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Les activités commerciales des enfants en période de vacances à Douala

L’année 2020 est particulière. La crise sanitaire avec la Covid-19 a secoué plusieurs domaines et l’éducation en a subi l’un des plus grands coups. Depuis le 17 mars 2020 que le gouvernement camerounais a pris des mesures de restriction, les écoles subissent les frais de la fermeture. Après la reprise des cours le 1er juin pour les classes d’examen, les autres élèves connaissent le bonheur de vacances prématurées. Les vacances de cette année se révèlent être les plus fastes mais ô combien les plus pénibles aussi. La rentrée scolaire étant programmée au 1er octobre 2020, les enfants se retrouvent en train de purger de longues vacances de 7 mois au lieu de 3 comme ils en avaient d’habitude. Que font-ils durant tout ce temps ? Evidemment, ils ne sont pas oisifs. Vous pouvez bien vous en douter, même si les jeux font partie de leur quotidien, il faut aussi compter avec le travail pour meubler leur temps. Ils mènent, comme les adultes, les activités lucratives. Leurs domaines privilégiés, c’est bien le petit commerce de la rue.

Nous sommes allés les rencontrer pour savoir un peu plus d’eux.

Douala 5ème (N’oublions pas que les autres villes du Cameroun vivent les mêmes réalités du commerce de la rue) dans les marchés de Bonamoussadi, YongYong, Logpom, dans les rues, les quartiers populaires de Bépanda et les quartiers résidentiels de Bonamoussadi, Kotto, Maképè, ils sont nombreux à proposer des produits de petites quincailleries, des fruits, friandises et consorts. Ils marchent, crient à tue-tête « Foléré bien glacé« , « Ananas bien sucré« , « Arachides du village » à qui veut les entendre. Oui, vous avez bien lu, leur particularité c’est la marche. Ils sont donc mobiles, vont de quartiers en quartiers, rue après rue, de banlieues en banlieues, à la recherche de la clientèle.

Du retour à la maison, après une journée rude bien remplie, à peine reposés, ces enfants sont prêts pour repartir. Curieusement, les mêmes ou encore quelques-uns, du moins pour ceux qui le peuvent encore, ressortent à la conquête de la clientèle noctambule. Toujours présents, mais surtout prêts à remonter les bretelles aux importunés. Oui, même la nuit, ils savent se défendre. Être en groupe de deux ou trois est leur arme, même si ce n’est pas toujours efficace.

Mais, l’image qu’on retient et qu’on garde de ces enfants est très réductrice. Elle est généralement basée sur préjugées et de fausses illusions sur ce qu’ils sont. Les enfants délinquants, c’est toujours ce qui les colle à la peau. Beaucoup, dans l’opinion, pensent que ces enfants n’ont même pas de parents, pire encore, disent que ces parents sont irresponsables. Cette image s’estompe peu à peu avec le temps. Mais l’opinion la plus partagée reste inflexibles sur l’état de pauvreté de la famille de ces enfants. Ce qui est pourtant le cas pour la majorité des adultes parents. D’ailleurs, beaucoup de littératures scientifiques sur la question confirment l’hypothèse selon laquelle la pauvreté et le travail des enfants sont étroitement liés. D’autres encore parlent même de lien indirect d’autant plus que derrière la pauvreté se cachent des détails importants comme la mauvaise qualité de l’éducation qui ne prend pas en compte les réalités environnementales et contemporaines. Une éducation non adaptée est bien l’une des causes de la déperdition scolaire qui pousse ainsi les enfants dans le monde du travail.

Cette image négative renvoyée aux travail des enfants est répandue par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) dans ses discours dans une perspective abolitionniste. C’est un discours calqué sur le modèle de répression où le travail effectué par les enfants est vu comme une activité répréhensible. Pourtant, cette organisation, sans oublier ses partenaires, comme UNESCO ou UNICEF ont bien dans leur escarcelle les Conventions où le droit à la liberté de choix des enfants est déjà considéré comme un acquis. Il ne s’agit pas d’une faveur voire d’un simple droit, mais de l’esprit de la loi calqué sur la réalité socioéconomique de cette activité commerciale où les enfants font déjà preuve d’une certaine maturité.

