Crédit: MRC-Mouvement pour la Renaissance du Cameroun

Cameroun : Pourquoi ELECAM ne publie pas la liste électorale nationale ?

La bataille sur la publication ou non de la liste électorale nationale a pris un véritable tournant cette année. Pour la première fois depuis 2012, les confusions d’interprétation relatives aux articles 80 et 81 du Code électoral vont enfin connaître un dénouement définitif. Le mardi 21 janvier 2025, le Conseil Constitutionnel a mis fin à cette confusion dans les élections organisées par ELECAM.

Le 30 décembre 2024, comme tous les 30 décembre, ELECAM informe le public, par voie de communiqué, sur la disponibilité des listes électorales. « Le Directeur Général des Élections informe l’opinion publique sur la disponibilité des listes électorales définitives dans les antennes communales d’ELECAM et au niveau des points focaux ELECAM de la diaspora. »

En plus d’être une routine, cette communication est en quelque sorte une réponse à tous ceux qui réclament la publication de la liste électorale nationale. La nuance repose sur les terminologies. Tandis que les acteurs politiques réclament « la liste électorale nationale » c’est-à-dire le fichier des électeurs inscrits, ELECAM se contente de publier « les listes électorales » par antenne communale.

Ces terminologies ont une incidence juridique importante. ELECAM a choisi de publier l’ensemble des listes communales qui sont disponibles dans « les antennes communales ». Autrement dit, la liste électorale nationale est organisée en plusieurs sous-listes scindées par antenne communale.

Il existe deux confusions créées par la loi électorale. D’une part, une sur les terminologies utilisées. D’autre part, la juridiction compétente pour statuer sur la clarification des terminologies. Cette confusion est liée à l’utilisation des termes « liste » et « fichier », et beaucoup plus par « les listes électorales » et « la liste électorales nationale ». En plus de confusions, le Code électoral est muet sur la juridiction compétente pour établir la différence entre les listes électorales ou la liste électorale et celle destinée à être publiée.

ELECAM a été critiqué par certains analystes qui lui exigent la publication de la liste (fichier) électorale selon l’article 80 qui précise « la liste électorale nationale ». Après ce manquement d’ELECAM constaté, les actions de recours ont suivi. Il a été interpellé par les trois acteurs qui ont fait des recours en sollicitant deux juridictions différentes.

La saisine du TGI de Yaoundé

Les saisines d’une juridiction pour attaquer ELECAM sur le non-respect de l’article 80 du Code électoral viennent de trois acteurs : l’avocat Camerounais Me Christian Ntimbane Bomo, par ailleurs candidat déclaré à la présidentielle d’octobre 2025, l’électeur Abdouraman Hamadou Babba et le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), parti politique dirigé par Maurice Kamto.

Le 19 janvier 2024, Abdouraman Hamadou Babba, engage une procédure judiciaire contre le Directeur Général D’ELECAM. Pour cela il saisit le TGI,Tribunal de Grande Instance de Yaoundé. L’objet de la saisine est de contraindre ELECAM à publier la liste électorale nationale. Ce constat avait été fait le 30 décembre 2023 où, au lieu de la liste électorale nationale, ELECAM publie plutôt les listes électorales par antenne communale. Après plusieurs renvoies, le 31 octobre 2024, le TGI, par la voix de son président Camille Faustin Alima, déclare qu’il est matériellement incompétent.

Pour se donner bonne conscience, le Directeur Général de ELECAM avait avoué son incapacité de publier la liste électorale nationale. La principale raison qu’il avançait était d’ordre pratique. En effet, il se trouve que, il ne serait pas possible, sur le plan matériel, d’afficher dans toutes antennes communales une liste électorale nationales contenant des millions de noms. Comment pourra-t-on procéder sur le plan pratique ?  Comment pourra-t-on procéder pour publier des milliers de pages sur de petits espaces physiques ?

Cette question avait déjà été débattue en son temps. En réponse, il lui a été objecté que « publier » ou « rendre publique » ne signifie pas forcément « afficher ». À l’ère du numérique, ELECAM peut solliciter plusieurs canaux de publication à l’exemple de sa plateforme. Cet argument avait fait son bonhomme de chemin jusqu’à ce que, aujourd’hui, l’organe n’a plus jamais évoqué cet argument d’ordre pratique.

La première saisine du Conseil Constitutionnel

Avant le TGI, le 2 août 2023, Me Christian Ntimbane Bomo avait saisi le Conseil Constitutionnel. L’objet du recours était « l’annulation du fichier électoral actuel en vue de sa refonte totale ». Quelques mois après, le Conseil Constitutionnel, dans sa réponse motivée par son rapporteur, le feu Pr Joseph Owona, avait estimé que les recours sur les opérations pré-électorales, à savoir les contestations sur le fichier électoral, n’étaient pas recevables. Autrement dit, le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent en ce qui concerne les recours sur les opérations pré-électorales.

