Crédit: Wikipédia Commons (Minette Lontsie)

L'investiture de Paul Biya par le RDPC est-elle contestable ?

Le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) ira-t-il à la présidentielle d’octobre 2025 ? C’est la question que beaucoup d’observateurs se posent actuellement. Depuis 2021, elle était considérée comme tabou. Il a fallu qu’un juge soit saisi pour ouvrir finalement la boîte de pandore sur les tares managériales du parti. La légalité et la légitimité de Paul Biya, au poste de président national, sont contestées. Pendant que certains exigent la convocation d’un congrès pour échapper à un éventuel séisme du parti, le président national semble plutôt serein.

Le RDPC a-t-il un caillou dans sa chaussure ? Depuis le 25 mars 2025, le débat qui faisait déjà les choux gras de la presse fin 2024 a resurgi. Léon Theiller Onana, membre du parti et conseiller municipal, soulève les problématiques de la légalité et de la légitimité du Président national du RDPC alors que la présidentielle se rapproche à grands pas. La légalité, pour ne parler que d’elle, pourrait être déposée sur la table du juge électoral au moment des contentieux préélectoraux et ainsi compromettre les chances de la candidature de Paul Biya. C’est justement pour éviter cette mauvaise surprise que le conseiller municipal de la commune de Monatélé a sonné l’alerte.

Léon Theiller Onana doit se faire énormément de soucis. Contrairement aux attentes, il essuie en ce moment des critiques et des reproches de ses camarades politiques. Son véritable péché a été de mettre sur la place du marché des tares du parti. Pourtant, celles-ci ont été longtemps révélées par certains analystes et leaders de l’opposition. Paul Biya, seul manitou à bord du navire, n’avait pas besoin, selon ses camarades, de ce spectacle déshonorant. Même si au Cameroun nous avons affaire à une justice aux ordres, cela n’empêche pas le conseiller municipal d’alerter les instances dirigeantes du RDPC. En attendant la décision du juge que le conseiller municipal a saisi pour constater l’illégalité, cet article se propose de faire une analyse de la situation de 2011 à 2021.

Un congrès du RDPC en 2011 et une prorogation des mandats en 2016

Les 15 et 16 novembre 2011 s’est tenu le 3e Congrès du RDPC à Yaoundé. Paul Biya a été réélu Président national le vendredi 16 novembre en vertu de l’article 19 des Statuts : « Le Congrès élit le Président national du parti. » En vertu de l’article 18 alinéa 2 des Statuts du parti, le mandat a une durée de cinq ans : le Congrès « se tient tous les cinq ans ». Son mandat doit donc s’achever en novembre 2016. Mais, cet article va plus loin en précisant que : « Toutefois, en cas de nécessité, cette période peut être abrégée ou prorogée par le Bureau Politique. »

Selon l’article 17, le Bureau Politique est la troisième instance du RDPC après le Congrès et le Comité Central. Il « assiste le Président National dans la conduite des affaires du Parti en dehors des réunions du Comité Central » (Article 26 alinéa 1). Il joue donc un rôle important dans la conduite des affaires du parti en 2016.

Le 3 novembre 2016 au Palais de l’Unité (Palais présidentiel), une réunion du Bureau Politique du RDPC se réunit. Conformément à l’article 18 cité plus haut, quatre résolutions ont été prises. Il s’agit de quatre résolutions portant prorogation de la tenue du congrès, des mandats du président national du parti, des membres du comité central et du bureau politique, des membres des bureaux nationaux (RDPC, OFRDPC et OJRDPC). Les raisons de cette prorogation sont nombreuses. On peut citer notamment la rénovation de la salle du palais des congrès, la crise financière due à la lutte contre Boko Haram, la CAN féminine et la catastrophe ferroviaire d’Eséka qui a plongé le Cameroun dans le deuil national à cette période.

Une prorogation du mandat du Président national manquée en 2021

Après la prorogation des mandats des organes du parti et plus particulièrement du président national en novembre 2016, un 4e congrès devrait avoir lieu le 3 novembre 2021 au plus tard,. Mais, cela n’a pas été le cas jusqu’à date (31 mars 2025). Il faut par ailleurs préciser que les élections ont eu lieu pour le renouvellement des autres organes du RDPC, Les membres des bureaux nationaux et des organes de base ont été élus pour les uns et réélus pour les autres entre le 7 août et le 30 septembre 2021. Il s’agit des élections des bureaux RDPC, OFRDPC et OJRDPC à travers les 10 régions du Cameroun et 17 sections de l’étranger.

