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Les Amazones Bobi Tanap : de quoi s’agit-il ?

Les Femen en Ukraine, les Takumbeng à Bamenda et les Amazones Bobi Tanap de la résistance au Cameroun. Mais qui sont ces dernières ? Il s’agit de femmes hostiles au régime de Yaoundé. Elles constituent un soutien de poids pour le leader de la résistance camerounaise, Maurice Kamto.

Déchu par le Conseil Constitutionnel à la suite de la présidentielle du 7 octobre 2018, le président du Mouvement pour la Renaissance (MRC) Maurice Kamto a entrepris un vaste mouvement de revendications pour sa victoire volée, qu’il a dénommée « Hold-up électoral ». L’un des mouvements de contestations qui mène cette résistance à ses côtés, est celui constitué uniquement de femmes : les Bobi Tanap.

Ce mouvement de résistance est ponctué de séries de manifestations, suivies des arrestations, des kidnappings, des tortures et des emprisonnements tous azimuts des manifestants. On ne pourrait pas seulement considérer ces militants comme membres, sympathisants du MRC. Beaucoup d’entre eux se plaignent d’ailleurs d’avoir été surpris dans les lieux de manifs au hasard de l’histoire. La curiosité ici vient du fait que ces arrestations et tortures sont ciblées au faciès.

Les Bobi Tanap à Genève. Crédit photo : BAS

Les manifestations menées depuis le plan de résistance sont de diverses natures. En dehors de celles initiées expressément par le directoire du parti politique, il y a également celles qui naissent spontanément par des initiatives isolées et individuelles. Mais, celles-ci sont généralement l’œuvre de mouvements de la diaspora, comme la Brigade Anti-Sardinards (BAS), un groupe qui boycotte ceux qui soutiennent le président réélu Paul Biya. C’est dans ce sillage qu’est né un autre mouvement dénommé Bobi Tanap. De quoi s’agit-il ?

Mouvement de résistance : Bobi Tanap

Le vocable « Bobi Tanap » ou « Bobbi Tanap » est d’origine camerounaise et issu de la langue populaire appelé « Pidjin ». Une sorte de « CamFranglais », c’est-à-dire d’un mélange de français et d’anglais. Il est décomposé de la manière suivante : « Bobi » qui signifie « seins » et « Tanap » qui signifie « dehors » ou encore « À découvert ». Ce qui donne « Bobi Tanap » pour « Seins dehors » ou encore « Seins à découvert ». D’autres encore pourraient même dire « Seins tombants » ou « Seins tombés ». Ces derniers exemples illustrent bien cette caractéristique des femmes qui sont en général au-delà de la quarantaine. Elles ne sont pas jeunes et se sentent le devoir de protéger la société.

Pour le moment, il serait difficile de circonscrire la naissance de ce mouvement. Les témoignages sont nombreux pour le situer dans le temps et dans l’espace. Mais ce mouvement a d’abord muri dans l’espace virtuel, à travers les réseaux sociaux. Facebook est, depuis le lancement de la résistance, considéré comme l’espace de communication de masse de toute la communauté des résistants , qui se font appelés « combattants ». La distance entre les Camerounais de la diaspora et ceux du pays positionne désormais internet comme un point de relais entre les combattants.

C’est donc à travers les directs sur Facebook et YouTube que les camerounais du pays sont informés des manifestations des camerounais de la diaspora, à travers la BAS. Cette dernière a connu des remous qui ont bouleversé son fonctionnement. En observateur des manifestations de la diaspora sur Facebook, je pourrais situer la genèse du mouvement Bobi Tanap lors des manifestations de la BAS du 29 juin 2019 à Genève à la suite desquelles « la Suisse a poussé le président Paul Biya vers la sortie ».

Qui a initié le mouvement Bobi Tanap ?

On pourrait plutôt poser la question : « qui a commencé ? » et non « qui a initié ? ». Comme dit plus haut, c’est dans les tractations de coulisses et dans les directs Facebook entre les résistants de la diaspora que le mouvement est d’abord pensé. L’idée n’a pas mordu au premier coup, parce que c’était un pari risqué. Comme il s’agit de mettre la poitrine de la femme à découvert, il était question de trouver des courageuses. En ce sens, il fallait donc qu’une femme le fasse en premier pour inciter les autres à la suivre. Quelques témoignages révèlent d’ailleurs que c’est un homme, au nom de profil Facebook « Max Ivoire », qui a eu cette idée et l’a proposé aux autres femmes. Mais c’est une femme au nom de profil Facebook « Sandy Boston » qui a été la première courageuse.