Cette décision de rejet du recours par le Conseil Constitutionnel n’est pas satisfaisante. Malgré tout, il sera de nouveau saisi. Cette fois c’est par un parti politique. Le 8 janvier 2025, le MRC, dirigé par Maurice Kamto, saisit le Conseil Constitutionnel. Le recour avait comme objet : le respect de l’article 80 du Code électoral en vigueur depuis 2012. Il s’agit ici de contraindre ELECAM de publier la liste électorale nationale. Cette disposition stipule ainsi qu’il suit :

« A l’issue des opérations de révision, et au vu des documents et données communiqués par les démembrements régionaux d’Elections Cameroon, le Directeur Général des Elections établit et rend publique la liste électorale nationale au plus tard le 30 décembre. »

La deuxième saisine du Conseil Constitutionnel

Le mardi 21 janvier 2025, le Conseil Constitutionnel, à la suite d’une saisine du 8 janvier 2025 par le MRC, a rendu son verdict. Il avoue, pour la deuxième fois, son incompétence. Par conséquent il renvoie le plaignant vers une autre juridiction compétence : le Conseil Electoral selon l’article 81 du Code électoral. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision, par la voix de son président Clément Atangana, affirme que : « Toutes contestations relatives à la liste électorale nationale doit préalablement être portée devant le Conseil Electoral, et en cas de rejet, devant la Cour d’appel compétente. »

Pourtant, selon l’article 81 : « (1) Le Directeur Général des Elections est chargé de la tenue du fichier électoral national. (2) Tout parti politique, Tout électeur, tout mandataire d’un parti ou d’un candidat peut saisir le Conseil Electoral de toute demande en réclamation ou contestation relative notamment à une omission, une erreur ou une inscription d’un électeur plusieurs fois sur la liste électorale. (3) En cas de rejet de la demande, l’intéressé peut former un recours devant la Cour d’appel du ressort d’Elections Cameroon qui statue en dernier ressort, sans frais ni forme de procédure, dans les cinq (5) jours de la saisine. »

Cette disposition de l’article 81 ne vise nulle part le contentieux sur la liste électorale nationale, particulièrement concernant sa publication. Le Conseil Constitutionnel vient ainsi de clore définitivement le débat en faisant une interprétation extensive en allant au-delà de l’omission, de l’erreur ou de l’inscription d’un électeur plusieurs fois sur la liste électorale. Donc, le Conseil Constitutionnel est allé plus loin en y joignant l’ensemble du contentieux sur le fichier électoral notamment celui de la publication du fichier électoral. C’est un pas important franchi dans le contentieux pré-électoral de 2025. Cette décision restera une jurisprudence.

Ce verdict est une victoire car bien que cela ressemble à un échec il a l’avantage de mettre fin à cette confusion.

La Cour d’Appel de Yaoundé doublement sollicitée

Vu les trois rejets des recours au TGI et au Conseil Constitutionnel, les parties plaignantes ne baissent pas les bras. Les conseils, du MRC conduits par Me Hyppolite Meli et de Abdouraman Hamadou Babba conduit par Me Belinga Ambara François, ont décidé de faire appel. Mais le recours devra passer par le Conseil Electoral. Abdouraman Hamadou Babba a informé l’opinion que son recours a été déposé ce jeudi 23 janvier 2025. La question qui reste posée ici est celle de savoir pourquoi cette juridiction n’a pas été sollicité pour un premier recours ?

L’alinéas 2 de l’article 81 est pourtant explicite sur les détails. La Cour d’appel, agissant en second recours, est compétente sur « une omission, une erreur ou une inscription d’un électeur plusieurs fois sur la liste électorale ». Autrement dit, elle n’intervient que pour statuer sur des modifications à apporter dans la liste électorale. Les contentieux sur la publication de la liste électorale ne sont pas explicites.

Il faut par ailleurs préciser que le MRC, avant de déposer sa requête au Conseil Constitutionnel le 8 janvier, avait saisi ce même Conseil Electoral pour la deuxième fois le 7 janvier 2025. La saisine du Conseil Constitutionnel a été choisie en vertu de l’article 48 de la Constitution. Celui-ci stipule, à son alinéa 1 que, « le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle ». Selon la prééminence des textes, la constitution prime et donne au Conseil Constitutionnel ces compétences.

Pourquoi insister sur « la liste électorale nationale » et non « les listes électorales » par antenne communale ?

Contrairement à ce que prétend M. Erik Essousse, Directeur Général des Elections, le fait qu’un nom figure sur une liste affichée à l’antenne de la commune de Douala 5 ne signifie pas que ce nom figurera avec certitude sur la liste électorale nationale. Pourtant, celle-ci est considérée par le Code Électoral comme la seule liste ayant un caractère définitif.

La dissimulation de la liste électorale nationale par le Directeur Général des Elections a plusieurs conséquences. Celle qui est mise en exergue ici est celle d’empêcher toute visibilité sur l’évolution du nombre des camerounais effectivement inscrits. En d’autres termes, la dispersion de la liste électorale nationale en listes électorales par antenne communale rend difficile voire impossible le contrôle ou la prise en main de cette liste par les partis politique ou par un simple électeur. Et ce manquement comporte à son tour les conséquences.

La première conséquence est que, un électeur résident à Ngaoundéré et en déplacement à Douala ne pourra pas vérifier son nom dans la liste affichée dans son antenne communale située dans sa ville de résidence. La deuxième est également la conséquence de la première. Etant en déplacement, il est impossible à cet électeur de saisir le Conseil Electoral pour toute contestation. Tous ces manquements suscitent des suspicions sur la crédibilité d’ELECAM.

Une troisième conséquence et pas des moindres, est relative aux votes multiples. Un nom peut apparaître plusieurs fois. La meilleure façon de détecter cette fraude est d’avoir une vue d’ensemble du fichier électoral. Pour l’instant, l’attention est fixée à la Cour d’appel de Yaoundé pour d’autres épisodes qui pourront être plus palpitants encore. Mais la question démeure : ELECAM va-t-il publier la liste électorale nationale ? Wait and see !

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Auteur·e

tkcyves

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