Curieusement, le congrès n’a pas eu lieu avant le 3 novembre 2021. Le bureau politique non plus n’a pas pris de nouvelles résolutions pour renvoyer la date du congrès et proroger à nouveau le mandat du président national du RDPC. Conséquence, le mandat du président national est échu depuis cette date. Pire encore, est échu également le mandat des membres du comité central et du bureau politique. Le statu quo a été ainsi maintenu jusqu’à aujourd’hui par mépris statutaire du président national.

L’hypothèse de la prorogation tacite évoquée et défendue

Le RDPC affirme que le délai de la prorogation n’est pas limité. Selon le dictionnaire du droit, « la prorogation est la prolongation d’une situation existante au-delà de la date à laquelle elle devrait cesser. On dit que la situation est prorogée. Par exemple, si un contrat de bail d’un an est prorogé pour une nouvelle durée d’un an, cela signifie que ses effets se prolongent pour une durée d’un an. » Autrement dit, le principe du droit veut que si le bail a une durée d’un an, la prorogation est d’un an également. Ce principe doit par conséquent s’appliquer sur la prorogation des mandats concernant les organes du RDPC impliqués. La durée du mandat de ces organes ne pourrait en aucun cas aller au-delà du 3 novembre 2021.

Sur cette question concernant la prorogation, trois postures du bureau politique sont soumises à l’analyse.

  • La première est que le bureau politique peut prendre des résolutions de prorogations à chaque fois qu’un mandat s’achemine vers la fin. Pour le cas d’espèce, une résolution était donc attendue au plus le 3 novembre 2021 pour proroger le mandat du président national pour cinq encore.
  • La deuxième est que le bureau politique, après avoir prorogé une fois le 3 novembre 2016, n’est pas obligé de prendre une nouvelle résolution de prorogation en novembre 2021 (à chaque fois qu’un mandat s’achève vers la fin). Le mandat est ainsi prorogé par reconduction tacite.
  • La troisième posture est celle qui postule que le bureau politique ne peut proroger un mandat qu’une seule fois. Et au-delà du mandat de cinq ans de la première prorogation, les mandats sont échus et les membres élus de ces organes sont illégaux et par conséquent illégitimes.

En tout état de cause, les statuts restent muets sur ces précisions et les positions sont tranchées dans les débats en cours. Au regard de ces trois postures, le bureau politique a choisi la deuxième posture qui est celle de laisser le président national du parti poursuivre son mandat au-delà de novembre 2021. En d’autres termes, le bureau politique du RDPC a choisi l’option du statu quo. La prorogation par reconduction tacite du mandat a ainsi été actée.

Les conséquences juridiques de la posture du bureau politique

Bien que les statuts du RDPC ne facilitent pas une lecture sans polémique sur cette question, il convient de faire tout de même une observation sur la posture du bureau politique. La première et la deuxième posture suscitent les mêmes observations concernant la légitimité des personnes élues. Que le bureau politique ait prorogé le mandat du président national pour une deuxième fois ou non, la question sur la légitimité allait toujours se poser en se référant à la définition du terme “proroger”. Ces deux postures sont défendues par le parti lui-même sur les interpellations des observateurs depuis au moins deux ans. Leur argument repose justement sur l’alibi selon lequel les statuts du RDPC ne précisent pas un délai de limitation de la prorogation du mandat.

Cette posture du RDPC ressemble à un antijeu. La non-limitation de la prorogation donne ainsi la possibilité au président national d’être élu et de demeurer à ce poste à vie. Autrement dit, il suffit que le bureau politique soit composé des personnes acquises à la cause du président national pour que ce statu quo soit maintenu. Sur le plan purement juridique, cette posture pose à la fois le double problème de légitimité et de légalité. Dans une organisation qui se respecte, un mandat ne peut pas s’achever ou se prolonger sur la simple volonté d’un membre du parti, président national soit-il. Si tel est le cas, cela signifierait que son mandat sert tout du moins à meubler les statuts pour donner l’impression d’un parti démocratique.

Solutions possibles pour ramener la légalité et la légitimité

Selon l’article 27 alinéa 4-2, le président national « est le candidat du Parti à l’élection à la Présidence de la République ». En vertu de la deuxième et la troisième posture, si le mandat du président national n’est pas renouvelé ou prorogé, Paul Biya devient président national de fait. La question que tout observateur se pose est celle de savoir quelle est la solution immédiate pour que le président national du RDPC rentre dans sa légalité ? Deux solutions au moins sont visibles.

  • La première solution est la convocation immédiate d’un quatrième congrès pour élire un président national.

