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Douala sous les eaux : un éternel recommencement

Dans la nuit du 22 au 23 juin 2016, toute la capitale économique a connu une forte pluie d’une ampleur particulièrement ravageuse. Une pluie qui a contraint quelques citadins à passer une nuit blanche à observer, médusés, époustouflés, les eaux qui ont subitement décidé de quitter leur lit de drainage. Des maisons, des véhicules, des animaux, des ustensiles, des mobiliers, et sans oublier des enfants et des personnes âgées ont connu un sort pathétique qui donnait l’image d’une zone en perdition. Aucun quartier ou presque n’a été épargné. Ce sinistre spectacle fait revenir en mémoire la dure épreuve d’inondation qu’a connue la capitale économique l’année dernière dans la nuit du 19 au 20 juin. Nous sommes-là, à quelques jours près, à un an exactement que dame pluie avait donné l’alerte. Curieusement, nous en sommes encore là, à tourner en rond, pensant que Dieu viendra faire le miracle.

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Pourquoi personne, ni les autorités, ni les populations, encore moins la société civile n’ont-elles pas tirées des leçons de cette catastrophe naturelles depuis le 20 juin 2015 ? Pourquoi les autorités officielles restent-elles toujours dans le mutisme et l’indifférence face aux cris d’alarme des personnes avisées ? Malgré la deuxième alerte, la ville de Douala est-elle toujours prête à affronter les prochains débordements des drains qui n’arrivent plus à supporter la quantité d’eau de pluie qui tombe sur la ville ? Pour répondre à ces questions lancinantes, je vous propose ici une analyse du sociologue camerounais Serge Aimé Bikoi qui avait justement démontré que les autorités urbaines, en plus de leur incompétence, manquaient d’humilité dans la sollicitation de l’expertise disponible et disposée pour sortir Douala, la belle, de l’eau.

La problématique de l’urbanisation au Cameroun: entre construction, dé-construction et re-construction

Les inondations survenues à Douala dans la nuit du 19 au 20 juin 2015, lesquelles ont causé trois morts et 1500 familles sinistrées, posent le problème crucial de la crise des grandes métropoles. Aujourd’hui, c’est la capitale économique, dont les populations locales sont meurtries à cause des dégâts humain, financier et matériel suite à cette fièvre des inondations née de la forte pluviométrie. Demain, Yaoundé, capitale politique et siège des institutions, pourrait être victime de ces déconvenues saisonnières si tant est que chaque fois qu’il y a une pluie torrentielle, la poste centrale, l’Avenue Kennedy, le supermarché Casino sont, entre autres, des sites inondés. Indéniablement, le jour où le niveau d’eau inhabituel affectera aussi le centre ville et les zones marécageuses des quartiers populaires, les inondations entraîneront, ce n’est guère un souhait, le même drame que celui ayant sévi, ces derniers jours, à Douala. Aujourd’hui, les populations des quartiers Ngangue, Bonapriso, Makepe Missokè, Bonamoussadi, Newtown aéroport, Mbanya sable Akwa Nord, Mboppi, New bell, etc ont gravé, dans leur esprit, l’austère histoire de la survenue des inondations. Demain, si l’on n’y prend garde, les catégories sociales vulnérables des quartiers Mvog Ada, Melen, Tsinga Elobi, Mokolo Elobi, Mfoundi, Madagascar, Etoug Ebe, Ekounou, Mvog Atangana Mballa, etc pourraient, à court, à moyen et à long terme, vivre le martyr de la production des intempéries urbaines. Généralement, les cibles de ces contingences pluviales sont les quartiers populaires, voire populeux, où il règne des zones marécageuses, des constructions anarchiques et des habitats spontanés, dont la singularité est marquée par la contiguïté et la promiscuité des toilettes, des bâtiments, des chambres, des puits et d’autres constructions précaires diverses.

Approche causale du phénomène des inondations dans les grandes villes camerounaises

