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« Generation Change » et la problématique du bénévolat au Cameroun

Il y a des actions dont la primeur sur l’actualité n’a plus d’importance. Des actions qui ne sont que des bribes parmi les nombreuses faites individuellement et ceci dans l’anonymat le plus total. Des actions qui sont ainsi au service de l’humanité, de l’humaine condition, du bien-être tout court et qui, de ce fait, participent au développement de la cité et de l’homme dans sa globalité et sa complexité. Il y a des actions, disais-je, qui ne doivent être considérées que pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles sont censées être.

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Précisions sur les concepts

Les actions comme on aurait voulu les voir ne sont, en définitive, que celles que les uns et les autres voudraient qu’elles soient. En fait, c’est pour dire que les actions, qu’elles soient politiques, culturelles et surtout sociales, ne sont que ce que les autres pensent d’elles, malgré le sens humain que les instigateurs, ou si vous voulez les auteurs et les acteurs de la société à laquelle ils appartiennent, voudraient leur donner.

Ce qui m’amène à rédiger cette chronique, la première de l’année 2016 qui a commencée, c’est cet amer constat selon lequel la problématique du bénévolat est un débat qui ne finit pas de déchaîner des passions au Cameroun. Quoiqu’étant considéré comme une action sans but lucratif, le bénévolat ne saurait être considéré comme une action n’ayant aucun intérêt personnel. Pour faire court, je me limiterais aux auteurs comme M. Mauss et R.T. Fitch qui, dans la théorie du don pour l’un et la théorie du bénévolat pour l’autre, démontrent avec suffisance les motivations des acteurs dans un contexte humanitaire.

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Les débats créés autour des initiateurs du bénévolat tournent toujours autour des intentions supposées cachées de ceux-ci. Fondamentalement, toute action humanitaire ou bénévole, quoiqu’à but non lucratif, procure un certain intérêt ou un intérêt certain. C’est selon…. Ces deux théories nous font comprendre que les échanges, dans toutes sociétés humaines, qu’ils soient marchands ou archaïques, ont toujours été considérés comme étant des éléments de liens sociaux qui consolident le vivre ensemble. En clair, chaque être vivant appartenant au monde des humains doit se considérer comme un maillon de sa société. Il a une « obligation sociale » de se sentir concerné par les souffrances de l’autre qui a besoin de lui. Pour Fitch, se mettre à la disposition des autres en lui apportant un don (service, santé, hygiène, etc.) est non seulement une source d’expériences et d’acquisition de compétences chez le donateur, mais cela fait surtout partie de cette obligation ou solidarité sociale selon l’adage « aujourd’hui c’est toi, demain ce sera moi ou quelqu’un des miens et de ma famille ». Cette « obligation sociale » chez Fitch et que Mauss appelle « l’esprit de la chose donnée » est en quelque sorte une règle ou une loi tacite qui oblige les uns et les autres à se rendre mutuellement service. Comme une roue dans un engrenage qui doit jouer son rôle sans lequel les autres roues ne pourraient fonctionner. Il suffit que seules deux ou trois roues sur cinq fonctionnent bien pour que les deux autres tournent aussi. En fait, ces roues défaillantes sont entraînées par les deux ou trois autres pour ne pas arrêter la chaîne. C’est en réalité la théorie du fonctionnalisme de Parsons ou du structuralisme de Comte et de Durkheim qui sont mises en exergue ici pour montrer comment les maillons d’une chaîne doivent se tenir et donner à la société un espace de vie. L’holistique est le seul élément qui différencie ces approches de Mauss et Fitch d’une part et de Parsons et Comte d’autre part.

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Et « Generation Change » (GC) ?

L’année 2015 a été particulièrement riche en actions de bénévolat dont le champ de théâtre fut les réseaux sociaux. Mon champ d’intervention sociologique étant le travail social, j’ai participé, comme chaque année, à plus d’une action plus ou moins populaire et qui mérite bien une attention particulière.

« Generation Change » est donc ce « mouvement de citoyens camerounais qui œuvre pour le changement, d’abord de soi, et ensuite de son environnement » et qui a eu un écho retentissant à travers Facebook. Patrice Nganang, le géniteur de ce concept, est parti d’un constat que la mentalité des Camerounais est ce qu’il y a de plus urgent à changer. Le comportement responsable, la propreté de son corps, d’autrui et de son environnement sont des éléments qui comptent pour l’accomplissement d’un bien-être, d’un mieux-être des habitants d’une cité. Generation Change est loin d’être seulement un mouvement de pensée. Sa philosophie est plutôt basée sur la conscientisation d’un nouveau type de comportement, d’un nouveau style de vie avec pour socle le respect de soi, de l’autre et de la nature nécessaire à la vie en société. Évidemment, le concept ainsi formulé donne à voir que la société est dans un tel abîme qu’il serait malhonnête, pour Patrice Nganang, de ne pas penser à un changement radical de l’Homme en lui-même. Ce changement ne passera pas seulement par l’éducation, l’enseignement, comme il le fait si bien dans son compte facebook depuis presque six ans, mais par un appel à l’esprit de corps, de solidarité.

