Crédit: Photos de droits libres composées par Tchakounte Kemayou

Guerre indépendantiste au Cameroun : pourquoi la médiation piétine ?

Un conflit armé oppose les indépendantistes anglophones et le gouvernement camerounais depuis 2017. Après l’échec de la médiation suisse, la médiation canadienne est en pleine contestation. Que se passe-t-il réellement ?

Le Cameroun traverse actuellement plusieurs crises politiques. La plus médiatisée est celle qui oppose la partie anglophone (régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest). Les origines les plus proches de cette crise se situent en 1971, lors de la réunification des deux Cameroun (Cameroun francophone et Cameroun anglophone). Cette crise politique s’est transformée en conflit armé en novembre 2017. Elle oppose les groupes armés anglophones et l’armée camerounaise. Trois tentatives de dialogue ont eu lieu : le grand dialogue national de Yaoundé, la médiation suisse et la médiation canadienne. Pourquoi, malgré tout, le dialogue ou la médiation piétine ?

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Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères dans le cabinet de Justin Trudeau depuis le 26 octobre 2021

Le grand dialogue national de Yaoundé

Dans un discours à la nation en direct de la Crtv le 10 septembre 2019, Paul Biya annonce la tenue d’un Grand Dialogue National. Elle a eu lieu entre le 30 septembre et le 4 octobre 2019 au Palais des congrès de Yaoundé. Ce dialogue est manifestement l’aboutissement de multiples appels et des pressions de l’opinion nationale et internationale. Emmanuel Macron, répondant à un activiste Camerounais au salon de l’agriculture en France le 22 février 2020, l’a d’ailleurs rappelé à juste titre en ces termes :

Je vais appeler la semaine prochaine le président (du Cameroun) Paul Biya et on mettra le maximum de pression pour que la situation cesse. Il y a des violations des droits de l’homme au Cameroun qui sont intolérables, je fais le maximum.

Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture le 22 février 2020

C’est d’ailleurs à la suite de cette sortie que l’opinion a sue que la visite de Paul Biya à Lyon les 9 et 10 octobre 2019 était conditionnée par deux préalables : la tenue d’un dialogue avec les anglophones et la libération de l’opposant Maurice Kamto et ses partisans détenus en prison depuis neuf mois.

Curieusement, parmi les huit commissions créées pour débattre et prendre des résolutions, le Grand dialogue national se déroule « dans le contexte de la constitution » selon les vœux de Paul Biya lui-même. Au final, les débats excluaient définitivement les fédéralistes et les indépendantistes. Les avertissements incessants de quelques leaders comme Felix Agbor Balla sur ce manquement n’y changeront rien. Ce dialogue, évidemment, ne pouvait se solder que par un échec.

Les débuts de la médiation suisse

La presse Camerounaise a appris, à travers un communiqué du Département fédéral des affaires étrangères, que la Suisse a été choisie par les parties pour jouer le rôle de « facilitatrice ». Le communiqué date du 27 juin 2019. Cette initiative existe donc avant le Grand dialogue national initié par Paul Biya et son gouvernement. Sauf que selon certaines sources, ce sont les groupes armés indépendantistes qui ont sollicité l’aide de la Suisse. « La Suisse a été mandatée par une majorité des parties pour faciliter un processus de négociation inclusif », dit le communiqué.

L’objectif de cette médiation ou facilitation est de servir d’ « instrument des bons offices traditionnels de la Suisse ». C’est dans le cadre de recherche des solutions des

Violences persistantes dans les régions du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun, qui touchent particulièrement la population civile. Il œuvre depuis longtemps en faveur d’une résolution pacifique de la crise et du respect des droits de l’homme au Cameroun.

Information DFAE, Suisse le 27 juin 2019

Selon Jeune Afrique, l’échec de la médiation suisse vient du désistement des indépendantistes. C’est plutôt Lucas Ayaba Cho, le leader de l’Ambazonia Governing Council (AGC), qui émettait des réserves à la médiation suisse. Le leader anglophone invite donc la Suisse à clarifier sa position en précisant si elle n’est que « facilitatrice » ou « médiatrice ». Cette ambiguïté de la Suisse ne va pas rassurer les indépendantistes. Ils vont donc commencer à prendre leur distance.

A la surprise générale, les informations selon laquelle le Cameroun aurait désisté à la médiation suisse, circulent dans la presse. Selon Actu Cameroun, Paul Biya aurait décliné la médiation suisse en juillet 2019. Le groupe armé « Ambazonia Coalition Team (ACT) – Team Ambazonia » publie un communiqué pour informer l’opinion que le gouvernement Camerounais a mis fin à sa participation à la médiation. D’autres sources font savoir que l’organisation du Grand dialogue national par Paul Biya est déjà comme un signe de l’échec de cette médiation.