13528798_1057255730976573_2883567817122803849_nSans fioriture, l’agent causal majeur de la survenue des inondations dans les grandes métropoles est l’absence d’un plan d’urbanisation permettant de stratifier différents investissements dans l’espace urbain. Un plan d’urbanisation souscrit, en effet, à une logique formelle de construction des grandes villes et des villes secondaires ou périphériques. A la base, Yaoundé, Douala, etc sont des créations coloniales. C’est pourquoi certains bâtiments administratifs présentent une façade et une architecture typiquement coloniales à travers les formes anciennes de construction, lesquelles remontent à plusieurs décennies. Mais au fur et à mesure que les années se sont écoulées, l’État n’a pas planifié, organisé, structuré, hiérarchisé et construit les villes suivant un modèle urbain fiable, viable et durable. A preuve, un regard holistique sur les grandes villes incline à repérer une jonction, dans le même espace, des écoles, des industries, des entreprises, des hôpitaux, centres de santé, des églises, des administrations, des logements, des activités informelles, des terrains de jeux, des bars, des bars-dancings, des marchés, des garages, etc. Rien n’est structuré formellement de manière à opérer un distinguo, mieux une dissociation distincte entre ces différents investissements dans les espaces urbains. En réalité, les grandes villes sont devenues, depuis le début des années 90, des grands marchés où se côtoient les activités de l’économie populaire urbaine, les constructions anarchiques, les structures informelles et une dynamique circulatoire d’une démographie galopante, dont la population est, foncièrement, cosmopolite.

A cette cause efficiente des inondations, laquelle est imputable à l’État régulateur, dont la forfaiture est constatée en amont, se juxtapose une litanie de déterminants non-négligeables, dont les populations locales sont, dans la même veine, responsables en aval. Ces invariants se déclinent en une nomenclature de points suivants: l’incivisme des populations, dont l’habitude routinière est de jeter les ordures dans les caniveaux; l’absence de curage des drains emplis de détritus et de déchets divers; les constructions anarchiques; l’érection des logements précaires dans les zones marécageuses; l’absence de canalisation des eaux du Mfoundi toute chose permettant le ruissellement des matières hétérogènes, à l’instar des bouteilles au centre ville; etc.

Relativement à l’absence de curage des drains, il apparaît que la ville de Douala présente les drains qui ne sont plus entretenus depuis des années. A l’époque antérieure, il y avait un tracé de la ville de la capitale économique. Auparavant, le quartier Ngangue s’appelait Buéa. Avant la création des mairies et de la communauté urbaine de Douala, la ville frondeuse ne fut pas autant peuplée qu’aujourd’hui. Si antérieurement, il y avait un suivi des travaux d’urbanisation à Douala, aujourd’hui, un plan d’urbanisation est inexistant. D’où le boom des constructions anarchiques et périlleuses, dont les répercussions sont incommensurables ces derniers jours. Visiblement, au regard de la gravité de la crise urbaine à Douala, le premier magistrat de Douala est excédé par les événements.

13528923_1057257057643107_887244941885322308_nL’incivisme des populations est né des dynamiques d’insertion des populations rurales dans les grandes villes. En effet, la crise économique, née en 1985, et dont les facteurs structurel et conjoncturel sont la détérioration des termes de l’échange, l’augmentation de la dette extérieure et la baisse du Produit intérieur brut (Pib), a occasionné l’exode massif des populations rurales en ville. C’est dans cette mouvance que des vagues de migrants ont ciblé Douala et Yaoundé comme aires d’implantation, où les catégories sociales sont en quête d’un meilleur avenir et d’un mieux-être. Massés dans ces deux grandes métropoles, d’aucuns ont opté pour les stratégies génératrices de revenus alors que d’autres ont pu, contre vents et marées, intégré différents secteurs d’activités donnés. Ayant émigré en ville, certains individus ont transplanté, dans les espaces urbains, ce que Jean-Marc Ela appelle « l’âme indigène », dont le référentiel emblématique est le jet d’ordures à tous les endroits possibles. Ce qui y crée la pollution environnementale.Pourtant, la ville est, à l’opposé du village, d’où la plupart provient, régi par un code juridique de l’occupation de l’espace. S’il est tolérable de disséminer les déchets dans les aires rurales, phénomène consécutif à l’étroitesse de l’espace similaire aux champs virtuels et réels, en ville, le caractère vaste de l’agglomération contraint quiconque au respect scrupuleux des usages et des normes établis.

Parvenues donc en ville, les populations inadaptées aux nouvelles « manières d’agir, de penser, de sentir et de faire » sont confrontées, toutes ou presque, à une dé-socialisation urbaine ou, du moins, à un phénomène d’acculturation urbaine. Le non-respect des « ways of life » en ville impose, impérativement, une re-socialisation des « citadins-ruraux » à l’apprentissage, à l’acquisition et à l’intégration des principes de fonctionnement de la ville. Histoire de se conformer aux nouveaux modèles de pensée urbains et à l’éducation à l’environnement. Toute chose qui pourrait éviter le phénomène de la « villagisation des villes », c’est-à-dire la mutation systématique des villes en villages. Théorie conceptualisée par Jean-Marc Ela autant dans « l’Afrique des villages » que dans « La ville en Afrique noire ».

Serge Aimé Bikoi, Sociologue
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