Crédit: ELECAM

Les incongruités du code électoral camerounais

Depuis son adoption par le parlement en 2012, le Code électoral ne cesse de susciter des controverses. Des leaders politiques et la société civile ont à plusieurs reprises tenté un compromis sans succès. Même l’organisme chargé d’organiser les élections a, à mainte fois, émis des réserves sur ses défaillances, mais le pouvoir est resté campé sur sa position.

Le Cameroun va traverser l’une des étapes de la présidentielle en octobre 2025. La principale pomme de discorde est le consensus tant recherché sur les règles du jeu électoral. Il est de plus en plus décrié à chaque échéance électorale. Pour la présidentielle d’octobre 2025, les nerfs sont particulièrement tendus. Pour cause, à 93 ans – dont 43 ans de pouvoir – Paul Biya reste une curiosité dans le monde. Sera-t-il candidat ? Rentrera-t-il au village ? Cela reste une énigme.

Cette longévité est particulièrement le fruit d’un Code électoral taillé sur mesure. Plusieurs dispositions font de lui une source de conflits qui pourraient conduire le pays dans une crise sociopolitique regrettable. Le parti au pouvoir et l’opposition sont à couteaux tirés. Il serait fastidieux de faire l’exégèse complète de toutes les diatribes liées aux dysfonctionnements du système électoral. Nous nous contenterons ici de mettre l’accent sur quelques dispositions les plus critiquées et plus susceptibles d’être des sources de conflits. Nous avons sélectionné les dix éléments les plus pertinents. Les dix curiosités les plus problématiques sont analysées ci-dessous dans les moindres détails.

1- La composition du Conseil électoral, nomination de ses membres (article 12) et de la Direction (article 24) d’ELECAM

Cette disposition est relative au fonctionnement de l’institution chargée de l’organisation matérielle des élections. Elections Cameroon (ELECAM) est un organisme qui doit jouir d’une autonomie et d’une indépendance administrative. Elle est composée de deux organes : le Conseil électoral et la Direction des élections. Le Conseil comporte 18 membres et la Direction quant à lui à un directeur et un directeur adjoint. Ces personnalités sont tous nommées par un arrêté du Président de la République.

Le Président de la République qui est en même temps président du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), a seul le pouvoir de nomination. Une institution qui est chargée d’organiser le jeu électoral est censée être plus crédible en termes de parité. Pourquoi la problématique de la parité fait-elle débat ? Parce que les membres du Conseil et de la Direction d’ELECAM sont des membres du RDPC. Même si ces personnalités ont démissionné du parti la veille ou après leur nomination, leur indépendance reste questionnable. Une répartition monopartiste sur la composition de ce Conseil entraîne automatiquement les doutes légitimes sur son indépendance.

La solution suggérée par les partis politiques, parties prenantes du jeu électoral, est de diversifier l’origine politique des membres du Conseil électoral. Autrement dit, ces ils ne doivent pas être issus du parti politique au pouvoir et de ses alliés. Une répartition équitable entre les partis politiques représentés au parlement, aux Conseils municipaux doit compter pour la nomination des membres du Conseil électoral. Celui-ci à son tour est chargé de recruter le Directeur et son adjoint par simple appel à candidatures.

2- La majorité électorale (article 45)

Selon l’article 45 du Code électoral, la majorité électorale est de 20 ans au Cameroun. C’est le résultat d’une discussion âpre lors de la Tripartite d’octobre en novembre 1991 à Yaoundé qui a abouti à la Constitution votée le 18 janvier 1996, modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008. Cette discussion est la suite d’un conflit sociopolitique des années de braise de 1990 à 1992. Selon l’article 2 alinéa 3 de la Constitution, « le vote est égal et secret ; y participent tous les citoyens âgés d’au moins vingt (20) ans ». Cette disposition a donc été maintenue dans l’article 45 du Code électoral.

Il y a lieu de préciser que depuis cette légalisation de la majorité électorale, les réalités ne sont plus les mêmes. La majorité de la classe politique revendique la révision de cette majorité à la baisse. Ainsi, la mettre à 18 ans est plus réaliste compte tenu de l’âge médian de la population camerounaise. La pyramide de l’âge montre un volume plus élevé vers le bas de l’échelle. Autrement dit, le Cameroun présente une population de plus en plus jeune. Cette majorité doit refléter sa représentation au niveau politique.

Plus encore, la majorité civile est de 21 ans. Elle a été arrimée à la majorité civile en France en vigueur depuis 1792 et qui est descendue à 18 ans depuis 1974. Le Cameroun n’a pas voulu suivre le pas pour s’arrimer à 18 ans. Curieusement, la majorité pénale est fixée à 18 ans selon le Code pénal. Il devient ainsi urgent d’uniformiser la majorité au Cameroun (majorité électorale, majorité civile et majorité pénale) pour s’arrimer à la loi de 2016. Sinon, comment comprendre qu’un jeune de 19 ans par exemple, recruté dans l’armée, n’a pas le droit de vote ? Cette disparité de la majorité est source de conflits parce que le Code électoral exclut une grande partie de la population au vote.

3- Le calendrier électoral et la convocation du corps électoral (article 86)

Le calendrier électoral est connu d’avance. Le bon sens voudrait que le calendrier électoral des prochaines élections soit automatiquement connu. Il est organisé et fixé en fonction des dates des élections précédentes. Mais le Code électoral camerounais donne la possibilité au Président de la République de les proroger ou de les anticiper, ce qui ne permet pas aux acteurs politiques de se préparer. La publication du calendrier électoral immédiatement après la fin d’un scrutin est le gage qu’une seule personne n’est pas le maître du jeu.

