Crédit:

Voici pourquoi il est facile à un fonctionnaire d’être milliardaire au Cameroun

Depuis mardi 18 avril, Antoine Félix Samba fait l’actualité des réseaux sociaux et des médias camerounais. Un château joue la star dans les publications Facebook, Twitter et tabloïds. Il s’agit d’une somptueuse résidence privée en banlieue de Yaoundé, la capitale. Elle est présentée comme la propriété de ce fonctionnaire. Cadre de la fonction publique depuis 1985, il est actuellement en service au ministère des Finances. Antoine Félix Samba est devenu la cible, l’homme à abattre des internautes. Au fait, que s’est-il passé ?

La révélation scandaleuse est venue d’une publication du journaliste Boris Bertolt. Désormais considéré comme un lanceur d’alerte, ce journaliste s’est taillé une réputation à nulle autre pareille. Ses publications, à la hauteur d’un média classique, sont courues. Elles révèlent, pour la plupart, des scandales très répandues dans les hautes sphères de la république. Ce sont en fait, des secrets de polichinelle dont personne n’avait, jusque-là, fait mention.

Ces publications à scandales lui ont toujours valu des quolibets des puristes. Ceux-ci estiment qu’en tant que journaliste, il manque de déontologie pour ne pas dire, qu’il est à la recherche du buzz. Malgré tout, Boris Bertolt n’en démord pas et sa publication Facebook du 18 avril 2017 restera tout de même marquée dans l’histoire.

Palais du fonctionnaire milliardaire : la publication des photos qui éclabousse

La publication présente en tout 7 photos montrant les contours d’une somptueuse villa qui a tout l’air d’un palais hollywoodien. Elle appartient, à n’en plus douter, au désormais fonctionnaire milliardaire Antoine Félix Samba. Il a occupé les prestigieux postes de directeur des affaires générales, de conseiller technique et surtout de directeur général du budget. En considérant que ce statut ne lui permettrait pas de s’offrir un tel luxe, la publication fait donc de lui un « voleur ».

Du coup, une horde de ses thuriféraires débarquent en lançant des cris d’orfraie. Elle s’insurge contre cette sentence du journaliste. Ils s’en prennent à Boris Bertolt en le taxant de « jaloux » avec tous les noms d’oiseaux imaginaires. C’est la première fois que je découvre Boris Bertolt, malgré sa témérité, confronté à l’adversité d’une telle ampleur. Je peux même oser dire qu’il en a eu pour son compte. C’est là où je découvre véritablement qu’il venait de taper dans la fourmilière.

Palais du fonctionnaire milliardaire : les enjeux d’une telle publication à scandale

C’est un gros scandale qui a, à lui tout seul, fait ressortir toutes les tares de la complexité du système gouvernant. Ces tares ont été mises à nu : corruption, tribalisme, sorcellerie, etc. Des réseaux sociaux, il a atteint certaines rédactions de la presse écrite et des chaînes de télé. C’est donc un signe que ce scandale, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, a déchaîné les passions et suscité de vives émotions. Cela témoignait du niveau paroxystique de la frustration des internautes. Ils sont fatigués du système de gouvernance dit « néocolonial ». Ce système jacobin, hérité de la culture coloniale française est considéré comme un goulot d’étranglement de l’émancipation politique des peuples.

Beaucoup d’observateurs pensent d’ailleurs que la France, malgré la fin de la colonisation dite « tutelle », reste toujours présente. Elle est présente ne serait-ce que dans l’esprit des nègres administrateurs des colonies. Leur mission est de préserver et de conserver le pouvoir qui leur a été légué. Ces fonctionnaires gèrent donc le système à leur guise. L’administration devient alors un objet de pouvoir tant politique qu’économique.