Aucun article ne stipule qui doit convoquer le congrès en séance ordinaire. Puisque c’est le président national qui le préside, ce droit lui revient de facto. Le problème de la légalité de son mandat se pose, alors impossible pour lui de convoquer un congrès. L’autre option est de regarder du côté de l’article 22 des statuts, où le bureau politique, présidé par le doyen d’âge, peut convoquer le congrès extraordinaire « en cas de force majeure ou d’empêchement ». Sauf que pour ce cas précis, il ne s’agit pas d’un cas de force majeure ou d’empêchement comme en en novembre 2016. Il s’agit ici de négligence et de mépris des textes. Pire encore, il y a plutôt épuisement ou dépassement du délai du mandat. La question de la légalité du bureau politique se pose également. En effet, il est composé d’au moins 30 membres (article 26 alinéa 2) issus d’au moins 350 membres du comité central (article 24 alinéa 2) où 250 parmi eux doivent être élus par le congrès. La situation se complique. Ni le président national, ni le bureau politique habiletés à convoquer un congrès extraordinaire ne sont plus en droit de le faire.

  • La deuxième solution est l’assignation en référé aux fins de désignation d’un mandataire ad hoc

La première solution étant déjà écartée, il ne reste que celle de la justice. Elle est proposée par un cadre du parti, Léon Theiller Onana, conseiller municipal, a déposé une assignation en référé au tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif le 25 mars 2025. La comparution a lieu le 10 avril 2025 par-devant le président du tribunal à Yaoundé. Cette solution d’assignation en référé est envisagée lorsque les instances statutaires d’une organisation sont dans l’incapacité d’agir afin de rétablir l’ordre statutaire. Le mandat étant échu, il devient impossible pour un organe du RDPC de prendre lui-même une quelconque décision. Le juge est donc chargé de désigner un comité ad hoc qui sera chargé de convoquer le congrès extraordinaire à la place du président national et du bureau politique. Cette solution, visiblement la plus crédible sur le plan juridique, ne semble pas plaire aux partisans de la deuxième posture.

Les conséquences politiques de la posture du bureau politique

La question qui fait débat est celle de savoir si le président national a le droit d’être candidat du RDPC à la présidentielle. Pour être plus précis, le RDPC peut-il investir Paul Biya, son président national, comme candidat à la présidentielle d’octobre 2025 ? Visiblement, le RDPC n’est pas prêt à se soumettre à l’organisation d’un congrès. Il est décidé à aller à l’élection présidentielle d’octobre 2025 avec Paul Biya comme son candidat. Le RDPC, est le parti au pouvoir et Paul Biya est président national et chef de l’État en exercice depuis novembre 1982. Elections Cameroon (ELECAM) et le Conseil constitutionnel auront-ils le courage de rejeter cette candidature en cas de contestation de la légalité et la légitimité du RDPC par un membre ? Qui oserait défier Paul Biya et son régime ? C’est ici que les enjeux de la posture du bureau politique sur l’avenir du RDPC vont se jouer. Le juge aura donc deux postures.

  • La première, c’est l’ouverture du dossier.

Le juge accepte l’assignation en référé. Ainsi, il oblige le RDPC à se soumettre à un congrès extraordinaire en mettant sur pied un comité ad hoc. Celui-ci aura également le pouvoir d’organiser le congrès. Ce rôle, dévolu au président national à travers les caciques du parti, sera désormais entre les mains du comité ad hoc. Même si le pouvoir judiciaire est sous la coupe réglée du pouvoir exécutif, il vaut mieux éviter d’affronter les juges. Malgré tout, Paul Biya sera-t-il prêt à laisser le pouvoir judiciaire prendre le contrôle de son parti politique ? Rien n’est moins sûr. Pour éviter de mauvaises surprises, il ne le permettra pas. Le moment ne s’y prête pas car à 93 ans, son système peut jouer contre ses intérêts en faveur d’un candidat de l’opposition plein de potentiel.

  • La deuxième, c’est le déni de justice

Le juge refuse de rendre justice et se déclare incompétent. Pour motiver sa décision, il peut simplement demander à Léon Theiller Onana de solliciter une instance disciplinaire du parti conformément à l’article 32 des statuts. Ce qui va probablement arriver. Cette décision aura donc comme conséquence de permettre au RDPC d’investir Paul Biya comme son candidat à la présidentielle d’octobre 2025. Évidemment les candidats à la présidentielle auront la possibilité de contester cette candidature au Conseil constitutionnel. Clément Atangana, président de ce Conseil, aura également deux postures : soit rejeter soit valider la candidature de Paul Biya. Même si nous pouvons deviner la décision qu’il va prendre, il reste prudent de se garder de se prononcer.

En conclusion

Cette élection présidentielle est pleine de surprises. Pour l’actualité, Paul Biya a procédé à la nomination de 28 membres titulaires du comité central le 25 mars 2025. Ce qui est par ailleurs contesté par Leon Theiller Onana qui affirme que Paul Biya n’en est pas l’auteur. Mais la question qui reste posée est celle de savoir en quoi pareille nomination sera utile compte tenu de la situation du RDPC décrite plus haut.

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Auteur·e

tkcyves

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