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Cameroun : pourquoi les Francophones ont-ils peur du fédéralisme ?

Le fédéralisme, bien qu’étant un vieux débat qui date de 1961, revient en force aujourd’hui. Au fait, de quoi s’agit-il? Des revendications des avocats, puis des enseignants, corporatistes au départ, donnent aujourd’hui des allures de revendications politiques. Ces revendications ont pour point de mire la modification de la forme de l’Etat pour passer de la « République du Cameroun » à la « République Fédérale ». C’est donc une sorte de révolution que les constitutionnalistes appellerait l’avènement de la deuxième république. Pourquoi ce vieux débat à l’ordre du jour à la conférence de Foumban en 1961 et qui a connu la signature d’un accord instituant le fédéralisme (annulé par référendum en 1972) revient sur la scène publique depuis octobre 2016? Pourquoi le réveil du vieux démon fait-il peur aux Francophones?

Wirba porté en triomphe. Le fédéralisme en action
L’honorable Joseph Wirba, député SDF porté en triomphe après un meeting dans un marché à Bamenda pour expliquer le bien fondé du fédéralisme

Parce que le fédéralisme de 1961 représente une phobie de l’histoire basée sur une division linguistique étrangère

Il faut d’ailleurs rappeler qu’à l’indépendance, le Cameroun Francophone était désigné « République du Cameroun ». Cette appellation a été abandonnée après la conférence de Foumban du 17 au 21 juillet 1961 où les deux Cameroun (Francophone et Anglophone) ont décidé de se réunir : c’est la réunification qui a accouché la fédération à deux Etats fédérés (Cameroun occidental chez les Anglophones et Cameroun oriental chez les Francophones). C’est la « République Fédérale du Cameroun ». Cette fédération a été dissoute le 20 mai 1972 à la suite d’un plébiscite. D’où le changement du statut de « République Fédérale du Cameroun » à « République Unie du Cameroun ». En 1984, la « République Unis du Cameroun » devient « République du Cameroun » par une adoption à travers le vote des député à l’assemblée nationale composée uniquement du parti unique au pouvoir. Ainsi, cette marginalisation vécue par les Anglophones est décriée depuis le plébiscite de 1972 considéré comme la manigance d’un complot des Francophones conduits par le feu président Ahidjo contre les Anglophones. De quoi parle de la thèse du complot?

Aujourd’hui, la thèse du complot consiste à dire que les différents changement du statut de l’Etat du Cameroun n’était pas le fruit d’une volonté populaire. Du président Ahidjo à Biya, chacun a été mû par cette volonté de consolidation du pouvoir central. La fédération n’était plus au goût d’un système dictatorial secoué par des nationalistes qui donnaient des sueurs froides au régime. La centralisation du pouvoir politique devient nécessaire pour assurer le contrôle du système. D’où le fondement même du système jacobin à l’image de la colonie. C’est la raison pour laquelle les constitutionnalistes qualifient le système camerounais de présidentialisme absolu. Le président de la république est l’Alpha et l’Oméga, le maître à jouer. Le prétexte pris par le pouvoir de Yaoundé se trouve dans le fameux slogan devenu le leitmotiv : « Etat unitaire » donc la célébration a lieu tous les 20 mai, jour du référendum qui a connu la victoire du « Oui » pour la suppression du fédéralisme.

Seul la « République Fédérale du Cameroun » peut être considérée comme légitime pour la simple raison qu’elle a été impulsée à la suite du premier plébiscite de l’histoire du Cameroun qui a eu lieu les 11 et 12 février 1961. Ces jours-là, une partie de la population Anglophone du Norderns Cameroon décide de se rallier au Nigéria, contrairement au Southerns Cameroon qui opte pour un ralliement avec la République du Cameroun indépendante depuis le 1er janvier 1960 et dirigée par Amadou Ahidjo. Donc, la conférence de Foumban de juillet 1961 qui a vu la naissance d’un Etat fédéral n’était pas un fait de hasard. C’était le fruit d’un consensus à la suite d’un référendum dont la victoire du « Oui » pour la réunification avec la « République du Cameroun » témoigne de la volonté des Anglophones de se rallier avec les Francophones. Donc, ce retour au fédéralisme sous le modèle de la constitution de 1961 avec deux Etats fédérés sous la base linguistique (un Etat pour las Anglophones et un autre Etat pour les Francophones) ne semble pas être du goût des détracteurs du fédéralisme que sont les Francophones. Ceux-ci estiment que Ahidjo et Foncha qui conduisaient les délégations respectives des Francophones et des Anglophones n’étaient pas crédibles. Avec ces deux griefs de la langues et de la crédibilité des leaders, les conclusions de la conférence de Foumban qui a abouti à la constitution de 1961 étaient non fondées parce que conçues sur des bases biaisées. Il a fallu attendre 1990 pour voir émerger un parti politique qui met la question du fédéralisme sur la table.

