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L’homophobie : une haine à double vitesse

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le Premier ministre du Luxembourg, Xavier Bettel et son compagnon, Gauthier Destenay (image Paris Match)

Attention, même les homosexuels qui sont menacés dans le monde ont aussi leur journée internationale, hein. C’est le moins qu’on puisse dire, car l’homophobie étant maintenant considéré, par les Nations-Unies, comme l’un des fléaux les plus dangereux de notre planète, les peuples, et pas seulement et particulièrement les Africains, ne sont pas du tout unanimes sur la perception qu’on se fait de l’homosexualité.

Le dimanche 17 mai, c’était la journée internationale contre l’homophobie et c’est deux jours avant (vendredi) que le Premier ministre du Luxembourg, Xavier Bettel, décide prendre pour épous(e) son compagnon, Gauthier Destenay. C’est donc une grande première dans le territoire de l’Union Européenne. Mais, le Cameroun vit son homophobie au grand dam des homosexuels qui sont encore, comme partout d’ailleurs, considérés comme des hors-la-loi. Dans le monde entier, l’homosexualité est pénalisée dans 77 pays et dans 11 pays les homosexuels sont condamnés à la peine de mort. Vous avez bien lu ? Il existe une peine capitale pour les homosexuels! Au Cameroun, l’homophobie est une réalité. Il y a des personnes qui en ont fait l’un des objectifs dans leurs activités associatives : traquer les homosexuels jusqu’à leur dernier retranchement. Les arguments utilisés par les homophobes pour justifier leur acte sont aussi diverses que complexes. Ce qui me paraît gênant, de mon point de vue, ce sont des raccourcis utilisés comme arguments pour justifier la pénalisation voire la mise à mort des homosexuels.

L’argument religieux

Je me rappelle d’une œuvre littéraire au programme dans les lycées et collèges au Cameroun : Le dernier jour d’un condamné (1829). Lorsque cet ouvrage de Victor Hugo était au programme de littérature, je n’étais plus au Lycée. Mais, j’ai eu le plaisir de le lire comme je l’ai fait pour Claude Gueux (1834) les deux ouvrages de Victor Hugo qui sont des hymnes à plus d’humanisme. Victor Hugo est l’un des écrivains pionniers qui ont influencé l’annulation, dans la majorité des pays, de la peine de mort dans le monde. Il est considéré comme l’un des plus farouches abolitionnistes que la France ait connu au XIXe siècle. La lutte contre l’exécution capitale est un combat contre la cruauté et l’injustice. Quoi qu’il en soit, ce châtiment suprême ne saurait être la sanction la plus correcte pour des personnes qui ont commis les actes, même les plus ignobles du monde.

Pour mener à bien ce combat, Victor Hugo ne se limitait pas seulement à la littérature. L’écrivain était engagé aussi sur le terrain pour défendre ses idées. L’un des arguments du romancier et poète français était justement la référence à la vision que la religion chrétienne a de la vie. Cet extrait de son discours prononcé le 15 septembre 1848 à la tribune de l’Assemblée constituante nous en dit un peu plus :

[…] Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n’appartiennent pas à l’homme : l’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble. Malheur à l’homme s’il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l’équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience […].

Il ne serait tout à fait pas naïf de penser que le poète, sur ce passage, s’adressait particulièrement aux religieux. Comme l’esclavage, la colonisation et bien d’autres barbarismes, la peine de mort était particulièrement soutenue, surtout, par la religion chrétienne qui trouvait des arguments pour les justifier. Cet extrait ci-dessus montre tout simplement que si ces phénomènes étaient l’œuvre divine, l’église n’aurait pas changé de position jusqu’aujourd’hui. Car l’œuvre de Dieu est « irrévocable », « irréparable » et « indissoluble ». Comment expliquer donc la position des religions chrétiennes qui, ouvertement, se livrent à ce jeu de chasse macabre dans leurs discours au cours des cérémonies liturgiques pour justifier, jusqu’à présent la vindicte populaire réservée aux homosexuels ?

L’argument éthique

La religion n’est pas la seule intense interpellée dans le combat contre la peine capitale. Du point de vue éthique, donner la mort à son semblable est, unanimement, non seulement condamnable, mais condamnée. Mais, la référence aux textes bibliques reste, jusqu’ici, la plus utilisée pour justifier l’homophobie, même si du point de vue de l’éthique l’unanimité est loin d’être une réalité. En fait, loin de moi de faire l’apologie de l’homosexualité, je pense personnellement que nul, oui je dis bien, nul n’a le droit d’ôter la vie à un autre humain. Ce qui m’écœure tout de même chez les homophobes, c’est la récurrence à cette tendance à justifier leur acte par des références bibliques pour démontrer que seule une relation sexuelle entre un homme et une femme (hétérosexualité) est de l’ordre du « naturelle », est « normale ». Ce qui ne l’est pas pour une relation sexuelle entre un homme et un autre homme (homosexualité) ou une relation sexuelle entre une femme et une autre femme (Lesbianisme).

