Crédit: tchakounte kemayou

L’eau potable à Douala : de la borne fontaine au forage

Pour comprendre le comment et le pourquoi de la pénurie en eau potable au Cameroun et plus particulièrement à Douala, il est nécessaire de revenir sur l’historique. Il s’agit ici de montrer le processus de ravitaillement des habitants des zones urbaines et rurales en eau potable. Cette histoire est le début de la connaissance des mécanismes de fonctionnement dans l’alimentation en eau potable. Le cas de Douala me semble être le plus intéressant en ceci que c’est une ville économique avec de grands enjeux démographiques.

L’eau c’est la vie. Ce slogan devenu un rituel est maintenant loin d’être un slogan, c’est une lapalissade. Mais c’est loin d’être un vain mot. Au Cameroun, on aurait pu dire que c’est un slogan creux. Non, il ne l’est pas. C’est juste qu’au lieu d’être une expression de vitalité et d’acquis dans la politique d’approvisionnement en eau potable, elle témoigne plutôt cette soif de vitalité d’antan où les bornes-fontaines étaient une réalité. Aujourd’hui, face à la dégradation du système d’approvisionnement en eau potable en zones urbaines et rurales, les forages jouent-ils bien l’affaire ? L’historique sur l’approvisionnement en eau potable à Douala nous permettra-t-elle de comprendre la défaillance et l’échec d’une politique?

Les bornes-fontaines sont un lointain souvenir au Cameroun. Les habitants de Douala d’un certain âge, 40 ans minimum aujourd’hui, l’ont vécu. Les bornes fontaines sont des espaces publics destinés au ravitaillement de la population en eau potable. Ces espaces étaient ouverts 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Bien qu’étant dotées des robinets, les bornes fontaines coulaient à flot et sans arrêts. Malgré la disciplines des habitants, le gaspillage était généralement dû à l’absence ou le manque de la régularité de la maintenance.

Elles étaient toutes construites sur des lieux stratégiques des quartiers les plus populeux et les plus populaires de Douala. Je peux par exemple citer New-Bell, Bassa, Ndogbong, Bépanda, Nylon, Dakar, Ndokotti, Bonabérie, etc. Bien que situées à quelques kilomètres plus loin, la particularité de ces bornes fontaines était leur gratuité et leur permanence. Les quartiers les plus huppés, Bonanjo, Bonapriso, zones commerciales d’Akwa, zones industrielles de Bassa et de Bonabérie, étaient dotées d’un ravitaillement individuel sur la base d’un contrat avec l’entreprise de production et de distribution : la défunte Snec (Société Nationale des eaux du Cameroun), devenue Camwater (Cameroon Water Utilities Corporation).

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Réseaux et infrastructures de distribution d’eau à Douala. Source : L’action publique urbaine à l’épreuve des réformes du service d’eau à Douala (Cameroun),
Virginie Laure Nantchop Tenkap 2005 – journals.openedition.org

Pour satisfaire la population, Camwater installait des branchements en fonction de plusieurs critères. Les quartiers les moins couverts par les installations domestiques étaient privilégiés et dotés de bornes-fontaines. C’est ainsi qu’on a facilement pu faire la distinction entre les quartiers selon le niveau de vie. Par exemple, il serait plus difficile de trouver des bornes fontaines dans un quartier comme Bonapriso où plus de 60 à 70% des habitants avaient un branchement de la Snec à domicile (Source : INS, ECAM 2, 3). Et ces domiciles, par solidarité nationale, devenaient la source de ravitaillement des autres, particulièrement des voisins, des autres 30% qui n’avaient pas de branchement Snec.

