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Cameroun : autopsie d'une jeunesse à vau-l'eau

La plus grande tragédie de notre époque, je crois, c’est que nous avons manqué à la tradition combattante. Nous avons rompu la chaîne de combat. Les oppresseurs des générations précédentes ont eu nos Peuples sur leur dos et ont dû succomber à leur résistance. La jeunesse à l’époque des Um, Moumié, Ouandié, Ossende, était hautement politisée.

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Notre époque se caractérise par la dépolitisation de la jeunesse, son désengagement sur le terrain éminemment politique. La plus belle manifestation d’une jeunesse politisée s’est vue dans les années de braise n 1990. En février 2008, on a assisté à une effervescence sporadique vite étouffée. Or, non seulement la Jeunesse des années 90 n’a pas consolidé son engagement en une force politique puissante, la jeunesse actuelle a réalisé l’exploit de gérer l’horreur de la condition nationale par l’ironie, la fatalité et la débauche.

Les étudiants PARLEMENTAIRES* des années 90 et tous les Camerounais de la diaspora, quant à eux, ayant fui en Oxydent (pardon Occident) pour la plupart, ont succombé au poison du consumérisme, se sont embourgeoisés, se sont installés sur la natte des autres plus confortablement que ces autres eux-mêmes, beaucoup trop confortablement… Du coup, le pays est perçu de manière distante, détachée, on en parle souvent comme de l’affaire du voisin, on attend des autres la solution comme si d’autres étaient plus concernés que soit…

Tous les mouvements qui se sont constitués en Diaspora pour résoudre l’équation politique du Cameroun n’ont pas résolu l’énigme de la quadrature du cercle qui enserre nos destinés. Aussi désunis que les États africains face aux grands blocs et autres multinationales qui foncent tête baissée sur le continent, aussi divisés que les partis politiques qui se font phagocyter par le bras joyeusement corrupteur de Biya, les diasporiques traînent une habitude, j’allais dire une malédiction bien africaine, et restent tout aussi impuissants que leur continent, et tout aussi inefficaces que les potentats qu’ils combattent… Quelle organisation, quelle machine de lutte avons-nous créée? Faisons-nous le 1/1000e du travail que les upécistes ont fait à l’étranger, après le démantèlement de ce Parti Historique? C’est là une bonne question pour notre méditation!

Faites un tour au Cameroun, vous marcherez comme un somnambule dans les rues… Halluciné, vous ne comprendrez pas comment la marmite Cameroun peut tant bouillir sans jamais déborder, sans pulvériser le lourd couvercle qui comprime sa pression intérieure… Et de grâce, n’allez pas dans les administrations publiques, car il vous prendra l’envie, à presque tous les coups, d’étrangler un fonctionnaire de vos mains, sur le champ… Le « superbe mépris » (selon le beau mot du journaliste Jean Baptiste Sipa) avec lequel on traite le Camerounais dans son propre pays est corrosif pour les nerfs. Malheur à vous si vous devez dédouaner votre voiture… Pour ne pas vous donner un infarctus, je passe… Tant de scènes de la vie quotidienne, à chaque coin de rue, sont si choquantes, que faute de mieux, en désespoir de cause, vous finissez par admirer ce Peuple qui peut accepter une situation aussi infamante, tolérer cette plus intolérable condition que lui infligent des criminels gestionnaires de la fortune publique, avec autant de calme…

Voulez-vous voir la foule de Césaire, vous n’aurez pas meilleur terrain d’observation. Cela me rappelle « Perpétue ou l’habitude du malheur », de nul autre que Mongo Béti.

Le taux de mécontentement et d’angoisse exponentiel finit désespérément par le non moins désespérant et révoltant « ON VA FAIRE COMMENT?! ». Les gens vivent aux portes de l’enfer avec pour leur propre sort une indifférence apparente dont on comprend le ressort profond lorsqu’on les engage dans une discussion politique décisive : ils sont terrorisés de payer le prix qu’exige la liberté, car ce prix, ils le connaissent… Qui connaît en effet ce prix mieux que les enfants du Pays du Char des Dieux? Or ils ne sont plus prêts à payer ce prix juste pour qu’un homme sans scrupules se serve d’eux pour accéder à la mangeoire!

