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Ngarbuh : ce qui s’est passé

Depuis le 14 février dernier, la guerre dans le NOSO (les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest) vient de connaitre l’un des plus grands rebondissements. Les images d’une incroyable atrocité circulent à travers les réseaux sociaux. Les corps humains et plus particulièrement de femmes enceintes et d’enfants calcinés ont été découverts dans le village Ngar-buh situé dans l’arrondissement de Ndu, Département de Ndonga-Mendung, Région du Nord-Ouest. Le Cameroun est en émoi. Que s’est-il passé ?

Personne ne sait, jusqu’à présent, ce qui s’est réellement passé. Les photos des corps déchiquetés se sont répandues sur les réseaux sociaux et surtout sur Facebook comme une traînée de poudre. Comme il est coutume depuis 2017 que la guerre a commencée, les activistes ont attribué ces massacres à l’armée camerounaise. À la suite de son chargé de communication, Cyrille Serge Atonfack Guemo, le ministre délégué à la présidence chargé de la défense fait une sortie le 17 février. Dans ce communiqué, le ministre livre sa version des faits.

Un « malheureux accident »

Joseph Beti Assomo conclut « qu’il s’agit tout simplement d’un malheureux accident, conséquence collatérale des opérations de sécurisation en cours dans la région ». Il ajoute surtout que cette conclusion est la résultante « des informations méthodiquement et professionnellement recoupées ». Cette conclusion qui figure sur le communiqué du ministre ne guise d’introduction n’a pas suffi à calmer les ardeurs des activistes qui attribuent ces massacres aux hommes de l’armée camerounaise. Le ministre, cependant, ne nie pas l’existence des morts à travers son récit suivant :

Le 14 février 2020, un groupe de six éléments des forces de Défense, dont quatre militaires et deux gendarmes renseigné par des repentis a effectué une approche de reconnaissance nocturne à pieds vers une habitation de Ngarbuh transformé en camp fortifié, véritable base logistique de marchandises illicites, de réception des armements et munition de tous calibres, et de stockage et revente de stupéfiants.

Pris à partie par des tirs nourris depuis le refuge fortifié, la riposte de éléments des forces de l’ordre permettra de mettre hors d’état de nuire sept des terroristes présents sur les lieux. Les combats vont se poursuivre jusqu’à l’explosion de plusieurs contenants de carburant, suivi d’un violent incendie qui va affecter plusieurs habitations voisines. Cet incendie a fait cinq victimes, dont une femme et quatre enfants, bien loin de ce qui est relayé dans les réseaux sociaux.

Il faut tout de même remarquer que le ministre réagit deux jours après de nombreuses indignations suite à la mort des femmes enceintes et des enfants, surtout ceux âgés de moins de cinq ans. La responsabilité de l’armée était donc engagée à la suite des témoignages recueillis par les activistes, les ONG et les fonctionnaires onusiens présents dans la région.   

Les premiers témoignages

Ce communiqué du ministre délégué datant du 17 février intervient après certains témoignages qui circulaient déjà sur les réseaux sociaux depuis le 15 février. Je vous livre ici en intégralité l’un des plus en vue en ce moment. C’est le témoignage d’un survivant, habitant du village, rapporté par un activiste qui se fait appelé Nzui Manto Yi Sepsep. Celui-ci a été le premier à lancer l’alerte dans la soirée du 14 février aux environs de 21h. grâce à lui, nous pouvons avoir une première version des faits d’un témoin :

Il s’agissait d’une opération conjointe comprenant des militaires, des mbororos et quelques anciens combattants des forces de restauration ambazoniennes. Les soldats étaient au nombre de cinq, trois ex-combattants et de nombreux Mbororos. Je ne sais pas l’heure exacte à laquelle ils sont venus et je ne peux pas dire laquelle des forces armées était présente car il y a toujours ce qu’ils appellent « force conjointe ». J’étais à Ntumbaw et ces gens y sont entrés dans la nuit, c’est pourquoi je ne peux pas dire exactement l’heure à laquelle ils sont venus. Ce qui m’a fait savoir exactement le nombre, c’est qu’ils sont venus à Ntumbaw et se sont adressés à la population, donnant aux habitants de Ngarbuh trois jours pour partir ou ils devraient attendre le pire. Je suis allé à Ngarbuh avec un frère qui était à Ngarr et je sais de quoi je parle.

Quant à la population, il leur était très difficile de fuir car ils venaient la nuit et certains dormaient encore mais quelques-uns ont réussi à s’enfuir.

Ils sont venus à Ngarbuh et en ont tué exactement 23 personnes soit environ trois hommes, six femmes et 14 enfants. Il y avait trois cas à l’hôpital dont un abandonné. Il y avait trois enfants de moins de trois ans. Sur les 14 enfants, 11 étaient en âge d’aller à l’école primaire, trois allaitaient encore. Certains de ces bourreaux ont même dit à quelques survivants qui n’avaient pas été tués que ce n’était que le début. Il y a eu des brûlés et ceux qui n’ont pas pu s’enfuir ont été abattus. Alors que les militaires sont partis, certains villageois aidés par des combattants ont enterré les victimes hier [vendredi 14 février, N.D.L.R.].

Nzui Manto Yi Sepsep

TÉMOIGNAGE D'UN VILLAGEOIS DE NGARBUH AU SUJET DU MASSACRE D'ENFANTS ET LEURS PARENTS PAR L'ARMÉE DU TYRAN ET SES ALLIÉS…

Publiée par Nzui Manto Yi Sepsep sur Dimanche 16 février 2020

A partir de ce témoignage, plusieurs informations sont révélées. Ce récit fait tout simplement mention de la présence de cinq soldats de l’armée camerounaise. L’autre information importante est cette présence des indépendantistes armés dits « Amba-boys » au nombre de trois. Une façon de dire expressément la responsabilité des deux acteurs dans les massacres. Cependant, l’information qui fait couler beaucoup d’encre et de salive est certainement les chiffres sur le nombre de morts : 23 au total dont six femmes et 14 enfants.

Pire encore, la version de l’évêque de Kumbo, Monseigneur Georges Nkuo, n’est pas bien éloignée de celle du témoin : « Nous avons été suffisamment informés du malheureux incident qui a eu lieu le 14 février dans le village Ngarbuh-Ntumbaw à la paroisse St Martin de Porrès à Ndu. Le vendredi 14 février 2020, les militaires ont envahi Ngarbuh à 4h et on nous a dit que 24 personnes, dont des femmes enceintes et des petits enfants, avaient été tuées. Certaines victimes ont été brûlées vivantes et plusieurs autres blessées ».

Mais, dans un entretien accordé à une chaîne de télévision locale (Equinoxe TV), l’évêque parle plutôt de 22 morts au total. Comme nous allons le voir dans le billet suivant, les versions sur le nombre de morts sont nombreuses et divergentes. Elles ne sont, cependant, en deçà d’une vingtaine de morts.

C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les réactions ne se sont pas faits attendre.

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Auteur·e

tkcyves

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