pendules à l’heure : il quitte son appartement, renvoie son épouse chez ses parents et va squatter chez un ami qui lui est cher.

Son programme en 24 heures peut passer presqu’inaperçu. La journée est ponctuée de visites et de rendez-vous à la recherche d’un éventuel soutien. Aux premières heures de la journée, entre 4h et 5h, la journée commence par une prière intense et dès 6h, il prend la direction du Couvent des prêtres catholiques où une prière quotidienne a lieu. De retour de là, il commence des méditations et des cogitations pour trouver l’astuce magique qui lui permettra « d’attraper » un billet de 5.000FCFA pour sa séance de dialyse. Généralement, je viens l’assister devant la boutique du coin que nous avons surnommée « Le parlement ». Une sorte de « Matango Club » où des « rixes » intellectuelles sont organisées pour meubler nos journées caractérisées par l’oisiveté aigue. C’est souvent là que Pat demande l’aumône. Ah ! La vie ! Quand je me rappelle de ce vaillant garçon qui faisait la pluie et le beau temps, qui faisait des caprices aux plus belles nanas de la ville, je ne peux que me remettre à un sort de destin fatidique. Aujourd’hui, Pat est réduit à la mendicité ! A la clochardisation. Aujourd’hui, du haut de sa quarantaine, il ne regrette qu’une seule chose dans sa vie : Ne pas penser plus tôt à avoir un gosse que sa tendre maman lui réclame comme un souvenir, car Pat est un homme qui est prêt de la tombe. « Pire même que le SIDA » : C’est de lui que je tire cette conclusion.  Quand on a une maladie qui vous met dans un état d’incapacité physique, mentale et psychologique, il devient difficile d’imaginer le malade penser à construire sa vie.

Pat est pourtant loin d’avoir perdu espoir malgré tout. Il ne peut compter que sur sa capacité personnelle à mobiliser les ressources de son carnet d’adresses et des personnes de bonnes volontés pour le soutenir dans son traitement, son combat de tous les jours. C’est donc un challenge important pour sa survie. Malgré la rechute due aux manquements constatés par les médecins, il arrive à se maintenir et à assurer le minimum, malgré tout.

La main est donc tendue…

Tchakounte  Kemayou

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Auteur·e

tkcyves

Commentaires

mnenya rita
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Un vrai triste sort !