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"Ghost town" : pourquoi ce mouvement populaire Anglophone suscite-t-il des émules au Cameroun ?

Février, voilà déjà 4 mois que le « ghost town » fait la loi, que les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest camerounais sont en arrêt d’activité totale. A l’origine, une grève des avocats et des enseignants qui tentent d’obtenir des autorités de Yaoundé une meilleure prise en compte de la spécificité anglo-saxonne du système judiciaire et éducatif de cette partie du territoire national. Les négociations engagées entre les grévistes et les autorités se sont soldées jusqu’ici par un échec cuisant.  Aujourd’hui, les deux camps se sont radicalisés au point qu’il est difficile de savoir ce que demain nous réserve.

Le « ghost town » comme « ville morte » ou encore mouvement non-violent ?

Cette situation des régions Anglophones fait dire à certain que le Cameroun est en train de traverser l’une des parties la plus importante de son histoire. Pour une première fois donc, cette partie du pays est en arrêt total des activités. Les populations suivent à la lettre les consignes des leaders. Cela consiste évidemment à respecter les principes du mouvement d’arrêt d’activités plus connu sous le concept de « villes mortes » et que les Anglophones nomment allègrement « ghost town » (ville fantôme).

Ville morte : ghost town
Ville morte : ghost town

Seulement, les villes mortes au Cameroun, pendant les années de braise (1990-1991) sont nettement différentes du « ghost town ». Les Anglophones ont décidé d’adopter la stratégie de la non-violence à la lumière des praticiens comme Matin Luter King et Gandhi que les intellectuels comme Henry David Thoreau (1817-1862) et Léon Tolstoi ‘1828-1910) avaient eu à théoriser en leur temps. Oui, les leaders corporatistes Anglophones qui conduisaient la grève, face au radicalisme des autorités qui ont choisi de les considérer désormais comme des sécessionnistes, ont décidé d’adopter la méthode de la non-violence qui laisse perplexe certains détracteurs.

Le « ghost town » consiste ici à rester à la maison. Les rues sont alors complètement désertes et les activités économiques, les écoles, les tribunaux et les services publics sont à l’arrêt complet. L’avantage de cette stratégie est double. Premièrement, éviter les dégâts matériels et humains. La police et la gendarmerie, dites « anti-émeute » spécialistes de la répression, faute d’aller chercher les grévistes et les passer à tabacs, n’ont pas trouvé mieux que de déambuler en pleine ville déserte. Il n’y a pas de manifestation, pas de rassemblement, encore moins de regroupement. Bamenda, Buea, Limbé, Kumba, pour ne citer que les villes anglophones les plus célèbres, restent inanimées. Seule, l’armée vadrouille à la recherche du travail. C’est donc un mouvement silencieux : le « ghost town » ou la non-violence.

Les maîtres d’œuvres de toute cette organisation se trouvent être les avocats et les enseignants retrouvés dans une plateforme dénommée The Cameroon Anglophone Civil Society Consortium (CACSC) dont l’objectif est de rendre les négociations plus efficaces, coordonner le « ghost town », «faire pression sur le gouvernement pour qu’il trouve des mesures concrètes aux revendications anglophones», selon les explication des leaders du Consortium.

La radicalisation et la répression comme conséquences du « ghost town »

L’opinion nationale est, depuis le déclenchement de ce mouvement, nourrie par des débats dans les médias et les réseaux sociaux. Les positions sont plus ou moins tranchées sur les intentions des leaders grévistes. Le fédéralisme, l’un des éléments de revendication, est devenu le point d’achoppement du mouvement « ghost town », voire le point d’affrontement entre les Camerounais favorables au fédéralisme ou non. Le climat est resté tendu au cours des négociations avec les autorités lorsque les leaders Anglophones avaient souhaité poser sur la table cette question du fédéralisme. Les positions tranchées sur cette question n’ont pas permis la poursuite des négociations jusqu’à sa rupture. Les leaders, loin d’être naïfs, se sont alors heurtés aux intérêts des caciques du pouvoir.

