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Au Cameroun, pourquoi les femmes adorent-elles "fêter" le 8 mars?

Les origines de la journée internationale des droits des femmes se situent à partir de 1917. Voilà donc 100 ans déjà que les femmes manifestent pour leurs droits. Ce sont des ouvrières et suffragettes, j’allais dire, des femmes de seconde zone, des femmes en quelque sorte ‘illettrées », par qui la journée a tiré son inspiration. Nul doute que Clara Zetkin, enseignante et journaliste, en convoquant les conférences internationales des femmes socialistes de Stuttgart (1907) et de Copenhague (1910), donna une impulsion majeure au combat des femmes dans le monde.

Mais, il est ici remarquable de constater que depuis les événements de 1917 à Saint Pétersbourg propulsés par les ouvrières, ce sont les femmes issues de la classe ou de l’échelle sociale la plus basse, qui rehaussent la journée. Ces femmes, considérées comme des personnes de seconde zone, ont toujours été maîtresse de leur destin. Cela peut se vérifier dans tous les domaines professionnels ainsi que dans tous les pays, quelque soit le niveau de développement. Est-il encore besoin de mentionner que toutes les révolutions que le monde ait connu ont été propulsées par la classe ouvrière, les pauvres, les désœuvrés, etc.?

Statistiques sur les violence aux femmes en Europe et en France
Statistiques sur les violences faites aux femmes en Europes et en France. Crédit photo : www.stampaprint.fr

Que font donc les femmes de cette journée au Cameroun?

 

Statistiques sur le travail des femmes dans le monde
Statistiques sur le travail des femmes dans le monde. Crédit photo : www.rfi.fr

La journée internationale des droits des femmes est donc une journée consacrée pour la célébration de ces victoires révolutionnaires dont l’une des plus marquantes reste le droit de vote. Jusqu’aujourd’hui, ce droit n’est malheureusement pas encore reconnu dans certains pays. Mais, laissons tout de même ce débat sur les acquis et les combats futurs à mener et intéressons-nous à ce qui fait le buzz de cette journée au Cameroun.

Ici, les journées internationales ou mondiales sont célèbres pour leur festivité. La journée internationale du travail comme celle des droits des femmes, sont des exemples les plus parlants. Les festivités qui constituent le nœud et le dénouement d’une série d’activités qui s’étalent tout le long des jours qui précèdent la journée, restent le point d’attraction. Ce qui fait par contre la curiosité de ces journées, c’est la parade des femmes constituées en associations ou en corporatisme devant une tribune officielle bourrée des autorités de chaque ville. Elles-mêmes d’ailleurs le disent tout haut : cette journée est consacrée au défilé, à la bouffe, à la boisson et surtout à la danse. L’autre curiosité aussi c’est que, les plus concernées par la journée internationale de la femme, je veux dire celles par qui tout est arrivé, celles qui sont considérées comme les pionnières de la lutte pour les droits des femmes sont rarement à la une.

Il faut préciser ici que la parade, bien que regroupant toutes les catégories socio-professionnelles des femmes camerounaises, n’est que l’arbre qui cache la forêt. On a l’impression que les femmes maîtrisent bien « leur » chose, vue l’engouement et le déploiement tout-azimut de toute la classe administrative et politique des villes concernées. Mais, à vrai dire, cette parade ne mobilise jamais autant de monde que ces séminaires organisés pour la défense des droits des femmes. L’accent est justement mis dans le spectacle comme si c’était le moment le plus important. Comment peut-on expliquer ça?

Les femmes adorent « fêter » parce que c’est l’occasion de se défouler

Il ne serait pas méchant de le dire. La conception socio-philosophique de la femme au Cameroun relève encore des idéologies traditionalistes et conservatrices. Etant considérée comme la gardienne du foyer, elle est alors la bonne à tout faire. Elle doit se lever tôt et se coucher tard. Le soin des enfants, le ménage, la cuisine, la lessive et parfois le jardinage lui revient de droit. C’est encore plus difficile si elle exerce une activité professionnelle. Contrainte par le chômage du mari, le commerce, la couture, la coiffure, la restauration, etc. sont devenues des activités de plus en plus obligatoires. Cela rend la journée d’une femme au foyer trop difficile à vivre compte tenu de cette conception conservatrice qui veut que ce soit la femme qui fasse le ménage et tout le reste. Et que reste-t-il alors à faire pour l’homme? Il continue de sortir pour la recherche de la pitance devenue son nouveau métier : la débrouillardise. Ce gagne pain ne se révèle pas comme garantie de survie à long terme. Les fins de mois ne peuvent alors être assurées que l’apport de la femme aussi. Modernité oblige.

Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Tant dans les activités professionnelles que domestiques, les femmes consacrent plus de temps à la tâche que les hommes. Elles ne comprendront pas assurément qu’une journée qui leur est consacrée leur échappe. C’est aussi l’occasion, comme pour les anniversaires, de se voir offrir un pagne par le mari, le copain, le courtisan, le frère, le fils, le père ou même un inconnu. Elle a dont le droit de jouir de ses libertés, de se défouler, de se prendre la tête. C’est une tolérance que la plupart des hommes comprennent. Leur autorité étant diminuée du fait de la perte du pouvoir économique, ils ne peuvent que se soumettre à cette dictature un peu douce. Les débordements ont surtout lieu lors des retours tardifs après une journée remplie de festins. Bonjour les dégâts!

