Quelques jours après la fin du sommet du Forum de Paris pour la paix, je reviens ici pour relancer le débat sur la vidéo devenue virale à laquelle assistait Paul Biya. Du 12 au 13 novembre dernier, s’est tenu, à Paris, le sommet mondial sur la paix. Le président Camerounais Paul Biya, l’un des chefs d’Etat invité, a été appelé à faire partie d’un panel de discussion dirigé par le richissime Mo Ibrahim. La prestation du président Biya a été tournée en bourrique par les internautes Camerounais. Pourquoi ?
Dans une vidéo d’environ 20 minutes, Paul Biya dit être « embarrassé » par le modèle choisi dans l’organisation des discussions. Balbutiant dans son expression approximative en anglais, lui qui est président depuis 1982 d’un pays bilingue (français et anglais), il avait visiblement l’air d’être étranger à tout ce qui se passait. D’aucun lui colle non seulement cette longévité au pouvoir, mais surtout son âge et sa santé précaire qui lui font certainement de salles tours.
Les réseaux sociaux ont été inondés de la vidéo montrant la prestation de Paul Biya devant Mo Ibrahim qui ne lui a pas fait de cadeau. Les internautes Camerounais s’en sont bien marrés, au point de comparer Paul Biya au fameux « Guignols de l’Info ». Cependant, les positions des internautes sur la prestation de Paul Biya sont plutôt divergentes.
D’un côté, les uns sont convaincus que Paul Biya a été « piégé » par les organisateurs du Forum de Paris sur la paix en le mettant face à Mo Ibrihim. L’objectif était, disent-ils, d’étaler à la face du monde l’incompétence de Paul Biya et son régime en le mettant dans un environnement auquel il n’était pas habitué jusqu’ici. De l’autre côté, certains sont plutôt convaincus que Paul Biya, malgré son âge, reste l’homme le plus rusé.
Parmi ces nombreuses critiques sur la prestation de Pual Biya, j’ai choisi ici de vous présenter deux d’entre elles que je trouve intéressantes pour la simple raison qu’elles sont des analyses dénuées d’émotions.
La première est celle d’un internaute, De Gaulle Christophe, spécialiste en communication institutionnelle. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres Camerounais, Paul Biya a été, je pourrais dire, piégé. Ce spécialiste en communication décortique les failles qui relèvent de l’amateurisme dans la profession. Il s’adresse ainsi au service de la communication de la présidence de la république :
Bilan d’une « communication ratée«
Maintenant que vous avez réussi votre coup, communicateurs de la Présidence de la république, voici des avenues possibles qu’il aurait fallu explorer. Soyons sincères, ce qui s’est passé à Paris est indigne d’une communication de débutant. Adossons-nous à nos vieux cours. Analysons les séquences de cette communication qui fait depuis deux jours les gorges chaudes sur Facebook.
1- La visite des lieux et la montée des marches
Selon la méthodologie, le chargé de communication doit visiter les lieux où son « patron » prendra la parole. Cette visite ressemble à une inspection. Elle lui permet de recenser tous les détails qui pourraient avoir un impact négatif ou positif sur le message. Or, à scruter de près le président monter les marches, il appert que le communicateur de la Présidence n’a pas visité ce lieu avant.
2- La connaissance de l’interviewer
Par courtoisie, le chargé de communication doit avant toute chose connaître l’interviewer. Il doit organiser avec lui les modalités pratiques de la prise de parole. Les moindres détails doivent être passés au peigne fin. Car la communication s’accommode mal de l’improvisation. Voilà pourquoi il doit demander en partie ou en totalité les questions qui seront posées à son « patron ». Si l’interviewer refuse de les lui donner, le communicateur rend compte à son porte-parole. Ce dernier, suite au refus de collaborer de l’interviewer peut annuler l’entrevue. Car le chargé de communication comme conseiller attire son attention sur le piège de sa participation à ce type d’entrevue.
3- La prise de parole
Le chargé de communication doit s’assurer de l’unicité du code, c’est-à-dire la langue utilisée par son porte-parole et l’interviewer doit être connue à l’avance. Or, dans le cas d’espèce, ceci n’a pas été fait. La preuve, le Président s’est retrouvé face à un interviewer qui en plein Paris parlait anglais. Oui, le Cameroun est bilingue, mais il n’y a pas honte à reconnaître que le Président est unilingue comme la plupart des Camerounais.
4- Le temps de la prise de parole
Cette donnée fait partie des préalables à discuter lors de la rencontre entre le chargé de communication et l’interviewer. C’est un protocole d’entente qui lie les deux parties afin d’éviter des surprises désagréables. Une fois de plus en communication, il n’y a pas d’improvisation.
5- La familiarité ou appropriation des outils
Avant l’entrevue, le Président aurait gagné à connaître le micro qu’il allait utiliser. Il devait savoir quand le micro est ouvert ou bien fermé (voyant rouge et vert). En outre, il aurait fallu lui dire à l’avance à quel moment il allait parler. Ce détail, c’est le communicateur qui le négocie avec le journaliste. Le chargé de communication n’ayant pas certainement visité les lieux n’a certainement pas habitué le président au maniement d’un micro sans fil. Cela a produit un effet contraire à celui qu’on attendait.
