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Comment la minorité anglophone au Cameroun peut-elle défaire la tyrannie la plus vielle d’Afrique ?

Une élection suffit-elle pour renverser une tyrannie ? Cette question est au cœur des débats au Cameroun où la crise anglophone reste l’un des principaux enjeux de la présidentielle du 7 octobre 2018. C’est depuis novembre 2016 que cette crise, aujourd’hui transformée en guérilla, fait la pluie et le beau temps dans les deux régions anglophones (Nord-Ouest et Sud-Ouest). La crise anglophone comme conséquence de l’échec de la gouvernance n’est qu’une lapalissade. Il devient donc évident, pour beaucoup, que le renversement du régime de Yaoundé reste l’une des solutions. Comment renverser donc une tyrannie vielle de 36 ans et tenue des mains de maître par Paul Biya, l’invétéré satrape ?

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Paul Biya, président du Cameroun tyrannie la plus vielle d’Afrique, au pouvoir depuis 36 ans. Crédit photo : Nyemb Popoli, caricaturiste camerounais

Pendant que les uns choisissent l’insurrection armée pour se débarrasser du tyran, d’autres s’apprêtent à l’affronter par les urnes le 7 octobre prochain. Nous sommes donc ici en face de deux solutions pour une même équation : la prise de pouvoir par deux armes, les urnes ou les kalachnikovs. Mais, ce qui est curieux ici c’est le fait que les deux stratégies sont portées chacune par deux communautés qui se distinguent par la langue officielle coloniale : le français et l’anglais. De quoi s’agit-il exactement ?

Il est question ici de montrer comment une communauté linguistique anglophone considéré comme minoritaire du fait du nombre de population (25% d’Anglophones et 75% de Francophones) serait-elle capable de renverser un régime considéré comme dictature depuis 1958. Comment un président élu à plus de 70% en 2011 est-il subitement considéré comme un obstacle à la résolution de la crise anglophone qui dure depuis 2016 ? Un regard à propos des débats sur la légalité et la légitimité du pouvoir de Paul Biya pour nous interroger sur la question de « majority rule ».

Les débats sur le respect des droits de la minorité au cœur de la crise anglophone

Depuis la convocation du corps électoral pour la présidentielle, le Cameroun vibre au rythme de l’une des propagandes politiques les plus mouvementés de son histoire. Cette période de précampagne est nourrie d’intrique de bas étage au point où certains vont même jusqu’à revendiquer de vrais débats d’idées sous le prétexte que les électeurs seraient sevrés depuis un bon bout. De mémoire d’observateur assidu de la scène politique camerounaise, je n’ai jamais connu de vrais débats d’idées en pareille circonstance.

Cependant, le seul débat et le seul combat qui ont un sens, c’est le respect des droits des minorités. Curieusement, toutes les tyrannies ont comme dénominateur commun, le piétinement des droits fondamentaux des minorités. Et dans un contexte de période électorale, on se fiche pas mal des débats sur l’idéologie ou le programme des candidats car en tyrannie les débats d’idées n’existent pas, non pas parce qu’ils ne sont pas intéressants, mais pour la simple raison qu’ils n’ont pas de sens, autrement dit, ils ne sont pas nécessaires, au sens marxiste du terme. Ce qui a un sens c’est comment faire pour restaurer la morale, le principe moral étant le respect des droits des plus faibles ? Par exemple, personne à mobilité réduite que je suis, ou si vous voulez, personne handicapée, l’un de mes principes qui m’est le plus cher dans la vie c’est bel et bien le respect des droits de la minorité qui est la majorité de demain. Le non-respect de ce principe fondamental fera de moi un rebelle. Aussi simple que ça.

Or, le tyran tire sa force sur le respect de la majorité qui lui donne la légalité pour gouverner. L’erreur fatale commise par les régimes tyranniques c’est de piétiner les droits de la minorité qui, victime de la stigmatisation, développera des stratégies de survie : c’est la légitime défense. La puissance de la tyrannie, fondée sur la détention de la violence d’Etat, rend le pouvoir de Yaoundé légal. Cependant, c’est le respect des droits des minorités qui rend ce pouvoir légitime. Ainsi, le non-respect de ces droits sera considéré comme une porte ouverte à la légitime défense. Cela veut donc dire que lorsque les minorités vont se lever pour revendiquer le respect de leurs droits, un régime qui s’assoit sur cette minorité pour régner, se sentira alors menacé et considèrera ces revendications comme un précepte pour le renverser. En tyrannie camerounaise, toute manifestation publique ou privée qui ne plaît pas aux autorités est considérée comme « trouble à l’ordre public » et interdit par un sous-fifre appelé « sous-préfet ».

