Les résultats définitifs de la présidentielle du 12 avril 2025 au Gabon ont été proclamés par la Cour constitutionnelle gabonaise ce vendredi 25 avril 2025 dans la matinée. Une attente longue de treize jours. Mais, ce qui fait l’objet de cet article c’est le processus par lequel le Gabon est arrivé là comparé avec celui du Cameroun en 2018. Il s’agit de faire une description comparée du processus post-électoral qui va de la fermeture des bureaux de vote aux résultats définitifs. C’est un moment très important du processus électoral qui est un élément de mesure de la fiabilité des opérations de dépouillement et de comptage des voix.
Le 13 avril à 13h30, heure locale, le ministre de l’intérieur proclame les résultats provisoires de la présidentielle. C’est à moins de 24 heures après la fermeture des bureaux de vote du scrutin du 12 avril 2025. Cette célérité dans la proclamation des résultats des élections est inhabituelle en Afrique. Ce continent est réputé pour sa lenteur légendaire dans ce type d’exercice. Les pays de dictature comme ceux de l’Afrique centrale ont une mauvaise réputation dans l’organisation des élections, notamment dans la manipulation des voix. C’est la raison pour laquelle l’opposition crie toujours à la fraude. Le Gabon et le Cameroun feront office d’exemples de l’analyse comparative dans cet article pour une démonstration du fonctionnement des techniques de la fraude postélectorale.
Gabon : une proclamation des résultats provisoires étape par étape avant la proclamation des résultats définitifs
Cette description aura pour référence la loi organique n°001/2025 portant Code électoral. Les bureaux de vote ont été ouverts de 7h à 18h (heure locale). La proclamation des résultats provisoires a eu lieu le 13 avril à 13H30 (heure locale). Ce vendredi 18 avril, le Ministère de l’intérieur a annoncé les résultats provisoires consolidés et les a transmis immédiatement à la Cour Constitutionnel. Cette Cour s’est donné quelques jours pour la proclamation des résultats définitifs. On annonce par ailleurs que la cérémonie d’investiture du président élu pourra avoir lieu ce 3 mai 2025. La proclamation des résultats provisoires de la présidentielle par le ministre de l’intérieur est l’aboutissement d’un long processus de proclamation des résultats du bureau de vote jusqu’au niveau national avec des procès-verbaux disponibles à chaque étape.
- Première étape : le dépouillement et comptabilisation des votes
Avant d’arriver à la Cour constitutionnelle, il existe des opérations de dépouillement, de recensement et de compilation des votes. La proclamation des résultats et l’investiture du candidat élu marquent la fin du processus électoral. Selon l’article 155 de la loi organique, le président du bureau de vote procède, à partir de 18h, au dépouillement des votes à travers la comptabilisation des suffrages exprimés et non exprimés. À la fin, un procès-verbal est établi en plusieurs exemplaires : “Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé en huit exemplaires dont sept destinés aux commissions électorales et un à l’affichage devant le bureau de vote.”. Ce qui est par contre intéressant ici c’est que le dépouillement n’est pas seulement fait publiquement, mais un exemplaire de procès-verbal est affiché devant le bureau de vote en question : “En outre, il est établi et remis à chaque représentant de candidat ou de liste de candidats un exemplaire du procès-verbal du bureau de vote concerné”. Autrement dit, ce document n’est pas seulement accessible aux autorités publiques et aux représentants de candidats. Tous ceux qui le souhaitent peuvent avoir le procès-verbal de leur bureau de vote.
- Deuxième étape : le recensement et la centralisation des procès-verbaux
Après le dépouillement, la proclamation et publication des résultats dans chaque bureau de vote, il est procédé au recensement de ces procès-verbaux issus des bureaux de vote “dans chaque département, dans chaque commune, dans chaque arrondissement, dans chaque district et dans les missions diplomatiques et consulaires” pour le recensement et la centralisation des procès-verbaux (article 157). Ce même article précise dans sa suite que “les résultats sont aussitôt annoncés au public, par le Président de la commission électorale concernée. Une copie du procès-verbal de centralisation des résultats est affichée au siège de la commission électorale concernée”. Pour cette étape, les mêmes opérations sont observées, c’est-à-dire établissement de plusieurs procès-verbaux à remettre aux représentants de chaque candidat et à afficher au siège de la commission concernée.