L’inspiration de Patrice Nganang ? Cet enseignant et écrivain de son état n’est pas allé chercher loin. C’est l’acte déclencheur de la révolution tunisienne qui a fait dire à beaucoup, et à lui en premier, qu’il faut aussi compter sur les réseaux sociaux pour espérer atteindre le cœur et la sympathie des gens. Bien que Generation Chande ait pour ambition de voir un jour les hommes libérés du joug de l’irresponsabilité citoyenne, aucune révolution, à l’instar de la « révolution orange » comme celle de l’Ukraine, et de la « révolution du jasmin » du Portugal ne doivent être considérées pour acquis sans une certaine conscientisation, une certaine éducation. Les hommes qui savent se tenir la main les uns les autres, en solidaire, qui luttent pour leur vie, leur survie, bref leur existence par la préservation de leur santé et la protection de leur environnement savent prendre leur responsabilité en main. C’est une condition siné qua non pour être la roue, celle-là qui transmet cette responsabilité aux autres. Pour Generation Change, il s’agit bien d’un nouveau type d’homme à façonner pour une révolution de la mentalité.

Convaincu par une possibilité de mettre en relation le monde réel et celui du virtuel, Patrice Nganang a été obnubilé par les effets de la « révolution facebook » en Tunisie. C’est cet acte déclencheur, l’immolation du vendeur de fruits Mohamed Bouazizi, 26 ans, qui avait fait dire à l’homme de Generation Chande qu’en cette période du 21ème siècle, l’avenir du Cameroun va sûrement se dessiner sur la Toile. Plus tard, ce constat a été confirmé avec le forum « Le balaie Citoyen » du Burkina-Faso, instigateur de la chute de Compaoré. Du coup, le choix de Patrice Nganang de faire donc de facebook le point d’ancrage de ses actions par des appels au foundraising humanitaire est loin d’être considéré comme une naïveté. La posture et le rang social de l’écrivain n’ont pas laissé indifférents les détracteurs. Las de trouver la bête noire, ceux-ci nourrissent la Toile des soupçons de paternalisme et de partisannerie ternis par les critiques pour donner à l’acte de l’écrivain des colorations inhumaines bourrées d’intérêts de recherche de crédibilité auprès d’un public médusé sur ses prises de position contre un pouvoir, un système qui a plongé et continue de plonger le Cameroun dans l’abyssale et l’abîme, dans « le cabinet » selon les propres termes de l’écrivain.

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le rappeur Hobskur en tee-shirt Generation Change

Malgré tout, avec presque 8 actions d’investissement humain et 1 de construction d’ouvrage public déjà réalisé et 1 en cours de réalisation sont mises dans l’escarcelle de Generation Change malgré les hics et les couacs. Il y a, entre autres, les investissements d’hygiène et de salubrité et la construction d’une passerelle dans les quartiers Biyem-Assi, Briqueterie et Nsimeyong qui font aujourd’hui la fierté des habitants de Yaoundé, la capitale. Ce sont des réalisations entreprises au cours de l’année 2015 et dont la mamelle nourricière est le foundraising. Basé sur une collecte de fonds où les volontaires cotisent librement à travers l’achat d’un tee-shirt estampillé Generation Change ou encore en faisant un don par l’adresse Pay Pal du mouvement. Generation Change a aussi mobilisé des bénévoles qui ont accepté de participer en apportant leurs expertises en main d’œuvre. Manœuvres, ingénieures, restauratrices ont marqué leur pierre dans l’édification, non d’une construction infrastructurelle, mais d’une construction d’un “nouveau type de Camerounais”. Celui-là qui se prend en charge lui-même, qui décide lui-même de son destin, qui n’attend pas que les autres le fassent à sa place malgré la défaillance d’un système engloutie dans les fosses septiques.

Si j’ai tenu à faire de Generation Change mon coup de cœur pour la nouvelle année 2016, c’est pour marquer mon entière adhésion à cette action ô combien noble. Depuis le début des actions, j’ai beaucoup réfléchi sur la manière dont je parlerais des actions de Generation Change sans verser dans l’apologie et d’éloge dithyrambique. Depuis quelques mois, le projet qui mobilise déjà beaucoup de donateurs et de bénévoles, la construction de quatre salles de classe d’une école primaire de Madagascar, quartier populaire de Yaoundé, attire mon attention. C’est où m’est donc venue l’idée de cette première chronique pour souhaiter la bienvenue à 2016 avec comme vœux la réalisation effective de ce projet utile pour l’éducation des enfants indigents de la capitale. Le point culminant du foundraising de 2015 a été le concert donné à Paris par le rappeur Hobskur le 20 novembre.

Generation Change est un appel à la solidarité, à la responsabilité des conséquences néfastes de nos actions sur autrui et sur la nature. Le mouvement n’a donc rien à voir avec l’activisme béant et stupide qui lui est honteusement attribué. C’est mon coup de cœur pour la portée sociale d’une action fusse-t-elle menée par celui qui se fait appelé « Concierge de la République » pour le rôle qu’il s’est lui-même donné et que tous les écrivains, comme lui, devraient avoir. 2016 sera, pour moi, une année pleine d’actions, comme l’a été 2015.

Voilà mon principal challenge et que je vous convie de partager avec moi.

Bonne et heureuse année 2016

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Auteur·e

tkcyves

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