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Le journalisme et la presse camerounaise au cœur de la tyrannie

La presse peut-elle être livre en temps de disette ? Pour dire autrement, pauvreté et liberté sont-elles compatibles ? Cela renvoie au fait que si l’exercice du métier de journalisme est l’expression d’une liberté d’expression, comment peut-on alors concevoir le journalisme dans un contexte de tyrannie dont l’objectif est de clochardiser les citoyens ?

Le journalisme est le plus beau métier du monde, m’entendais-je dire. C’est toujours en ces termes qu’on me présentait le métier du journalisme. Mes années de lycée étaient tout aussi fabuleuses pendant mes piges au club journal « Les Antilopes ». Dès la classe de Seconde littéraire, j’en rêvais. C’est en Terminal que tout a basculé. Que s’est-il passé entre-temps, je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que le journalisme est un métier de plus en plus hanté par des intrigues.

L’objet ici n’est pas de faire un récit d’une vocation ratée. Il s’agit tout simplement de mettre au goût du jour les méandres qui jonchent ce métier de journalisme. D’aucun ont pensé, et continue d’ailleurs de le penser, que le journalisme est un métier comme les autres. On peut tolérer cette assertion sur la forme, mais pas sur le fond. Ce qui fait la différence entre le journalisme et les autres métiers, c’est la capacité qu’a un journaliste d’être un leader d’opinion. C’est celui qui peut ou même qui joue à l’alerte ou à la sentinelle.Bref, c’est un éveilleur de conscience.

C’est ce caractère qui fait du journalisme un métier dit « dangereux ». Il l’est encore plus dans une tyrannie comme le Cameroun. Parce que dans une tyrannie, la clochardisation et le musellement sont les maître-mots de tous les corps de métier qui peuvent nuire à sa « sérénité ». Les journalistes étant la première cible, il faut donc les laisser se débrouiller seuls. Bien entendu, étant donné que la liberté et la pauvreté ne font pas bon ménage, il faut donc que les « alerteurs » soient à l’abri du besoin pour ne pas être tenté par l’appât du gain. Dans ce contexte, les journalistes ne pourraient ne pas se mêler à la poubelle de l’histoire.

Pour illustrer ce tableau sombre de la situation du journalisme dans un contexte de tyrannie, un bref parcours de la presse camerounaise est plus que nécessaire. La principale problématique ici sera celle de savoir comment les journalistes font-ils pour vivre de leur métier dans une tyrannie ? Ou mieux encore, comment la presse camerounaise, avec moins de 1000 exemplaires pour 400 Fcfa l’unité, fait-elle pour tirer son épingle du jeu ? Avec cette capacité de tirage, on dirait l’époque de la préhistoire.

Quelle est la situation du journalisme et de la presse camerounaise dans les années 1990 ?

Ce qu’il faut tout de même savoir, c’est que la presse se portait très bien avant. La situation s’est de plus en plus dégradé vers les année 2000. La mendicité a commencé à prendre de l’ampleur avec l’avènement d’internet et des réseaux sociaux. C’est pour ça que la plupart d’observateurs pensent que la dégringolade de la presse vient du fait qu’elle n’a pas été en phase avec le développement technologique. Pour beaucoup d’autres encore, les raisons sont ailleurs. Benjamin Zebaze, l’un des pionnier de la presse camerounais, livre ici sa version des faits :

Ce qu’il est important de savoir, c’est qu’à cette période dominée encore par les lois d’Ahmadou Ahidjo, devenir Directeur de Publication n’était pas une sinécure. Une enquête de moralité et un lourd dossier arrivait sur la table du ministre de l’Administration Territoriale qui pouvait ou non le rejeter. Aujourd’hui, il suffit juste d’une déclaration faite à un préfet. Si ce système mis en place par Ahmadou Ahidjo existait encore, combien de Directeur de publication actuels auraient traversé ce filtre ?

Pourquoi le régime de Paul Biya a changé les règles ? Nous le verrons plus loin.

Lorsque j’arrive dans ce milieu en 1990, « Le Combattant », « La Gazette », « Le Messager »… sont sur le terrain et se battent dans des conditions difficiles. Le journal de Pius Njawe (Le Messager, ndlr) est celui qui souffre le plus parce qu’il s’aventure dans le domaine politique ; pour cela, il est la cible principale de la censure. Le slogan de son journal est alors, « le journal qui apparait à l’improvise ».

Je lui explique qu’il est nécessaire de prendre un rendez-vous fixe avec nos lecteurs. Je propose tous les mercredis pour mon journal, lui jeudi et plus tard nous laisserons le mardi à Sévérin Tchounkeu.

Notre modèle économique est simple : faire tout ce qui est nécessaire pour faire le meilleur journal possible afin de maximiser nos ventes ; mettre en place un embryon d’organisation pour défendre nos intérêts collectifs.

Comment avec Pius Njawé, on a sauvé la presse ?

Nous étions alors forts comme en témoigne cet épisode. Au lancement de la TVA et en violation des conventions internationales, le gouvernement impose cette TVA à l’importation du papier journal qui va renchérir les coûts de fabrication de presque 20%. En tant qu’imprimeur des journaux, j’indique à Pius Njawe que je suis obligé d’augmenter les tarifs et que seul le ministre des finances peut faire quelque chose.

Malgré la « guerre » que nous menions contre le gouvernement, Pius appelle immédiatement le ministre des finances Justin Ndioro et lui explique la situation. Le ministre nous donne rendez-vous pour le lendemain matin à Yaoundé. Pius fait venir Severin Tchounkeu et le met au courant de la situation. Mais au moment de nous en aller, il nous rappelle en criant presque pour nous rappeler que nous sommes tous les trois bamiléké et que ce n’est pas bon pour une cause nationale. C’est ainsi qu’il appelle immédiatement Michel Michaut Moussala qui se joindra à nous.