C’est donc ce désir de s’affranchir de cette tutelle éternelle, devenue une tyrannie perpétuelle, qui exacerbe les frustrations. Les fonctionnaires véreux et extravagants s’exposent aux purgatoires. A lire et à écouter les Camerounais s’exprimer, on dirait des gens qui en veulent à Samba au point d’être jaloux. Au fait, jaloux de quoi ? D’où vient cette colère, cette haine subite, cette vindicte populaire dont Samba est victime ? Pourquoi les laudateurs considèrent-ils Samba comme victime d’un acharnement ? Pourquoi Samba est-il la cible alors qu’il est de loin l’homme le plus riche du pays ?

Parce qu’il est à la fois fonctionnaire et homme politique…

Ce système jacobin, laissé par les colons français, a fait des administrateurs nègres à la fois des fonctionnaires et des hommes politiques. Les luttes d’indépendances opposaient des nationalistes aux colons. Ceux-ci avaient évidemment des alliés nègres qui étaient justement contre l’indépendance immédiate. Ils estimaient que les Camerounais n’étaient pas prêts pour s’auto-gérer. On a donc assisté à la traque des nationalistes. Ils sont soit allés en exil, soit entrés dans le maquis. Le vent des libertés qui soufflait des années 1950-1960 et la témérité des nationalistes n’avaient pas laissé de choix aux colons.

Quand l’indépendance fut alors proclamée, ces administrateurs nègres, des anti-nationalistes, ont pris la relève. De l’autonomie à l’indépendance, ils avaient la lourde responsabilité de conduire le pays vers le développement véritable. Mais, avaient-ils ces compétences, ou du moins, la volonté ? Comment le pouvaient-ils puisqu’ils n’étaient pas des hommes politiques, mais des administrateurs coloniaux ? Ces nègres avaient alors entre leurs mains la mise en place d’une nomenclature administrative, politique et économique du pays.

Cet imbroglio a fait que l’administration est devenu la niche de recrutement des membres du parti au pouvoir. Il ne serait donc pas surprenant de remarquer que la quasi-totalité du personnel de la haute administration est encartée. En général donc, le mode de reproduction du personnel du parti politique au pouvoir est fonction du recrutement à travers les concours administratifs. Même les recrutements dans les entreprises publiques et parapubliques obéissent aux mêmes principes.

L’administration publique est donc devenue un lieu où clientélisme et distribution des prébendes ont fait leur nid. Le concept d' »équilibre régional » a été inventé pour camoufler ce banditisme. Il consiste à créer un équilibre arithmétique selon l’origine tribale des futurs fonctionnaires. Malgré ce camouflage, la conscience collective continue de penser que la fonction publique est la chasse-gardée des Bétis.

… et parce qu’il est également homme d’affaires

Comment expliquer qu’un fonctionnaire puisse devenir milliardaire ? Cette collusion entre fonction publique et politique fait naître la confusion entre le parti politique au pouvoir et l’administration publique. Cette situation a perduré jusqu’en 1990, date de la réhabilitation du multipartisme. Aujourd’hui, dans l’arène politique, le principal adversaire des partis d’opposition n’est pas le parti au pouvoir, mais des fonctionnaires. L’argument passe-partout pour empêcher les manifestations publiques est la ritournelle « préservation de la paix et l’ordre public ».

Ainsi, pour conserver leurs privilèges, ces hauts fonctionnaires ont intérêt à empêcher l’alternance politique. Ces privilèges s’observent aussi dans le milieu économique. Il existe évidemment des anecdotes dont s’abreuve l’opinion collective selon laquelle les hommes d’affaires qui ont pignon sur rue ne prospèrent que de deux façons. Soit ils ne sont que des prête-noms, soit ils bénéficient des largesses des fonctionnaires. Il faut donc dire ici que cette position de pouvoir politico-administratif qu’a un fonctionnaire lui permet de tenir les maillons de cette chaîne de nomenclature.

L’administration publique n’est pas seulement politique et affairiste, mais elle est tribale

Selon le statisticien Dieudonné Essomba, fonctionnaire à la retraite, la production et la reproduction sociale des élites est tribale. Pendant que les Bétis se taillent la part du lion dans la fonction publique, les Bamilékés s’exercent aux affaires. Autrement dit, les premiers ont la signature et les deuxièmes en bénéficient. Si un originaire Bétis veut faire des affaires, il utilise un Bamiléké comme prête-nom. C’est la république du faux avec malversation.

