Crédit:

Problème anglophone : le fédéralisme comme sortie de crise

Le fédéralisme est au centre des débats depuis le déclenchement de la crise liée à ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « problème anglophone ». Dans mes précédents billets, il m’a été donné de montrer que les accords de Foumban est le point de mire de toutes les galères que subissent cette partie de la population Camerounaise qui avait accepté, au nom des intérêts qui leur sont propres, d’abandonner leur « Southerns Cameroons » pas encore indépendant pour s’aoccier à la « République du Cameroun » déjà indépendant depuis le 1er janvier 1960. Cette « union » scelée en 1061 a fait naître la république fédérale avec deux Etats : le Cameroun Oriental (Francophone) et le Cameroun Occidental (Anglophone) qui a été aboli pour revenir à l’ancienne « Républque du Cameroun ». D’où la question : fau-il revenir au fédéralisme ?

Les manifestations des anglophones à Bamenda, à Buéa et plus récemment à Kumba témoignent à suffire qu’une malaise existe au Cameroun concernant la forme de l’Etat actuel qui n’est pas du goût de cette partie de la population dite « anglophone ». Celle-ci estime que l’accord de Foumban qui instituait le fédéralisme a été violé. Cette violation a laissé éclore un présidentialisme où règne une personnalisation du pouvoir accompagnée d’un centralisme et d’une concentration à outrance qui caractérisent les tyrannies. C’est donc la mauvaise gouvernance qui est l’origine des mouvements de révoltes donc la particularité est que ceux-ci se déroulent seulement dans les régions « anglophones ». Cette mal-gouvernance a donc exacerbé les vieux démons tant redoutés par le tyran : le fédéralisme. A la question de savoir si la mort de la dictature passe par le retour au fédéralisme, la réponse est « Oui » selon Célestin Bedziguile vice président de l’un des partis appartenant à la majorité présidentielle : UNDP. Voici en substance ses arguments qui fondent le retour à l’Etat fédéral dans un texte qu’il a intitulé « Pourquoi je supporte le fédéralisme ».

POURQUOI JE SUPPORTE LE FÉDÉRALISME 

Il est des lieux où l’Histoire s’emmêle les pédales et toussote… Bamenda l’est assurément. Ville de la naissance du RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais), elle pourrait entrer dans l’histoire comme la ville d’où est partie la vague qui pourrait mettre fin au régime ou ce parti a exercé sa domination sans partage sur le pays. Ce sera le cas si l’arrogance et le déni de la demande politique des épigones de ce parti persistent dans l’ erreur de penser qu’ils ont le privilège de la lucidité patriotique et pire la licence de tuer dans la rue des jeunes camerounais.

La terreur comme instrument de gouvernance

Dans tous les pays du monde, les manifestations publiques se contrôlent avec des moyens appropriés : grenades lacrymogènes ou assourdissantes, canons a eau, matraques électriques, balles en caoutchouc. Utiliser comme cela s’est vu a Bamenda des fusils de guerre et tirer a balles réelles contre des manifestants aux mains nues est un crime contre l’humanité prémédité et délibéré pour lequel ceux qui en sont les donneurs d’ordre et les perpétrateurs doivent être poursuivis devant les instances internationales appropriées.

Si nous reprouvons sans réserve et avec autant de vigueur les casses, les violences et voies de fait exercés sur « les Francophones » et les militants du RDPC à Bamenda, il convient de pointer du doigt la véritable politique de « terreur d’Etat » mise en œuvre par le gouvernement pour soutenir un régime dont nous dénonçons la dérive totalitaire depuis plus d’une vingtaine d’années. Fait plus grave, il s’agit d’une récidive car, a l’aube de la démocratie, une manifestation similaire avait coûté au peuple six morts, « piétinés par balles » selon le formule du « Ministre de la propagande » de l’époque.