L’entretien au bureau du ministre Justin Ndioro

Le ministre Justin Ndioro, un homme de très grande classe, écoute mes explications et déclare : « je n’ai pas à pénaliser la presse si elle a raison. Je vais vérifier et prendre des mesures ». A notre sortie, sa secrétaire nous annonce que le ministre délégué au budget Roger Melingui a appris que nous sommes là et veut nous voir. Nous avons passé un moment agréable dans son bureau. Dès le lendemain, Pius Njawé m’appelle pour me dire que le ministre vient de lui dire qu’il a fait le nécessaire.

Monsieur Gwanala (Pardon pour son nom), le directeur des douanes me reçoit tout sourire quelques heures plus tard et me montre le fax reçu du ministre. Mais qui a réellement profité de notre action ? Pas seulement la presse, mais des industries comme le groupe Safca de Fotso qui utilisait le papier journal pour fabriquer les cahiers scolaires ; ainsi que de nombreux vendeurs de papier pour imprimerie.

Tout cela juste pour montrer qu’en se réunissant sur l’essentiel et en mettant le lecteur au cœur de notre stratégie, nous étions très forts et vivions pour l’essentiel de nos ventes.

Quelles sont les origines de cette décrépitude du journalisme et de la presse camerounaise ?

Cette période de vache grasse finira par prendre fin. La situation est presque cocasse aujourd’hui. Comment s’est manifesté cette dégringolade de la presse pour qu’elle devienne aujourd’hui la cible des railleries ? Il ne se passe plus une occasion où un journaliste est mêlé de près ou de loin à un scandale de mœurs et de corruption. Pour la presse est-elle tombée aussi si bas depuis presqu’une décennie ? Une fois encore, la position du doyen Benjamin Zebaze sera nécessaire pour comprendre justement ce qui arrive à ce monde si merveilleux que le journalisme.

A mon avis, plusieurs facteurs entre en jeu :

a) Les magouilles du pouvoir

Il n’accepte plus l’influence des journaux de Douala qu’il qualifie de « journaux bamiléké ». Les règles pour devenir Directeur de publication sont alors modifiées et de nombreux journaux naissent à Yaoundé (Les ministres Fame Ndongo et Joseph Owona peuvent en dire plus) dont l’un avec un commissaire de police comme Directeur de Publication.

Suite à une énième suspension, nous produisons un journal commun pour nous plaindre : dans ces journaux, un ministre bien connu qui écrivait sous le pseudonyme d’Oussibita d’Assotol Ebolo nous qualifie de « La Sainte Trinité ».

b) Le rôle néfaste de la Crtv

Ces journaux de Yaoundé n’ont pas de lecteurs ; leurs responsables font le tour des ministres et des sociétés d’Etat afin d’obtenir les moyens nécessaires pour assurer leur fonctionnement quotidien.

Ils ne suivent que l’exemple des journalistes de la Crtv qui pour le moindre reportage, demandent aux préfets, maires, ministres, directeurs de société…les «frais de carburant ». C’est comme cela que le terme « gombo » s’impose dans la presse.

c) La victoire volée de Ni John Fru Ndi et la dévaluation du Franc CFA

La presse, qui pour l’essentiel avait soutenu ce candidat, subit un contre fouet terrible après cet échec. On eut dit que les électeurs voulaient nous faire payer le rêve avorté.

La dévaluation de CFA est venu tout aggraver de telle sorte qu’un journal comme le Messager est passé de 100 000 exemplaires à 25 000 ; Challenge Hebdo de 70 000 à 15 000. Partout, c’était le même désastre.

Quelle entreprise peut supporter sans de gros dégâts une telle perte de chiffre d’affaires ?

d) Les nouvelles techniques de « marketing » inventées par la jeune génération des Directeurs de publication

Au lieu de continuer à nous serrer les coudes, certains se sont mis à appliquer les méthodes des journaux de Yaoundé.

On pouvait lire désormais des titres comme ceux-ci :

  • Mebe Ngo’o, l’homme qu’il faut à la place qu’il faut
  • Qui en veut à Tchouta Moussa ?
  • Motazé, le sauveur des retraités à la CNPS

D’autres « experts » ont vite trouvé un autre filon basé sur du chantage :

  • Dans notre prochaine édition, tout sur les frasques du directeur général de la Camair.
  • A ne pas manquer jeudi prochain : comment les milliards se sont envolés au port de Douala.

Peu importe si les lecteurs ne découvrent pas ces « pseudo révélations », l’objectif est ailleurs : se remplir les poches à moindre frais.

A ce petit jeu-là, la presse dans son ensemble a perdu de sa crédibilité.

e) Le rôle des lecteurs et des hommes publics

Au lieu de soutenir les médias qui essayent de rester un peu à l’abri de tout cela, la presse est abandonnée. On ne peut pas refuser d’acheter les journaux ; se contenter de lire des articles pillés par des pirates sur le net et s’attendre à une presse de qualité. Combien parmi ceux qui braillent aujourd’hui sont prêts à prendre un abonnement sur un site payant ? L’information a un coût et il est évident que si le lecteur ne paye pas, il faut bien que quelqu’un le fasse à sa place.

Sur le même plan, cette hypocrisie de la classe politique et d’affaires est insupportable. C’est elle qui est prompt à utiliser les médias quand ses intérêts sont menacés et qui se plaint quand ses adversaires utilisent les mêmes méthodes.

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Auteur·e

tkcyves

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