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Cameroun : 20 mai, fête nationale du ventre ?

Il y a longtemps que le 20 mai au Cameroun, fête nationale, a perdue ses lettres de noblesse. Ce n’est d’ailleurs pas le fait du hasard qu’elle est considérée comme la fête du ventre. C’est justement une fête consacrée à la beuverie. Le spectacle, le fanfaronnade, la prestidigitation, le « m’a-tu vu » et sais-je encore, sont mis en avant. Il y a longtemps que cette fête nationale avait du sens. Elle faisait partie de la mondanité. Aujourd’hui, elle est devenue vulgaire.

On a toujours considéré cette fête nationale comme celle réservée à ceux qui ont marqué la vie nationale par leur acte de bravoure. Pendant ces périodes, ils ont donc toujours été valorisés afin de susciter la même ardeur chez les autres. Malheureusement, ce type de fonctionnement devenait un peu désuet avec le système de surenchère. Peu à peu, cette fête nationale populaire perd sa notoriété. Le Camerounais lambda ne sent plus concerné. Le désintérêt s’installe un peu comme le sont les élections. La politisation de la fête nationale est son véritable mal.

Du coup, elle est devenu une fête pour la gloire d’un président. Tout s’arrête ce jour pour laisser la place au folklore. Pour comprendre ce que veut dire la fête nationale du ventre, il suffit de scruter le mode d’organisation que je m’apprête à vous décrire sommairement en quelques clichés.

Invité faisant bombance lors de la fête nationale du 20 mai
Réception au palais de l’Unité lors de la fête nationale du 20 mai. Un invité gourmand filmé en mondovision. Capture d’écran CRTV

Fête nationale prise en otage par le politique

Il s’agit tout simplement d’une fête où le champagne coule à flot. Vous me retoquerez sûrement comment une fête peut-elle se passer sans champagne ? Par contre, si je vous dis que la fête nationale du ventre signifie fête du gaspillage, ça devient un peu intéressant. Mais, ce n’est pas encore tout à fait ça. Par ailleurs, si je continue encore en disant que la fête nationale du ventre signifie la gourmandise des riches, c’est alors fabuleux. Oui, il ne s’agit que de ça. Une fête où les riches, je veux dire les hommes bien, comprenez par là ceux qui font partie de la classe des privilégiés, viennent faire leur cinéma en mondovision.

C’est une classe complexe et hétérogène vue la diversité des hommes et des femmes qui la composent. Elle est alors composée des corps constitués et des ambassadeurs, des membres du gouvernement et de certains hauts fonctionnaires, les directeurs généraux des entreprises parapubliques, certains opérateurs économiques, les hauts gradés de l’armée et de la police, les autorités religieuses diverses, des responsables d’ONG et associations diverses qu’on a pris le soins de sélectionner selon certains critères. Sans oublier, bien sûr, la haute hiérarchie des partis politiques issues du pouvoir et de l’opposition.

C’est donc cette classe de privilégiés qui s’empare de la célébration de la fête nationale. Elle est à l’honneur. L’organisation est par contre confiée à la haute administration et plus particulièrement au cabinet civil de la présidence de la république. Le 20 mai, toute la ville capitale, Yaoundé, est en effervescence. Y compris les villes régionales et départementales. Ce sont les gouverneurs de région, préfets et sous-préfets qui sont aux manettes. Comme vous pouvez l’imaginer, c’est une affaire de gros sous.

Une mobilisation des ressources et de la logistique

Mais, ce qui focalise le plus l’attention, c’est la mobilisation tout azimut autour de l’appât, au propre comme au figuré. La logistique est lourde et coûteuse. Ce n’est qu’un secret de polichinelle. Il faut refaire la propreté du boulevard servant de parade. Les tribunes présidentielles et autres doivent être mises à jour. Les peintures doivent être renouvelées. Les tentes et les chaises sont loués ou achetées tout simplement. Le décor, la sonorisation et la photographie ne sont pas en reste. Il convient de signaler ici que tous ces ramdams des fanfares et youyous tridents pendant le défilé ne sont pas gratuits. Il faut bien gratifier les défilants pour leur participation en leur accordant des « frais de transport », selon le jargon usuel.

Effectivement, de même que la logistique, les défilants constituent ou font aussi partie des ressources importantes de la fête nationale. Au Cameroun, il n’y a pas que la parade militaire qui est concernée. La deuxième partie du défilé est appelée ici « défilé civile ». Il concerne les élèves, étudiants et militants de partis politiques. Bien que l’armée soit prise en charge par l’Etat, les militants civiles sont pris en charge par l’institution qu’ils représentent : les écoles, les collèges, les universités et les partis politiques.

Ce qui est intéressant ici, c’est le défilé des militants des différents partis politiques. La difficulté ici consiste, pour chaque parti, à trouver les défilants. Le nombre de carrés est alors fonction de la puissance de mobilisation du parti. Les deux critères importants sont le nombre de militants et les ressources financières disponibles. Evidemment, le parti au pouvoir se taillera la part du lion sur la réservation des carrés.