C’est peut être le lieu de rappeler que nous avons en 2010, saisi les Nations Unies pour une Commission Internationale d’Enquête sur les responsabilités des massacres de 2008. La matière relevant d’une présomption de crimes contre l’humanité qui sont non- prescriptibles, ce dossier reste pendant devant les instances onusiennes. Les événements du 8 Décembre à Bamenda pourraient enrichir ce dossier comme une preuve supplémentaire d’un penchant de ce régime pour les crimes contre l’humanité…

Les raisons du « struggle »

Pourtant ces incidents pouvaient être évités si ce régime se donnait un tant soit peu la peine de percer la vraie raison des manifestations dans l’ex Southern Cameroon . Les populations de cette partie du Cameroun en ont marre du régime jacobin hyper centralisé qui leur a été imposé par une manœuvre politique dolosive et léonine couverte par le « référendum de 1972 » en violation de l’Accord de Foumban entre MM. Foncha et Ahidjo en 1961 instaurant le fédéralisme. D’ailleurs, en écoutant les Camerounais, on se rend compte de ce qu’une majorité d’entre eux et de toutes les régions étouffent et rejettent ce centralisme de la gouvernance dont les limites et l’échec sont flagrants au quotidien.

La demande du retour au fédéralisme qui était le mantra des Accords de Foumban de 1961 et qui sous-tend aujourd’hui le « struggle » de nos compatriotes de l’ancien Southern Cameroon, est fondée en droit et légitime d’un point de vue politique. Une certaine opinion veut pourtant faire croire que cette crise est un antagonisme « anglophones versus francophones ». Rien plus simple pour ne pas dire plus faux.

Le problème est en réalité le refus du régime jacobin de Yaoundé d’ accepter la coexistence de deux ou plusieurs systèmes de gouvernance adossés sur des Etats fédérés dont les contours seraient déterminés par l’homogénéité culturelle, historique ou géographique. En rapprochant la décision de la gestion de l’espace publique du citoyen, cette organisation institutionnelle fédéralisée porterait une marque de modernité et d’efficacité incontestable. Elle a été pratiqué pendant les années au Cameroun du temps de l’ Etat fédéral, de 1961 a 1972, elles existent en toute satisfaction au Nigeria, au Canada, en Allemagne, aux USA, en Suisse, sans la moindre incidence fragilisante sur l’unité nationale comme en brandissent l’épouvantail les conservateurs camerounais.

De fait, il s’agit là du nouveau clivage de la société camerounaise qui sépare désormais les modernes, ceux là qui aspirent a un Etat fédéral efficace, et les conservateurs, adeptes d’un Gouvernement jacobin centralisé qui privilégie la satisfaction de la « libido dominandi » – la soif de pouvoir absolu- de son Chef.

J’ai été en Avril 1999 dans le dernier carré de personnes admises autour de la tombe au moment où John Ngu Foncha était conduit en terre, derrière la nef d’une Eglise catholique à Bamenda, en ma qualité de Vice-président de l’UNDP. J’accompagnais à ces obsèques le Président du Parti Maigari Bello Bouba. Autour de la tombe, il y avait là S.T. Muna, son ancien partenaire au KNDP que soutenait par le bras sa fille Tutu Muna.

Il planait une atmosphère de profonde tristesse au moment de cet ultime hommage, comme une préfiguration du « struggle » que nos compatriotes de l’ex Southern Cameroon vivent aujourd’hui dans leur combat pour rétablir ce que fut la volonté de Foncha lorsqu’ il signa en 1961 la Convention de Foumban établissant un Etat Fédéral comme mode d’association des deux entités territoriales dans une volonté de reconstituer de manière incomplète d’ailleurs, le Kamerun créé en 1884 à Berlin lors du « Scramble of Africa » par les Européens.

La revendication actuelle porte en réalité sur le rétablissement de l’esprit et de la lettre de Foumban par la reconnaissance de deux Etats Fédérés ou coexistent deux systèmes de gouvernance. Cet esprit a été sciemment violé par la marche forcée vers l’instauration d’un Etat Unitaire en lieu et place de l’Etat Fédéral. La bien- fondé de la revendication d’un retour au fédéralisme par nos compatriotes de l’ex Southern Cameroon se doit donc d’être examiné d’un point de vue juridique et d’un point de vue politique pour juger de sa pertinence et de sa légitimité.

Sur le plan juridique, la Convention de Foumban de 1961 entre MM. Foncha et Ahidjo avait été obtenue par un accord entre les deux parties qui est réputée en droit être la loi des partis. L’évolution autant de son esprit que de sa lettre, aurait strictement dû respecter le principe de droit du parallélisme des formes. Tel n’a pas été le cas. Plutôt, le recours au « référendum de 1972 » qui exploitait le déséquilibre démographique entre les populations du Cameroun Oriental qu’on savait naturellement être portées à voter « OUI » et celle du Cameroun Occidental dont certaines composantes auraient pu voter ‘’ NON’’ a violé ce principe.