Dans les quartiers populaires c’était l’inverse, 60 à 70% se ravitaillaient dans les bornes fontaines (Source : INS, ECAM 2, 3). Les autres 30% avaient, soit un branchement Snec, soit un puit d’eau dans la cour de la maison (pour ceux qui avaient les moyens d’en creuser). L’eau de puit servait uniquement aux travaux de ménage. Pour l’alimentation, il fallait aller se ravitailler à la borne fontaine la plus proche. Le ravitaillement de la ville en eau potable était ainsi régulé avant l’indépendance en 1960 par les collectivités locales. Ce mode de fonctionnement a été conçu par les collectivités locales avant et après l’indépendance en 1960. A la création de la Snec en 1967, ce mode de fonctionnement n’a pas changé.

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Evolution du principal mode d’approvisionnement en eau de boisson entre 2001 et 2007. Source : INS, ECAM 2, 3

Ce système a résisté jusqu’à la fin des années 1990 avec l’avènement des crises sociopolitiques après le discours de La Baule. Cette période charnière de l’histoire du Cameroun est dénommée par les spécialistes des sciences politiques de « années de braises ». De 1990 à 1991, le Cameroun a été secoué par une crise sociopolitique marquée par les « villes mortes » (Cf Flambeau Ngayap dans son ouvrage intitulé « L’opposition au Cameroun. Les années de braise »). Ces phénomènes, caractérisés par la vandalisassions des édifices publics, voire privés, ont mis le système de protection sociale à mal.

De 1990 à 2000, Douala n’a véritablement pas connu de problèmes d’eau avec la gestion de Clément Obouh Fegue à la Snec mort en 2014 à 75 ans. De 1975 à 2002, ce natif de Ekok Bekoe a dirigé de main de maître cette société en sabordant ce système social jusqu’à sa disgrâce en 2002. Cette gestion calamiteuse aura pour conséquence la mise sous administration provisoire de l’entreprise jusqu’en 2005, date à laquelle l’entreprise a connu une restructuration qui a abouti à la création de Camwater. C’est donc à cette période que commence le calvaire des Camerounais en ravitaillement en eau potable.

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Forage fermé d’un domicile privé. Douala-PK11

L’entreprise n’avait plus la même politique. Le capital devait désormais axer son objectif dans le retour sur investissement. Deux problèmes se sont posés : la vétusté des installations et la mobilisation des investissements. La conséquence est inévitablement la mauvaise gestion de la distribution de l’eau potable. L’organisation du fonctionnement de répartition en zones populaires et zones huppées disparaît, et les bornes fontaines avec. Les populations des quartiers populeux frappées par ce changement de système sont désemparées et abandonnées à elles-mêmes désormais.

Les 60 à 70% des habitants qui n’avaient accès qu’à la borne fontaine, se retrouvent en train de se voir priver d’eau potable. Ils seront obligés, soit de solliciter un branchement, soit d’acheter de l’eau potable chez ceux qui avaient eu un branchement. C’est ainsi qu’on a connu le phénomène de vente d’eau : un seau d’eau de 10L minimum à 25Fcfa. Le phénomène vente de sachet d’eau glacée est également apparu : un sachet de 50cl ou 500ml minimum à 25Fcfa, puis à 50Fcfa. Ce commerce demeure jusqu’à ce jour.

Les forages sont apparus essentiellement avec l’avènement de nouveaux quartiers comme Bonamoussadi, Makèpè, Kotto, Logpom, les quartiers PK 11 en allant vers Yabassi et Bonepupa, les quartiers situés dans la zone appelée « village » et Yassa, etc. L’accroissement de la ville de Douala avec l’augmentation de la population crée également l’augmentation des besoins en distribution d’eau potable que la Camwater est incapable d’assurer. Des coupures intempestives, régulières, de longues durées, et particulièrement la mauvaise qualité de l’eau a poussé les plus nantis de ces nouveaux quartiers à se doter d’un forage.

