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Lettre ouverte aux évêques du Cameroun

Les évêques au Cameroun sont-ils divisés ? Après la proclamation des résultats du scrutin présidentiel du 7 octobre 2018, les réactions fusent de toutes part. Celles qui continuent de susciter des remous en ce moment proviennent des évêques de l’église catholique. Deux évêques ce sont prononcés. La première est celle de Monseigneur Samuel Kleda, archevêque de Douala qui, le 23 octobre 2018, émettait les doutes sur la sincérité du scrutin. Tandis que Monseigneur Jean Mbarga, archevêque de Yaoundé qui, le 26 octobre 2018, par une réponse du berger à la bergère, estimait qu’il fallait déjà tourner la page sur l’épisode de l’élection pour passer à autre chose.

Ces deux réactions des hauts cadres de l’église catholique est une simple illustration du chiisme qui secoue l’église catholique au Cameroun depuis le déclenchement de la crise anglophone en 2016. Du coup, les chrétiens qui soutiennent Mgr Kleda, plus critique du régime de Yaoundé, accusent Mgr Mbarga de pactiser avec le diable. Les débats sont houleux et les observateurs s’en délectent à cœur joie. Le laïc engagé, remarqué pour ses positions iconoclaste envers l’absence de l’orthodoxie chrétienne, Nyëbë Edoa se lance dans une sorte de diatribe pour exhorter les évêques à une prise de conscience. Pour lui, l’église ne doit pas être du côté de l’oppresseur, mais du côté des faibles.

Je vous propose de lire sa lettre ouverte ci-dessous :

Messeigneurs les Évêques, paix et joie du Christ !

Je vous salue par ces mots « paix » et « joie », qui résument aussi bien le message évangélique, que les aspirations nobles du peuple de Dieu qui vit au Cameroun, dans un contexte socio-politique très inquiétant. En effet, ce peuple a plus que jamais soif de paix. Et quelle paix ? La pax Christi, la seule qui puisse nous donner la vraie joie d’enfants de Dieu.

Notre Mère, l’Église dont vous êtes les Serviteurs et Successeurs des Apôtres, a pour mission régalienne de sanctifier, d’enseigner, et de gouverner. Chacun de nous doit donc s’efforcer d’être saint. Car notre monde souffre principalement des crises de saints, capables d’être sel de la terre et lumière du monde (Cf. Matthieu. 5, 13-14). L’enseignement du Christ et la doctrine de l’Église dont vous êtes garants, chers Pères Évêques, demeure la voie certaine du Salut et de la libération de toutes sortes d’asservissements. Partout où souffre un chrétien, c’est toute l’Église qui souffre également. L’offensive pastorale doit commencer par la dénonciation publique des Hérode et Hérodiade, exactement comme le fit Saint Jean le Baptiste (Cf. Marc 6,18).

Tout ce qui est humain vient de Dieu et l’Église a le devoir de le protéger

Notre Église au Cameroun, ne sautait donc faire fi de sa mission ô combien nécessaire, en ce moment important et décisif de l’Histoire du pays, dans la tourmente de l’oppression despotique. Car « l’ensemble des droits dans l’Église est essentiellement constitué des droits de l’homme. Tout ce qui est humain vient de Dieu et l’Église a le devoir de le protéger. […] les catholiques doivent jouir de tous les droits contenus dans la Déclaration Universelle de Droits de l’Homme » (MAGESA, 2001, p. 47).

À l’instar de l’Apôtre Paul à Athènes (Cf. Actes 17,16), je voudrais, au nom de notre communion fraternelle, que vos tourments devant tant d’idoles, fassent de vous de zélés défenseurs du Droit, de la Justice et de la Vérité. Ces idoles se nomment ici : corruption, tribalisme, favoritisme, infanticide, prêtricide, crimes rituels, détournements de deniers publics, injustices sociales, guerre illégitime…

Comme au temps du prophète Élie marqué par le syncrétisme religieux, de faux-frères (Cf. Galates 2,4) adorent simultanément ces idoles (véritables Baal) et le vrai Dieu (1Rois 18,21). Chez nous, ils occupent les premières places dans nos Cathédrales, et sont aussi membres de nos Conseils paroissiaux. Une telle imposture n’est pas tolérable. N’oubliez pas Messeigneurs, que corriger celui qui est dans l’erreur, est une œuvre de miséricorde spirituelle. Alors, qu’ils sachent qu’il est possible de faire la politique, sans avoir le sang aux mains, tout en espérant les laver le dimanche à l’eau bénite.