Les femmes adorent « fêter » pour se libérer des jougs de la violence maso

Les violences physiques faites aux femmes sont les plus en vue. Les statistiques en Europe révèlent les chiffres alarmants : 37% des cas de violences ont été perpétrées par le conjoint et 90% par une personne que la victime connait. Comment peut-on comprendre cette dérive dans un continent considéré pourtant comme celle où la femme jouit quand même d’une autonomie certaine? Difficile à dire lorsqu’on se retrouve à étudier le cas de l’Afrique et plus particulièrement du Cameroun où les violences psychologiques sont plus marquées.

Les journées internationales des femmes sont aussi des occasions de crier leur ras-le-bol. Mais, comment le crient-elles au Cameroun? Cette double violence tant physique que psychologique se manifeste par des stéréotypes qu’elles reçoivent tous les jours. Les discriminations du fait des inégalités de considérations sociales sont toujours criardes. Il est fort curieux de constater cette différence au niveau de la répartition des tâches domestiques qui reviennent en grande partie aux femmes. Cette proportion, même infime, est aussi observée au niveau professionnel. La même proportion n’est pourtant pas observée au niveau de la considération qui leur serait pourtant due. Cette conception du « chef du foyer » réservée au homme ne doit-il pas être revu de font en comble pour donner aussi une responsabilité officielle aux femmes? Les responsabilités familiales en matières d’héritage, du choix du domicile, du nom des enfants et de leur avenir, de la préséance sont encore considérées comme des conforts inutiles aux femmes.

Pour déplorer cette inégalité, les femmes choisissent de se mettre en « rébellion » contre les hommes. Ce jour du 8 mars, elles jouent le rôle des hommes tandis que ceux-ci prennent leur place. Autrement dit, il y a inversement des rôles tant au foyer qu’au boulot. Elles doivent sortir du domicile un peu plus tôt que d’habitude pour retrouver ses copines dans la préparation du festin. Dans les entreprises, elles sont aussi obligées de s’absenter. Les patrons se laissent dominer. C’est leur journée. Il faut leur faire honneur. Du coup, il appartient au mari et au collègues de tout faire seul afin de pas perturber le rythme de vie du foyer et de l’entreprise. Officiellement, la journée n’est pas déclarée fériée, mais elles se donnent cette liberté qui leur est accordée tacitement.

Les femmes adorent « fêter » parce qu’elles ont peur de « parler »

Statistiquement, il n’est plus à démontrer la supériorité des femmes sur le plan démographique. Au Cameroun, les femmes représentent plus de 51% sur tout le triangle national. Comment donc comprendre cette réticence à faire changer la société si ce n’est impulsé que pour une révolution des mentalité? Par solidarité féminine, on aurait dû penser que toutes les femmes candidates à la députation ou la présidentielle devraient automatiquement remporter la mise. Que non! Elles se réfugient encore derrière cette argumentation selon laquelle la politique c’est une affaire d’homme. Curieux quand même, n’est-ce pas?

C’est malheureusement encore cette inégalité qui revient à la surface lorsqu’on tenterait de soulever le débat sur leur présence effective sur les scènes publiques : trop de travaux domestiques et professionnels, l’autorité très prégnante du « chef du foyer » ou « chef de famille » sans oublier cette stigmatisation qui font d’elles des êtres qu’on appelle des « sexes faibles ». Du coup, elles ne sont pas visibles dans les milieux de débat comme les médias, les réseaux sociaux, les meetings et les conférences. Fondamentalement, les femmes avouent elles-mêmes ne pas s’intéresser à ces « choses » qui relèvent du domaine « réservé ». Dommage que les statistiques n’insistent pas sur le niveau d’intéressement des femmes de la chose publique, mais une observation démontre bien qu’elles sont ne moins en moins présentes. Du coup, il devient difficile d’imaginer les raisons qui les limitent, pourtant, malgré la contrainte, elles ne peuvent pas accuser les hommes de les empêcher d’être présentes dans les réseaux sociaux.

Cette situation montre bien qu’il sera difficile aux Camerounaises de profiter d’un 8 mars pour faire des revendication lors de la parade. En mars 2016, seule la ville de Douala avait connu deux décès de femmes enceintes à la suite des négligences médicales. La mort de ces femmes a tellement ébranlé la ville qu’on aurait penser à une mobilisation pour une considération de ces femmes qui meurent en voulant donner la vie. Peu importe les circonstance de la mort des ces femmes, mais l’opportunité était donnée aux femmes de pouvoir enfin parler de leur problème. Il n’en a rien été. L’important, oui, le plus important, c’était et ça reste toujours le festin. Elles vocifèrent toujours lorsqu’on leur fait ce reproche de mettre toute leur énergie dans la parade. Leur ligne de défense c’est : « ce sont les hommes qui sont seulement attirés par la fanfaronnade et le tintamarre. Ce qui les intéresse, c’est la parure, le spectacle du « m’as-tu vu? ». Pourtant, les jours qui précèdent la journée sont meublées de curiosités ».

En attendant, celles qui tiennent ces propos en guise d’explication ne savent même pas le thème de la journée internationale des femmes (JIF) que voici : « les femmes dans un monde du travail en évolution : pour un monde 50-50 en 2030 ».

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Auteur·e

tkcyves

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