Crédit:

Que vaut un coup d’État dans « La République » platonicienne ?

ob_eb5728_coup-d-etat-au-burundi
Coup d’Etat au Burundi. crédit photo :https://reiss.over-blog.com

Mon animosité pour les coups d’Etat perpétrés çà et là, et plus particulièrement en Afrique, contre les régimes, parfois constitués légalement, ne l’est plus depuis que j’ai eu la conviction que la « Citée » platonicienne n’est plus considérée comme une « Utopia » au sens de Thomas More. La métaphore « cité » utilisée ici pour désigner un pays au sens propre du terme est un prétexte pour l’actualité qui a cours en ce moment au Burundi où Pierre Nkurunziza, par la mesquinerie la plus farfelue, empêche justement aux citadins, j’allais dire citoyens Burundais, de se projeter dans l’utopia.

L’Afrique au cœur des enjeux

Les coups d’État peuvent-ils être une solution quand tout est bloqué ? Ont-ils du sens dans une « République » platonicienne ? Ce que le Niger et le Burkina-Faso ont connu récemment, ce que le Burundi connait actuellement, ce que le Congo et la RDC vont peut-être vivre un jour, ce que, par contre, le Cameroun a vécu en février 2008 ressemble étrangement à une perfidie la plus infâme qu’elle soit. Que dire du Togo ? De regrets ? Que dire du Bénin où Yayi Boni a accepté de s’éclipser après une tentative malsaine ? Et plus du Sénégal et, récemment, du Nigeria qui ont connu un dénouement heureux grâce aux médiations des anciens présidents des pays voisins alors que ce dernier est en proie au terrorisme ? Certainement que tous ne vivent pas les mêmes expériences. Mais, ce qui est intéressant ici, ce sont les cas où la population est descendue dans la rue pour manifester leur colère, contrairement au peuple togolais qui a feint d’ignorer cette maxime.

Pour situer le contexte de l’actualité, il ne s’agit ni plus ni moins qu’une volonté manifeste des chefs d’Etat, bien qu’élus démocratiquement, ce qui reste discutable se livrent à des pratiques de barbarisme d’une autre époque en voulant conserver le pouvoir à tout prix et à tous les prix au moment où la loi impose de passer le témoin. Bien que cette loi réserve des situations extraordinaires pour une quelconque modification, il y a lieu ici de le crier tout haut qu’une Constitution modifiée n’est pas mauvaise en soi lorsque la bonne foi est établie et manifeste. Ce qui n’est justement pas le cas pour le président Pierre Nkurunziza qui vient de démontrer à la face du monde la perfidie et la face hideuse de son pouvoir.

La République platonicienne : de quoi s’agit-il ?

Ce qui est en jeu ici c’est la conservation du pouvoir politique de ce que Platon appelle, dans son ouvrage La République (Ed. Garnier (1966), « l’Etat ». En fait, cet ouvrage que Levy Strauss décrit comme « le plus fameux des écrits politiques de Platon, l’œuvre politique la plus célèbre de tous les temps » est, de toutes les façons, comme bien d’autres, une description de bonne facture de ce que c’est qu’une « République » au sens athénien du terme. Et Platon décrit justement la République en des termes plus méticuleux par des concepts de cité, de pouvoir et d’Etat.La « cité » est un concept qui renvoie à un idéal. En fait, elle n’est pas seulement un espace de vie commune. Loin d’être un espace déjà défini et fini, c’est un espace imaginaire que l’on se représente comme idéal. Cet idéalisme d’une ville est bien défini par Michel Ragon pour qui :

Tout le monde rêve d’une cité idéale. Sauf ceux qui considèrent comme satisfaisante la ville qu’ils habitent. Mais ils sont rares. Aussi rares que ceux qui trouvent parfaite la société dans laquelle ils vivent. Le philosophe dans sa bibliothèque et le déraciné dans son bidonville rêvent d’une ville qui puisse satisfaire aussi bien leur quotidienneté que leurs fantasmes. (L’homme et les villes, 1995).