La fête nationale et la parade sur le boulevard du 20 mai

C’est même l’une des raisons pour laquelle les observateurs continuent d’insister sur l’annulation du défilé de la partie civile. Pourquoi n’est-elle pas alors annulée ? Manifestement, le gaspillage des deniers publics y est pour beaucoup. Ce défilé civile joue un rôle symbolique important qui concerne la démonstration de force de chaque parti politique. Conclusion, l’organisateur qu’est l’Etat pour ne pas dire les fonctionnaires, instrumentalise la fête nationale pour des fins politiques.

Il faut bien que cette conception folklorique du défilé demeure. De tout temps et de tout lieu, la parade militaire est considérée comme aujourd’hui une démonstration de force de l’armée. Il ne s’agit plus du style communiste chinois où les civiles sont appelés à aller marquer les pas devant le dictateur comme signe d’allégeance ou de puissance du « souverain ». Bizarrement, le Cameroun est le seul pays au monde qui conserve encore ces vestiges du communisme d’antan. A la question de savoir qui prend en charge ce budget du défilé, le mystère demeure car le système de la tyrannie a besoin d’un tel zèle. Il a surtout besoin de démontrer son signe de puissance autrement que par l’armée. La ritournelle habituelle est celle de faire entendre que Paul Biya est « le choix du peuple ».

Pourquoi la fête nationale au Cameroun perd-elle son sens premier avec le temps ? Parce qu’elle est devenue au fil des temps une fête consacrée pour la gloire du chef. Même le défilé civil qui ne trouve plus de justification n’est pour autant pas supprimé. Il est même valorisé pour servir d’épée de Damoclès et d’appât de gain. On invite les gens à participer à la parade. On les distribue 2000F ou 5000F, c’est selon, comme gratification, un peu comme des grain de maïs qu’on jette à la volaille. Ils appellent ça, dans leur vocable, « l’argent de transport ».

La fête nationale du ventre c’est surtout la beuverie au menu

L’instrumentalisation de la fête nationale ne se limite pas seulement à la revue des troupes des partis politiques. Il y a aussi ce petit tour au palais de l’Unité. Palais où les gens de la haute classe sont conviées pour la ripaille. Pour bien saisir cette problématique, il faut se référer à « La politique du ventre » de Jean-François BayartPourquoi la nourriture et les festins sont considérés comme des armes et des ennemis dangereux pour l’épanouissement du citoyen ? Parce que les tyrans ont compris que c’est facile de tromper le pauvre avec une bouteille de bière et un morceau de maquereau. Pourquoi le Cameroun est-il devenu un pays de folklore ? Parce que la tyrannie adorent bien distraire, détourner les gens. Les pauvres qui ont faim tombent tout de suite dans le panneau. La tyrannie adore bien réduire le peuple à la mendicité, rendre les citoyens vilains.

Ce constat de Jean-François Bayart est bien observé au cours des campagnes électorales. Ce qui n’est pas du tout faux. Mais, il convient de préciser ici que la fête nationale du 20 mai a pour point de chute les orgies. C’est la haute classe qui est invitée dans la salle de banquet du palais de l’Unité. En d’autres termes, les va-nu-pieds peuvent rester à la maison. Ils doivent se contenter de « l’argent de transport » distribuer pour le défilé. La beuverie pour les gens biens sera diffusée à la télé. Ils peuvent donc se rincer les yeux en regardant comment mangent ceux qui gèrent leur argent.

Comportements villageois qui frisent le ridicule

C’est le moment de déguster les vins et des Guigui bien de chez nous ou importés sous le regard des projecteurs et des caméras de télé. Même les cuisses de poulet, des côtelettes de porc et les pommes de France ne sont pas en reste. Les comportements les plus vils et sauvages ne manquent d’attirer l’attention de ce peuple condamné à la maison. Il rigole bien en voyant ces gens bien remplir leur panse, leurs poches avec des morceaux de viande et des pommes, sans oublier quelques couverts.

Ce qui est même aberrant, c’est que ces gens bien ne se gênent même plus de politesse devant les cameras. Ils exposent leur sauvagerie en plein ciel. Dans son ouvrage cité plus haut, Jean-François Bayard indexe la pauvreté d’être la source de ce type de comportement villageois. Comme « la chèvre broute là où elle est attachée », la fête nationale est l’une des occasions pour faire bombance. En fait, c’est la nature du régime qui est en cause. « Pour se maintenir, le régime politique de la société postcoloniale n’a que deux moyens : généraliser la corruption et semer la terreur contre ses propres citoyens. Autoritaire et despotique, un tel pouvoir appelle fatalement la violence » (JP. Kaya).

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Auteur·e

tkcyves

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