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Cameroun : quelles leçons tirées de la libération des leaders Anglophones

Les leaders Anglophones incarcérés sont libres. Et comme le disent bien toute la presse camerounaise, c’est un communiqué de la présidence de la république qui livre l’information. Ils ont été arrêtés à la suite de la crise anglophones qui paralysent depuis octobre 2016 les deux régions anglophones du pays. Les marchés, les écoles, les tribunaux, pour ne citer ces activités, fonctionnent au ralenti. L’arrestation des leaders de la crise a donc mis le feu poudre. Depuis cette date, le dialogue entre ces leaders et les autorités a été interrompu malgré quelques tentatives du côté de la diaspora.

Ces leaders anglophones cités nommément dans le communiqué Félix Abdor Nkongo, Fontem Neba, Paul Ayah Abine et bien d’autre avaient été arrêtés pour « hostilité contre la patrie, rébellion ou coactions d’actes terroristes« . Leur procès au tribunal militaire de Yaoundé aurait pu leur coûter la peine capitale. Avec une rentrée scolaire perturbée qui se pointait encore à l’horizon, Il ne restait donc que la solution d’apaisement pour décrisper l’atmosphère. Des débats houleux se sont créés autour de cette crise et ces arrestations. Tandis qu’il y avaient qui souhaitaient la libération des leaders avant le début de tout dialogue, d’autres, les partisans du pouvoir notamment, soutenaient mordicus la condamnation de ces leaders qu’ils considéraient déjà comme des terroristes, ou pire des « sécessionnistes ».

A la suite du communiqué présidentiel, ces partisans viennent tout simplement d’essuyer un échec cuisant. Le chef de l’Etat ne les a pas écouté en cédant plutôt à la pression des anglophones et de la diaspora qui voulaient la libération totale et sans condition des leaders avant la poursuite de tout dialogue. Au delà donc de cet aspect du geste présidentiel, que peut-on retenir comme enseignement ?  Un texte très éloquent de l’écrivain Patrice Nganang, remet les pendules à l’heure. Pour lui, la balle doit être remise au centre pour donner à cette lutte un saut qualitatif et histoire jamais vécu au Cameroun.

Les leaders anglophones au tribunal militaire
Les leaders anglophones au tribunal militaire de Yaoundé lors d’un procès. Crédit photo : Facebook.

Je vous propose de lire aussi ce texte dont voici l’intégralité ci-dessous :

Quelles leçons tirer de la libération des leaders anglophones : Patrice Nganang

La première leçon et la plus grande est que la pression de la rue menée par un leadership incorruptible paye. Elle paye toujours et elle payera toujours. Je peux me tromper, mais historiens aidez-moi, je ne me souviens pas que Paul Biya ait jamais libéré quiconque de ses prisons sans que celui-ci soit condamne au préalable. Au pays on appelle cela « laisser la justice faire son travail ». Voila donc une première, je dirai. Pourquoi donc la justice tyrannique n’a pas « fait son travail » cette fois-ci ? Parce que pendant 224 jours, les Anglophones au Sud-Ouest et au Nord-Ouest, sont demeurés unis dans une action de terrain, de rue, de ratissage, comme notre pays n’en a jamais vue.

Ils ont mis en branle la désobéissance civique la plus longue de ce pays, et cela de manière parfaitement non-violente. Il est a noter que leurs leaders ne sont tombés dans aucun des pièges que le tyran a mis sur leur chemin, à commencer par les concessions de pacotille, ces genres de choses qui auraient fait les Francophones jeter l’éponge, vider les rangs, et signer des motions de soutien. Bien au contraire, les Anglophones ont laissé a la maison ce qu’ils ont de plus précieux : leurs enfants. Ils ont maintenu l’opération Villes mortes et Écoles mortes comme jamais cela n’a eu lieu dans notre pays – a sang pour sang. Les dernières images de Bamenda et de Buea que j’ai vues hier (le 29 août 2017, ndlr) étaient extraordinaires, et c’étaient des maisons en feu, des voitures en feu. Car une action de désobéissance civile se protège évidemment, bien évidemment et cela a eu lieu.

Le tyran a donc plié l’échine, et c’est fondamental. C’est une victoire qui devrait encore plus intensifier le pourrissement, et c’est-a-dire la bataille sur le terrain. Il y a quelques mois je parlais avec un ainé qui me racontait son rêve fou « d’embrasement du pays ». Je n’ai pas voulu éclater de rire, car rien ne peut être plus politiquement bête que cela. Historiquement, et cela depuis 1961, mais surtout a cause de sa proximité avec le géant Nigeria, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest ont toujours été l’avant-garde de notre histoire. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs qu’en 1955, c’est a Kumba, et puis a Bamenda que les upecistes s’étaient réfugies, avant de prendre la route du Soudan.

La position des Anglophones par rapport a notre histoire, leur avant-garde, s’est répétée en 1990, avec les marches pour le multipartisme qu’ils ont mis en branle. Mais surtout, c’est fondamental de se rappeler toujours que le lieu ou l’opposition politique est portée dans notre pays est bel est bien dans la zone anglophone – avec le SDF. C’est dire que nous avons a faire ici avec la tête pensante de notre futur, et l’expression de ce futur-la, c’est le fédéralisme. La bataille politique n’a de sens que si elle est organisée, orientée, et tactiquement mise en branle. Les Anglophones, en mettant a plat la zone anglophone, redéfinissent les cartes politiques de notre pays, en leur donnant la coloration qui seule fasse sens – fédérale.

Mais le problème le plus visible chez nous évidemment est celui du leadership. Rien ne peut être atteint sans lui, et tout se perd avec un leadership corrompu. En tyrannie, et cela nous a été enseigné par les prisonniers le plus connus comme Wole Soyinka, mais surtout Nelson Mandela, la survie et même la victoire du prisonnier dépend aussi fondamentalement de l’oppresseur. La libération sans condamnation de Agbor Balla et de ses compagnons les remet donc dans la scène publique, sans les diminuer de leurs droits citoyens. Et cela est important, cela est cardinal. De mon point de vue la condamnation en tyrannie est le handicap qui rend illusoire beaucoup de carrières post-emprisonnement – pensons ici a Marafa -, et fait des ex-prisonniers des laquais de la tyrannie qui les a emprisonnés.

Il nous a ainsi été toujours donne de voir des gens sortir de prison avec dans leurs poches des motions de soutien qu’ils ont écrit en captivité. Ici nous avons bien au contraire un leader qui sort blanchi, et donc prêt a entrer de plein pied dans la bataille qui elle, est bien celle d’un Cameroun nouveau. L’enjeu n’est pas minimal, bien au contraire, car il s’agit de nous tous – et plus seulement des Anglophones. Depuis 1961, depuis 1955, ils ont toujours porté sur leurs frêles épaules la composition même du futur de notre pays. Cela n’a pas change et ne changera pas facilement. Car il s’agit bien de la composition dans les faits, d’un Cameroun dans lequel ce qui a eu lieu n’aura plus jamais place – la marginalisation d’une partie du pays parce qu’elle parle anglais. Seul un Cameroun fédéral rendra telle vision possible, et aujourd’hui il est soudain un peu plus a notre portée.

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Auteur·e

tkcyves

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