Précautions méthodologique

Pour le démontrer, nous sommes allé rencontrer 320 enfants dans la rue. Nous les avons posé une série de 10 questions que nous avons synthétisé en quelques graphiques. Elles sont principalement orientées sur ces activités commerciales effectuées par les enfants en ce qui concerne leur mode de fonctionnement. Voici les 10 questions posées à chaque enfants rencontrés :

  1. Quel âge as-tu ? (Le sexe est constaté par l’enquêteur, sinon, il lui demande en cas de doute)
  2. Quelle classe fais-tu ?
  3. Que vends-tu régulièrement ? (Etant entendu que certains enfants peuvent vendre différent produit selon des cas. Par exemple, s’il se rend compte que les arachides ne passent pas bien le marché, il peut décider de changer ou de varier selon le marché)
  4. Qui a initié le projet ?
  5. Qui a financé le projet ?
  6. Qui gère le fonds de commerce ?
  7. Qui est chargé de gérer l’épargne ?
  8. Qui décide du décaissement ?
  9. Quel est ton péché mignon ?
  10. Quel est le projet que tu aimerais réaliser ?

Notre objectif est de montrer leur capacité d’autonomie dans la gestion d’un petit commerce. Comment construisent-ils cette autonomie à travers leurs activités économiques dans un contexte où même les adultes n’arrivent pas à trouver des revenus suffisants pour leur ménage ?

Sur un territoire couvrant Douala 5ème, à travers un échantillon au hasard, les enfants ont été choisis au gré des rencontres. Cela signifie que l’interrogation a été adressée au premier venu à chaque croisement d’enfant dans la rue. L’âge ici n’a pas été considéré selon la loi n°1992-07 du 14 août 1992 portant Code du travail où il est stipulé que l’accès au travail est légal à partir de 14 ans au Cameroun. Ce sont les élèves du primaire et du secondaire qui étaient la cible principale.

Il faut rappeler ici que selon la Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, signée et ratifié le 27 octobre 1990 et le 11 janvier 1993 respectivement par le parlement Camerounais, « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Au total 320 enfants ont été interrogés du 20 au 30 avril 2020 dans la période du confinement des élèves qui ont repris le chemin de l’école le 1er juin pour ceux qui sont en classe d’examen. Le ministère des affaires sociales (MINAS) évalue à 1000 enfants faisant le commerce de la rue. Ici, il ne s’agit pas d’élèves, mais de ceux qui vivent de ce commerce et en ont fait un métier (Cf : MINAS, « Projet de lutte contre le phénomène des enfants de la rue et de la délinquance juvénile au Cameroun », Yaoundé, août 2007, p.83).

Les caractéristiques sociobiologiques des enfants

Les caractéristiques socio-biologiques ou socio-démographiques concernent les éléments de distinction des enfants à partir des données biologiques ou physiologiques comme l’âge, le sexe et le niveau d’étude. Ce sont les trois principales données qui nous intéresse pour la circonstance. L’importance de ces types de caractéristiques n’est plus à démontrer dans une enquête sociologique relative à la connaissance des comportements.

Source : Moi-même

La tendance révèle donc la prédominance des garons sur les filles dans la répartition selon le sexe, et la prédominance des aînés sur les cadets dans la répartition selon l’âge. L’histogramme, comme vous pouvez le voir vous-même, est montante. En conclusion, c’est une progression normale d’autant plus que la règle voudrait que la priorité soit donnée aux enfants plus âgés dans le cadre du travail. Par contre, cette tendance est bien plus particulière dans certaines contrées, comme le Tchad par exemple. La tendance du digramme est croissante pour ce qui concerne . Par contre, en termes d’effectif, les garçons sont plus nombreux que les filles pour la simple raison que le commerce ambulant n’est pas leur spécialité. Quelle est la tendance selon leur niveau d’étude ?

Source : Moi-même

En observant bien l’histogramme, on remarque sans doute qu’il est également montant si l’on part du principe de la croissance en commençant par le « Primaire ». Cette tendance n’est d’ailleurs pas surprenante si l’on se réfère à celle de l’âge du graphique plus haut. On va donc conclure que : les enfants qui font le commerce ambulant sont en majorité les garçons plus âgés et ayant le niveau secondaire. Curieusement, ça va de soi.

Les caractéristiques sociobiologiques des enfants ainsi établies, il ne nous reste qu’à savoir les types de commerce exercé par ces enfants. Il n’y a pas de nomenclatures construites à partir des types d’activités. La répartition est faite selon un ordre aléatoire. Nous avons donc l’histogramme suivant :

Source : Moi-même

La répartition selon les types de commerce montre la prédominance de la vente du pain chargé (œuf, sardine, viande, etc.). Curieusement, c’est une activité dominée par les filles qui surpassent les garçons à presque le double de leur effectif alors que le commerce ambulant est leur spécialité. Pourquoi ce type de commerce est-il dominant ? La vente de l’œuf accompagné du piment est généralement très sollicitée des noctambules et buveurs de bière qui ont toujours besoin d’un aliment bien pimenté. Il semblerait que le piment possède cette vertu de calmer la violence de l’alcool.