La ville est donc une vie à la fois faite de réel et de l’irréel. Elle représente une vie idéale symbolisée par sa situation géographique, ses couleurs, sa topologie, sa diversité humaine et naturelle, son aménagement, son histoire et plus particulièrement ses propres aspirations d’une société plus démocratique, plus juste ou plus libre. C’est donc une vision, une construction et une aspiration idéelles qui ne sont, en fait, que des besoins de bien-être des citadins à satisfaire ; une cité paradisiaque symbolisant le beau, le vrai, le bon, le juste, la liberté, le loisir, la détente, le bonheur, bref tout ce qui est de la vertu la plus absolue.

Une cité d’une telle envergure ne fonctionnera que si elle est bien organisée et bien structurée. Une telle cité, dis-je, ne peut être possiblement existante que si elle fonctionne, pas seulement avec des lois, mais avec de bonnes lois. Par conséquent, toute cité réglée par des lois requiert alors un organe appelé « État » ou « gouvernement ». Ces structures sont chargées d’assurer le respect et d’éviter que ces lois ne demeurent lettre morte. Diriger une cité dont l’objectif c’est, ce que vient d’expliquer Michel Ragon ci-dessus, gouverner. On ne peut gouverner qu’à travers un organe. C’est ce qui a fait dire à Hegel que : « Il faut gouverner dans un État ». De fait, l’Etat devient une institution établie par le peuple qui lui assigne une fonction qui est celle d’accomplir cet idéal tant recherché et tant rêvé. Et à Thomas More de dire à juste titre que :

Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d’abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s’affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l’étude des sciences et des lettres. C’est dans ce développement complet qu’ils font consister le vrai bonheur. (Utopia – livre second, 1516).

Et celui qui est à la tête, au sommet de l’Etat est le détenteur du pouvoir d’Etat ou de l’Etat, c’est selon. Le pouvoir ici représentera la somme des responsabilités qu’a un homme ou un groupe d’hommes de faire la volonté des citadins pour la réalisation de cet idéal, pour la réalisation d’un rêve. L’Etat et le pouvoir sont donc deux concepts corrélés. La signification de ce dernier est loin d’être obvie comme le dit Tolstoï, car : « Le pouvoir est un mot dont le sens nous est incompréhensible. » (Guerre et Paix, ).

La fourberie et la filouterie de Nkurunziza

Ce qui est par contre intéressant chez Platon, c’est le rôle qu’il attribue à chaque démembrement de l’Etat chargé de matérialiser les rêves, de rendre réel ce qui est considéré comme idéal. La classe supérieure, composée de philosophes et de prêtres, dont le chef est désigné comme « président de la République », « chef de l’Etat », est le détenteur de ce pouvoir capable de transformer l’irréel en réel.

Au Burundi, Pierre Nkurunziza décide, sans exagération, d’enfreindre à ce devoir fondamental de la cité platonicienne par la modification de la loi. Bien que cette modification ne soit pas une mauvaise chose en soi, celui qui la touche dans l’intention de garder le pouvoir agit, ipso facto, contre la volonté des citadins. Dix ans, c’est la durée d’un double mandat au bout duquel le président burundais en exercice doit déposer le tablier. Mais, hanté par la fourberie et le gros cœur, il profite des circonstances que lui confère la loi pour modifier cette disposition juste dans l’intention de garder le pouvoir. Que peut valoir un chef d’Etat qui va à l’encontre de la loi de la cité ? Que représentent la légitimité et la légalité d’un pouvoir issu d’une telle fourberie ?

Que vaut une révolution de palais dans « La République » dans le contexte africain ?

