Crédit: ELECAM

Les dix incongruités du code électoral camerounais (suite et fin)

Au Cameroun, le Code électoral reste la pierre angulaire des élections. Du pouvoir comme de l’opposition, les positions sont fermées. La présidentielle d’octobre 2025 s’annonce très mouvementée en termes d’enjeux. Personne ne veut lâcher prise. Les critiques formulées sur ce Code électoral camerounais sont restées lettre morte jusqu’ici. A la suite de l’article précédent, les cinq autres insuffisances montrent encore plus qu’il ne fallait, la nécessité d’une réforme urgente.

6- Le dépouillement des voix (articles 109 à 115)

Avant d’arriver à la proclamation des résultats, il convient ici d’examiner le fonctionnement de cet organisme (ELECAM) concernant le dépouillement et la collecte des voix. Selon la loi n° 2006/011 du 29 décembre 2006, portant création de ELECAM, l’article 1 alinéa 2 est formel. Il stipule que “Elections Cameroon est un organisme indépendant chargé de l’organisation, de la gestion et de la supervision de l’ensemble du processus électoral et référendaire”. Cette même disposition se retrouve dans le Code électoral à l’article 4 alinéa 1. Du début à la fin du processus électoral, plusieurs types de commissions sont créées. Elles sont composées des personnes à la fois des représentants d’ELECAM, de l’administration et des candidats.

Deux types de commissions créées par ELECAM sont chargées des opérations préparatoires aux élections. Il s’agit des commissions de révision des listes électorales et des commissions de contrôle de l’établissement et de distribution des cartes électorales. Il crée également un autre type de commissions chargées du scrutin le jour de vote appelées commissions locales de vote (CLV). Ces trois types de commissions sont gérées totalement par ELECAM. Les trois autres commissions, celle chargée de la supervision au niveau départemental, régional et celle chargée du recensement général des votes au niveau national sont du ressort du président du tribunal de grande instance du département concerné, du président de la cour d’appel de la région concernée et du Conseil constitutionnel au niveau national.

Au regard de tout ce dispositif, le constat que chacun peut faire est que ELECAM ne contrôle par les élections de bout en bout. Le Code électoral introduit l’administration judiciaire dans le processus. ELECAM n’est donc pas indépendant car l’administration judiciaire est censée intervenir à la fin du processus lors des contentieux. Il faut automatiquement rompre avec cette fouineuse pour le moins surprenante. C’est une organisation bancale où ELECAM est accusé à tort pour une élection frauduleuse dont il ne peut pas assumer totalement la responsabilité. Le pouvoir judiciaire a encore le défaut de ne pas jouir d’une séparation effective d’avec l’exécutif. Le pouvoir exécutif ayant toujours une mainmise sur le pouvoir judiciaire, il serait injuste de lui donner la responsabilité de présider des commissions de supervisions et de recensement des résultats.

7- Le contentieux électoral (article 133) et la proclamation des résultats (article 137)

La proclamation des résultats des présidentielles formulée à l’article 137 du Code électoral est et reste la disposition qui me semble la plus saugrenue. C’est la conséquence du modèle de dépouillement des votes décrit plus haut. Au regard de ce système de dépouillement et de proclamation des résultats, il est donc évident que la responsabilité d’ELECAM se limite à la CLV. La curiosité ici est qu’au Cameroun, il n’existe pas de résultats provisoires que l’organisme est censé donner. Le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs de la présidentielle et des législatives respectivement quinze et vingt jours à compter de la date du scrutin, pour ne prendre que ces deux exemples.

Curieusement, à l’article 133 alinéa 1, le Code électoral donne un délai de soixante-douze heures à compter de la date du scrutin pour toute contestation en contentieux électoral. La question que tout observateur sérieux se pose est de savoir comment les candidats peuvent-ils faire des contestations sans connaître d’avance les résultats provisoires que ELECAM devrait publier ? Les candidats et leurs conseils ne peuvent faire des requêtes adressées au Conseil constitutionnel que sur la base des exemplaires des procès-verbaux obtenus au sein des CLV où ils sont représentés. Une fois encore, la curiosité ici est que ces exemplaires de procès-verbaux, selon le Code électoral, n’ont aucune valeur juridique aux yeux du juge électoral.

Selon l’article 115 alinéas 2 et 3, seuls les originaux détenus par ELECAM “font foi”. Comment les leaders et leurs conseils vont-ils faire des recours sur la base des procès-verbaux qu’ils détiennent et qui n’ont aucune valeur juridique ? La meilleure solution serait de laisser à ELECAM la responsabilité entière d’organiser les élections du début à la fin, de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats provisoires. Il faut donc laisser au Conseil constitutionnel la responsabilité des contentieux électoraux et de la proclamation des résultats définitifs. Cet imbroglio sur les dépouillements, les supervisions et les recensements des votes est de nature à compromettre la sincérité des élections au profit du parti au pouvoir qui contrôle la carrière des magistrats.

