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Crise énergétique au Cameroun : Delor Kamgaing, enjeux et leçons d’une grève de la faim

Après l’annonce de son départ du Cameroun en novembre 2013, les consommateurs camerounais croient enfin, dur comme fer, que le secteur d’électricité détenu par AES SONEL depuis 2001 va maintenant connaître un assainissement digne de ce nom car l’Etat va enfin avoir l’occasion de corriger les erreurs commises pendant plusieurs années et qui ont plombé ce secteur dans l’abîme. Que non ! Immédiatement, AES SONEL décide de rétrocéder la totalité de sa participation (56%) dans à Actis, un capital-investisseur spécialisé dans les pays émergents, à un montant de 220 millions de dollars le 7 novembre 2014.

Du coup, le secteur de l’électricité devient un énigme et les langues se délient sur la future augmentation du coût de l’électricité conformément aux clauses entre l’acheteur (AES SIROCCO LIMITED) et le vendeur (Le gouvernement camerounais). Les consommateurs, à travers la Ligue Camerounaise de Consommateurs (LCC) estiment que la médiocrité du service rendu jusqu’ici par AES SONEL ne justifie pas une augmentation du prix de l’électricité. Et son président, Delor Magellan Kamseu Kangaing décide de faire un sit-in devant le siège de l’Agence de Régulateur du Secteur de l’Electricité du Cameroun (ARSEL) et entame une grève de la faim, suscitant ainsi un remous au sein de l’opinion camerounaise qui est divisée sur le choix de la stratégie qu’a fait le citoyen Kamgaing de se révolter contre le système de gestion opaque de l’électricité et même de l’eau potable dans les villes camerounaises.

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Delor Magellan K. Kamgaing en compagnie de sa Bible et la constitution

Les détracteurs de la grève et le discours de l’inertie : « On va faire comment ? »

Beaucoup de voix se lèvent pour condamner cette grève de la faim qui, pour elles, est peine perdu car le gouvernement ne cèdera pas aux caprices d’un individu. Beaucoup encore envisagerait une action collective à la place d’une grève de la faim dans le but de renforcer le rapport de force. D’autres enfin sont tout simplement septiques et ne croient véritablement plus à une action collective au Cameroun. Ils ont fondé leur argument sur l’échec de cette grève par deux faits majeurs. D’un, dans un article de quotidien gouvernemental Cameroon Tribune du 23 avril 2014, le directeur général de l’agence de régulation (ARSEL) Jean Pierre Kedi dont l’organisme semble principalement interpelé par cette action citoyenne pacifique affirme « qu’aucune hausse du tarif de l’électricité n’est prévue ni envisagée au Cameroun » ; de deux, le 25 avril 2014, suite à une forte déshydratation et une exposition excessive au climat peu clément de Yaoundé, Delor Magellan KamseuKamgaing est transporté d’urgence dans un centre hospitalier pour soins. Ces faits seuls ont suffi pour que les détracteurs se livrent à une séance incantatoire de dénigrement de la grève et d’autosatisfaction suite à la confirmation de leur analyse prospective sur l’échec probable de cette grève.

Il est tout de même aberrant de constater que le camerounais sombre dans la peur, le dénigrement et l’autodénigrement. C’est le résultat d’un pays qui est pris en otage par une clique, une dictature, voire un totalitarisme affiné et ayant comme mode de gouvernance la répression et le matraquage psychologique. Même dans des situations qui intéresse le bien commun, qui augurent un lendemain meilleur -ici le refus de la hausse du prix de l’électricité qui touche bien tout le monde-, les camerounais sont toujours enclins à développer un discours permissif de fatalité excessive. Pour reprendre l’écrivain Patrice Nganang : « Il [Parlant du détracteur, donc, de certain camerounais] ne défend pas ses droits, mais profite de quelque chose de grand pour faire son petit truc à côté. Ne t’attaque pas de front, mais s’en va dire à ton patron, à ton frère, à ta femme, que tu es un salaud. Et pourtant, parfois, dans le tunnel de la tyrannie qui a fait de nous des latéraux, il arrive un moment de vérité comme celui-ci ou le Camerounais est face à face avec sa propre Grandeur historique: Delor Magellan KamseuKamgaing ». Ces détracteurs sont donc considérés comme des lâches qui seront les premiers à profiter des fruits de cette grève. Cette tendance au discours de l’immobilisme, de la passivité et de la fatalité qui consiste à dire que la révolte à nos jours appartient à ceux qui lorgnent des prébendes et l’héroïsme au détriment des pauvres est d’une naïveté déconcertante. Ce genre de discours est symbolisé par une rhétorique usuelle et populaire : « On va faire comment ? » qui signifie en réalité qu’il n’y a plus rien à faire dans un pays où la dictature est l’une des plus vielle d’Afrique. Erreur. Voilà comment le régime de Yaoundé a réduit le mode de pensée du citoyen caractérisé par une myopie intellectuelle à nulle autre pareille. Par cette action de courage et de bravoure qui constituent la plus grande leçon de cette grève de la faim, Kamgaing a le mérite de laisser par devers lui plusieurs autres leçons dont nous sommes appeler à méditer tous.

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Delor Magellan K. Kamgaing, en solidaire

Les 5 leçons de Kamgaing au peuple camerounais

1- La première bataille d’une grève de la faim doit d’abord être celle de la communication. Qu’il mange ou qu’il jeûne, qu’il poursuive ou qu’il cesse, la grève de la faim de Kamgaing avait d’abord pour but de sensibiliser l’opinion sur une stratégie qui pourrait être payante désormais : « La marche demandait une autorisation, or la grève de la faim n’a pas besoin d’autorisation. Et c’est une action forte et inédite » déclare Kamgaing lui-même. A travers donc cette grève de la faim, le président de la Ligue Camerounaise de consommateurs (LCC), à lui seul, a réussi à ouvrir au sein de l’opinion publique et médiatique un chapitre crucial concernant le prix du Kilowatt/heure de l’électricité au Cameroun. Il faut aussi avouer que personne n’accordait une moindre importance à ce dossier étant donné que les camerounais ont toujours eu à subir la dictature des prix des produits de consommation. Même le personnage de Kamgaing n’influençait personne dès le départ.

