Beaucoup d’observateurs considèrent ce qui s’est passé à Ngarbuh comme le « massacre de trop ». Pour preuve, les sorties de l’ONU, bien qu’appelant à une enquête et à la responsabilité de la protection des civils par le gouvernement camerounais, ne sont pas de nature à calmer le régime de Yaoundé. Les condamnations qui fusent de partout, et plus particulièrement de celles du président Français, Emmanuel Macron, qui qualifie « d’intolérables » la situation humanitaire dans les régions anglophones, donnent certainement des sueurs froides aux thuriféraires qui ne cessent en perte de légitimité sur le plan international.
Les réactions les plus en vue sont celles des fonctionnaires onusiens. Elles appellent absolument à une analyse minutieuse de la situation qui donnerait peut-être lieu à un aboutissement allant dans le sens de la décrispation. Cependant, la situation socioéconomique en est-elle favorable ? Le pouvoir de Yaoundé joue actuellement sur sa survie face aux accusations de « crimes contre l’humanité » voire de « génocide ». Les diverses réactions qui ont suivies le massacre de Ngarbuh montrent bien comment cette réalité est accablante.
Les premières réactions
Les premières réactions ont évidemment été celles du ministre délégué à la présidence chargée de la défense comme je l’ai dit dans mon billet précédent. Son communiqué tenait, jusque-là, lieu de la version officielle du gouvernement camerounais. Plusieurs réactions ont précédé celles du ministre. Il s’agit surtout des réactions des hommes politiques et de la société civile. En dehors de l’église catholique par la voix de Mgr George Nkuo, il y a les avocats des droits de l’Homme comme Felix Agbor Khongo pour qui « le gouvernement a l’obligation de faire la lumière » sur ce qui s’est passé. Les femmes et hommes politiques Camerounais comme Kah Walla, à travers son ONG Stand Up For Cameroon, les partis politiques comme le SDF et le MRC, n’ont pas été en reste. Parmi les réactions les plus médiatisées, il y a eu celle de Jery Rawlings, ancien président ghanéen.
La première distinction que l’on peut faire entre les premiers témoignages, les différentes réactions et la sortie du ministre Beti Assomo, réside dans le nombre de personnes tuées. Tandis que les uns parlent de 21 à 24 morts, essentiellement des femmes enceintes et des enfants, le ministre délégué, lui, parle de « 7 terroristes » et de « une femme et 04 enfants », pour un total de 12 morts.
Le 17 février, Stéphane Dujarric, le porte-parole du Secrétaire Général de l’ONU réagit en appelant « le Gouvernement du Cameroun à ouvrir une enquête et à prendre les dispositions nécessaires pour que les coupables répondent de leurs actes ».
Le 18 février, le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi, donne la version officielle du gouvernement camerounais. Il réagit à son tour en reprenant intégralement la version de son collègue de la défense. Après avoir parler de « d’affabulations et d’allégations mensongères », il signe et persiste sur le nombre de cinq civils tués non sans pointer un doigt accusateur à la société civile, aux activistes et aux organisations internationales : « Le Gouvernement s’inscrit donc en faux contre les accusations fantaisistes et gratuites, portées par des activistes politiques, par les commanditaires des bandes armées sécessionnistes, par des Organisations Non Gouvernementales ainsi que par certains médias nationaux et internationaux, contre nos Forces de Défense et de Sécurité ».
Le 21 février, quatre hauts responsables onusiens ont réagi : la Représentante spéciale du Secrétaire Général pour les enfants et les conflits armés, Virginia Gamba ; la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence sexuelle dans les conflits, Pramila Patten ; la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence contre les enfants, Najat Maalla M’jid et le Conseiller spécial pour la prévention du génocide, Adama Dieng.
La sentence de l’ONU à travers la voix de ces autres fonctionnaires est claire : « Nous sommes profondément préoccupés par les informations faisant état de violences, notamment l’attaque du 14 février contre le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest, qui a fait 23 morts, dont 15 enfants », ils appellent à une « meilleure protection des civils au Cameroun dans un contexte d’escalade de la violence dans ce pays d’Afrique centrale ». En conclusion, l’ONU insiste et confirme les sources indépendantes et des témoins relatives au nombre de morts. La question qui reste pendante est celle-ci : c’est quoi la suite ?
La réaction la plus intéressante et la plus musclée reste celle de l’ONG Human Right Watch (HRW), par la voix de la chercheuse Ilaria Allegrozzi qui, à la chaîne de télévision TV5, affirme mordicus que la version du gouvernement camerounais est fausse pour trois raisons. Premièrement, le nombre de morts se chiffre à une vingtaine ; deuxièmement, il n’y a pas eu « d’explosion de plusieurs contenants de carburant » ; troisièmement, il n’y a pas eu « combats » entre les hommes de l’armée camerounaise et les groupes armés locaux. Selon elle, les images satellitaires que l’ONG possède confirment ces mensonges.