Parce que, des revendications corporatistes, on est passé aux revendications politiques sous l’impulsion du SDF considéré à tort ou à raison comme le seul leader de l’opposition

Le Cameroun, et plus précisément les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, regroupant une population parlant anglais, connait de vives perturbations. Tout a commencé le 11 octobre 2016 à Bamenda, chef-lieu de la région du Nord-Ouest, où les avocats on décidé de descendre dans la rue. Les avocats d’origine de ces deux régions revendiquent, entre autre, la version anglaise des textes suivants : les Actes uniformes de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), du Code CIMA (Conférence Internationale des Marchés d’Assurance) et de la réglementation de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). Les enseignants, à leur tour, ont commencé la grève le 11 novembre à la suite des préavis . Leurs revendications corporatistes portent sur, entre autre : l’uniformisation de la loi sur l’orientation scolaire de 1998, l’application des décisions consensuelles adoptées en 2012, la convocation d’un forum national de l’éducation prévu par le cahier de charge arrêté d’accord partie en 2014, etc.

Ces revendications, qui datent de bien longtemps, témoignent de ce que la grève qui est déclenchée jusque-là, est l’aboutissement d’un statu-quo des autorités compétentes pour répondre à la résolution des problèmes du secteur concerné. En fin de compte, ces revendications, qui sont pour la plupart spécifiques aux deux régions d’expression anglophone, entraînent aujourd’hui non seulement la colères des avocats et des enseignants, mais surtout celle de toute une population qui a fini par penser qu’elle est considéré comme des parias de la bourgeoisie régnante de Yaoundé. C’est donc la résultante d’un malaise que cette catégorie de population dite Anglophone appelle « marginalisation ». Ce passage des revendications corporatistes aux revendications politiques ressemble, pour ainsi dire, à un coup monté, selon les autorités. Il n’en demeure pas moins vrai que le politique s’est saisi de l’affaire pour en faire un caillou dans la chaussure du pouvoir avec à la clé une immixtion du Social Democratic Front (SDF). C’est le 28 novembre 2016 que le SDF, principal parti de l’opposition avec son siège à Bamenda est entré dans la danse. Le discours de son président John Fru Ndi devant une foule de militants et sympathisants marque le début d’un long processus de négociation avec comme point d’achoppement le fédéralisme qui est formulé dans le programme politique du SDF. Ce glissement facile vers le politique donne la sueur froide surtout aux autres partis politiques dirigés par les Francophones. Ceux-ci ne voient pas d’un bon œil la nouvelle percée du SDF, parti politique d’origine Anglophone, spécialisé, avant, dans le radicalisme et que les détracteurs taxent aujourd’hui son président d’ami intime de Paul Biya.

Parce que les autorités, en majorité Francophones, sont moulées au système jacobin et réfractaires à la décentralisation, gage de l’autonomie des communautés

La crise socio-politique dans ces deux régions qui connaissent depuis le 11 octobre une instabilité, s’apparente, malheureusement aujourd’hui, à une guerre froide entre les deux communautés linguistiques, Francophones et Anglophones. C’est un conflit dont les enjeux, basés sur la forme de l’Etat Camerounais, sont, pour ainsi dire, une suite logique de l’éducation héritée de la colonisation. Ainsi, le Cameroun oriental (Francophone) sous la tutelle de la France, a été calqué et moulé sur le système éducatif français comme l’est le Cameroun occidental (Anglophone) sous le système éducatif anglais. D’où la tendance des Camerounais Francophones au système jacobin. Tandis que que les Camerounais Anglophone ne s’accommodent pas d’un système de centralisation du pouvoir politique à outrance contraire à une autonomie des communautés distinctes. D’où leur aversion au jacobinisme. C’est tout le contraire du fédéralisme connu dans presque tous les pays d’expression anglaise dans le monde ont où la garantie d’une autonomie de gestions des ressources locales est considérée comme une tradition.

La centralisation du pouvoir appelée pompeusement « Etat unitaire » adopté en 1972 comme si l’union faisait problème au Cameroun, a commencé à faire des émules à partir de 1990, années marquées par des mouvements populaires de revendication pour plus de liberté. Les « villes mortes » qui ont suivi mettent le pouvoir de Yaoundé en position de faiblesse face à la poussée du vent de l’Est. Après avoir refusé une « conférence nationale souveraine » exigée par les partis politiques de l’opposition, Paul Biya cède enfin à l’organisation d’une « conférence tripartite » réunissant à la fois le parti au pourvoir (RDPC), les partis d’opposition et la société civile. Ainsi, du 30 octobre au 15 novembre 1991 au palais des congrès de Yaoundé, une résolution avait été prise visant à amender la constitution qui a été adoptée en 1996. celle-ci, en vigueur actuellement, prévoit, heureusement, la mise en place de la décentralisation. Malheureusement, pourtant, après l’adoption de cette constitution le 18 janvier 1996, 21 ans après, cette décentralisation n’est pas encore effective.

L’argument avancé par les autorités pour justifier le retard du processus de décentralisation est qu’il est très long. Que faut-il de spécial pour mettre en place une décentralisation qui date de 1996? 21 c’est un peu trop long et suffisant pour démontrer la mauvaise foi du pouvoir. Celle-ci découle du fait que les pontes du pouvoir, en majorité Francophones, ont peur de se départir d’une partie de leur pouvoir administratifs et financiers au profit des communautés locales de gestion. Ce qui a pour conséquence une décongestion des pouvoirs à Yaoundé vers les régions. Ce qui va permettre la suppression de la corruptions et des enchères, socles du pouvoir dictatorial.