2-La deuxième leçon de cette grève est la démonstration du courage de cet homme de 39 ans, président de la Ligue Camerounaise de Consommateurs. Le Cameroun est sérieusement pris en otage par une clique (comme je l’ai annoncé plus haut) et, sortir de sa bulle d’enfer et oser s’humilier devant le monde entier, risquer sa vie sous la pluie, le soleil, les affres de la nuit, la solitude est tout autant pire que la souffrance humiliante du peuple sous l’effet du coût élevé de la vie. Dans un pays meurtri par une indifférence totale des dirigeants face à une revendication citoyenne plus ou moins légitime, il serait hasardeux de prendre le risque de les interpeller. Toute personne qui serait tenté par une initiative de revendication citoyenne de ses droits peut déjà considérer, dès le départ, qu’il ne sera pas écouter et qu’il perd son temps pour rien à défaut de risquer sa vie. Dans un tel environnement, seuls le courage et la détermination sont le socle d’une révolte réussie. Dans un pays où les gens ne défendent plus leurs droits et vont jusqu’à se moquer sous cape de celui qui tient à défendre les siens, et que ces gens sont prêt à jouir les fruits de la revendication, dans ce pays-là Kamgaing nous montre ce qu’est un citoyen. Le citoyen c’est celui qui a le courage de se lever et de défendre ses droits, rien que ses droits et tous ses droits, et qui au besoin met en jeu son droit ultime – le droit à la vie (Patrice Nganang), comment de pas parler de son courage et de porter son sac, comme on dit chez nous.

3- La troisième leçon est purementphilosophique et juridique. Elle est contenue dans cette idéologie de l’habeas corpus qui est le fondement même de la citoyenneté : « Mon corps m’appartient, à moi et à personne d’autre et j’en fais ce que je veux » (Patrice Nganang). Mon corps, entièrement mon corps m’appartient, c’est-à-dire: ma tête, mes pieds, mes mains, mon estomac, ma gorge, mon sexe, mes doigts, mes yeux, mon anus. Oui, mon corps m’appartient. Le principe de l’habeas corpus est reconnu comme le socle de la citoyenneté, du maître de soi, du contrôle de soi, bref, de la responsabilité. De ce principe découle le fait que tout individu, tout citoyen, en vertu des droits que lui confèrent les lois de son pays peut revendiquer, sans crainte d’être inquiété, tout ce dont il a besoin pour jouir de son corps. Selon donc ce principe, il serait absurde de maudire quiconque revendiquerait le bien-être en exposant son corps aux aléas de l’environnement. Ce serait lui refuser son droit de jouir de ce qui lui appartient. Voilà ! Aussi simple que cela puisse être compréhensible par tous. Hélas, les férus de la critiques acerbes ne se font pas prier pour exposer leur nudité intellectuelle à la recherche de… je ne sais quoi.

4- La leçon de citoyenneté de Kamgaing est un rêve, une prophétie, voir une rédemption. Se battre pour que le prix de l’électricité ne soit pas augmenté n’est pas un leurre. C’est simple comme bonjour et le rêve ici est de constater que Kamgaing n’aurait pas été le seul à bénéficier des fruits de cette grève. Pour y arriver, il a laissé sa famille, ses enfants, son cadre habituel pour se mettre à même le sol devenu sa chaise, son lit, sous la pluie, le soleil et que sais-je encore. Pour avoir aussi vécu une grève de la faim pendant neuf jours, je sais ce que cela signifie ne pas manger, ni boire, ni rien du tout. Bien que ça soit une épreuve ardue et contraignante, il ne faut surtout pas sous-estime le camerounais, quel qu’il soit, car en chacun d’eux somnole cette grandeur qui a un moment ou à un autre peut se réveiller pour nous dire que nous sommes des gens qui avons notre histoire devant nous. Rien, mais alors rien ne nous oblige d’accepter le statu quo qui est devant nous. La citoyenneté est donc ce qui nous distingue du sauvage, de la meute et de la barbarie.

5-La prise de conscience est sans doute la leçon qui aura eu plus d’écho et plus de retentissement : la visite du sous-préfet qui est venu s’enquérir de la situation. Au fait, cette visite était loin d’avoir pour objectif l’information. L’administrateur, comme à leur habitude, formé et formaté pour la répression citoyenne, est juste venu convaincre le gréviste de libérer le plancher de la voie publique et de rejoindre sa famille. Peu importe. L’avantage est qu’il venu lui-même, loin de son cadre douillet. Un groupe de journalistes de deux quotidiens camerounais Le Jour basé à Yaoundé et Le Messager basé à Douala est venu dire au gréviste leur soutien pour ce noble combat. Il n’en fallait moins pour témoigner de l’intérêt que la presse porte au changement, à la révolution des mentalités de revendication des droits du citoyen que certains semblent considérer comme une perte de temps. L’un des succès est aussi et surtout l’ouverture d’un dialogue sur la question ce lundi 28 avril 2014 en vue de donner la position formelle du gouvernement camerounais. Bien entendu, la LCC entend par là maintenir l’option de la non augmentation du prix de l’électricité faute de quoi le citoyen Kamgaingva se « rassoir pour poursuivre la grève ».

TchakounteKemayou

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tkcyves

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