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Paul Biya : l’incarnation du statuquo politique

De la rotation au sommet du pouvoir à la candidature unique de l’opposition, tout y passe pour une proposition d’un système de transition dit en douceur. À l’heure actuelle, c’est le climat d’incertitude sur les intentions réelles du président à se représenter et sur la réaction de la population face à cette longévité du pouvoir RDPC et une énième candidature de Paul Biya. Sa réélection serait synonyme à l’inertie décriée par tous les analystes. Sa réélection signifiera le non-renouvellement de la classe politique vieille de plus de 60 ans. Sa réélection traduira un maintien de l’inertie, traduction d’une lourdeur administrative, au détriment de cette jeunesse assoiffée de dynamisme. D’où l’appel urgent à une alternance politique. Mais, comment se fera donc cette alternance dans les conditions actuelles où le parti au pouvoir s’arc-boute et n’entend rien céder ?

Solution 1 : rotation du pouvoir par région

Beaucoup de Camerounais, des intellectuels notamment, convaincus qu’une candidature du président Biya sera une candidature de trop, s’échinent à trouver des portes de sorties honorables afin d’éviter le pire. Pour eux, une alternance au pouvoir serait la solution idoine pour ne pas susciter une colère issue des frustrations légitimes des Camerounais qui se sentent marginalisés. L’une des solutions d’alternance proposée qui fait déjà la une des journaux et se discute sur toutes les lèvres dans les débats reste la rotation. De quoi s’agit-il ?

C’est le Pr Joseph Owona, d’ailleurs membre du parti au pouvoir, qui prend les devants de la scène pour prôner l’alternance par la rotation qui, pour lui, semble être la solution idoine pour un changement en douceur. Il la présente comme « (…) Une des solutions d’avenir de nos institutions ». Cette alternance politique proposée par un des barons du régime conservateur ne manque pas de susciter des remous sous cape. Joseph Owona, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Yaoundé 2, affirme, comme s’il venait de le découvrir, que la véritable vocation d’une institution évoluant dans un contexte camerounais est « d’inventer l’alternativité équitable dans le Cameroun réputé comme étant une Afrique en miniature ». C’est la véritable solution pour éviter un éventuel chaos. Pour cet enseignant dont les sorties publiques ne manquent pas de stimuler les débats, cette « alternativité régionale s’avèrerait peut-être la plus souhaitable, consistant en une rotation du pouvoir suprême entre toutes les régions du pays ; Nord, Sud, Extrême-Nord, Ouest et Est, rompant avec le fameux ping-pong Nord-Sud ». Le mot est donc lâché ! L’alternativité régionale vient donc relancer les débats sur la tribalisation, cette fois-ci, sous le prisme de l’alternance. Après avoir proposé, du temps où il était aux affaires, le système d’équilibre régional qui a fait couler beaucoup d’encre et de salives (Vidéos/Débats, partie 1 & partie 2), il revient donc en force avec l’alternativité régionale.

En résumé, la rotation est donc cette forme de dévolution du pouvoir qu’on accorderait à un candidat originaire d’une région du Cameroun pour un certain nombre de mandats. Le prochain mandat sera alors accordé à une autre région et ainsi de suite. C’est la seule condition, disent les tenants de cette thèse, pour chacune des régions du pays ne s’estiment pas léser. En effet, la rationalité de cette thèse de « l’alternativité régionale » vient du fait que la longévité du pouvoir de Biya originaire de la région du Sud, a fait dire à certains qu’une autre candidature de celui-ci mettra encore hors-jeu d’autres régions et frustrera encore plus les originaires. Car une prochaine candidature de Paul Biya équivaut à la confiscation du pouvoir politique par une seule et même région depuis 1982. Pour rappel, l’ex-président Ahmadou Ahidjo originaire de la région du Nord, en laissant le pouvoir à Paul Biya en 1982, y était depuis mai 1960 comme premier président de la République. Par ailleurs, Ahmadou Ahidjo est entré en politique en 1947 comme délégué élu de la Bénoué à l’Assemblée territoriale et vice premier ministre en 1957. Depuis 1960, le Cameroun, en tant qu’État, n’a connu que deux présidents. Donc, seules deux régions sont déjà passées à la tête de la magistrature suprême. Pour le Pr Joseph Owona, 2 régions sur 10 et 2 ethnies sur presque 230 ont occupé les devants de la scène politique pendant 55 ans. Les frustrations des autres camerounais originaires des huit autres régions sont suffisamment perceptibles et il serait dangereux de nier ce fait tangible. Il le dit d’ailleurs en ces termes : « Quand vous avez un pays où il y a 230 langues, si vous voulez diriger le pays, il faut savoir comment l’unifier. Il faut trouver un moyen ».

Cette thèse de la rotation, quoique rationnelle, ne fait pourtant pas l’unanimité dans l’opinion. Beaucoup estiment que cette façon de fonctionner, qui frise le bricolage, montrerait à l’évidence que le peuple camerounais ne saurait être capable de maturité politique pour savoir et comprendre ce qu’il y a de bien pour lui. Les arguments avancés pour mettre en touche cette thèse seraient que la longévité des deux présidents n’est pas le fruit du choix du peuple camerounais compte tenu des irrégularités et des contestations enregistrées avant, pendant et après chaque scrutin. Autrement dit, la meilleure solution serait d’organiser les élections libres, justes et transparentes. Quelle que soit l’origine régionale du président, sa victoire à l’élection ne doit pas seulement souffrir d’aucune illégalité, mais il doit être légitimement acquis. Ainsi, la question d’alternance ne se poserait pas.