Comme personne ne peut faire une démonstration scientifique pour montrer en quoi une relation entre un homme et une femme est « naturelle » et « normale », on s’appuie donc sur la Bible, le Coran, etc. pour trouver des arguments. Même les Kémites, friands des traditions négro-africaines issues de la civilisation de l’Egypte antique, pourtant unanimes sur beaucoup de faits contraires à la tradition négro-africaine, sont divisés sur cette question.

Beaucoup de compatriotes dont j’appréciais leur excellentissime critique littéraire et qui se bombaient le torse, à juste titre, d’épouser les idées et le combat de Victor Hugo, ne se rendent pas compte que leur posture homophobe est, pourtant, contraire aux convictions du poète. Ils sont prompts à lutter contre la peine capitale infligée aux coupables de tous les autres actes criminels, mais gardent curieusement le silence sur la peine de mort infligée aux homosexuels. A croire que l’homosexuel serait plus à plaindre qu’un tueur en série voire un tueur à gage.

L’argument socio-ésotérique

Cette justice à deux vitesse est liée au fait que l’homosexualité a un rapport étroit avec l’irrationnel, soutiennent les homophobes. Les contextes de pauvreté, de chômage et de sous-emploi, sont des moments favorables aux discours d’accusation de favoritisme et de népotisme. Les jeunes, qui ont cessé de croire en eux-mêmes, sont donc généralement prompts à la victimisation pour se trouver un alibi à leur souffrance. Jusqu’aujourd’hui, l’homosexualité est considérée, surtout par beaucoup de jeunes, comme l’un des fléaux qui, non seulement, empêcheraient leur insertion sociale, mais freineraient leur ascension professionnelle. Il y a même des histoires de magie noires où homosexualité est au centre des pratiques comme la sodomisation. L’ascension sociale des personnalités dont la moralité ne ferait l’ombre d’aucun doute est souvent perçue comme le fait de leur appartenance à un cercle ésotérique dont la sodomie est l’une des pratiques les plus utilisées. On a même fini par confondre la sodomie ou l’homosexualité avec la magie noire. Que n’a-t-on pas encore entendu ?

Cependant, tout le monde le sait, les promotions canapés existent même chez les hétéros comme chez les homos sans que ça n’émeut outre mesure. La plupart des histoires du fait de l’actualité classées dans la rubrique des faits divers au niveau des médias et relayées par les réseaux sociaux font écho des pratiques non orthodoxes des hétérosexuelles où les victimes, généralement les femmes, attirés par l’appât du gain facile, ont rendu l’âme sur le champ ou quelques jours plus tard. Ici, les ébats hétérosexuels les plus usuelles et les plus décriées, des scènes les plus abominables qui puissent exister, sont aussi diverses que complexes. Les hétérosexuels qui sont pourtant maîtres de ces pratiques ne sont pas aussi voués aux gémonies comme le sont les homosexuels. Les arguments utilisés pour les exposer à la vindicte populaires ne sont donc que farfelus.

L’argument juridique

Pour la plupart des pays Africains qui condamnent l’homosexualité, l’argument le plus répandu est que la loi interdit cette pratique. Les interprétations sont faites par les juristes soit pour condamner cette loi, soit pour ne pas la considérer comme une loi car relevant d’un décret signé par le feu président Amadou Ahidjo qui condamnait justement cette pratique. D’autres encore sont carrément favorables à cette loi qui, selon eux, reflètent l’aspiration de la volonté du peuple camerounais qui ne veut et ne souhaiterait d’ailleurs pas d’une dépénalisation de l’homosexualité. Mais, à bien y réfléchir, ces lois en vigueur qui existent dans ces pays émanent-elles du peuple camerounais ?

Il faudrait que nous soyons d’accord : ce n’est pas parce que la majorité du peuple camerounais est contre la dépénalisation de l’homosexualité, ce qui est encore à démontrer, qu’il faut absolument justifier que cette loi est le reflet de leur position sur l’homosexualité. Par exemple, le Cameroun, comme la plupart de tous les pays colonisés par la France et qui ont accédés à l’indépendance, sont, jusqu’à présent, sous l’influence du code pénal et du code civil français datant de la période des indépendances. Il y a donc de fortes chances que l’homosexualité qui est condamnée au Cameroun soit le fait de la France. D’où vient-il que le peuple camerounais est, de facto, contre la dépénalisation de l’homosexualité ? Encore faut-il aller plus loin dans les recherches pour démontrer que les Camerounais sont des homophobes patentés.

Je m’excuse de ne pas aller plus en profondeur dans le développement de ces arguments des homophobes. J’ai juste profité de cette journée internationale contre l’homophobie pour exprimer ma déception face aux arguments peu convaincants. J’attends encore plus que ça de nos homophobes pour justifier la guillotine infligée aux homosexuels dont je respecte le choix malgré mon désaccord.

Tchakounté Kémayou

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