La classe de guerriers, de militaires que constitue l’armée n’est faite que pour la défense, dit Platon. Mais, entre les Gardiens philosophes et les citoyens ordinaires, il n’y a du reste nulle limite fixe imperméable, infranchissable, mais « un chassé-croisé » permanent, les uns prenant la place des autres, en cas de besoin et en fonction des mérites ou des démérites respectifs de chacun. A terme, tous sont appelés à devenir responsables (chefs) et sujets (citoyens) politiques à la fois. « Le temps où nous serons devenus un citoyen accompli, sachant être avec justice à la fois chef et sujet », dit Platon. Cette fonction de sauvegarde de l’intégrité de la cité contre l’ennemi devient trop désuète, car il enlève aux soldats leur fonction de rationalité qui est sollicitée justement pour freiner les ardeurs de cette classe de philosophes qui n’accepteraient, bon gré mal gré, les clauses d’alternance. La République a-t-il envisagé la destitution des philosophes qui vont à l’encontre des lois de la cité ? Oui. Et c’est Platon lui-même qui le dit en ces termes :

Suppose au contraire que doivent venir aux affaires publiques des hommes qui, dans leur dénuement, ont faim de biens qui ne soient qu’à eux, convaincus que le pouvoir est l’endroit voulu pour en arracher le bien comme un butin, cette possibilité [alternance] disparaît ; car alors le pouvoir est devenu l’enjeu d’une lutte, et, comme une semblable guerre est congénitale et intestine, elle fait leur perte et celle du reste des citoyens.

Comment comprendre alors les condamnations de la communauté internationale et des pays occidentaux chaque fois qu’un régime « légal » est renversé, par un coup d’Etat perpétré suite à un viol de la loi fondamentale constaté par tous ?

La République de Platon ne répondrait plus aux réalités que vivent nos Etats, plus particulièrement les Etats africains qui ne sont qu’à leur balbutiement de construction d’une identité républicaine longtemps ternie par l’occidentalisation des mœurs mal assumée. Que deviendra ce peuple, que vaut un peuple sans son rêve ? Sans son idéal ? Sans son « utopia » ? Un chef d’Etat qui brise cette « utopia » peut-il encore être considéré comme un philosophe ?

Ce qui est intéressant dans cette analyse, c’est l’attitude de l’armée observée dans chacun de ces pays africains où elle se voit investir une fonction de contre-pouvoir au côté du peuple. Le Niger, le Burkina Faso et le Burundi nous le démontrent. Une armée aux côtés du peuple, c’est ce qu’on n’a pas pu observer au Cameroun en février 2008 où la mort de centaines de jeunes gens, descendus dans la rue après la modification de la Constitution qui permettra à Biya d’être éligible en 2011 n’a pas permis cette alternance. Comment envisager la destitution d’un chef d’État qui s’est permis de violer son propre serment à la suite de la fin d’un double mandat ?

Un chef d’État ne peut prendre cette décision que s’il n’a pas en face, des leaders capables de mobiliser les énergies, de provoquer un mouvement social susceptible de pulvériser et d’inquiéter le système gouvernant. Du coup, compte tenu de la faiblesse des partis politiques et de la société civile à servir de contre-pouvoir et de contrepoids au régime au pouvoir, l’armée devient la solution. Car la révolution suggérée par la théorie platonicienne n’est pas envisageable dans un contexte africain. A la suite de la théorie platonicienne de la République, les théories de mouvements sociaux développées, entre autres, par Alain Touraine et Erik Neveu, posent la société civile constituée, pour la plupart des gens de la classe moyenne, comme une alternative dans une société moderne, dans une République donc. Peut-on conclure qu’en l’absence d’une société civile forte, les pays africains ne seraient donc pas des Républiques au sens platonicien du terme ?

Du coup, les profils bas contre les coups d’État distribués pêle-mêle par la communauté internationale m’émeuvent plus les plus avisés. L’armée, pourtant considérée par les despotes comme celle qui viendra à son secours, est désormais vue comme un serpent à deux têtes. Elle peut donc se retourner contre le régime, le destituer, s’installer et créer un autre régime plus pervers que le premier. C’est le premier revers de la médaille. Cette armée peut avoir des soutiens multiformes qui ne peuvent forcément pas avoir les mêmes intérêts que ceux de la cité en question. C’est le deuxième revers de la médaille.

Deux revers pour une seule médaille ! Si ça vaut le coup, le doute est donc permis.

Tchakounté Kémayou

Partagez

Auteur·e

tkcyves

Commentaires