8- La saisine des juges du Conseil Constitutionnel (article 132)

Au Cameroun, le juge électoral est représenté par le Conseil constitutionnel pour les présidentielles (article 132), législatives (article 168) et sénatoriales (article 239), le tribunal administratif pour les municipales (article 194) et régionales (article 267). Leur fonction respective est de veiller à la régularité des élections. Autrement dit, le juge électoral a la compétence de juger de la sincérité et de l’objectivité des résultats de vote. Seuls les candidats et les partis politiques ou leurs représentants (conseils) ont le droit de saisir les juges par une simple requête. Cette compétence de saisine est également octroyée aux agents administratifs.

il est tout de même écœurant de constater que, très souvent, les plaignants se désistent. C’est parfois pour des raisons personnelles, mais généralement, on pourrait soupçonner une compromission. Au-delà du désistement, il y a également et surtout le refus de faire des recours. Beaucoup d’exemples de désistements ou de refus font état des fraudes où le juge aurait pu être regardant. L’exemple le plus récent et le plus illustratif est le cas des sénatoriales de 2018. Dans la région de l’Adamaoua, l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) avait retiré son recours. Le parti avait contesté l’authenticité de l’acte de naissance d’une candidate dans la liste du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir.

Au-delà de la saisine des juges par les candidats et leurs représentants, il faut noter la nécessité de faire intervenir l’auto saisine. Il est possible que des cas de fraudes et d’usage de faux existent réellement. Mais, il n’est pas concevable qu’ils ne soient pas condamnés pour la simple raison du refus de dénoncer par ceux que le Code électoral a désigné. Garder le silence sur les fraudes est un choix des adversaires. Les raisons peuvent être personnelles ou non. Il devient nécessaire de contourner cette défaillance en donnant la possibilité aux juges de s’autosaisir. Ainsi, même les cas qui n’ont pas été constatés par les adversaires seront mis à nu.

9- Élection à deux tours (article 116 et 152)

Dans la Constitution de 1996, à l’article 6 alinéa 2, il est stipulé que “Le Président de la République est élu au suffrage universel direct, égal et secret, à la majorité des suffrages exprimés”. En d’autres termes, le Président de la République est élu à la majorité des voix obtenues après décomptes. La précision n’a pas été faite, mais cette expression de “majorité des suffrages” renvoie au fait qu’elle peut être relative ou absolue. Le Code électoral est encore plus clair et explicite. Dans son article 116 alinéa 3, le Président de la République est élu “au scrutin uninominal majoritaire à un tour”. Pareil pour les députés dans l’article 152 alinéa 1 qui sont élus “au scrutin mixte à un tour”.

Le Cameroun a vécu une période de parti unique de 1966 à 1990. Le pays a connu, dès l’indépendance en 1960, des cas de candidats élus à la majorité relative sauf en période de parti unique. L’exemple le plus parlant dès le retour au multipartisme est la présidentielle d’octobre 1992. Paul Biya, face à cinq autres candidats, avait obtenu 39,98%. Depuis cette période, il a toujours eu la majorité absolue. Sur sept scrutins, Paul Biya n’a eu la majorité relative qu’une seule fois. Depuis le retour au multipartisme, cette victoire du RDPC, comme d’autres, a toujours été contestée par les autres candidats de l’opposition.

En dehors du fait que le Code électoral comporte des insuffisances, les échecs répétés et successifs des leaders de l’opposition peuvent être vus sous plusieurs angles. Généralement leur refus ou incapacité de rassemblement pour faire bloc face à Paul Biya leur sont reprochés. C’est ce qui expliquerait le faible taux d’inscriptions et de participation des électeurs. Ce manque d’engouement se retrouve dans les rangs des électeurs favorables à l’opposition. Conséquence, ce sont les électeurs sympathisants du parti au pouvoir qui votent. Pour susciter cet engouement chez les électeurs favorables à l’opposition, il faut mobiliser la stratégie de la coalition. Curieusement, cette méthode n’a pas connu de grands succès pour la simple raison que le consensus est difficile sans enjeux politiques pour les partis politiques. Ces enjeux peuvent être mobilisés en cas d’élections à deux tours. Dans ce cas précis, les coalitions se feront d’elles-mêmes ni tambour ni trompette au second tour. Ce système va susciter beaucoup d’intérêts et amener les sceptiques à s’intéresser à la chose politique. On comprend pourquoi le parti au pouvoir ne militerait pas à la faveur de ce système.