- Troisième étape : la consolidation des statistiques au niveau national
Ces procès-verbaux sont envoyés aux commissions communales ou départementales (article 158). À leur tour, elles dressent des procès-verbaux qui sont envoyés aux commissions provinciales pour collecte et transmission “au Ministère de l’Intérieur, à l’ACER, à la Cour Constitutionnelle, au Conseil d’État et au Tribunal Administratif du ressort”. Au Ministère de l’intérieur, les procès-verbaux sont reçus et, avec la Commission Nationale de Coordination et d’Organisation des Élections, il procède au recensement des procès-verbaux des commissions provinciales. Et l’article 160 stipule que “Le Ministre de l’Intérieur annonce publiquement, au siège du Ministère, les résultats obtenus pour l’ensemble du territoire” ; et “transmet sans délai un exemplaire des procès-verbaux et les pièces y annexés, respectivement à la Cour Constitutionnelle” ; et “La Cour Constitutionnelle proclame les résultats des élections du Président de la République”.
Une évolution au Gabon : proclamation des résultats sans délai
Première observation, par la précision “sans délai”, la loi organique portant sur le Code électoral ne prévoit aucun délai ni dans la transmission des procès-verbaux, ni dans la proclamation et la publication des résultats provisoires et définitifs. Malgré l’absence de ce détail important, les résultats de l’élection ont été déclarés immédiatement à la fin de chaque étape de l’échelle jusqu’au niveau national. Des expériences précédentes des présidentielles du 27 août 2016 et 26 août 2023 nous montrent que les résultats provisoires au niveau national ont été proclamés plus de 72 heures après la fin du scrutin. Il faut toutefois préciser que ces expériences se sont soldées par des contestations de l’opposition menée par Jean Ping en 2016 et Albert Ondo Ossa en 2023. Il faut également noter que ces deux scrutins ont abouti à des troubles post-électoraux. Elles ont eu pour conséquences un coup d’État raté le 7 janvier 2019 et un autre coup d’État réussi le 31 août. 2023.
Les contestations des candidats de l’opposition sont fondées sur les fraudes électorales de diverses natures. Peut-on mettre en cause la lenteur dans la proclamation des résultats provisoires des élections de 2016 et de 2023 ? Les fraudes postélectorales sont relatives au mode de dépouillement, recensements, centralisation et consolidation des votes et falsification des procès-verbaux. Un point d’honneur est mis sur la dextérité et la célérité dans l’exécution des tâches. Dans les opérations post-électorales, le temps est un élément important notamment dans l’établissement et la transmission des procès-verbaux et la proclamation des résultats provisoires en attendant l’harmonisation des statistiques et la proclamation des résultats définitifs. Plus les opérations du processus sont rapides, plus les marges de libertés dans la manipulation sont réduites. C’est justement ce qu’une réforme de la loi électorale en janvier 2025 après le coup d’État a peut-être corrigé. Ainsi, le Gabon fait un grand pas en avant dans la fiabilité de son système électoral. Qu’en est-il du Cameroun ?
Cameroun : aucuns résultats provisoires, interdiction aux médias de publier les tendances
Les problématiques sur les fraudes électorales ne datent pas d’aujourd’hui. Elles ont fait l’objet de plusieurs analyses depuis 1954. Il ne s’agit pas de l’historique des fraudes électorales. Nous nous limiterons ici à la période post-électorale de la présidentielle de 2018. Pour situer le contexte de la fraude, il faut préciser qu’après le discours de La Baule, le multipartisme a été instauré après 24 ans de monopartisme. Malgré ce retour, le Cameroun a connu une crise sociopolitique en 1991 avec les villes mortes et désobéissances civiles déclenchées un 18 avril et qui a duré plus de six mois. Ce qui a abouti à une discussion entre le pouvoir, l’opposition et la société civile du 30 octobre au 15 décembre 1991. Ce qu’on a appelé la Tripartite.
