Pour un meeting, la place de la République à Paris était noire de monde ce samedi 31 mai 2025. Pour cause, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), en guest-star était venu à la rencontre de la diaspora camerounaise. Malgré le happy end, ce meeting continue de faire les gorges chaudes chez les détracteurs et ses adversaires politiques.
Un meeting réussi et Pari tenu ?
Pour rappel, il faut d’abord préciser ici que le meeting de Maurice Kamto à Paris est en fait organisé par une coalition dénommée Alliance politique pour le changement (APC) que dirige le député Jean Michel Nintcheu. Il crée un parti politique, le Front pour le changement au Cameroun (FCC) après son exclusion du Social Democratic Front (SDF) face à ses ambitions de succession de John Fru Ndi qui souhaitait se retirer de la présidence du parti. À la 3e convention du MRC, les 9 et 10 décembre 2023, qui a investi Maurice Kamto comme candidat pour la présidentielle d’octobre 2025, il annonce la création de l’APC et soutient la candidature de Maurice Kamto.
L’APC est donc une coalition autour du leader de l’opposition ayant le potentiel et la popularité affirmée dans l’opinion. Classé 2e, selon le Conseil constitutionnel, à la présidentielle d’octobre 2018, Maurice Kamto est le leader politique qui a la cote de popularité et de sympathie la plus importante en ce moment. Il faut donc miser sur le cheval gagnant en faisant un choix de raison. Comme preuve, une démonstration populaire capable de convaincre l’opinion sur le bien-fondé de ce choix est opportune.

L’objectif du comité d’organisation du meeting de Paris Co organisé par l’APC et le MRC est double : rassembler plus de 50.000 personnes à la place de la République ; mobiliser la diaspora camerounaise en prélude à la présidentielle d’octobre 2025. La mission a donc été accomplie puisque le bilan est au-delà des attentes : 78.564 personnes présentes, selon les sources de la Préfecture de police de Paris. Ce n’était pas seulement la diaspora camerounaise en France qui était présente. Elle venait de partout : Europe, Amérique, Asie et même d’Afrique. Il a fallu au total trois semaines de préparatifs pour relever ce challenge. Tous les analystes et les observateurs sont unanimes : défi relevé.
Ce n’est pas le lieu de faire un bilan complet ici en guise de satisfecit. Cependant, le comble est que ce meeting ne fait malheureusement pas que des heureux. Les critiques les plus acerbes ne viennent pas seulement du parti au pouvoir. Elles viennent également des autres leaders des partis de l’opposition camerounaise. Les critiques les plus virulentes sont des stéréotypes introduits dans l’opinion pour décrédibiliser le meeting de Paris et discréditer le leadership de Kamto. Il sera question ici de faire le tour de tous ces stéréotypes et de montrer en quoi ils sont non fondés.

Un meeting à Paris : Kamto est un pion de la France
Paris, pour deuxième fois ? Il faut rappeler ici que c’est la deuxième fois que Maurice Kamto fait un meeting à Paris. La première fois c’était le 1er février 2020, toujours à la place de la République qui était un peu moins populaire. Ce premier meeting a eu lieu après la libération le 5 octobre 2019 de Maurice Kamto et 102 de ses partisans arrêtés le 28 janvier. Cette libération n’a été possible que grâce à la mobilisation de la diaspora à travers les chancelleries du monde. Le meeting du 1er février était donc fondé sur un objectif : remercier la diaspora qui s’est mobilisée pour cette libération. Mais, Maurice Kamto ne s’est pas seulement limité à Paris. La France était considérée comme le point de chute pour la diaspora camerounaise vivant en Europe. Il est également parti dans deux pays de l’Amérique : les États-Unis et le Canada.
Kamto reste l’un des rares leaders politiques Africains à organiser un meeting de cette envergure à la place de la République à Paris. C’est un challenge rare dans le monde de la politique africaine en France. Du coup, les soupçons pèsent pour un soutien de la France.
Pour 2025, année électorale, Maurice Kamto se limite à Paris. Ce choix de la ville du meeting n’est pas anodin. C’est un choix stratégique. Paris est comme un carrefour des rencontres de la diaspora camerounaise en Europe et même dans le monde. Dans l’histoire, plusieurs mouvements d’indépendance, de libération et de conscience politique africains et camerounais y ont vu le jour. La France est également considérée comme le pays de refuge des résistants Camerounais post-indépendance. Ils fuyaient la répression d’alors et allaient se réfugier chez les communistes français.

