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Voici pourquoi les Camerounais ont déserté les salles de cinéma (2/2)

L’inauguration, le 14 juin dernier, de la première salle de cinéma du Groupe Bolloré à Yaoundé a été saluée par certaines personnes, surtout les étudiants. Cet événement a fait courir la presse qui voyait en Canal Olympia une aubaine pour le public cinéphile. C’est depuis 2009 que les Camerounais sont sevrés de projection de film en étant confortablement assis dans une salle. Depuis 7 ans que le ministère de la Culture cherche en vain le Messie pour sortir le Cameroun de la honte en vain. La négligence de ce secteur culturel appelé communément 7ème art est une preuve suffisante de la légèreté voire de l’obsolescence d’une vision bien pensée.

Un spectacle offert pendant l'inauguration
Un spectacle offert pendant l’inauguration

L’arrivée de Bolloré pour combler cette défaillance signifie-t-elle que les Camerounais vont désormais avoir droit aux projections ? Ou mieux, Canal Olympia est-il le signe qu’un nouvel environnement cinématographique commence déjà à s’implanter au Cameroun ? La réponse claire à cette question m’invite à poser un regard critique sur l’histoire de l’économie ou de l’industrie cinématographique camerounaise. Elle va justement nous révéler que les cinéastes camerounais et africains connus beaucoup de déboire à cause de la précarité de leur secteur d’activité.

La dépendance économique

Comme je venais de le dire dans la première partie de ce billet, le premier film tourné sur le sol camerounais qui date de 1919, n’est pas camerounais. Il a fallu attendre les périodes de l’après-indépendance pour que les cinéastes camerounais Jean Pierre Dikonguè Pipa, Alphonse Béni et Daniel Kamwa émergent et occupent la scène camerounaise. À cette époque, le métier de cinéaste, bien que coûtant de l’or pour une formation de professionnel, n’était pas une sinécure. Les récits de Dikongué Pipa relatant les péripéties qu’il avait traversées pour réaliser son film Muna Moto en 1975 donnent froid au dos. On pourra dire de même pour le film Pousse Pousse de Daniel Kamwa. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la majeure partie, pour ne pas dire tous les films camerounais étaient, à partir de cette époque, produits par La Coopération Française (CF) et les Centres Culturels Français de Yaoundé et de Douala (CCF) aujourd’hui connu sur le nom d’Institut Français (IF). Du coup, la France devient finalement un bailleur de fonds pour la réalisation des films camerounais et africains.

La France s’engageait à financer la postproduction, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’après-tournage sur le terrain. Les professionnels appellent ça « la finition ». Du coup, les cinéastes africains, après avoir tourné le film dans leur pays respectif, n’avaient d’autres choix que d’aller faire des finitions en France. Ainsi, les aides françaises n’étaient alors destinées qu’aux frais de techniciens et de laboratoire. Évidemment, seuls les laboratoires français étaient les plus sollicités pour la double raison suivante : elles étaient les plus équipées et les plus accessibles aux cinéastes africains francophones d’une part, d’autre part, les aides octroyées venaient des institutions françaises qui déposaient les factures dans les laboratoires français. Les cinéastes Africains étaient donc obligés d’y aller pour faute de mieux. Cette façon de fonctionner fera dire à beaucoup de cinéastes africains que la France est et reste doué d’un cynisme qui ne favorisera pas l’émergence d’une industrie du cinéma camerounais, encore moins africain. Même l’avènement des chaînes de télévision comme Canal Plus, Arte France Cinéma, Channel 4, BBC, etc. où il existait une sorte de coproduction sud-nord, n’a pas arraché des cinéastes Africains des griffes des laboratoires français. À l’époque, dans ces conditions, il devenait difficile de trouver les films typiquement camerounais et africains malgré l’existence des salles de cinéma. Celles-ci, pour exister, seront alors obligées d’importer des films.

Depuis 1960, les sociétés de droit Monégasque,  la Compagnie marocaine du cinéma commercial (Comacico) et la Société d’exploitation cinématographique africaine (Secma) ont eu le privilège de la gestion de la distribution et de l’exploitation des films sur tout le territoire des 14 pays de l’Afrique francophones : soit en tout 150 salles de cinéma ! Ce monopole sera rompu plus tard par l’American Motion Pictures Export Company of Africa. C’est ainsi que le couple Comacico- Secma  sera brisé pour être racheté par le Français Union générale cinématographique (UGC). Évidemment, dans un tel contexte, les cinéphiles camerounais et africains ne seront appelés qu’à voir les films américains, européens et asiatiques. En termes de chiffres d’affaires, cela représente entre 40 et 50 % des recettes rapatriées en devises. On avait même, à un moment, cru que l’apparition de Consortium interafricain de distribution cinématographique (CIDC) créé par les cinéastes africains allait casser ce monopole. Mais, le CIDC est mort de sa propre mort à cause des 14 pays africains membres qui n’étaient plus en règle au niveau de ses cotisations.

Scène de spectacle sur le podium externe
Scène de spectacle sur le podium externe

L’avènement des télévisions nationales

Comme je l’ai dit dans la première partie de ce billet, l’arrivée de la télévision nationale (CRTV) a fait dire à beaucoup d’observateurs qu’elle est probablement la cause de la désertion de nos salles de cinéma. Ce qui n’est pas faux du tout. Sauf que, affirmer ça de cette manière biaise la vérité qui, semble-t-il, est difficile à accepter au Cameroun : c’est l’État camerounais qui a tué les salles de cinéma. Voici pourquoi.

Les salles de cinéma résistaient jusqu’alors malgré cette dépendance au niveau du développement du secteur de la cinématographie. Je ne dis pas que les promoteurs et les propriétaires de ces salles de cinéma n’y étaient pour rien. Examinons un peu la gestion financière des entrées de ces salles pour mieux comprendre.