En effet, la trahison récurrente des marchands politiques sans étoffe qu’on avait un instant pris pour des opposants a fait réaliser aux populations la vanité de tout engagement politique, car au bout du compte, quand vous n’êtes pas mangés par le pouvoir dictatorial, vous êtes vendus par des minables qui utilisent vos aspirations simplement comme un ascenseur social, et que vous les retrouvez un matin bombardés ministres ou DG de Biya, ou largués députés dans son applaudimètre qui tient lieu de Parlement du Peuple… l’Assemblée Nationale qu’elle s’appelle…

Quand on  dit donc que la Jeunesse ne fait aucune confiance à Biya, il faut savoir que la pléthore de politic(h)iens qui encombrent le paysage au pays ne sont pas mieux lotis en cette matière. Car ils ont établi une tradition de la trahison des aspirations populaires qui constitue pour le Peuple une grande leçon pédagogique, car ces hommes de très basse moralité ont démontré que leur but ne fut JAMAIS de faire pièce au système qui opprime le Peuple de ce pays. Cette pédagogie intériorisée profondément par les populations explique pourquoi toute tentative d’engager une discussion politique sérieuse se termine par des esquives multiformes.

Aussi, lorsque vous insistez on vous tourne en dérision, ou on essaie de vous faire croire que vous avez un problème, ou que vous voyez « avec les yeux de là-bas », de l’Oxydent s’entend… Au final, on vous menace même, et on vous impose le silence. Vous comprenez alors que les premiers contre qui il faut se battre au Cameroun ce sont les populations elles-mêmes, qui ont acquis l’habitude du malheur et ne semblent vouloir rien entendre d’autre… C’est que votre discours est un miroir impitoyable renvoyant une image trop douloureuse…

C’est là le plus grand mal que « l’opposition » politique a faite au Cameroun, car elle a rendu infiniment plus difficile la lutte de libération : en effet, tout se passe comme s’il fallait d’abord persuader aux gens qu’ils portent des chaînes, avant de les convaincre de se battre pour s’en libérer.

J’ai dit plus haut que les gens vivaient aux portes de l’enfer. Cela paraît-il exagéré?

Au Pays du Char des Dieux, rien n’est plus rebutant que ce contraste des plus saisissants entre l’horreur de l’environnement et la joie de vivre des gens. Le bon goût des femmes, si élégantes et si belles, à qui le soleil donne à la peau cette belle teinte de miel, mais qui se meuvent dans un environnement pourri où tout blesse la vue, heurte le bon goût, révulse les sens, invite à vomir…

Où que vous jetiez vos regards, vous accueillent la putréfaction, la pestilence, une ambiance de cimetière à ciel ouvert qu’agrémente le raffut diabolique des benskineurs* déboulant à force de vrombissement sur le macadam crevassé qui tient lieu de route, dans un désordre et une confusion délirants, comme d’énormes détritus hurlants, à la dérive, entraînés par un torrent en furie…

Ô APOCALYPSE, DIT MOI TON NOM!

Mais entendez-vous ces fils du diable emboucher les trompettes de l’Émergence en 2035? Non qu’une émergence à cette date ne soit possible, mais encore faut-il, en tant que gouvernement, être travailleur, consciencieux, patriote, nationaliste, non corrompu, avoir à coeur le bien-être de son Peuple, vénérer l’intérêt général et faire des deniers et biens publics le lieu d’une religion sacrée!

Ce ne sont pas des slogans, aussi tonitruants soient-ils, qui nous y amèneront.

Voilà qui est hautement instructif pour notre génération sur ses responsabilités. Et ces responsabilités sont nôtres avant tout!

Aucune Communauté Internationale, encore moins AUCUN chef d’État américain ou français, ne saurait nous aider, si ce n’est nous même.

Taâ meudah,

Bonaventure Tchucham

*Parlementaires : c’est le nom donné aux étudiants, combattants de liberté, des années 1990 et qui appartenaient à une association nommé LE PARLEMENT.

*Benskineurs : conducteurs de moto-taxi

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tkcyves

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