HRW avait promis publier les résultats d’une enquête à propos de ces massacres. Ces résultats sont donc disponibles ce mardi 25 février où elle demande, néanmoins au gouvernement Camerounais de faire une enquête indépendante. Cela veut donc dire que malgré les chiffres annoncés, les enquêtes continuent d’être menée. D’ailleurs, une autre ONG basée à Yaoundé, Nouveaux Droits de l’Homme, annonce ce jour le chiffre de 35 morts au total dont 3 femmes enceintes et 17 enfants. Les avertissements de l’ONU appuyés par les information de HRW sont suffisamment graves pour mettre en alerte le pouvoir de Yaoundé.
Les enjeux d’un tel drame
Il y a lieu à présent de se poser la question fondamentale : c’est quoi la suite ? L’opinion publique camerounaise, depuis le déclenchement de cette guerre meurtrière, est formelle : le retour à la paix. Ce qui reste facile à dire, mais la mise en place d’une force d’interposition, comme le souhaitent beaucoup, est difficile à mettre en place. Il n’est plus question en ce moment de faire confiance à un gouvernement belligérant. Cependant, les fonctionnaires internationaux onusiens misent encore sur la bonne foi du gouvernement : « Nous demandons au gouvernement de veiller à ce que les forces de sécurité respectent les normes applicables du droit international pendant la conduite de leurs opérations ». Bien entendu, l’ONU n’épargne pas l’autre camp : « Nous rappelons également aux groupes séparatistes armés leurs responsabilités en vertu du droit international et appelons toutes les parties à s’abstenir d’attaques délibérées contre des civils ».
Si l’intervention de la communauté internationale semble être l’unique solution pour arrêter cette guerre, pourquoi cette communauté tarde-t-elle à réagir et ne se contente que des avertissements ? Pourquoi la diplomatie internationale a-t-elle la réputation d’être lente ? Pour comprendre la portée historique et politique de ce communiqué de l’ONU, l’observation du journaliste camerounais Boris Bertolt me semble pertinente.
Pour la première fois dans un communiqué, les Nations Unies évoquent la responsabilité de protéger. Par les contacts rendus public dans le texte, figure l’un qui est moins connu, celui du représentant spécial du SG des Nations Unies sur le génocide et la responsabilité de protéger.
La responsabilité de protéger est un concept érigé par l’Organisation des Nations unies. Apparue en 2001 au sein de la Communauté internationale sur l’intervention et la souveraineté des États, elle est entérinée en 2005 dans le Document final du Sommet mondial.
Dès lors est reconnue à la communauté internationale une compétence en cas de « défaillance manifeste » d’un État à protéger sa population. Il s’agit d’une responsabilité de protéger les populations civiles victimes de crimes de génocide, crimes contre l’humanité, nettoyage ethnique et crimes de guerre. Cette responsabilité subsidiaire, activée par le Conseil de sécurité, peut prendre la forme d’une intervention coercitive, telle que prévue par le Chapitre VII de la Charte, mais aussi d’une palette d’autres mesures, pacifiques, diplomatiques ou humanitaires. En 2009, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, précise ainsi que l’« action résolue » attendue ne désigne pas le seul recours à la force.
Il existe en fait une palette de mesures. Le premier pays où ce principe a été appliqué c’est la Libye du dictateur Mouammar Kadhafi.
Macron tance Biya
Emmanuel Macron était présent au salon de l’agriculture le 22 février en France. Il a été interpellé par un activiste camerounais, Calibri Calibro, de son vrai nom Thiam Abdoulaye. L’activiste demande à Macron la responsabilité de l’intervention de la France pour arrêter le « génocide » qui, selon lui, fait de nombreux morts dans les deux régions anglophones du Cameroun et avance le chiffre de 12.000. A travers les échanges, Emmanuel Macron a fait certaines révélations troublantes concernant les relations entre la France et le Cameroun : « Je vais appeler la semaine prochaine le président [du Cameroun] Paul Biya et on mettra le maximum de pression pour que la situation cesse. Il y a des violations des droits de l’Homme au Cameroun qui sont intolérables, je fais le maximum ».
Un génocide qui est perpétré par le « dictateur » Biya qui tient à rester au pouvoir malgré ses 38 ans de magistrature suprême. Sur la question de la démocratie, Macron répond en précisant que « La France a un rôle compliqué en Afrique. Quand la France dit : ‘tel dirigeant n’a pas été démocratiquement élu’, les Africains nous disent ‘de quoi vous mêlez-vous ?’… Moi, je mets la pression sur chacun ; je travaille avec l’Union africaine pour mettre la pression ».
En réactions à ces propos de Macron, les jeunes, qui se font appeler « Patriotes », descendent dans les rues à Yaoundé, Douala et Garoua depuis hier lundi 24 février. Certains observateurs postulent déjà sur la thèse de « manipulations » organisées par les thuriféraires. Cette perte de légitimité internationale se confirme donc au regard de ce que je peux appeler fébrilité. De quoi aurait peur Biya, qui réagit par embuscade ? Pourquoi les communications du ministre délégué à la présidence chargé de la défense, du ministre de la communication et plus récemment celle du secrétaire général de la présidence ne s’adressent-elles pas au président français, mais condamnent plutôt l’activiste qui l’a interpellé ? On ne perdra certainement rien à attendre.
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