Probablement, Antoine Félix Samba est donc ce haut fonctionnaire Bétis qui a refusé d’utiliser un prête-nom pour ses affaires. Contrairement à d’autres fonctionnaires qui ont décidé d’être effacés, Antoine Félix Samba s’affiche. Sur ce fait, son extravagance l’expose. Présenté comme un agriculteur et exportateur de riz et de cacao, il est considéré comme une brebis galeuse au sein du système que les ennemis livrent à la vindicte populaire. Il est, au vu et au su de tous, considéré par les internautes comme un prévaricateur.

Est-il possible de mettre fin à la gabegie ? Réponse de Dieudonné Essomba

Certains s’agitent en réclamant que le régime poursuive tel ou tel parce qu’il aura volé ou construit telle bâtisse, ce qui est la preuve de leur profonde méconnaissance. Les déprédations, autrement dit, les prélèvements indus de la fortune publique sont un élément constitutif du système et l’instrument à partir duquel il renforce ses allégeances. Elles participent de sa survie et si Biya a pu résister à toutes les attaques et continue à résister, s’il est assuré d’être reconduit en 2018, c’est précisément parce qu’il fonctionne comme cela !

La morale publique au centre du débat

S’il avait marché sur des bases éthiques souhaitées par le grand nombre, il aurait échoué depuis longtemps et il ne serait plus au pouvoir ! Mais lui, il veut rester au pouvoir, malgré son âge, et il fait exactement ce qu’il faut pour cela. Il connaît bien la solidité de son réseau d’allégeance, il maîtrise les capacités opérationnelles de ceux qui ne l’aiment pas et il ajuste les choses de manière à ce que vous n’y puissiez rien !

Cette démarche lui a permis de bâtir une armée à son image, une administration à son image, une justice à son image, des hommes d’affaires à son image, une morale publique à son image, une idéologie à son image : l’idéologie de la survie au pouvoir.

Il a échappé au coup d’Etat de 1982, résisté au mouvement de libéralisation politique des années 1990, à d’autres bourrasques. Patiemment, à coups d’épreuves, de chocs, d’attaques surmontées quelquefois très difficilement, il a réussi. Il peut donc faire ce qu’il veut : aller en Suisse, modifier la Constitution, emprisonner un tel ou un autre, mais rien ne se passera.

Et ce que nous appelons « mauvaise gouvernance » et que nous lui reprochons, c’est même sur cela que le système s’appuie pour survivre. Sans cette mauvaise gouvernance, il ne survivrait pas. Il aurait été balayé depuis longtemps.

Paul Biya, le manitou ?

Lui demander de sévir contre ceux qui détournent des fonds, sur la base d’une morale qui lui est étrangère, c’est lui imposer des règles inconnues de son univers. Autrement dit, si vous attendiez du kolatier sauvage de vous produire des mangues juteuses, ce serait la même chose !

Nous sommes ici devant une forme extrême de pouvoir néocolonial, qui est allé au-delà du commun pour atteindre une dimension pharaonique. C’est un régime dont Biya a hérité, mais qu’il a lui-même remodelé à sa guise, avec patience et à coups d’élimination des ennemis et de doubles stratégies. Mais surtout, en mettant à profit des circonstances exceptionnelles dont les plus déterminantes sont l’environnement du parti unique et l’ambiance de la guerre des deux blocs. C’est cela qui justifiait l’élimination des adversaires pour des motifs de souveraineté et de sécurité nationale, sans susciter la désapprobation internationale.

Ce système n’a pas notre logique et notre morale. Même lorsque, pour satisfaire la foule, il attrape quelques-uns des siens et les sacrifie, ce n’est pas parce qu’il adhère à notre perception des choses. C’est simplement parce qu’il jette un peu de lest pour se rafraîchir.

Partagez

Auteur·e

tkcyves

Commentaires