10- La rééligibilité de tous les candidats (article 116 et 148)

Tous les candidats aux postes électifs qui font l’objet de cet article (président de la République, député, sénateur, conseillers municipaux, conseillers régionaux) sont rééligibles. Cela signifie que le nombre de mandat auquel chaque personne a droit n’est pas limité. Une personne qui est élu peut candidater de nouveau et autant de fois si elle le désire. Cependant, il y a un minimum d’âge requis pour être éligible. Il faut avoir, à la date du scrutin, trente-cinq (35) ans révolus pour la présidentielle et vingt-trois (23) ans révolus pour les législatives (nous nous en tenons à ces deux types d’élections). C’est d’ailleurs la seule condition limitative.

La longévité au sommet de la Présidence de la République est donc la conséquence d’une non limitation du nombre de mandats. Depuis l’indépendance, le Cameroun n’a connu que deux présidents de la République en 65 ans. Après les 22 ans d’Ahmadou Ahidjo, Paul Biya est au pouvoir depuis 43 ans. Cette longévité a, à son tour, pour conséquence la frustration légitime des générations qui aspirent aussi à gouverner. Elle entraîne la boulimie et l’ivresse du pouvoir. Les élus sont donc tentés d’en abuser éternellement.

La présidentielle d’octobre 2025 s’annonce ainsi avec beaucoup de surprises. L’une d’elles serait la confirmation de la candidature de Paul Biya. Elle peut être agréable ou non, mais elle reste une surprise. Il a déjà le record du plus vieux président et de la plus vieille dictature du monde. La limitation des mandats est l’une des solutions efficaces pour éviter de telles longévités. La Constitution de 1996 avait prévu cela en préconisant un mandat de cinq ans renouvelables une fois. Mais, en 2008, à la veille du deuxième mandat de 7 ans, Paul Biya a fait modifier la Constitution par l’Assemblée nationale acquise à sa cause. Il a fait sauter le verrou de la limitation. Il a ainsi violé l’accord Tripartite de 1996 issue d’un consensus. La Constitution de 1996 est le fruit d’un consensus entre le pouvoir, l’opposition et la société civile pour mettre fin à une crise sociopolitique qui a duré plusieurs mois de 1991 à 1992. Sa modification pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels devrait, dans une moindre mesure, suivre le même processus. Ce qui n’était pas le cas en 2008. En 2011, il est ainsi candidat à sa propre succession et gagne pour son septième mandat. Certains observateurs s’accordent à dire qu’il serait difficile de limiter le nombre de mandats même si on le réhabilite dans la Constitution. Chaque despote viendra faire sauter ce verrou s’il a la majorité au parlement. Mais ça c’est un autre débat.

En guise de conclusion

Le Code électoral camerounais comporte beaucoup d’incongruités. Celles-ci sont de plusieurs natures. D’abord il existe trop de double sens. Ce sont des dispositions qui sont interprétées de plusieurs manières selon le camp politique où l’on se trouve. Ensuite, ce sont des erreurs d’opposition. Certaines dispositions disent à la fois une chose et son contraire. Enfin, il y a des erreurs de logique ou de bon sens. Il y a des étapes dans le processus électoral qui ne sont pas prévues quoique nécessaires. Ces défaillances sont suffisamment graves et mettent en péril la paix sociale. Elles sont de nature à donner aux acteurs politiques des raisons de se constituer en légitime défense en cas de non satisfaction à la fin du processus. Les régimes politiques de dictature ont cette particularité que leur chute est généralement précédée de troubles ou conflits armés.

Deux éléments militent en faveur de cette thèse. Il y a la vieillesse des pontes du régime. Selon l’ordre hiérarchique de préséance du pouvoir politique, les quatre personnalités du pays sont des sexagénaires et les octogénaires : le président de la République, le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale et le Premier ministre. Secondement, il y a la longévité du pouvoir. Paul Biya gouverne depuis 1982. Mais il est dans le cercle du pouvoir depuis 1962, deux ans après l’indépendance, en tant que chargé de missions à la Présidence de la République nommé par Ahmadou Ahidjo. La plupart de ses collaborateurs et thuriféraires du régime totalisent chacun plus de vingt ans de gestion des affaires publiques. C’est donc des frustrations accumulées pendant des années et des décennies qui sont en alerte. Bref, toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle crise, un conflit sociopolitique au Cameroun.

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Auteur·e

tkcyves

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