Prenons un exemple pour illustrer cette malice du Code électoral. Pour ce qui concerne la présidentielle et les sénatoriales, le Président de la République doit convoquer par décret le corps électoral au moins 90 jours qui précèdent le vote selon l’article 86 du Code électoral. Cette disposition donne ainsi le pouvoir au Président de la République de fixer le jour du scrutin à la date de son choix à condition de ne pas aller au-delà de son mandat. Autrement dit, il peut anticiper plusieurs mois avant la date d’expiration de son mandat. Pour les législatives et municipales, il a le pouvoir de proroger (maximum 18 mois) avec l’avis favorable du Sénat. Lorsque le calendrier n’est pas connu d’avance, le Président de la République donne la possibilité à son parti politique d’avoir de l’avance sur les autres partis concurrents.

Les critiques ne cessent d’abonder dans le sens de retrait de ce pouvoir au Président de la République dans la maîtrise du calendrier électoral. Il peut cependant se contenter de convoquer le corps électoral. Le calendrier doit être le pouvoir réservé au Conseil électoral uniquement. Il doit donc être connu quelques jours après la fin des scrutins. Les modifications éventuelles faites en fonction des conjonctures ou des situations inattendues doivent être l’apanage exclusif dudit Conseil. Il n’est donc pas question de laisser au Président de la République l’opportunité de juger de la date des scrutins et d’être en avance sur les autres candidats comme lui.

4- La durée de la campagne électorale (article 87) et le financement des partis politiques (article 285 et 286)

La durée de la Campagne électorale est fixée par l’article 87 du Code électoral. Elle a lieu les 14 jours qui précèdent le jour du scrutin et s’achève la veille de celui-ci. Les partis politiques de l’opposition estiment que 14 jours sont très insuffisants pour battre campagne au Cameroun. Parcourir toutes les 475.442 m² du territoire travers les régions en se limitant ne serait-ce qu’aux villes principales est un parcours de combattant. Le réseau de communication (transport aérien, ferroviaire et routier) n’est pas uniforme et ne permet pas une circulation fluide en si peu de temps.

La durée de la campagne électorale impacte également sur le poids financier des partis politiques et des leaders, acteurs des scrutins. En d’autres termes, la nécessité de prolongation de la durée de la campagne électorale voulue par les leaders va multiplier les actions sur le terrain. Cela fera donc appel à un supplément de moyens financiers. Déjà que le mode de financement de la campagne sur une durée de 14 jours est inéquitable. La répartition du financement est faite en deux tranches. La première est faite de manière équitable et la seconde en fonction des résultats sur le terrain. Curieusement, le montant global pour chaque parti politique est fixé unilatéralement par le Président de la République

Il faut préciser que le parti au pouvoir a la possibilité de disposer des moyens de l’Etat. Ce qui fait de lui un mastodonte électoral en termes de mobilisation sur le terrain car ayant plus de moyens financiers et matériels que les autres partis concurrents. Les articles 87 sur la durée de la campagne électorale et 285 et 286 sur le mode de financement font du RDPC une machine à broyer. Pour limiter les dégâts, il devient important d’interdire l’utilisation des moyens de l’Etat pour les campagnes électorales. Il faut également donner au parlement le pouvoir de fixer le budget de financement des partis politiques ou alors de fixer un taux forfaitaire à introduire dans le Code électoral.

5- Le bulletin unique (article 88)

Selon l’article 88 du Code électoral, le matériel du vote est constitué des enveloppes et des bulletins de vote. Chaque candidat ou chaque parti politique dispose d’un bulletin particulier. Chaque bulletin a une couleur particulière, où figurent les photos, effigies ou sigles, noms des candidats. Chaque électeur introduit un bulletin de son choix dans l’enveloppe qu’il met dans l’urne. Cette méthode de vote existe depuis la période post-indépendance des années 1960. Les Camerounais ont toujours voté ainsi sans avoir changé de méthode.

Pourquoi cette méthode persiste toujours malgré ses insuffisances ? Parce qu’elle est la porte ouverte de toutes les fraudes électorales. Voici quelques exemples illustratifs. Avec plusieurs bulletins de votes, plusieurs irrégularités peuvent être constatées : la disparition ou l’insuffisance des bulletins des leaders ou des partis concurrents non favorables au parti au pouvoir ; l’achat des consciences des électeurs qui vendent leur vote en sortant de l’isoloir discrètement avec le reste des bulletins non choisis. Le bulletin manquant est la preuve que l’électeur l’a mis dans l’enveloppe. Cette méthode très ancienne de fraude est la plus répandue et la plus populaire.

Pour contourner cette méthode de fraude, il a été proposé par les partis politiques de l’opposition, le bulletin unique. Ici, on n’aura plus affaire à plusieurs bulletins appartenant à des leaders et des partis politiques distincts. Un seul bulletin sera imprimé. Il y sera inscrit, pour chaque type d’élection, les noms des candidats et des partis politiques en compétition, leurs sigles et leurs photos. Il suffit pour chaque électeur de prendre le bulletin, d’entrer dans l’isoloir, de cocher une case vide qui figure à côté du nom d’un leader ou du parti politique choisi. Cette méthode est d’ailleurs implémentée au sein des partis politiques de l’opposition lors des élections internes. L’expérience donne des résultats satisfaisants jusqu’ici.

La suite dans le prochain article.

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Auteur·e

tkcyves

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FOCGO FEUGUI Sidoine
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Merci