Crédit: ELECAM

Que cache le projet ONU-Elecam ?

Une polémique envenime l’opinion camerounaise sur le partenariat signé entre le système des Nations Unies au Cameroun (ONU) et Elections Cameroon (Elecam).  Elle naît à la suite du silence ou de l’absence de communication sur la nature et le contenu du partenariat signé dans le secret le plus absolu entre les deux organismes. Dans un contexte électoral tendu, c’est un silence qui interroge les acteurs du processus électoral tels que les partis politiques et la société civile. Les échanges épistolaires entre les deux organismes se déroulent respectivement sur leur compte Facebook officiel.

Le 10 mai 2025, sur la page Facebook d’Elecam, on peut lire l’information en exclusivité selon laquelle Elecam et l’ONU sont désormais en relation dans un projet d’assistance. La publication est formulée de la manière suivante : « En vue de l’organisation des élections inclusives, crédibles et apaisées au Cameroun, Elections Cameroon et les Nations Unies ont procédé à la signature du projet d’assistance technique des Nations unies au cycle électoral 2025-2027 au Cameroun. C’était hier, 09 mai 2025 à l’Hôtel Mont Fébé ». Elecam informe donc les Camerounais avoir, signé le 9 mai 2025 ; un « projet d’assistance technique des Nations unies au cycle électoral 2025-2027. » Aucun détail n’est précisé en dehors de cette information sommaire.

Première publication du MRC

Le 14 mai 2025, Maurice Kamto, le président national du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), réagit également sur sa page Facebook. Cette réaction est plus une surprise qu’un satisfecit. Il dénonce la mise à l’écart des partis politiques dans la mise en place d’un tel projet. Les partis politiques étant des acteurs du processus électoral, il est important que tout accord d’association d’une tierce personne dans le but d’intervenir dans tout processus électoral ne doit pas se faire en marge de la collaboration de tous les acteurs impliqués. « Est-il besoin de rappeler que si ELECAM a compétence pour organiser les élections, il ne peut y avoir d’élection sans les partis politiques qui présentent les candidats ? » s’interroge le Secrétaire général du MRC.

Dans cette sortie du Secrétaire général, on apprend que deux rencontres ont eu lieu avec le système des Nations unies et les partis politiques. La première s’est tenue le 10 juillet 2024 avec une mission du PNUD (organe onusien) et le 7 août 2024 avec le Haut-commissaire des Droits de l’Homme à Yaoundé. Au cours de ces rencontres, l’Onu a pris connaissance, à travers les représentants du MRC, des « actes de répression et autres entraves à la démocratie ». Deux acteurs majeurs coupables de ces exactions ont été indexés : le gouvernement camerounais et Elecam.

A travers cette signature, il apparaît clairement que l’Onu a pris fait et cause les responsables de ces exactions. Ainsi, le MRC considère que « l’ONU apporte sa caution à l’un des régimes les plus répressifs et antidémocratiques du continent, qui a pris les populations camerounaises en otage. En faisant un tel choix, l’ONU engage son entière responsabilité dans les fraudes préélectorales, électorales et post-électorales qui pourraient travestir les résultats de la prochaine élection présidentielle au Cameroun ».

L’existence d’une coopération à contenus mystérieux

Le 15 mai 2025, Elecam fait une autre sortie et confirme l’information diffusée le 10 mai par un communiqué publié également sur sa page Facebook. Il apporte plus de précisions sur la signature de ce projet d’assistance technique dans un « communiqué radio presse ». On apprend que c’est un projet qui s’inscrit dans le cadre de la « coopération entre le Cameroun et le système des Nations unies… en vue de l’organisation d’élections démocratiques ». C’est tout un cycle qui va couvrir les élections au Cameroun, de 2025 à 2027 notamment la présidentielle, les législatives, les municipales et les élections des conseillers régionaux. On découvre également que c’est un « projet d’assistance technique électorale destinée à promouvoir un environnement paisible avant, pendant et après les élections ».

Plus loin, le communiqué radio presse confirme les révélations du MRC. Cette signature est donc l’aboutissement d’un long processus de consultations au cours d’une mission d’évaluation dépêchée au Cameroun par le Secrétaire général des Nations unies du 1er au 12 juillet 2024. A la fin de cette mission des Nations unies, des recommandations à la suite des consultations avec les institutions étatiques clés, les partis politiques et les parties prenantes impliquées dans le processus électoral au Cameroun ont été émises. L’objectif de l’assistance technique électorale est donc clairement défini comme « mettre son expertise électorale avérée au service des États membres ». Le communiqué radio presse nous apprend également qu’une autre mission, celle de l’Union africaine séjourne au Cameroun du 12 au 17 mai. Ici, l’objectif n’a pas été clairement spécifié malgré la précision sur une « possibilité de coopération électorale ».