Aux États-Unis, pendant les luttes des Noirs pour leur libération et l’égalité entre Blancs et Noirs, ils sont nombreux les baptisés qui ont quitté l’Église

« L’histoire ne pardonne jamais à un homme, à un parti ou à une Église d’être en retard d’une mutation » (EMOG, 2005, p. 7), nous dit en guise d’avertissement Roger GARAUDY cité par EMOG dans son livre LE PORTEUR DE CORNES. Dois-je vous rappeler Messeigneurs, que les mouvements sociaux comme ceux que vit notre pays, ont toujours été propices aux conversions ou à l’éloignement de la Foi ? Par exemple aux États-Unis, pendant les luttes des Noirs pour leur libération et l’égalité entre Blancs et Noirs, ils sont nombreux les baptisés qui ont quitté l’Église. Dénonçant par-là l’hypocrisie des faux-frères Blancs. Ils sont devenus agnostiques, athées ou ont changé de religion.

Au Cameroun également, ce sont des chrétiens qui brûlent les maisons d’autres chrétiens. Ce sont les chrétiens qui pillent, violent et massacrent leurs frères et sœurs dans la Foi. Les appareils répressifs (les forces de l’ordre, la justice de façade, etc.) sont tenus des mains de maîtres par des personnes se réclamant disciples du Christ, qui pervertissent l’usage citoyen de ces appareils, en opprimant froidement leurs coreligionnaires. Le Christ a-t-il donc si peu d’amis dans la chrétienté ?

Cependant, gagner les âmes pour le Christ, c’est aussi améliorer le mieux-vivre des fidèles, lutter pour éloigner, voire faire disparaître les frontières du totalitarisme, exactement comme l’Église combattit jadis le marxisme de toutes ses forces. Vous avez ce pouvoir ! Le peuple de Dieu qui est au Cameroun compte sur vous, Messeigneurs les Évêques.

« Quand la justice n’est pas respectée, il ne faut rien attendre de bon de la part des citoyens »

Veuillez donc utilisez Messeigneurs, tous les moyens dont vous disposez (votre chaire, votre presse, vos relations…) pour l’accomplissement du rêve du Cardinal Christian TUMI, qui est celui de tout un peuple : un Cameroun et un Camerounais nouveaux ; c’est-à-dire juste. Le Cardinal affirmait à cet effet que : « Quand la justice n’est pas respectée, il ne faut rien attendre de bon de la part des citoyens. C’est leur demander l’impossible. C’est ici qu’il faut dire haut et fort certaines choses, au risque de choquer ceux qui ne veulent pas sortir des sentiers battus de toujours » (TUMI, 2006, p. 167) in Les deux régimes politiques d’AHMADOU AHIDJO, de PAUL BIYA et CHRISTIAN TUMI, Prêtre.

Les Évêques ont toujours su, en temps opportun, éveiller la conscience collective. Évêque de Nkongsamba et défenseur des Droits humains à l’époque des « trains de la mort », des génocides Bassa et Bamiléké, Monseigneur Albert NDONGMO disait avec force aux fidèles du Christ : « La religion, le christianisme ne sont pas là pour professer un angélisme béat et naïf, une sainte oisiveté. Le croyant, le chrétien doit faire quelque chose pour la promotion, pour le développement de l’homme, de son pays et du monde. Le chrétien doit donc inscrire son action au sein de l’action nationale pour le développement de tout le pays ; il doit être efficacement présent à tout ce qui se construit, à tout ce qui fait progresser l’homme, le pays et le monde. Et c’est justement dans cette mission qu’est requise la fidélité à Dieu, pour voir si notre vie, notre action, notre mission (politique, sociale, économique ou religieuse) a été accomplie selon le plan de Dieu. Car Dieu a un plan sur notre vie ; Dieu n’est pas indifférent à notre action » (EMOG, 2005, p. 63). C’était le 16 août 1964.

Je ne saurais terminer sans vous confier à la maternelle protection de Notre-Dame du Pilier de la Paix, Patronne du Cameroun, la Vierge Marie.

Fraternellement !
En la mémoire du martyr de Saint Jean-Baptiste 2018.

Nyëbë Edoa, laïc.

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tkcyves

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