Une Bobi Tanap complètement nue à Yaoundé. Crédit photo : MRC

L’une des images les plus populaires de cette femme prise par un photographe de l’AFP a d’ailleurs fait le buzz sur la toile et dans les forums Facebook au Cameroun. Sandy Boston est assise à même le sol avec le torse nu, mais avec un soutien-gorge. Elle n’était pas la seule à le faire. D’autres témoignages affirment également que Sandy Boston était dans la même posture qu’une autre qui l’avait précédé. Mais l’image de Sandy Boston est restée comme une légende. C’était justement à la manifestation de Genève.

Curieusement, cette posture a justement fait penser à une autre forme de la résistance : se mettre à nu comme les Femen ukrainiennes ou encore les Takumbeng de Bamenda dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest anglophones au Cameroun. Celles-ci sont d’ailleurs présentées comme une société secrète avec une fonction sociale qui impose le respect.

Les actions du Bobi Tanap

Les manifestations initiées par ce mouvement Bobi Tanap ne sont pas trop nombreuses, mais elles méritent d’être relevées ici. Les femmes de la résistance ont d’ailleurs commencé à se dénuder lors des manifestations de Bruxelles. Celles-ci avaient été initiées par la BAS. A cette époque, le mouvement Bobi Tanap, bien que déjà connu, n’avait pas encore pris corps.

Les « seins nus » ont commencé véritablement à apparaître en public avec la signature des Bobi Tanap à partir de 2020 à l’ambassade du Cameroun à Paris le 17 septembre, puis au domicile de l’ambassade du Cameroun à Bruxelles le 2 novembre. Les Bobi Tanap sont encore en manifestation devant le Conseil Européen le 4 novembre à Bruxelles. Cette liste n’est pas exhaustive. Il faut noter également que certaines initiatives personnelles ont suscité la curiosité sur la toile, comme celle de Carine Richaud Bidiang qui a fait son Bobi Tanap dans un direct sur sa page Facebook dénommée « Les Amazones de la Résistance ».

Il ne faut pas oublier non plus les manifestations Bobi Tanap qui ont eu lieu à Yaoundé. Les militantes et sympathisantes du leader de la résistance, Maurice Kamto, ont manifesté devant la résidence du leader le 21 novembre 2020. C’était trente jours après l’assignation à résidence surveillée imposée par le régime de Yaoundé au leader de la résistance.

Comme initiative individuelle, on peut compter celle d’une militante du MRC qui s’est complètement mise nue le 22 octobre 2020 devant le domicile de son leader pour réclamer la levée de la résidence surveillée. Les sorties de Bobi Tanap n’ont pas encore atteint l’ampleur que les initiateurs attendent d’elles. Mais, elles font déjà parler d’elles sur les réseaux sociaux. La question que l’on pourrait se poser sur l’impact qu’elles peuvent avoir sur le Cameroun ne se pose plus. Le mouvement bénéficie déjà de l’aura qu’il lui faut pour s’imposer. Cependant, cet aura n’est pas de la dimension des Femens ukrainiennes qui font la une des médias internationaux. C’est justement à ce niveau que le bât blesse.

Et la suite ?

Les manifestations ne se déploieront pas uniquement sur les terrains de la contestation physique. Les femmes du mouvement Bobi Tanap ont décidé d’intensifier la contestation en investissant encore plus la toile. Pour ce faire, un appel à contribution a été lancé à toutes les femmes qui désirent crier leur ras-le-bol, et n’ont jusqu’ici pas trouvé un canal pour être entendu. Les femmes qui se revendiquent de la philosophie de Bobi Tanap peuvent faire des prises de vue dans un lieu privé ou public et envoyer ces photos sur un site dédié : bobitanap.org.

Ces photos constitueront un album des amazones Bobi Tanap de la résistance camerounaise et feront l’objet d’une exposition et de lobbying sur internet et dans tous les lieux nécessaires.

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Auteur·e

tkcyves

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