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Nigeria : la leçon de Jonathan à Laurent

Pour la première fois dans l’histoire, la plus grande puissance économique africaine vient de connaitre une alternance politique démocratique : un président en exerce est « chassé » du pouvoir par les urnes. Cette alternance qui est la chose la moins partagée en Afrique est saluée par beaucoup d’observateurs.Le désormais ex-président du Nigeria vient d’administrer, comme rarement savent le faire ses pairs africains, une leçon mémorable à ceux-ci qui pensent qu’une défaite est synonyme du chaos, de fin de l’existence.

Au fait, selon les décomptes officiels provisoires proclamés par la Commission électorale indépendante du Nigeria (INEC), le candidat de l’opposition coalisée, Muhammadu Buhari est élu président de la fédération dès le premier tour. Il a réalisé une confortable avance face à son principal rival, le président sortant et candidat du PDP, parti au pouvoir, Goodluck Ebéllè Jonathan qui est même déjà ridiculisé dans les réseaux sociaux par les partisans de Laurent Koudou Gbagbo pour avoir soutenu l’adversaire de celui-ci lors de la crise post-électorale ivoirienne. En effet, les partisans de l’ex-président ivoirien polluent l’air avec cette boutade selon laquelle leur leader, à la suite de son arrestation, avait prédit la chute de ses pairs détracteurs en ces termes : « Si je tombe, vous tomberez aussi ».

Depuis hier matin, des Elders (un groupe d’anciens chefs d’État africains) conduits par l’ancien président ghanéen John Kufuor, a rencontré plusieurs fois le président sortant. Objectif : lui faire admettre le verdict des urnes dont les tendances officieuses le donnaient déjà largement perdant. Les démocrates africains, en le faisant, espéraient que le président Goodluck se montrerait à la hauteur de sa responsabilité d’homme d’Etat en acceptant rapidement le verdict des urnes pour éviter à ce grand pays des violences post-électorales. Ce qu’il n’a d’ailleurs pas manqué de faire.

En reconnaissant dès le 1er tour la victoire de son adversaire, Goodluck Ebéllè Jonathan, au contraire de Laurent Koudou Gbagbo, entre positivement dans l’histoire des jeunes démocraties africaines. Nombreux sont les Camerounais qui, adeptes des leçons aux autres, sauf dans leur propre pays, essaient de racheter une bonne conduite à Laurent Koudou Gbagbo. Malheureusement, ils doivent se rappeler les similitudes des parcours présidentiels des deux dirigeants de ces deux États qui semblent mieux les intéresser que le sort du leur propre pays.

Jonathan-Buhari

Laurent Koudou Gbagbo et Goodluck Ebéllè Jonathan étaient quasiment arrivés au sommet du pouvoir d’État par défaut. L’Ivoirien, à la suite d’une élection présidentielle calamiteuse où l’essentiel de l’opposition (RDR et PDCI), exclue par un militaire félon, le feu général Robert Guei, l’avait néanmoins soutenu pour qu’il prenne le pouvoir par la rue, avec le soutien du gouvernement socialiste de Jospin. Le second, Goodluck Ebéllè Jonathan, arrivé accidentellement à la suite du décès en cours de premier mandat du déjà malade président élu Umaru Yar A Dua, installé par le général Obasanjo, le fondateur du PDP, au détriment de son propre vice Atiku Abubakar qui s’était ligué contre son projet de modifier la Constitution pour un 3e mandat, n’a jamais eu, de même que Koudou Gbagbo toute la légitimité qu’une élection propre comme celle d’aujourd’hui confère.

Ainsi l’un et l’autre se sont vus contester violemment, par des oppositions à la fois politiques et armées notamment les Forces nouvelles de Guillaume Soro et le RDPH en Côte d’Ivoire et Boko Haram de Yusuf puis Abubakar Shekau et l’APC au Nigeria. Mais à la différence du boulanger d’Abidjan, le démocrate d’Abuja ne s’est pas servi de la guerre qui lui était imposée pour tenter de renvoyer éternellement les élections et ainsi s’accrocher au pouvoir. Tandis que Goodluck Ebéllè Jonathan reconnait sa défaite après seulement six ans de pouvoir, sans alléguer de fraudes éventuelles au nord du Nigeria dont une grande partie qui lui échappait a creusé la différence, comme le nord de la Côte d’Ivoire à Koudou Gbagbo (après 10 ans de présidence soit l’équivalent de 2 mandats de 5 ans chacun), ce dernier avait préféré demander à la Cour constitutionnelle de le proclamer vainqueur puis prêté serment à la hussarde alors même que la Commission électorale indépendante avait proclamé son principal adversaire, Allassane Ouattara (allié à Henri Konan Bedié et le PDCI arrivé 3e au premier tour) vainqueur à l’issue du second tour. S’accrochant, après son coup de force politico-électoral – un coup d’Etat constitutionnel – de décembre 2010 sur une prétendue demande de recomptage, Koudou Gbagbo dont l’essentiel des observateurs, qui l’avait vu perdre toutes les élections intermédiaires depuis son arrivée au palais de Cocody en 2000, s’était vu naturellement opposer une fin de non-recevoir par son adversaire Allassane Ouattara. En fait personne de sérieux, en dehors de ses partisans, ne croyait plus à sa parole ni à sa prétendue stature d’homme d’État. Il était simplement perçu comme un piètre manœuvrier qui ne mesurait pas le risque qu’il faisait courir à son propre peuple se servant de la crise politico-militaire durable, dont il était au moins en partie responsable (reconduction de l’ivoirité; adoption de la loi sur le foncier rural qui excluait les binationaux africains de la propriété foncière). Pis, il faisait en sous-main les affaires les plus sordides avec la France (contrats de gré à gré à Bolloré, Bouygues, et valises d’argent à Chirac selon l’avocat intermédiaire) et l’Occident tout en poussant les jeunes à attaquer violemment cette puissance pourtant alliée de toujours de sa Côte d’Ivoire.

Goodluck Ebéllè Jonathan, qui vient d’infliger une leçon de grand homme d’État non seulement aux prétendus politiciens africains et, mais plus particulièrement à Laurent Koudou Gbagbo, rentre ainsi dans l’histoire et coulera des jours paisibles au Nigeria comme ses prédécesseurs. S’il le veut, il peut continuer à s’engager en politique et se présenter à nouveau en 2019. Qui sait ? Si Buhari ne répond pas de manière satisfaisante aux nombreuses attentes sociales et sécuritaires du grand peuple nigérian, mais surtout si l’économie de ce pays ne se maintient pas au moins sur la pente ascendante sur laquelle Jonathan la laisse aujourd’hui, comme tous les peuples, très amnésiques en contexte de réelle démocratie, il sera toujours le bienvenu à Asso Rock Palace d’Abuja. Ce même scénario risque se produire avec un certain Nicolas Sarkozy actuellement en route pour le palais de l’Élysée en France.

Moralité : en contexte de véritable démocratie, il n’y a pas d’homme indispensable. A moins que le peuple, par son vote large, transparent et reconnu tel par les observateurs, n’en décide ainsi.

AGA

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Auteur·e

tkcyves

Commentaires

Serge
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Très belle analyse avec d'excellentes comparaisons...
P.S: songe à mieux aérer le billet par la suite ;)

elsa njiale
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belle leçon à retenir pour notre pays le Cameroun