Cet argument est loin d’arranger les partis politiques Francophones qui ont opté pour la décentralisation. Ils continuent de croire à une manœuvre pour contourner cette disposition constitutionnelle. Pour les Francophones, c’est le non respect des deux clauses principales de la tripartite, à savoir la limitation du mandat à deux ans dont le verrou a été levé en 2008 d’une part et d’autre part et de la décentralisation qui a entraîné les mouvements populaires qu’a connu le Cameroun : celui de février 2008 qualifié d’émeute de la faim et celui que connaissent les régions Anglophones aujourd’hui.

Parce que le fédéralisme représente la dictature de la minorité Anglophone sur la majorité Francophone

Le fédéralisme est aujourd’hui présenté comme la solution idoine à la crise socio-politique qui perdure déjà depuis plusieurs semaines dans ces deux régions Anglophones. Mais, la question sur la méthode de son institutionnalisation pose problème. Tandis que les uns évoquent la convocation de l’assemblée nationale, d’autres estiment que le référendum feraient l’affaire. L’option de la convocation des députés de la nation est déjà considérée comme une filouterie dans la mesure où le parti politique au pouvoir occupe la majorité des sièges. Reste donc l’option du référendum. A ce niveau encore, la question posée est le choix des électeurs sur un référendum sur la forme de l’Etat.

Qui seront appelés à voter? Les Anglophones ou les Francophones? Les Anglophones estiment qu’ils doivent être les seuls à être convoqués au référendum sur l’adoption ou non du fédéralisme. C’est une décision importante dans la mesure où ce sont eux, territoire sous mandat des Anglais (Nordherns Cameroon et Southerns Cameroon), qui étaient appelés les 11 et 12 février 1961 au référendum organisé par l’ONU pour le « Oui » ou le « Non » au ralliement avec le Cameroun d’une part et le Nigéria d’autre part. Le Nordherns Cameroon choisit le ralliement à la « République Fédérale du Nigéria », tandis que le Southerns Cameroon choisit le ralliement à la « République du Cameroun ». Ce qui a conduit Ahidjo et Foncha à la conférence de Foumban où le fédéralisme a été adopté pour préserver l’autonomie dont les Anglophones du Southerns Cameroon disposaient déjà grâce à l’administration coloniale britannique. Logiquement, le référendum décidé par Ahidjo en 1972 ne devrait concerné que les Anglophones pour savoir si « Oui » ou « Non » ils accepteraient de vivre dans un Etat unitaire avec les Francophones. Mais, ça n’a pas été le cas. En associant les Francophones majoritaires à presque 75%, on a contribué à biaiser le vote tout en sachant que ceux-ci allaient voter en majorité pour le « Oui » à la suppression du fédéralisme.

Aujourd’hui, le même débat se pose et on en est déjà à spéculer sur un probable référendum sur le retour du fédéralisme au cas où les revendications des Anglophones aboutiraient à cette révolution constitutionnelle. Les Francophones n’entendent pas être à l’écart parce que c’est une question qui concerne la forme de l’Etat qui les abrite aussi. S’il arrive que le référendum inclut aussi les électeurs Francophones, peut-on prévoir la mort du fédéralisme parce que la majorité Francophone a peur de ce système? Je doute fort. En plus l’échec du fédéralisme dans un référendum ne résoudra pas pour autant le problème Anglophone. Donc, à défaut d’organiser un référendum réservé uniquement aux Anglophones, une conférence dite nationale serait indiquée.

Envisageons même le cas où ce référendum concernerait tous les Camerounais. La culture politique des jeunes d’aujourd’hui n’est plus la même que celle de 1972. Le développement des moyens de communication permettant à la masse d’avoir accès à l’information est un atout favorable à l’émancipation de la jeunesse Francophones capables de dépasser ces clivages de la diabolisation. Une campagne s’imposera pour sensibiliser les plus sceptiques afin de les amener à comprendre les fondements d’un système fédéral. D’ailleurs, rien ne prouve aujourd’hui que les Francophones voteront contre le fédéralisme compte tenu du fait de la montée, à une certaine époque, des mémorandums qui sont une autre forme de revendications des communautés locales des régions Francophones du septentrion victimes aussi de la marginalisation. Il serait difficile de convaincre ces communautés que les opportunités qu’offre le fédéralisme ne serait pas un début de solution à leurs problèmes. Le plus grand souci, c’est la persistance de cette campagne de diabolisation du fédéralisme entretenue par les pontes du RDPC, parti au pouvoir, et certains partis politiques Francophones qui ont fait le choix de la décentralisation à la place du fédéralisme. Le débat restera pollué aussi longtemps que les Anglophones eux-mêmes continueront d’entretenir le flou sur un fédéralisme à deux Etats calqué sur le modèle de 1961 alors qu’il est temps de passer à un fédéralisme plus moderne.

Tchakounte Kemayou

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