Crédit: Guy Laurent Kouam

Fraudes et défis des inscriptions sur les listes électorales au Cameroun

Comment contourner les fraudes électorales pendant les inscriptions sur les listes électorales ? C’est la principale question à laquelle toutes les forces alternatives se posent. La veille des échéances électorales de 2025 est une occasion de préparation et de stratégies. Pendant que le pouvoir est à la recherche du maintien, l’opposition s’organise pour une nouvelle république.

Inscriptions sur les listes électorales : enjeux et défis politiques

L’année 2025 sera celle de tous les enjeux politiques pour trois raisons au moins :

  • La première est tout à fait évidente : Paul Biya, à 42 ans de pouvoir en novembre 2024 et à 92 ans sonnés en février 2025, présente depuis longtemps des signes de fatigue. Le plus vieux président au monde n’est pas encore visiblement prêt à « aller se reposer au village ».
  • La deuxième raison est le fait que des voies alternatives qui se manifestent ne trouvent pas un terrain fertile pour leur déploiement. L’obstruction, attribuée aux pontes du régime de Yaoundé, laisse présager les lendemains trop compliqués.
  • Et la troisième est celle de la prise de conscience et de l’engagement citoyen dans le processus électoral. Cet engagement se manifeste par le fait que la population, considérée comme amorphe en pareille circonstance, s’est mobilisée. Cette mobilisation est visible à travers leur participation aux opérations postélectorales comme les inscriptions sur les listes électorales.
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Séance d’inscription sur les listes électorales à Mokolo dans l’Extreme-Nord

Le système électoral, depuis le retour du multipartisme en décembre 1990, n’a jamais été consensuel. Le pouvoir a toujours surfé sur sa majorité dans le parlement pour mettre au pas toute la classe politique camerounaise. Ce n’est donc plus une surprise d’assister à des contentieux électoraux à chaque fin du processus électoral. Ces contentieux ont toujours pour griefs les fraudes électorales. Celles-ci commencent toujours en amont. Dans le jargon juridique, cela s’appelle « fraudes préélectorales ». C’est justement pendant les inscriptions les listes électorales que ces fraudes ont lieu. Comment se manifestent-elles concrètement ?

Comment définir la fraude électorale dans la construction des listes électorales ?

Les fraudes électorales en amont appelées fraudes préélectorales commencent généralement par l’établissement et la conception des listes électorales. L’inscription sur les listes électorales est un processus capital dans les opérations électorales. Selon la loi du 19 avril 2012, modifiée et complétée par celle du 21 décembre 2012, l’organisation des élections comprend trois étapes : les opérations préélectorales, électorales et postélectorales. C’est l’inscription sur la liste électorale qui constitue la première étape du processus appelée « opérations préparatoires » (article 50). C’est généralement à partir d’ici que la fraude électorale commence.

La fraude sur les listes électorales consiste à biaiser les chiffres sur le nombre de personnes inscrites. L’inscription sur les listes électorales constitue donc une étape charnière du processus. C’est la raison pour laquelle les leaders des partis politiques de l’opposition et les ONG, ont choisi d’y mettre un accent particulier. En 2018, Cabral Libii, avec son mouvement « 11 Millions de Citoyens » en avait fait son cheval de bataille. Pour 2025, en restant dans la mouvance, un autre leader, Maurice Kamto, a pris les devants avec son parti « Mouvement pour la Renaissance du Cameroun » (MRC).

Inscriptions électorales : fraudes sur le nombre d’inscrits

Deux listes électorales différentes pour un même corps électoral. Comment comprendre cette différence qui viole la loi où une seule liste électorale doit être en vigueur ?

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Séance d’inscription sur les listes électorales au lieux dit Carrefour des sœurs Simbock à Yaoundé 6

Confusions des listes électorales ?

La fraude sur le nombre de personnes inscrites sur le fichier des élections au Cameroun est difficile à démontrer. Prouver à l’opinion que Elecam, chargé de l’organisation des élections au Cameroun, a falsifié les chiffres sur le nombre de personnes inscrites n’est pas du tout aisé. Aucun parti politique, même étant membre de la Commission de révision des listes électorales, selon l’article 52 du Code Electoral, n’a pas accès au fichier électoral. Comment démontrer que Elecam ne communique pas les vrais chiffres ?