Solution 2 : une candidature unique de l’opposition

Les tenants de la thèse d’une candidature unique des leaders de l’opposition proposent cette solution qui pourrait avoir un impact sur les résultats de l’élection présidentielle. Au Cameroun, la constitution ne prévoit pas, depuis l’avènement de la démocratie en 1992, une élection à deux tours. Une élection à un tour n’est pas du tout adaptée à une éventualité d’un regroupement naturel des leaders de l’opposition pour renverser la vapeur au second tour. Dans l’impossibilité d’un regroupement des leaders au second tour qui n’existe pas, il est tout à fait nécessaire de penser à un regroupement dès maintenant.

Seulement, voilà, cette solution ne serait pas à sa première ébauche et son premier essai. Les leaders des partis politiques de l’opposition l’avaient déjà opté sans succès lors de l’élection présidentielle de 2004. Ce projet, ayant connu un succès avait été sabordé par une démission que certains ont considéré comme une trahison de l’actuel ministre de la communication, Issa Tchiroma Bakari, leader du FSNC (Front pour le salut national du Cameroun), disent les uns, et par la sortie prématurée du groupe du leader du SDF Ni John Fru Ndi, disent d’autres. Aujourd’hui, la crédibilité de ces deux leaders et bien d’autres serait entamée aux yeux de l’opinion camerounaise pour des raisons plus ou moins fondées. L’hypocrisie et la double face attribuées à beaucoup d’entre eux donnent à penser aux détracteurs de cette thèse que la solution miracle ne viendra pas d’une candidature unique. Peut-être faudrait-il parler de « candidature consensuelle » comme le stipule Mme Alice Sadio, leader de l’AFP (Alliance des Forces Progressistes). Alice Sadio insiste pour mettre l’accent sur des regroupements des partis politiques en fonction de leur rapprochement idéologique. Cette méthode éviterait, à coup sûr, des démissions des suites des malentendus.

La question de la révision du code électoral revient donc au bout des lèvres et renforce la nécessité selon laquelle les Camerounais doivent apprendre à être eux-mêmes maîtres de leur destin. Des solutions considérées comme des rafistolages ont toujours été malmenés par les arguments de maturité politique du peuple camerounais à être maître de son destin. En effet, la thèse sur la révision constitutionnelle, en y apportant les éléments clés comme les élections à deux tours, est celle qui bat en brèche toutes les thèses et fait l’unanimité dans l’opinion. Cependant, le seul hic reste la fermeté du régime qui n’entend pas céder sur cet élément vital qui pourrait le coûter trop cher.

Solution 3 : la nécessité de la construction d’un rapport de force

À vue d’œil, on aurait dû penser à un blocage définitif à ce niveau des solutions déjà proposées jusqu’ici. Mais, il existe néanmoins ce qui ferait changer la donne : la liste électorale. Une observation très minutieuse de la liste électorale dite biométrique fait remarquer que sur un potentiel de 10 à 13 millions d’électeurs, seuls 6 millions de Camerounais se sont effectivement inscrits. D’où la question fondamentale : pourquoi les Camerounais ne s’inscrivent-ils pas sur la liste électorale ? Ou mieux, à quoi est dû ce désintérêt pour la politique ? A priori, la réponse évidente serait : les Camerounais sont déçus par le parti au pouvoir et des leaders de l’opposition. Ils sont déçus par cet interminable mandat qui ne finit pas. Ils sont fatigués d’aller voter et de ne pas voir le changement arriver pourtant promis par l’opposition.

Les fins analystes considèrent cette attitude comme un boycotte de la chose politique, une sorte de frustration et de désespérance. Si les frustrés sont des opposants au régime régnant, il est fort probable que ce sont des voix acquises à la cause de l’opposition. Mathématiquement, c’est l’opposition qui perd des voix par cette abstention, cette apathie, cet attentisme des Camerounais. Théoriquement, une inscription massive dans la liste électorale garantirait une victoire certaine de l’opposition avec un code électoral d’un tour.

Il s’avère donc qu’après avoir fait le tour des solutions d’alternance si chère à beaucoup, il ne reste plus qu’à dire aux leaders des partis de l’opposition de trouver la motivation qui déclenchera l’intérêt du peuple. Comment donc y parvenir avec cette classe politique vieillissante, du parti au pouvoir comme de l’opposition ? Comment y parvenir avec des leaders qui manquent de charisme et de poigne ? Comment y parvenir avec cette corruption des consciences et des mœurs ancrées dans nos chaires ?

Un leader charismatique est, me semble-t-il, la solution la plus idoine et possible, quoiqu’idéaliste. Ce leader jouera le rôle d’un véritable psychanalyste capable de porter l’espoir tant perdu et sans lequel le président Biya, malheureusement, rempilera encore en 2018 ou même dans une élection anticipée de 2017.

Tchakounte Kemayou

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