Sur le plan politique, l’Accord de Foumban, en tant que Pacte Républicain, était inviolable. Les manœuvres politiciennes ayant abouti à l’affaiblissement de Foncha ne saurait avoir altérer cette exigence principielle du respect de l’intangibilité de ce Pacte Républicain.

Sous ce double éclairage, la revendication d’un retour au fédéralisme formulée par nos compatriotes de l’ex Southern Cameroon dont l’essence est masquée par des revendications corporatiste est fondée en droit et en saine politique. La classe politique devrait la soutenir sans réserve.

Profitant de la dynamique créée par un tel mouvement, la classe politique devrait soutenir l’extension du fédéralisme à l’ensemble du pays a qui serait ainsi offert une opportunité de démanteler le régime jacobin ultra centralisé actuel qui est le véritable frein à la modernisation et à la démocratisation du Cameroun.

La fédéralisation du Cameroun : une opportunité d’amélioration de la gouvernance

Par l’hégémonie culturelle qu’il cultive, le régime actuel et ses laudateurs font croire à un rapport négatif ou inverse entre le fédéralisme et l’unité nationale. Il s’agit d’une construction idéologique qui est démentie par l’analyse. En vérité, la fédéralisation permettra d’établir un équilibre entre la démocratisation de la gestion de l’Etat et le respect des traditions de chaque région.

Le processus de l’établissement extensif du fédéralisme au Cameroun commencera au préalable a une répartition des domaines de compétence l’Etat Fédéral au dessus d’Etats fédérés qui seraient à titre strict d’exemple, un Sawaland state, un Rainforestland state, un Saheland state, un Grassfieldlang state, et deux District Autonomes à Yaoundé et à Douala.

Au niveau des Etats fédérés, la représentation des populations sera assurée par une un système bicaméral avec l’Assemblée de l’Etat seront élus au suffrage universel direct, et une Chambre de chefs traditionnelles gardienne des traditions et coutumes de l’Etat. Les Gouverneurs des Etats seront élus par les deux Chambres élus réunis en congrès qui pourront le « impeach » en cas de faute grave. Les gestionnaires des organes de gestion des services publics dans l’Etat seront soumis à la confirmation devant l’Assemblée de l’Etat.

L’éligibilité et le droit de vote de tous les citoyens seront attachés au seul critère de la résidence principale. Quant à la gestion des collectivités locales, elle sera assurée strictement par les maires élus. Quant au pouvoir fédéral, il sera assuré par un Président et une quinzaine de Ministres ayant en charge outre les domaines de souveraineté que sont la monnaie, les relations extérieures, la défense nationale, mais aussi la gestion de la péréquation des revenus tirées des richesses nationales, le développement des infrastructures stratégiques, l’ établissement des normes d’éducation.

Fédéralisme : travailler à l’avènement de la Deuxième République pour sauver la paix

Reste le problème lancinant du cadre et des modalités de mise en œuvre de cette mutation. Tout le monde parle de négociations. En réalité, des trois modes de régulation politique que sont les élections, les négociations et la violence, le régime de Yaoundé a réussi l’exploit de rendre les deux premiers inopérant, en manipulant les élections et par le non respect des accords politiques, référence faite aux accords non respectés par le Gouvernement à savoir la Tripartite, la Plateforme UNDP, et en remontant l’Histoire, l’Accord de Foumban.

La troisième voie, celle d’un embrasement populaire pourrait donc de jour en jour attirer plus d’esprits. Elle ne peut être évité que par un leadership éclairé et transformationnel.

Nous allons pour notre part engager dans les prochains jours un « Mouvement pour la deuxième république », ouvert à toutes les intelligences et les énergies positives, sans distinction de partis politiques, pour proposer une stratégie de sortie de crise et travailler au réarmement civique qui devra éviter au Cameroun de sombrer dans l’enfer de la guerre civile qui certains voit déjà se profiler à l’horizon.

Que Dieu protège le Cameroun.

Célestin Bedzigui,

Vice-président de l’UNDP

Partagez

Auteur·e

tkcyves

Commentaires