En 1973, l’État camerounais crée le Fodic, exigé par les cinéastes camerounais, est l’un des débuts du commencement de ces déboires. Cette institution mise en place par le gouvernement avait pour rôle d’organiser la filière afin de donner une lettre de noblesse au cinéma camerounais. Concrètement, il s’agissait d’encadrer, de former, et de mettre en place un système d’accès au mode de soutien financier et logistique visant à permettre aux cinéastes de mieux faire leur travail. Curieusement, les cinéastes apprendront à leurs dépens que le Fodic n’a pas pour rôle de mettre sur pieds une « banque de financement d’une industrie » cinématographique comme cela était prévu. On découvre, malheureusement et sur le tard, qu’il est plutôt une structure de collecte des taxes auprès des distributeurs et exploitants de films au Cameroun.

Malgré tout, le Fodic parvient quand même, avec ces recouvrements, à financer la production de plus de 20 longs métrages camerounais parmi lesquels Pousse Pousse de Daniel Kamwa connu par la plupart des cinéphiles camerounais. Cela avait été possible grâce aux billets d’entrées dans les salles. C’est  ainsi que 5 à 17 % de surtaxes seront appliqués sur ces billets d’entrées dans les salles de cinéma jusqu’à leur fermeture définitive. Ce décret du premier ministre créant le Fodic a fait dire à plusieurs analystes que l’État, depuis longtemps, a refusé d’assumer ses responsabilités en faisant payer le financement du cinéma camerounais par les consommateurs cinéphiles. Mais, ce n’est pas ça le plus grave. Le Fodic, devenant financièrement lourd, traverse alors les moments difficiles de son fonctionnement liés aux accusations de détournement des fonctionnaires qui géraient cette affaire. Pire encore, lorsque le Fodic finançait la production d’un film, il exigeait au réalisateur 40 % et 30 % des recettes d’entrés dans les salles. C’est la part octroyée respectivement à l’État et au distributeur. Je rappelle que la distribution est assurée par les entreprises étrangères. Beaucoup de cinéastes ont pris la poudre d’escampette pour ne n’avoir pas été capable d’honorer à cet engagement trop exigeant.

Cette situation d’augmentation des prix d’entrée dans les salles persiste jusqu’à ce que la télévision nationale fasse son apparition en 1985. Les camerounais, pour ceux qui ont la possibilité d’avoir un petit écran, car à cette époque avoir la télé était un luxe, pouvaient donc se délecter de ces films et documentaires gratuits de CFI Tv diffusés par la CTV, l’actuel CRTV. C’est ainsi que, petit à petit, au bout de deux décennies, les exploitants des salles de cinéma, ne tenant plus financièrement, tombent dans l’informel. À défaut de louer leurs salles ou de les vendre carrément, certains s’exercent au piratage à travers le copiage des DVD et des VCD qu’on pouvait même retrouver sur les trottoirs. Pour mémoire, la salle de cinéma qui était la plus célèbre dans ce domaine le Cinéma ABC de Nkululoun, en plein cœur de New-Bell, quartier populeux et populaire de Douala. Toutes les autres salles étaient devenues tantôt des magasins, tantôt des chapelles des églises réveillées. Les salles qui résistaient au marasme sont celles qui étaient sous la gestion des grands groupes financiers importants comme Fotso. Ces salles tenaient le coup malgré tout et les cinéphiles avaient encore de quoi se distraire. Ces exploitants faisant maintenant face aux nouveaux défis (rénovation technologique du matériel de projection et confort des salles) avaient alors du mal à tenir la barque haute. Elles n’échapperont, malheureusement, pas à la bourrasque qui va finalement les conduire à la mort définitive.

Canal Olympia : mi-figue, mi-raisin

Les cris d’orfraie du gouvernement camerounais auprès des hommes d’affaires fortunés ont fini par payer, ne serait-ce que pour un début. Puisque Bolloré, par pitié, oui, je dis bien par pitié pour les pauvres cinéphiles camerounais, s’est résolu à construire une modeste salle de 300 places assises à l’intérieur et de 3000 places debout à l’extérieur. Bolloré l’a offert par pitié parce qu’il en avait marre des pleurs d’un gouvernement incapable donc le chef, Philémon Yang, est lui-même venu inauguré la salle. Par pitié parce que Bolloré a fini par donné la gestion de cette salle à l’Université de Yaoundé 1 pour le bonheur des étudiants de la filière « Art théâtral et cinématographique ». Voilà pourquoi je peux comprendre l’enthousiasme de ma voisine Russine qui a eu l’indécence de me perturber ma journée. Ce qui m’a donc obligé de retourner faire un tour dans mes archives d’histoire.  Cette salle, ou alors cet espace est appelé « polyvalente » parce qu’elle pourra servir à la fois à la projection de films et à l’organisation d’un concert spectacle géant. Une salle, bien que plus luxueux et comportant une projection 3D, n’est pas mieux que celles que Douala, Yaoundé et Bafoussam ont connues à l’époque de la gloire. Il était aisé de se retrouver avec 1000 à 2000 personnes dans des salles de cinéma lors des avant-premières. Mais, cette époque, de la toute-puissance du cinéma dans les habitudes de vie des Camerounais, est révolue.

Canal Olympia est-elle une salle qui vient combler ce vide sidéral et inquiétant pour l’avenir du cinéma camerounais ? La réponse se dégage d’elle-même après que vous ayez parcouru les lignes précédentes. Les Camerounais ne sont pas encore sortis de l’auberge de la dépendance de l’industrie cinématographique. Après les autres, c’est au tour de Bolloré d’occuper le terrain.

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Auteur·e

tkcyves

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