Les enfants qui s’adonnent à ce type de commerce ont cette capacité de résister jusqu’aux heures tardives de la nuit. Pourquoi les filles sont-elles les plus nombreuses ici ? Cela signifierait-il qu’elles sont réputées être plus résistantes que les garçons en travaillant en même temps dans la journée et dans la soirée ? Pas nécessairement si l’on tient compte du fait que les filles commencent généralement dans l’après-midi aux alentours de 17h parce qu’elles font le ménage et la cuisine à la maison dans la journée, se reposent avant de prendre le relais dans la soirée, tandis que les garçons achèvent leur journée de travail. Il faut préciser ici que ce n’est pas toujours le cas, mais c’est une tendance générale. La journée de travail dans la soirée s’achève autour de 20h à 21h pour respecter les consignes parentales.

Les enfants ont toujours donné l’impression d’être stigmatisés par leurs familles. Le travail qu’ils exercent est toujours vu comme appartenant aux enfants qui ont échappé au contrôle de leurs parents. Les confusions sont fréquentes sur la distinction entre les enfants dans la rue et les enfants de la rue. Même si la distinction est déjà perceptible chez certains, beaucoup continuent de faire ce mélange de genre par inattention, parfois par paresse intellectuelle. Considéré l’enfant comme une personne qui peut penser par lui-même n’a jamais été aussi simple qu’évident. Même s’ils sont encore limités dans la gestion de leurs activités commerciales, ils ne sont pas loin, pour la plupart d’entre les aînés sociaux, qui pense qu’ils sont capables de tenir la barre haute en résistant ne serait-ce qu’aux marches et au soleil accablant.

Les enfants et leurs capacité d’autonomie

Comme nous l’avons mentionné bien au début de ce billet, les enfants ne sont jamais pris au sérieux même lorsqu’ils exercent une activité qui exige beaucoup de rigueur. Ils sont généralement considérés comme des colis encombrant pendant les vacances et il serait mieux de les occuper faute de leur offrir des vacances douillettes. Au lieu de rester à la maison et passer le temps à jouer inutilement avec ses copains de quartier, il est devenu une habitude de les occuper. Ils se retrouvent dans la rue pour faire le petit commerce. Il s’en donne à cœur joie et ne laisse pas l’impression d’être opprimés même si c’est souvent le cas.

La particularité du petit commerce est qu’il n’est pas trop exigeant : pas d’espace ou de boutique pour la vente, capital réduit à sa portion congrue, absence de paiement au fisc, etc. quoi de mieux que de faire le tour des quartiers de la ville pour écouler sa marchandise en se baladant accompagnés parfois de ses frères, copains, voisins ?

Nous abordons à présent la partie charnière de notre enquête. Il s’agit maintenant de démonter la fausse illusion que l’opinion, et même des institutions publiques se font de l’entrant travailleur. Contrairement à ce qu’on pense, ce sont des individus rationnels (acteurs rationnels). C’est-à-dire qu’ils ne font pas le commerce pour plaire à leurs parents ou tuteurs. Ce sont des acteurs engagés qui sont motivés par l’envie de réussir.  

Source : Moi-même

Il ne faut pas se perdre d’illusion. Les enfants ont toujours tendance à dire qu’ils sont eux-mêmes initiateurs du projet, c’est-à-dire la décision de faire le commerce vient d’eux et non des parents. Les enfants savent que « le travail des enfants » est interdit, ou à tout le moins stigmatisant. A la vue d’un enquêteur, il est facile de fournir une réponse qui n’indexe pas leurs parents pour les « protéger » et en affirmant que c’est eux qui ont décidé de se lancer dans le commerce.

Source : Moi-même

Il suffit d’aller plus dans le questionnement en lui demandant par exemple « comment as-tu fait pour avoir ton capital ? ». Ainsi, sur plus de 67% d’enfant qui ont initié le projet, il ne sont que 29% qui ont financé eux-mêmes leurs activités en puisant dans leurs propres économies. On peut bien comprendre que même si c’est celui qui envoie l’enfant faire le commerce qui doit financer, il n’en demeure pas moins vrai que celui qui finance peut bien être motivé par l’enfant.

