Crédit:

Paul Biya : une candidature de trop pour 2018 (?)

Pourquoi, depuis un certain temps, et notamment depuis la semaine dernière, des agitations autour de la candidature du président Biya pour la présidentielle de 2018 refont-elles surface ? Pourquoi maintenant plutôt qu’en 2017 ? Pourquoi l’appeler à postuler alors que les textes du parti stipulent qu’il est, en tant que président du parti, désigné a priori comme candidat ? Comme il est de coutume dans les Républiques africaines, la fin d’un mandat présidentiel a toujours été une période (trop) turbulente et tumultueuse, politiquement parlant.

Des appels à la candidature de Paul Biya

Officiellement, on dénombre de nombreuses motions de soutien venant de certains cadres du parti au pouvoir en direction de Paul Biya, l’exhortant à se représenter pour une énième fois à la présidentielle de 2018. Tout a commencé le 6 novembre 2015, quand le président de l’Assemblée Nationale, Cavayé Yéguié Djibril, appelait déjà le président de la République à briguer un autre septennat présidentiel en 2018, dans une motion de soutien au nom des « forces vives, élites intérieures et extérieures, militants et militantes du RDPC notamment les notabilités traditionnelles et religieuses du département du Mayo-Sava Sud ». À ce moment-là, personne, ni la presse ni les réseaux sociaux, n’avait fait attention à ce soutien un brin ubuesque. Pas plus tard que vendredi 29 janvier 2016, Cavayé Yéguié Djibril revient en force avec la signature, par un certaine élite, d’une motion de soutien et de déférence adressée à Paul Biya et lue au journal parlé de 20h à la CRTV. Cette fois-ci, au nom de toutes les trois régions du septentrion : Adamaoua, Nord et Extrême-Nord. Cette motion de soutien est motivée par « ses efforts constants déployés depuis son accession à la magistrature suprême, pour promouvoir la paix, la démocratie et la justice sociale au Cameroun, et singulièrement pour sa sollicitude et la haute confiance qu’il a toujours témoigné aux fils et filles du septentrion ».

C’est le 8 janvier 2016 que Martin Belinga Eboutou, directeur du cabinet civil de la présidence, a fait monter la vague de soutiens et, par la même, mis en branle une déferlante de critiques de la part des détracteurs du régime. Cette personnalité dite « forces vives » de la région du Sud a imploré, avec ses pairs du gouvernement originaire de la région du Sud, le président Biya d’accepter leur doléance. Dans un élan de campagne qui ne dit pas son nom, ces élites réaffirment leur « soutien granitique, total et exhaustif au chef de l’État pour les futures échéances électorales en même temps qu’elle supplie Dieu Tout Puissant de continuer de le combler de ses grâces en vue de la conduite toujours plus efficace des très hautes charges que le peuple camerounais lui a démocratiquement confiées ».

Le 20 janvier 2016, c’est au tour des sénateurs originaires de la région du Centre d’appeler une candidature de Paul Biya. C’est au cours de la cérémonie de présentation des vœux du Nouvel An au Président du Sénat, Marcel Niat Njifenji, que le sénateur Luc René Bell s’est fendu d’une motion de soutien en ces termes : « Nous, les sénateurs du Centre, nous pensons qu’il est très important de faire savoir au peuple les réalisations du Président Paul Biya. Il est en train de réaliser plusieurs projets dans notre pays. C’est pour cette raison que nous pensons qu’il doit continuer dans ce même sens pour atteindre son projet de l’émergence ».

Le quatrième appel vient de 36 administrateurs civils. Il s’agit des fonctionnaires issus de la prestigieuse École Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) de la promotion 1997-1999. Ces fonctionnaires, dont Dieudonné Samba (nommé le 2 octobre 2015 « Conseiller spécial du Président de la République ») fait partie, ont pondu un communiqué dans le quotidien gouvernemental invitant Paul Biya « à ne pas hésiter un seul instant à répondre à l’appel grandissant du peuple camerounais auquel ils s’associent avec ferveur, de briguer un nouveau mandat présidentiel ».