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CES FONTAINES PUBLIQUES QUI ONT DISPARU DE LA VILLE DE DOUALA Ce tableau est issu d’un travail d’enquête sur le terrain réalisé en février 2020, il ne reflète pas de manière exhaustive l’ensemble des fontaines publiques qui ont disparues à Douala. Source : Association OnEstEnsemble

De 10 à 7 millions de Fcfa dans les 2000, il faut aujourd’hui environ 3 à 5 millions en fonction de la qualité du sol pour avoir un forage. Même les quartiers des zones huppées n’y échappent pas. C’est malheureusement devenu la mode. La construction d’un forage est décidée en fonction de plusieurs critères :

  • Immeuble en construction avec exploitation commerciale (boutiques, appartements à louer ou appartements meublés où l’eau est disponible gratuitement et constitue un avantage commerciale face à la rareté de l’eau)
  • Habitation individuelle décidant de mettre un robinet d’eau à la disposition des voisins
  • Communautés d’habitants se cotisant pour l’acquisition d’un forage (voisins les plus proches)

Plus de 70% des habitants de Douala se ravitaillent en eau de forage. C’est particulièrement intéressant d’observer leurs nouvelles façons de fonctionner. Comment le voisinage va-t-il s’organiser pour se ravitailler vers un point d’eau appartenant à une personne qui peut décider de le mettre à disposition quand il veut et comme il veut ? Dans chacune de ces situations, et bien d’autres encore, les habitants qui n’ont pas les moyens de se construire un forage, doivent au moins faire le sacrifice de se plier aux caprices des propriétaires :

  • Respecter les heures d’ouverture et de fermeture des robinets mis à l’extérieur
  • Faire le rang et respecter son tour
  •  Prendre soin des robinets pour ne pas les endommager
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Immeuble conçu pour aménagement des appartements meublés. Un robinet de forage se trouve à l’extérieur. Actuellement fermé pour des raisons indépendantes du propriétaire ou du gérant de l’immeuble (Douala-Kotto). Crédit photo : tchakounte kemayou

Certains propriétaires de forage sont déjà devenus des distributeurs d’eau au détriment de Camwater devenu défaillant. Même si cette activité est devenue rentable financièrement, elle n’est pas encore bien organisée pour être considérée comme une niche dans l’élargissement de l’assiette fiscale.

Généralement, cette eau de forage n’est pas conseillée à l’alimentation même si certains ne respectent pas cette consigne. Par contre, il est conseillé, si on veut la boire, de la passer au filtre avant. Par contre, l’eau la plus prisée et la plus convoitée par les habitants de Douala, c’est celle mise à leur disposition par les entreprises industrielles comme la Guinness, les Brasseries du Cameroun (SABC), pour ne citer que celles-là. Cette eau de forage est la plus prisée pour la simple raison qu’elle est propice à l’alimentation.

Du coup, certains (venant même des quartiers huppés) accourent de loin, de plus de 5 à 10Km pour se ravitailler de l’eau de la Guinness située à quelques mètres du célèbre carrefour Ndokotti. Certains ont même osé comparer cette eau à l’eau minérale. C’est ainsi que l’on peut voir plusieurs d’entre eux, même avec des sommes d’argent supplémentaires, dépenser en transport pour se ravitailler. Curieux !

L’histoire de ravitaillement de l’eau potable à Douala est assez longue et édifiante. Pourrait-on, avec le temps, assister à la mort de Camwater et revenir au fonctionnement qui existait avant l’indépendance ? Avec l’avènement de la décentralisation, et peut-être du fédéralisme, Camwater pourrait perdre ce monopole au profit des communautés locales qui pourraient reprendre leurs pouvoirs.

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Sources :

Association OnEstEnsemble (2020), Rapport d’enquête sur l’accès à l’eau potable dans les quartiers de Douala, Cameroun

Programme Eau et Assainissement (2011), Approvisionnement en eau potable et assainissement au Cameroun

KAMGHO TEZANOU Bruno Magloire, « L’accès à l’eau potable et à l’assainissement au Cameroun : situation actuelle, contraintes, enjeux et défis pour l’atteinte de l’OMD 7»

Hilaire Nkengfack, Edmond Noubissi Domguia, François Kamajou (2017), Analyse des déterminants de l’offre de l’eau potable au Cameroun

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Auteur·e

tkcyves

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