6- Les 2 minutes
La communication se règle comme du papier à musique. Or, à Paris le Président ne savait pas que le temps qui lui était imparti était de 2 minutes. Si le travail avait été bien fait en amont, le Président aurait été informé avant son déplacement et il serait exercé à rentrer son texte dans le 1’45 secondes ou bien dans les 2 minutes.
En définitive, toutes ces choses mises bout à bout ont nui au message du Président lors de ce forum. Vingt –quatre heures après cet épisode communicationnel si on organise un sondage auprès des internautes très peu diraient quel a été le message que le Président a voulu passer lors de ce sommet…
Paul Biya, « l’homme rusé »
La deuxième analyse est complètement en déphasage avec la première qui postule la thèse de la « communication ratée ». Ici, Paul Biya est plutôt vu comme un homme qui faisait semblant de jouer à l’ignorant. Un Paul Biya imperturbable qui a encore tous ses sens, contrairement à ce que la majorité veut le faire voir. L’analyse a été rédigée par la Camerounaise Horty Ouimet vivant au Canada et activiste de la diaspora. Fervente militante de l’opposition camerounaise, elle démontre dans les lignes qui suivent que Paul Biya est un homme rusé :
Si vous croyez que votre papy est fou, alors il vous aura bien bernés. À ceux qui pensent que son entourage n’a pas su gérer sa communication, je vous dis donc que vous ne savez pas bien à qui vous avez affaire. Cet homme (Paul Biya, ndlr) a toujours été diaboliquement rusé. Si seulement je pouvais savoir qui l’a invité sur ce panel. Mais puisque je ne puis avoir cette certitude qu’il a été invité. Il m’apparaît néanmoins qu’il aurait insisté pour prendre place à ce débat et voici pourquoi.
Dès que Mo Ibrahim lui adresse la parole, il vire directement sur ses bords arguant qu’il a préparé un mot à dire. Voyant qu’il déroule tout un document à lire, Mo Ibrahim lui rappelle qu’il n’a que 2 minutes. Je vous en épargne le reste. Écoutez bien le discours qui ressort de son papier : il s’adresse à Macron et tralalalala.
Que peut-on y retenir ?
On voit clairement qu’il n’a pas été admis à s’exprimer dans la tribune du sommet. Par conséquent son discours qu’il avait préparé pour la circonstance est demeuré dans sa pioche et pour finir il est ressorti avec. Remarquez qu’il refuse d’enfiler ses écouteurs. Ne soyons pas bête, sinon il nous mettrait ça bien profond (excusez le terme). Le satrape n’est pas arrivé sur ce plateau pour répondre aux questions mais pour lire ce qu’il avait préparé pour le sommet au cas où on lui permettrait de monter sur la tribune.
- Voilà pourquoi il vous fait croire qu’il ne sait pas à quoi sert ses écouteurs
- Qu’il ne comprend pas l’anglais
- Il a refusé justement d’enfiler son micro pour vous donner de croire qu’il n’entend rien de cette langue. Faux ! Il n’en avait rien à cirer.
Si sa sénilité l’assomme physiquement, cela n’entame en rien sa ruse diabolique. Il a aussi la corruption dans son ADN. Pourquoi ? Parce que notez que dans le préliminaire de son allocution il fait un clin d’œil à Mo Ibrahim en l’appelant parmi les « Excellences, Mesdames Messieurs ». C’était une façon de lui faire la cour. Mais le modérateur, connaissant ses tentatives de corruption morale qu’il sème à tout vent, l’interpelle fermement : « Nous savons déjà que tu es président de la République, mais ici c’est un panel de la société civile. Tout le monde ici est égal ».
Mais le satrape a fait semblant de ne rien comprendre, je dis bien semblant. Ainsi vous le prenez pour un con alors que c’est lui qui vous prends pour des bêtes de somme. Vous me diriez « et ce qu’il a dit sur la Chine alors ? ». Allez savoir si la Chine ne l’a pas zappé. « Et sur l’histoire du Cameroun alors ? ». Il a le macabo* des ambazoniens qui ont réussi à déstabiliser son pouvoir et faire de lui un des chefs d’Etats dans la ligne de mire des Américains. Vous vouliez qu’il jette des roses à nos compatriotes ? C’était l’unique façon pour lui de leur dire sa colère rouge.
Il est vieux et physiquement amoindri. Mais croyez-moi cet homme a encore toute sa tête. Et personne ne le force de faire quoique ce soit. Il le fait de lui-même, comme ça lui chante. C’est vous qui êtes fous pas lui.
*« Avaoir le macabo de quelqu’un » est une expression camerounaise qui signifie « avoir dent contre quelqu’un ». Ici, Paul Biya estime que la guerre dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO) lui a coûté ses bonnes relations avec l’Oncle Sam. Et pour cela, il en veut aux Ambazoniens dont les soldats, les Amba-Boys, affrontent depuis trois ans l’armée Camerounaise qui n’arrive pas à démanteler la guérilla.
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