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Lettre au président Jean Ping

Nous sommes le 29 août 2016 et voilà déjà presque 48 heures que les bureaux de vote ont fermés après le scrutin présidentiel du samedi 27 août. Ce qui est intéressant dans cet épisode des élections que l’Afrique connait depuis l’avènement de la démocratie, c’est le fait que, Jean Ping, le candidat de l’opposition le plus favori face au président sortant, Ali Bongo, prenne la parole et s’auto-proclame président de la République du Gabon avant les résultats officiels. Beaucoup de leaders de l’opposition en Afrique, et plus particulièrement au Cameroun voisin, n’ont jamais eu cette audace, ce courage. L’attitude de Jean Ping doit devenir un cas d’école pour deux raisons au moins : d’un, il a posé un acte dont aucun Camerounais n’a jamais été capable jusqu’ici, de deux, son geste démontre à suffisance qu’il est possible, à l’institution chargée d’organiser les élections, de proclamer les résultats immédiatement après le vote.

Cette habitude qu’ont eu les régimes politiques et les systèmes politiques en Afrique de traîner avec les résultats pour des raisons inavouées, doit être décriée fermement. C’est de cette manière que ces systèmes procèdent pour tripatouiller les résultats non sans avoir préparer les esprits de l’opinion nationale et internationale à une défaite de l’opposition. C’est cette colère qui a poussé le journaliste Camerounais Boris Bertolt à prendre les devants pour s’adresser à Jean Ping qui, pour lui, est déjà considéré comme président de la République du Gabon.

 

Jean Ping
Jean Ping

Monsieur le président,

Je tiens déjà à vous féliciter pour votre brillante victoire à l’issue de l’élection présidentielle du 27 août dernier au Gabon. Votre victoire ouvre la porte à la fin de près de 50 ans de règne de la famille Bongo à la tête de l’Etat du Gabon. 50 ans où ils ont pillé le pays, confisqué la liberté des gabonais, paupérisé les masses et même renversé des chefs d’Etats en Afrique. Votre victoire peut augurer d’une nouvelle ère à la fois pour le peuple gabonais, mais également pour l’Afrique et particulièrement l’Afrique centrale qui est aujourd’hui le cimetière des dictatures de la planète dans le monde. Paul Biya, Sassou, Idriss Déby, Obiang Nguéma, des chefs d’Etat qui n’envisagent à aucun moment une succession démocratique à la tête des Etats et qui feront tout pour se maintenir le plus longtemps possible et même assurer comme ce fût le cas au Gabon une succession dynastique. D’ailleurs, le « grand panafricaniste » Obiang Nguéma a déjà fait de son fils théodoro, son successeur en Guinée Equatoriale. Dire que les Equato guinéens sont sur les traces du Gabon. Au Cameroun après 34 ans de règne sans partage, dans les couloirs, le nom de Franck Biya circule déjà comme potentielle alternative à la succession de son père : Paul Biya.

Monsieur le président, vous devez mesurer la responsabilité qui est la votre dès ce lundi, celle de conduire par tous les moyens une alternance démocratique au Gabon. Je vous dirais ici que jusqu’à hier Dimanche 28 août, je ne croyais pas en votre triomphe, mais les résultats issus des observateurs indépendants, de la société civile, des discussions avec des diplomates, avec des journalistes qui ont été au Gabon m’ont permis de comprendre que vous étiez effectivement le vrai vainqueur de l’élection présidentielle. Lorsque samedi soir, aux alentours de 23h soit quelques après la fermeture des bureaux de vote, le porte – parole de Ali Bongo s’est permis de déclarer le président sortant vainqueur, en violation des lois électorales, j’ai commencé à comprendre qu’il s’agissait d’une préparation psychologique d’un hold-up électoral qui était en cours de planification. C’est la raison pour laquelle je partage entièrement votre décision de vous déclarer effectivement vainqueur de cette élection présidentielle afin d’empêcher la manipulation d’un clan de voyous qui a pris en otage le Gabon depuis 50 ans.

Je ne crois pas en la CENAP, car dans les dictatures, les institutions sont essentiellement à la solde des tyrans. Ils nomment qui y veulent afin d’assurer leur réélection. Au Burundi, au Congo, au Tchad ils n’ont surpris personne. Ali Bongo le sait raison pour laquelle des militaires hautement armés encadrent les bureaux de la CENAP ce afin de garantir une proclamation des résultats en faveur du candidat Ali Bongo. A cet instant seul les résultats des observateurs indépendants, de la société civile peut permettre de construire un rapport de force. Le peuple gabonais est fatigué de 50 ans de règne sans partage du clan Bongo. C’est la raison pour laquelle il vous a choisi et vous devez saisir le bâton du changement.

Pardonnez à mes compatriotes camerounais qui critiquent l’annoncent de votre victoire ce sont des êtres bipolaires. Ils vous demandent d’attendre la CENAP, mais ferment les yeux sur le camp Ali Bongo et viendront par la suite critiquer ELECAM, l’organisme en charge des élections dans leur propre pays. Ils disent que vous êtes le pion de la France, mais restent ignorants sur le fait que depuis 50 ans la famille Bongo règne sans partage sur le Gabon avec le soutien indéfectible de l’Elysée. D’ailleurs Ali Bongo a été installé en 2009 au pouvoir avec l’appui diplomatique français et des parachutistes chinois. Ils disent que vous êtes chinois mais sont incapables de demander à leurs dirigeants qui ont les nationalités françaises, suisses, américaines et autres de quitter le pouvoir. Ils disent qu’à l’Union Africaine vous avez tué Khaddafi, mais ils ont une telle méconnaissance du fonctionnement de l’institution panafricaine, pourtant se réclament panafricanistes qu’ils ne savent pas que vous êtes en fait un « grand secrétaire » des chefs d’Etat et vous n’avez par-là aucun pouvoir. Ils vous comparent à Alassane Ouattara mais ne disent pas qu’il n’y a pas de rébellion au Gabon, que le pays n’est pas coupé en deux et que la fracture identitaire (musulman-chrétien ; Nord-Sud) est à son comble. L’ignorance est le ferment de la survie des dictatures.

Croyez- moi, je sais que vous n’êtes pas forcément le meilleur profil que nous aurions voulu à la tête de Gabon, mais pour l’instant vous êtes celui qui pouvez permettre à un pays, à un continent de tourner la page, au moins symboliquement d’une période. Vous pouvez ouvrir la voie à une nouvelle. Ali Bongo et vous êtes issus d’un même clan, mais Ping ne s’appelle pas Bongo.

Boris Bertolt, Journaliste

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tkcyves

Commentaires

Ghonda Nounga
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Juste ! Et excellent! Tout simplement.