Dans une communication à la presse, Maurice Kamto tance vertement Elecam de manipuler les chiffres sur le nombre de personnes inscrites. Il se base, au premier jet, sur un détail important. Lors des élections couplées (législatives et municipales) qui ont eu lieu le même jour, le 9 février 2020, le corps électoral était différent. Autrement dit, pour des élections qui se déroulent le même jour avec les mêmes électeurs, Elecam a présenté deux listes différentes pour les législatives et les municipales.

Par exemple, aux législatives, il y avait 6.900.928 inscrits, alors qu’aux municipales c’était 7.116.314 inscrits. Le corps électoral étant le même, il devient difficile de comprendre la différence entre les deux listes ?

La fraude est-elle découverte ?

Plus récemment, Elecam a tenu la première session ordinaire trimestrielle de son premier conseil en mars 2024. Ce jour, le nombre d’électeurs nouvellement inscrits se chiffrait à 144.817. La colère du président national du MRC vient du fait que c’est un chiffre qui, selon lui, ne reflète pas la réalité. C’est un chiffre en deçà de la capacité de mobilisation des Camerounais. La direction générale d’Elecam se défend en arquant que les électeurs sont lents à la mobilisation.

C’est la raison pour laquelle le parti a opté pour l’intensification des inscriptions sur la liste électorale. En concertation avec le parti, une collaboration est conclue avec les chefs d’antennes communaux. Cette intensification se manifeste par des campagnes de mobilisation des populations. Dans chaque commune, des équipes d’agents d’Elecam munies d’un kit d’équipements informatique descendent sur le terrain. Généralement, elles sont réquisitionnées par quelques partis politiques et ONG. Ainsi, les agents d‘Elecam, accompagnés quelques bénévoles, sont appelés à se rendre dans les quartiers pour motiver les électeurs.

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Séance d’inscription sur les listes électorales au lieux dit borne-fontaine Emana en face NEZAFI ç Yaoundé 1

Après la deuxième session trimestrielle tenue en juin, le nombre d’inscrit du corps électoral est passé à 7.823.434. Pour le troisième trimestre 2024, le MRC mobilisé sur le terrain fixe l’objectif à 8 millions. En attendant donc la tenue de la troisième session du conseil électoral, les inscriptions seront bouclées le 31 août 2024 pour cette année. Elles reprendront le 2 janvier 2025.

Quels sont les moyens de contrôle de la fiabilité des nouvelles inscriptions ?

Comme je l’ai dit plus haut, il est impossible aux leaders de partis politiques ni de la société civile d’avoir accès au fichier électoral. L’objectif de cette action serait de vérifier sa fiabilité. Cependant, quelques acteurs ont réfléchi sur la stratégie de contrôle. Les responsables du MRC sont formels. Elecam fait disparaître les noms dans le fichier électoral depuis sa refonte en 2012. Il faut alors trouver un moyen de le prouver. Une stratégie a été pensée et est en train d’être implémentée.

Les équipes de membres volontaires mobilisées sur le terrain ont été mises à l’œuvre. Chaque électeur qui s’inscrit est également enregistré dans un fichier manuel tenu par le MRC. Son identité est entièrement conservée : nom et prénom complets, centre de vote dans la commune. Ce fichier manuel est conservé pour vérifier la présence de ces électeurs dans la liste électorale le moment venu. L’accompagnement des agents d’Elecam par les partis politiques et la société civile sur le terrain des inscriptions n’est pas nouveau. C’est plutôt cette action de contrôle qui est une innovation.

Avec un potentiel de plus de 12 millions d’électeurs pour une estimation de 30 millions d’habitants, il est incompréhensible que le Cameroun stagne à moins de 7 millions depuis plus d’une décennie. Cette situation reste préoccupante. Pour beaucoup, elle serait le nœud gordien du siège de la fraude électorale si elle n’est pas résolue. Malheureusement, toutes stratégies de modification du code électoral pour l’arrimer aux nouvelles exigences n’ont été que des échecs.

Rendez-vous en janvier 2025 pour la suite.

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Auteur·e

tkcyves

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