Paris est la ville ayant abrité le premier congrès panafricain, en 1919 à l’Hôtel Intercontinental, à l’initiative de l’africain-américain W.E.B. Du Bois ; le premier congrès des écrivains et artistes Noirs en 1956 à l’amphithéâtre Descartes à la Sorbonne dont l’affiche fut réalisée par Pablo Picasso ; la première maison d’édition sur l’Afrique et sa Diaspora fondée par Alioune Diop et son épouse Christine Yandé, en 1949 à la rue des Écoles ; la publication du premier article sur la Renaissance africaine, en 1948 dans la Revue Alerte sous les Tropiques par un certain Cheikh Anta Diop, auteur plus tard de Nations Nègres et Culture, œuvre retentissante sur l’antériorité négro-africaine de la civilisation matricielle de l’Égypte antique à Kama…
Abdelaziz Moundé Njimbam (Facebook)
La Brigade Anti Sardinard (BAS), dernier mouvement camerounais en date a été créé à Paris en 2019, juste après la présidentielle d’octobre 2018. Créé dans un contexte de violence policière après la répression sur les manifestants dans les rues de Douala le 26 janvier 2019 qui contestaient la victoire de Paul Biya. En France, en Allemagne, en Belgique et en UK, la BAS s’est illustrée dans le saccage des ambassades camerounaises en réaction à cette répression policière.
Et les langues se délient pour faire de Kamto un candidat de la France ou de la françafrique. Ainsi, une liaison entre Kamto et la France, entre Kamto et le pays colonisateur, pays impérialiste, symbole de la domination néocoloniale et postcoloniale est mise en exergue.
La liberté de manifestation : collision incestueuse RDPC-administration
La principale leçon que nous pouvons retenir de ces deux meetings de Paris, c’est la liberté de manifestation. En effet, au Cameroun, les partis politiques de l’opposition et la société civile sont toujours victimes des intimidations du pouvoir. Toute l’administration préfectorale, judiciaire et policière qui est à la solde du parti au pouvoir est soupçonnée d’agir par ordre et sur la pression de la hiérarchie administrative et politique du pouvoir. L’opposition camerounaise est ainsi victime des refus systématiques de manifestations publiques. Les prétextes fallacieux de ces refus sont formulés dans les interdictions de manifestations publiques avec comme entre autres motifs « troubles à l’ordre public ». En termes de statistiques, plus de 90 % des demandes de manifestations sont marquées par ce sceau.

C’est fort de ce constat que le MRC, a pensé qu’il devient nécessaire et urgent de faire autrement pour tenir le pari de la mobilisation populaire. Dans l’impossibilité de tenir le pari d’une mobilisation politique dans son pays, Maurice Kamto est, bon gré mal gré, obligé de se déployer à l’étranger. Cette mobilisation de Paris est la manifestation d’une soif d’expression politique qui ne cesse d’étouffer. Il a fallu un terrain de prédilection pour enfin trouver du souffle et d’exercer ainsi sa liberté d’expression politique impossible en terre camerounaise.
Pourquoi le parti au pouvoir se sert de la violence symbolique de l’État, de son pouvoir répressif pour interdire l’exercice des activités politiques des partis de l’opposition ? Une seule raison au moins peut justifier ces interdictions des sous-préfets que le RDPC continue de défendre à n’importe quel prix malgré ce motif fallacieux battu en brèche : la peur. Cette peur de voir les partis de l’opposition se déployer sur le terrain et lui ravir la vedette le hante. Sinon pourquoi soutenir des décisions abusives des sous-préfets dans le musellement des adversaires politiques qui ne représentent rien selon lui ? La répression ne se limite pas seulement dans l’interdiction. Il se livre également dans la traque des leaders, l’espionnage de leurs faits et gestes dans l’exercice des activités normales comme des rencontres, conférences et réunions publiques.
La popularité nationale du leader Kamto contestée
Ce meeting du 31 mai 2025, comme celui du 1er février 2019 est une démonstration de force du MRC et de son leader. Les stéréotypes du genre « petit parti politique » ou « parti tribal » ou encore « parti sectaire » sont généralement attribués aux leaders des partis politiques de l’opposition. Rentrons un peu dans l’histoire. Dans les années de retour au multipartisme, de 1990 à 1992, le Chairman Ni John Fru Ndi, leader du Social Democratic Front (SDF), étaient qualifié de leader des « Anglo-Bami ». C’est considéré comme l’un des stéréotypes les plus populaires. Il renvoie justement au fait que le SDF est un parti politique sectaire. Le SDF est ainsi indexé comme le parti dont l’objectif est de défendre les intérêts des communautés dites Anglophones et Bamiléké de l’Ouest et du Nord-Ouest. John Fru Ndi étant lui-même originaire du Nord-Ouest, les communautés de l’origine tribale du leader sont ainsi visées.
Aujourd’hui, cette vieille tactique est également appliquée chez Maurice Kamto. La communauté Bamiléké dont est issu le leader est également indexée. Ainsi, les invectives comme celle d’« un Bamiléké ne sera jamais président » est devenue « Kamto ne sera jamais président » sont en fait tintées d’accusations communautaires. Autrement dit, on balance dans l’opinion la tendance communautaire du MRC comme on l’avait fait pour le SDF. Pour convaincre l’opinion du contraire, il faut des actes forts. Des actes qui montrent la popularité nationale et même mondiale du parti et de son leader. La seule opportunité qui se présente pour montrer sa popularité est de prouver son implantation sur le terrain hors de sa zone communautaire. Cette stratégie de défense est-elle nécessaire ? Je ne pense pas, car un parti politique a toujours une base. Mais cette stratégie du MRC, pour le moment, est payante. Mais il va falloir se résoudre à accepter cette évidente réalité. Évidemment, cela reste un pari impossible au Cameroun. Le seul terrain de manifestation de cette vérité est un pays de la diaspora où les libertés de manifestation sont déjà des acquis.