Deuxième publication du MRC

Le 22 mai 2025, le MRC revient à la charge et accuse Elecam et le système des Nations unies au Cameroun de garder le mystère sur le contenu de ce projet. Il s’indigne d’ « un Communiqué qui reste volontairement silencieux sur les termes de la Convention entre ELECAM et l’ONU. Autrement dit, malgré ce Communiqué, nous ne sommes toujours pas informés du contenu de la Convention signée le 9 mai 2025. » Pour le moment, il est impossible de savoir le contenu de ce projet, même par des sources informelles. Cette inquiétude du MRC se fonde sur l’intention désormais manifeste d’écarter les parties prenantes d’un projet dans un processus électoral.

S’il a pour objectif de garantir une élection démocratique, pour quels intérêts ce projet doit-il être un secret au point de cacher son contenu ? Il y a lieu ici de faire preuve de prudence d’autant plus que l’intervention de l’Onu en Afrique n’a pas toujours été signe de garantir la paix. La guerre civile de 2010 en Côte d’Ivoire est l’exemple le plus significatif de cette coopération foireuse. Concernant l’Union africaine, la dernière saisine de la Commission des droits de l’homme et des peuples par le MRC, une institution de l’Union africaine, date du 19 janvier 2019 à la suite d’un contentieux électoral né de la contestation des résultats de la présidentielle du 7 octobre 2018. Cette plainte est restée lettre morte. Le président du MRC aura-t-il des raisons de donner sa caution à une institution panafricaine qui reste incapable de résoudre un conflit politique dans un pays ?

Les conséquences de cette coopération onusienne

Le 24 mai 2025, Maurice Kamto se pose la question de l’opportunité du système onusien de s’intéresser particulièrement aux élections de la période 2025-2027. En effet, son absence de la présidentielle d’octobre 2018 et les élections couplées des législatives et municipales de février 2020 intrigue. Si cette période de 2025-2027 est considérée comme cruciale pour l’Onu, celle de 2018-2020 l’était encore plus. La raison de son absence est bien connue.

Il nous souvient qu’en 2018 le système des Nations unies et l’Union européenne avaient souhaité envoyer les observateurs au Cameroun dans le cadre de la présidentielle. C’est justement le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) qui s’était opposé. Curieusement, dans un reportage de la chaîne de télévision national (CRTV) on a assisté à une conférence de presse des observateurs électoraux de Transparency International. L’ONG, mise au courant, a démenti avoir envoyé les observateurs au Cameroun. Il s’est donc avéré que le parti au pouvoir a fait venir des individus étrangers pour les faire passer pour les observateurs envoyés par l’ONG. L’objectif, on peut s’en douter, était de légitimer, par une organisation internationalement reconnue, des forfaitures électorales.

Quatrième publication du MRC

Le 28 mai 2025, le dernier communiqué du principal parti de l’opposition vient clôturer cet échange épistolaire. En effet, le président Kamto conclut que « la Convention signée le 9 mai 2025 entre l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ELECTIONS CAMEROON (ELECAM) engage la responsabilité de l’ONU auprès du Peuple Camerounais au cours du cycle électoral 2025-2027 ». Le MRC considère que le projet d’assistance entre le système des Nations unies et Elecam a été scellé par une « signature en catimini ». Comme pour rappeler à l’instance onusienne que sa responsabilité dans les dérives et les manquements constatés au cours de cette période électorale sera engagée.

Pour terminer, Maurice Kamto cite quelques griefs dont l’instance onusienne a été mise au courant lors de sa mission en 2024 mentionnée plus haut. Entre autres, le refus délibéré du RDPC, parti au pouvoir de faire le consensus entre les partis politiques de l’opposition et la société civile sur le code électoral, principal objet des crises électorales depuis les élections multipartites en 1992. Le paradoxe est de constater que, même le code électoral en vigueur depuis 2012, malgré les griefs relevés pour ses incongruités, est allègrement violé par les institutions chargées de les appliquer, à savoir : le Conseil électoral d’Elecam et le Conseil constitutionnel.

Le système des Nations est mis au courant de toutes ces dérives et il se garde de se prononcer pour des raisons que lui seul connaît. Comment se fait-il qu’après tant de griefs, il ne trouve aucune gêne pour signer un « projet d’assistance technique électorale » avec Elecam à l’insu des partis politique qui l’ont pourtant alerté ? En tout état de cause, ce mariage entre l’Onu et Elecam sera à scruter de très près.

Au moment où cet article est rédigé (le 4 juin 2025), des sources annoncent la publication du contenu de ce projet d’assistance technique électorale par l’Onu. Jeune Afrique en fait d’ailleurs la une dans sa plateforme web en ligne le même jour. Une analyse détaillée de ce projet vous sera présentée dans un autre article la semaine prochaine.

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Auteur·e

tkcyves

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