Des réformes institutionnelles sont ainsi engagées. Après les élections de mars 1991 et mai 1997 (législatives et municipales) et d’octobre 1992 et 1997 (présidentielle) de nombreuses critiques ont mis à nu les défaillances du Ministère de l’administration territoriale dans l’organisation des élections. Une autre réforme met en place l’Observatoire national des élections (ONEL) en 2000. Cet organisme est chargé d’observer l’organisation des élections et de donner l’alerte. L’organisation des législatives et municipales de juin 2002 et de la présidentielle d’octobre 2004 n’arrange pas les choses. La situation n’a pas changé malgré cette évolution. La création d’Elections Cameroon (ELECAM) en 1012 vient mettre fin à la vie de l’ONEL dissoute d’ailleurs depuis 2006.
Dans un article publié le 24 mars 2025 intitulé “Les dix incongruités du code électoral camerounais”, je décrivais, dans les parties 6 et 7 comment se déroule le processus de dépouillement des voix, du contentieux électoral et de la proclamation des résultats d’une présidentielle. Cet article montre dans les détails les failles relevées dans la pratique électorale. Depuis 2012, une réforme fait d’ELECAM l’organisation des élections au Cameroun. Nous allons, par la suite, découvrir que le Ministère de l’administration territoriale, au lieu qu’il devienne un acteur au même titre que tout le reste des institutions qui sont associées, garde toujours une place de choix dans le processus. Comme pour le Gabon, cette description de l’étape post-électoral nous fera observer la différence entre les deux systèmes.
Première étape : le dépouillement des bulletins de vote
Le jour et les heures d’ouverture et de fermeture des bureaux de vote sont fixés par décret du président de la république convoquant le corps électoral. Le 7 octobre 2018, les bureaux de vote ont ouvert à 8h et fermé à 18h. Le processus post-électoral commence par le dépouillement des voix dans chaque bureau de vote appelé Commission locale de vote (CLV), article 55 du Code électoral. Elles sont sous la responsabilité d’ELECAM qui désigne un président. Elle comprend également un représentant de l’administration désigné par le Ministère de l’administration territoriale et des scrutateurs désignés par les candidats. À la fin du dépouillement, des procès-verbaux sont dressés. Chaque membre de la CLV en reçoit un exemplaire. Un autre exemplaire est déposé dans le bureau communal d’ELECAM qui le transmet dans les 48 heures à la Commission départementale de supervision. Mais, le détail le plus important ici est que le dépouillement est public et les résultats du bureau de vote concerné sont connus séance tenante, mais le procès-verbal n’est pas connu du public (électeurs).
• Deuxième étape : supervision des résultats de vote
La Commission départementale de supervision est dirigée par le président du tribunal de grande instance qui en est le président. Le Code électoral n’est pas explicite sur sa création et stipule, en son article 63 que, « Il est créé au niveau de chaque département, une commission départementale de supervision ». À la suite de l’article 63, il est précisé que « la Commission a pour rôle de “centraliser et vérifier les opérations de décompte des suffrages effectuées par les commissions locales de vote ainsi que tout document y relatif”. Ici, ELECAM constate la création de la commission et est invité comme membre avec trois représentants (article 64). Sont également considérés comme membres, les représentants de chaque candidat et de l’administration. En conclusion, le pouvoir d’ELECAM s’arrête à ce niveau et c’est l’administration à travers le Ministère de la justice qui prend le relais pour la suite du processus. À la fin des opérations de décomptes, des procès-verbaux sont établis et chacun en reçoit un exemplaire. Un autre est transmis dans les 72 heures à la Commission nationale de recensement général des votes.