Si par contre, c’est l’enfant qui finance, d’où et comment a-t-il eu cet argent ? D’où proviennent ses économies ? Ses économies proviennent soit d’une autre activité antérieure où il était rémunéré par un employeur, soit d’une activité qui n’avait pas besoin de capital, comme le « porteur » au marché Mboppi, le plus célèbre marché de vente en gros au Cameroun. Il ne faut pas cependant perdre de vue que certains enfants sont capables de se constituer une petite épargne grâce à leur argent de poche. Pour un commerce d’arachides bouillies par exemple, un capital de 1000 à 5000FCFA suffit.

Source : Moi-même

La gestion du fonds de commerce, la comptabilité journalière, les ventes, les bénéfices, etc. sont généralement un domaine réservé. L’enfant tient le gouvernail, mais pas de bout en bout. Il se fait aider. Par qui ? Certainement par les aînés sociaux, ses parents ou tuteurs. Evidemment, on peut dire ici que si l’enfant est considéré comme l’actionnaire unique, il est de toute évidence qu’il soit également le seul gestionnaire. Il est seul responsable de ce qui adviendra. A-t-il des comptes à rendre ? Cette question a révélé une toute autre réalité. Même s’il est le principal actionnaire, et le seul gestionnaire, il est limité par un obstacle. Lequel ?

Source : Moi-même

La gestion de l’épargne est ici définie comme le mode de « conservation » des bénéfices du travail de la journée. La gestion financière ici est apparentée à une chaîne qui a, à son bout, un contrôle qui lui échappe. L’enfant qui a investi, et au cours d’une journée de travail, a engrangé des bénéfices, se retrouve finalement en train de solliciter une tierce personne pour l’aider à « stocker » ses bénéfices. La problématique d’accès au marché financier par la population pauvre se pose ici avec acuité. Comment est-il possible aux enfants d’y avoir un accès alors que même les parents en sont exclus ? Si la Mère/Tutrice (70%) rafle la vedette de « contrôleur des bénéfices » de l’enfant, où met-elle cet argent alors qu’elle n’a pas accès aux marchés financiers ? Elle place ces bénéfices dans une tontine.

Source : Moi-même

Un autre détail qui ne manque pas d’intérêt est celui qui prend la décision en premier de « toucher » à l’épargne. Evidemment, cela paraît surprenant que la décision viendrait de l’enfant dans un contexte dominé par des urgences comme la rentrée scolaire, la santé et autres comme les repas quotidiens. Mais, il n’en est rien même si c’est justement et encore la Mère/Tutrice qui est toujours à la manette dans les 52% des cas. Il ne faut cependant pas oublier que l’enfant peut avoir des besoins personnels. Et les parents sont toujours tentés de céder à ces caprices d’enfants. Il s’agit généralement des besoins immédiats. Les réponses ont été aussi sans surprise. Les chiffres nous en disent long.

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Le péché pignon de ces enfants, comme on pouvait s’en douter, est évidemment l’achat des vêtements et jouets. Etre à la mode, être bien dans sa peau, se vanter auprès de ses copains et copines, telles sont les fantasmes les plus vifs et les plus marqués. Il ne s’agit pas de vêtements comme éléments de première nécessité qu’on aurait offert à un orphelinat. Il s’agit bien du luxe, vêtements et jouets, de ces plaisirs qu’ils aimeraient s’offrir. Ce sont des plaisirs que les parents ne se donneront jamais la peine de leur offrir.

Il serait injuste de s’arrêter là pour conclure. Les enfants ont bien plus que besoin du luxe pour s’épanouir. Ils ne rêvent pas seulement de beaux vêtements, de jolis baskets et de Playstations. Ils sont aussi habités par des rêves et des projets pour leur avenir.

Source : Moi-même

Il est plus que surprenant de constater que les enfants ont des projets d’avenir à travers leur épargne. Leurs réponses à cette question a semblé un peu intrigante. Oui, ils ont des projets, ils sont ambitieux, ils savent pertinemment qu’ils ont leur avenir devant eux et qu’il faut le sauvegarder. C’est justement la raison pour laquelle ils misent pour une formation professionnelle (62%) à acquérir. Nous disions tantôt plus haut être intrigué. Il s’agit justement de cette réponse qui donne à réfléchir. Ici, la qualité de l’école est questionnée. La non satisfaction des contenus scolaires qu’ils reçoivent est en cause. Ils sont conscients du fait que cette école n’est plus adaptée à leurs besoins de réussir, de conquête du monde, dans cet environnement qu’ils côtoient tous les jours.

Ne peut-on pas initié des programmes politiques et législatifs dans le sens de donner la chance à ces enfants à travers la création des centres spécialisés dans les communes ? C’est une problématique qui constitue un enjeux socio-économique important.

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Auteur·e

tkcyves

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