Du coup, c’est le début d’une série noire marquée par des répressions policières proprement dite. A défaut de traquer la population dans les rues désertes, il fallait, à tout prix, trouver un bouc-émissaire. Ce bouc-émissaire, c’est le SCNC. De quoi s’agit-il ? Le Southern Cameroon National Council (SCNC) est un parti politique créé en 1995 dans la partie anglophone. Son programme est axé sur la sécession du Cameroun anglophone pour la création d’un autre Etat indépendant appelé Ambazonie.

Les avocats venus soutenir les organisateurs du ghost tonwn
Une foule d’avocats réunis pour la défense des leaders du Consortium, organisateurs du ghost town

La répression commence d’abord par une première phase : l’interdiction, à travers un arrêté du ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, du SCNC et du Consortium le 17 janvier 2017. Le ministre René Emmanuel Sadi considère que l’existence de ces organisations est illégale : « Sont nulles et de nul effet, pour activités contraires à la Constitution et de nature à porter atteinte à la sécurité de l’Etat, à l’intégrité du territoire, à l’unité nationale et à l’intégration nationale, les groupements dénommés Southern Cameroon national council et Cameroon anglophone civile consortium». Ce décret unique interdisant deux organisations distinctes par leur objectif, crée donc la confusion dans les esprits des Camerounais en donnant l’impression que le Consortium est l’œuvre des sécessionnistes.

Ensuite, la deuxième phase a pour actes majeurs l’arrestation des leaders du Consortium, quelques heures après la publication de l’arrêté d’interdiction, entre les 17 et 18 janvier 2017. Aujourd’hui, les leaders principaux du Consortium dont l’enseignant d’université Dr Fontem Neba et l’avocat Me Agboh Balla, sans oublier le magistrat Anglophone hors hiérarchie Ayah Abine en service à la cour suprême, sont actuellement détenus à la prison centrale de Yaoundé. Enfin, la troisième phase concerne le procès proprement dit au tribunal militaire à Yaoundé. Initialement prévu pour le 1er janvier 2017, il a été reporté au 13 février prochain.

Au total, huit chefs d’accusation pèsent sur eux, à savoir : hostilité contre la patrie, sécession, guerre civile, révolution, bande armée, propagation de fausses nouvelles, atteinte aux agents publics de l’État et résistance collective. Ils risquent la peine de mort en vertu de la loi du 23 décembre 2014 sur le terrorisme qui stipule à son article 2 ce qui suit : « Est puni de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en coaction, commet tout acte ou menace susceptibles de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages des ressources naturelles, à l’environnement ». Malgré tout, la situation reste un peu tendue selon le journaliste Boris Berthold qui s’exprime en ces termes :

Sur le terrain la grève se poursuit malgré le fait que l’internet reste coupé. Jacques Famé Ndongo (ministre de l’Enseignement supérieur, ndlr) demande aux recteurs de l’université de Buea et de Bamenda de contraindre les étudiants à reprendre les cours. D’après plusieurs sources certains étudiants majoritairement francophones ont commencé à rejoindre le campus. Les nouveaux leaders du Consortium leur demandent ainsi qu’aux parents de ne pas mettre leur sécurité en danger. À Buea, le maire de la ville menace de sceller les commerces qui n’ouvrent pas. Internet reste toujours coupé dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest. Yaoundé qui a rompu la négociation refuse de faire la moindre concession. Entre temps les marches des camerounais de la diaspora se poursuivent dans les grandes capitales occidentales.

Pendant que les mobilisations pour la défense des leaders Anglophones se préparent, les Camerounais s’activent à travers les médias et les réseaux sociaux. Les condamnations du mouvement « ghost town » fusent de toute part. Pendant que les uns s’opposent au fédéralisme, les autres accusent les leaders Anglophones d’être à la solde des mouvements de déstabilisation dont l’idéologie est fondamentalement séparatiste et indépendantiste.

Les premiers stipulent que, demander le retour à la forme fédéraliste de l’Etat (1961-1972), serait une entrave à l’unité nationale du pays, et ceci, quel que soit le nombre des Etats fédérés.

Au prochain billet, un bref condensé sur les auteurs et leur thèse sur l’anti-fédéralisme.

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Auteur·e

tkcyves

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