La relance de la médiation suisse

La médiation suisse refait surface un an après, le 22 octobre 2021. Selon Actu Cameroun, le Centre pour le dialogue humanitaire, aussi appelé Humanitarian Dialogue (HD) a rencontré les indépendantistes en Allemagne. Le HD est un organisme désigné par le Département fédéral des affaires étrangères Suisse (DFAE) pour faciliter la médiation du côté des anglophones. Pendant ce temps, le DFAE est chargé de s’occuper de la facilitation avec le gouvernement camerounais.

Cette réunion convoquée par le HD et qui a réuni quelques groupes armés dit « Ambazoniens » avait pour objectif de relancer « l’initiative suisse ». Cho Ayaba Lucas qui avait émis des réserves, a été remis en confiance. Cependant, malgré l’ouverture du leader anglophone, une autre tension demeure. Selon Afrique intelligence, « La Suisse n’est plus médiatrice dans l’ouest anglophone » pour des raisons de mésentente entre les deux factions des gouvernements intérimaires de la République ambazonienne dirigées par Sisiku Ayuk Tabe et Samuel Ikome Sako.

Du côté du gouvernement camerounais, des dissensions sont également observables. Le Secrétaire général de la Présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, favorable à la médiation suisse, est freiné dans son élan par le silence de Paul Biya. Ce silence, disent certaines sources, est marqué par la méfiance du Président de la République entre le DFAE et le SGPR. Cette méfiance est due à la tension observable dans le sérail pour une succession à la tête de l’Etat.

La médiation canadienne à la une

 Le 20 janvier 2023, le Ministère des affaires étrangères du Canada informe l’opinion nationale et internationale de l’existence d’une médiation en cours. C’est Adrien Blanchard, Attaché de presse du Cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui fait cette annonce dans un communiqué. La Ministre Mélanie Joly se réjouit du fait que « les parties au conflit aient accepté d’entamer un processus en vue de parvenir à une résolution globale, pacifique et politique du conflit ». Cette nouvelle est saluée par les journalistes et l’opinion nationale qui ont soif de voir la fin de la guerre.

Que disent les parties impliquées ?

Pour confirmer l’ouverture de cette médiation, les groupes ambazoniens ayant participé aux pourparlers préliminaires, ont signé un communiqué le 21 janvier 2023. Selon ce communiqué, plusieurs groupes ont déjà eu à participer à trois prépourparlers pour préparer les pourparlers préliminaires.

Les groupes ambazoniens ayant participé aux prépourparlers :

  • AGovC dirigé par Lucas Cho Ayaba ;
  • APLM ;
  • SOCADEF ;
  • Interim government IG (gouvernement intérimaire) dirigé par Julius Ayuk Tabe ;
  • IG dirigé par Marianta Njomia ;
  • IG dirigé par Chris Anu ;
  • IG dirigé par Samuel Sako Ikome ;
  • l’équipe de la coalition Ambazonia (ACT).

Parmi ces groupes, les quatre suivants ont été désignés comme représentants, ont accepté et y ont participé et signé le communiqué final:

  • AGovC/ADF (Lucas Cho Ayaba) ;
  • African People’s Liberation Mouvement APLM/SOCADEF (Ebenezer E. Akwanga) ;
  • Interim Governement (Dabney Yerima) ;
  • l’Ambazonia Coalition Team ACT (Emmanuel J. Taylor).

Chaque groupe a désigné deux membres comme délégués pour les représenter lors de chaque réunion. On apprend également que trois prépourparlers ont été organisés au Canada d’octobre à décembre 2022 avec le gouvernement du Canada comme facilitateur :

  • Montebello du 10 au 14 octobre 2022 ;
  • Mont Tremblant du 7 au 9 novembre 2022 ;
  • Toronto du 15 au 17 décembre 2022.

Quant au gouvernement camerounais, il n’a réagi que trois jours après, le 23 janvier 2023. Cette réaction de René Emmanuel Sadi, porte-parole du gouvernement camerounais, n’intervient d’ailleurs qu’après l’effervescence des remous au sein de l’opinion nationale. Après l’échec du Grand dialogue nation et de la médiation suisse, le Canada vient-il sauver la face ?

Curieusement, le gouvernement camerounais, à travers René Sadi, nie la connaissance d’une quelconque médiation, encore moins canadienne. Pourquoi le gouvernement camerounais nie-t-il cette médiation ? Le Canada a-t-il menti ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans un autre billet.  

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Auteur·e

tkcyves

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