• Troisième étape : recensement des résultats des procès-verbaux
Comme pour la précédente commission, l’article 68 stipule que, “Il est créé une commission nationale de recensement général des votes”. Il n’est pas précisé celui qui signe l’acte de création. Mais c’est un membre du Conseil constitutionnel qui en est le président. Le rôle de cette commission est essentiellement basé sur le recensement et des décomptes généraux des votes sur la base des procès-verbaux provenant des commissions départementales de supervision. Elle est composée de cinq représentants d’ELECAM et des représentants de chaque candidat. Chacun reçoit un exemplaire du procès-verbal et un autre est transmis au Conseil constitutionnel qui a cinq jours pour proclamation des résultats définitifs de la présidentielle selon l’article 137.
Les failles du système post-électoral camerounais
Selon le processus post-électoral au Cameroun décrit ci-dessus, il y a lieu de faire quelques constats importants. Premièrement, les procès-verbaux, de la Commission locale de vote à la Commission nationale de recensement général des votes en passant par la Commission. Départementale de supervision, établis à chaque étape ne sont pas publiés. Deuxièmement, contrairement à ce que dit le Code électoral, ELECAM ne gère pas totalement le processus électoral du début à la fin. Sa responsabilité s’arrête au niveau des CLV. Troisièmement, il n’existe pas de proclamation des résultats provisoires en dehors des résultats des dépouillements connus au niveau des CLV. Autrement dit, en dehors de la CLV, les deux autres commissions ne publient pas leurs résultats après supervision et recensement des procès-verbaux reçus. Quatrièmement, les requêtes en vue des contentieux électoraux sont adressées au Conseil constitutionnel 72 heures après la fermeture des bureaux de vote par les candidats. Ils font une requête sur la base des procès-verbaux qu’ils ont obtenus dans les commissions. Cinquièmement, puisqu’il n’existe pas de résultats provisoires, les résultats définitifs ne sont proclamés que quinze jours au plus tard après la fermeture des bureaux de vote.
À la présidentielle du 7 octobre 2018, la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel est intervenue le 23 octobre. Pendant quinze jours, même les médias étaient interdits de publier les tendances. Les candidats qui avaient formulé des recours en contestation 72 heures après la clôture du scrutin, se basent sur leur vécu de tout le processus et sur les procès-verbaux qu’ils détenaient.
En conclusion
Le Gabon parle-t-il au Cameroun ? À quoi nous renvoie la célérité dans la proclamation des résultats ? Pourquoi ce délai plus ou moins long entre la fin du scrutin et la proclamation des résultats dans certains pays africains ? Ces deux exemples nous montrent que la proclamation des résultats provisoires quelques heures seulement après la fermeture des bureaux de vote est l’une des preuves les plus importantes de la transparence. Les exemples de démonstration du déroulé des étapes post-électorales de la présidentielle au Gabon du 12 avril 2025 et les étapes post-électorales de la présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun sont des expériences enrichissantes. La différence dans le fonctionnement du processus électoral entre les deux pays permet de comprendre l’importance de la célérité dans les actions. C’est l’un des indices importants de la crédibilité du processus et de la préservation de la paix sociale postélectorale.
Au Cameroun l’argument du déficit des moyens de communication ne tient plus. Si un pays comme le Gabon, moins riche que le Cameroun a pu tenir le pari, le Cameroun ne peut justifier sa lenteur par sa pauvreté. D’autres arguments encore font état du manque de couverture du réseau national par les voies de communication. Il faut généralement beaucoup plus d’heures que d’habitude pour acheminer les procès-verbaux des zones enclavées vers les sièges des commissions. Une fois encore, ce sont des arguments battus en brèche par le manque de volonté du pouvoir politique qui surfe sur ces failles pour se donner bonne conscience. Au Cameroun, l’opposition n’entend pas donner un chèque en blanc à Paul Biya, 93 ans, pour un nouveau mandat de 7 ans. Ça frise le ridicule, à la limite. En tout cas, la présidentielle d’octobre 2025 s’annonce avec beaucoup d’enjeux.
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