En guise de conclusion : mobilisation de masse et conscience politique
L’une des accusations faites aux partis politiques de l’opposition est le manque de stratégie dans l’éducation politique de la population camerounaise. C’est une critique qui revient tout le temps. Elle est toujours balancée à la figure pour montrer que la capacité de mobiliser la foule en politique est différente de la capacité à susciter la conscience politique. En d’autres termes, mobiliser un million de personnes dans la rue ne signifie pas une garantie de la victoire à une élection. Il est donc question de convertir ce million de personnes en million de voix. Pour réussir ce pari, il faut transformer la masse en sujet politique. La conscience politique s’inscrit donc dans cette logique : les leaders doivent avoir la responsabilité de l’éveil du peuple. Galvaniser et donner des raisons d’espérer c’est également montrer à ce peuple que le leader est prêt pour ne pas faillir. « Alors, je suis prêt », a affirmé Maurice Kamto à l’ouverture de son discours de ce 31 mai à la place de la République. Les griefs formulés pour tancer l’opposition sont généralement péremptoires : les partis de l’opposition camerounaise n’éduquent pas politiquement ses militants, ne les conscientisent pas et par conséquent, manquent de stratégies de conquête du pouvoir. En quoi un meeting politique à Paris peut faire changer la donne et donner un poids politique au MRC ?
L’un des arguments formulés pour critiquer le MRC c’est d’aller à l’assaut d’une population de la diaspora qui ne représente rien sur le plan électoral. Dans une extrapolation statistique, on peut se livrer à quelques hypothèses. Les détracteurs soulèvent l’argument selon lequel il est inutile d’aller à la conquête d’un millier d’électeurs que représente le corps électoral en France. En fait, le corps électoral à l’étranger est à 26.800 électeurs enregistrés au 30 décembre 2024 selon Elecam. Selon les détracteurs, investir tant d’énergie pour un tel poids électoral est inopportun. La France à elle seule peut contenir un millier d’électeurs. Si nous prenons les chiffres de la Préfecture de la police française qui dénombre à plus de 70.000 le nombre de personnes présentes au meeting, il est évident la captation de 70.000 électeurs est impossible. Il faut plutôt capitaliser la pression que peut apporter chaque Camerounais de la diaspora pourvoyeuse de fonds, la mamelle nourricière de leurs familles respectives restées au pays. La diaspora représente donc une sécurité sociale pour des familles en décrépitude dans un environnement le social est l’enfant pauvre du système politique. En définitive, Maurice Kamto ne cible pas seulement les 26.800 électeurs de la diaspora. Il espère avoir, grâce au concours de la pression de cette diaspora, des électeurs en sa faveur au Cameroun.
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