Deux stratégies pour renverser la tyrannie

Il devient donc clair que la révolte de cette minorité peut mettre en péril le pouvoir du tyran. Conclusion, la stratégie de renversement de cette tyrannie peut se construire autour des revendications des droits des minorités. C’est ce que la minorité anglophone a compris depuis 2016. Pendant que les uns trouvent que les élections sont la solution, notamment les Francophones, les autres, les Anglophones, ont choisi les kalashnikovs. Deux communautés linguistiques, deux stratégies de renversement de la tyrannie. Tout compte fait, si le régime tyrannique de Yaoundé tombe par l’une ou l’autre stratégie, cela marquera le début d’un autre pan de l’histoire du Cameroun pour ne pas dire la révolution.

Ce qui est intéressant ici, c’est cette résistance anglophone qui mérite qu’on s’y attarde un tout petit peu. Chaque fois que le Cameroun traverse une crise sociopolitique qui entraîne des manifestations publiques, celles-ci se sont toujours soldées par des morts d’hommes. Tout simplement parce que la solution militaire a toujours été celle de la tyrannie. Cette frilosité est due évidemment à la peur. Cette peur et cette frilosité du satrape fait de la minorité un danger pour sa survie. Les gouvernants de la satrapie ont toujours cette impression que le soulèvement d’une minorité a un seul objectif : la révolution de palais. C’est la raison pour laquelle l’administration et l’armée ont gardé jusqu’aujourd’hui leur fonction coloniale : la répression.

La solution militaire et le pourrissement de la situation pour résoudre toutes crises socio-politiques ont toujours été l’arme du tyran. Cette stratégie avait l’avantage de décourager les jeunes manifestants. Je ne parle-là que des crises que j’ai vécues personnellement dans l’un des quartiers les plus populaires de Douala comme New-Bell, celles de 1991 et de 2008. Comme les jeunes manifestants n’avaient aucun soutien, ne serait-ce que financier, l’échec était prévisible.

Le manque de subsistance pour entretenir un mouvement social peut entraîner sa mort subite. Il suffit que les jeunes manifestants se sentent lésés que le mouvement se transforme et prend les allures d’un vandalisme à grande échelle. Le mouvement finira par s’éteindre (2008) sans atteindre son but (empêcher le tyran de modifier la constitution de 1996 pour faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel). Ou tout au plus, il finira par une compromission ou une négociation au rabais (Constitution de 1996 où les Anglophones n’étaient pas satisfaits) avec un régime qui est toujours en position de force (1991).

Soutenir un mouvement de renversement d’une tyrannie, celle la plus vielle d’Afrique, se fait à la fois sur le terrain et en dehors du terrain. Ça veut dire ceci : pendant que les uns mènent le combat de libération, je dis bien « combat de libération », les autres doivent le financer. La répartition du travail se fait de la manière suivante : les jeunes sur le terrain mènent le combat au Cameroun et la diaspora finance. Une sorte de division du travail, quoi. Voilà donc la bête noire de tous mouvements de libération : l’argent, le nerf de la guerre.

Hé oui ! Il a fallu du temps pour que les Anglophones comprennent cette stratégie : le pourrissement. Depuis décembre 2016, les Anglophones, avec le soutien de leur puissante diaspora, ont compris qu’il serait impossible de vaincre l’armée, la milice de Biya en les affrontant en face ou par les urnes. Le pourrissement et la militarisation choisis par Biya a comme effet de boomerang la déstabilisation de l’Etat par le Ghost town. Du coup, l’éradication du mouvement indépendantiste anglophone à travers les moyens militaires devient une hérésie. Pourquoi ? Parce que la guérilla a pour but de mettre l’Etat à genou en le soumettant, d’une part, à d’importantes charges liées à la guerre, et d’autre part, à la déstabilisation des sources de revenus.

Bien entendu, l’analyse reste valable une guérilla dont l’objectif consiste à se séparer d’une communauté où les Anglophones se considèrent comme marginalisés par la majorité Francophone. De toutes les façons, comme le dit l’économiste Dieudonné Essomba :

Dans cette histoire, ce ne sont pas les Sécessionnistes qui souffrent, mais les populations et surtout l’Etat. C’est l’Etat qui est harcelé à tout instant, c’est son autorité qui est démolie, c’est sa puissance qui est désacralisée. C’est surtout le doute sur ses capacités à assurer son autorité qui monte en force : les Villes Mortes imposées par les Sécessionnistes sont appliquées à la lettre, sans que l’Etat puisse les empêcher malgré ses efforts. Par ailleurs, ceux qui osent afficher ouvertement leur soutien à l’Etat sont enlevés et battus, voire exécutés.

Tchakounte Kemayou

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