La ville de Douala n’est pas en reste. Les élites RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais), parti au pouvoir de la région du Littoral, se sont jointes au mouvement. Le mardi 26 janvier, lors des présentations des vœux au siège de la région, celles-ci ont remis au gouverneur, Ivaha Diboua, une motion de soutien destinée au président de la République. Le gouverneur d’une région, censée être politiquement neutre, se retrouve donc impliqué dans une affaire de soutien d’un leader de parti politique. Agit-il en tant qu’administrateur de la région ou à titre personnel ? Sera-t-il disposé à recevoir aussi les militants d’un parti de l’opposition qui souhaiteraient également le solliciter pour la candidature de leur leader ? D’ailleurs, en guise de réaction musclée, les partisans d’une retraite politique bien méritée du président Biya s’organisent déjà pour la rédaction d’une motion de « non-soutien » pour faire valoir ses droits à la retraite. Car, pensent-ils, la tension qui pollue déjà le climat politique est une belle occasion d’éviter de quitter les affaires par la petite porte.

Réactions : des appels à une alternance présidentielle

Les voix s’élèvent, comme d’habitude, pour décrier ce qu’on pourrait appeler une mascarade des militants et élites du parti au pouvoir. Ceux-ci ne cessent de multiplier des appels et des motions de soutien de la candidature de leur champion. Ces agitations, qui ont défrayé la chronique dans les médias, ont commencé à prendre de l’ampleur sur les réseaux sociaux. Les internautes s’y sont mis et ont pris le relais, non pour appeler à une nouvelle candidature, mais pour justifier la nécessité d’accorder un repos mérité pour celui qui a servi l’État pendant 50 ans déjà. En effet, Paul Biya aura 85 ans en 2018. Ayant déjà occupé trois postes phares depuis sa carrière politique (ministre, Premier ministre et président de la République), certains pensent qu’après tant d’années de hautes fonctions, c’est le moment pour lui de permettre aux autres générations de gouverner.

À la suite des médias, les réseaux sociaux sont inondés de messages de colère pour s’indigner de la gourmandise des septuagénaires et « grabataires » qui « gravitent » autour du président de la République. Les internautes concluent, après avoir suivi l’actualité ponctuée par des motions de soutien, que faire valoir ses droits à la retraite n’a plus de sens et que le départ de Paul Biya du pouvoir sera considéré comme la mort politique de ses partisans. Ceux-ci veulent à tout prix, « forcer » Biya à entendre un autre « Appel du peuple », mais aussi préparer l’opinion publique à accepter une éventuelle candidature d’un homme que beaucoup croyaient en fin de carrière politique.

Ces appels et soutiens amplifient, depuis un certain temps, une tension et un climat politique déjà délétère, attribuable à une longévité qui frustre, poussant à bout ceux qui ont hâte de voir un autre visage. Une longévité qui fatigue et dont le renouvellement fera sûrement plus de déçus que d’heureux. Au pouvoir depuis 1982, presque quatre générations de Camerounais rêvent aussi d’avoir leur mot à dire. Cette frustration a déjà fait long feu et risque de devenir ingérable si l’on n’y prend garde. L’insécurité, avec les attentats suicides attribués à Boko Haram qui règne dans la région de l’Extrême-Nord depuis 2013-2014, ne serait-elle pas un signe avant-coureur ? L’occasion n’est-elle pas venue de s’inquiéter d’un éventuel embrasement en cas de statu quo politique ? Quelques intellectuels ont d’ailleurs proposé des solutions pour éviter un désordre de plus en plus certain.

Lire la suite : Paul Biya : l’incarnation du statuquo politique

Partagez

Auteur·e

tkcyves

Commentaires

kaptue florian
Répondre

je préfère un Cameroun vivant que le chaos libyen et le désastre ivoirien, en effet je ne vois pas un opposant de rêve. Que font t-ils de l’alternance dans leur propre partis? ils sont de petits dieux.PAUL BIYA n'est pas le meilleur mais il est mieux.