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« Bienvenue Maman Christine »

La dame forte du Fonds Monétaire International (FMI), Christine Lagarde, était en visite au Cameroun, du 7 au 9 janvier 2016, invitée par Paul Biya. Pour l’histoire, il y a plus de 20 ans déjà que le Cameroun n’avait plus reçu un(e) DG du FMI. Jusqu’ici, le Cameroun était habitué aux visites qui riment avec les gros et vieux concepts : les plans d’austérité et d’ajustement structurel, les plans de gestion du budget et de dévaluation de la monnaie, sans oublier les bêtes noires, comme les coupes de salaire et autres restrictions budgétaires.

christine_lagarde_orphelinat_670Christine Lagarde n’avait pas, dans sa valise, ce qui fait souvent peur aux gouvernants. Je me rappelle que c’est sous l’impulsion, voire la pression, du FMI que Paul Biya a été obligé de procéder deux fois à la coupe de salaires des fonctionnaires, en 1993, juste après la dévaluation de notre pauvre FCFA. Cette mesure avait été prise pour mettre fin à cet État-providence qui donnait à manger à tout le monde. Un État distributeur de richesses, quoi. L’État camerounais était alors détenteur de la plupart des entreprises qui constituaient un portefeuille puissant, permettant non seulement de garantir les maigres emplois, mais aussi de maintenir un tissu économique (quoique précaire). Parmi tant d’autres, il y a les exemples de la Sonel, devenue Eneo, de la Snec devenue La CDE, et de la Regifercam devenue Camrail. Ces entreprises sont entre les mains de propriétaires privés, sous la pression du FMI. C’est le FMI qui a dit aux gouvernants camerounais, « votre gestion est calamiteuse, donnez ces entreprises au privé pour booster votre économie ». Le même FMI a demandé à ces mêmes gouvernants de diminuer les charges salariales mensuelles, afin de réaliser des économies et booster ainsi les projets d’infrastructures. Paul Biya a plutôt trouvé une astuce qui, heureusement ou malheureusement, diminue de plus 70 % le salaire des hauts fonctionnaires camerounais et des élites fortunées. D’aucuns ont cru entrevoir un tsunami dans les jours à venir. Que Nenni. Il fallait être naïf pour ne pas comprendre que les Camerounais sont plus astucieux que leur président. La corruption a pris de l’ampleur à telle enseigne que même Paul Biya est lui-même dépassé par les événements.

Cette histoire rocambolesque de détournement de deniers publics, liés à l’achat de l’aéronef présidentiel, n’a pas fini de passionner les débats. Les mesures de restrictions du FMI dans les dépenses de l’État ont amené Paul Biya lui-même à solliciter le Directeur Général de la compagnie aérienne, ex-Camair (Cameroon Airlines), pour l’achat d’un avion. Ainsi, les fonctionnaires du FMI n’allaient pas vite imaginer la roublardise de Paul Biya, qui voulait leur faire croire que c’était la Camair, et non l’État, qui allait acquérir un nouvel aéronef à but commercial. Ce qui est pourtant marrant, c’est que les hauts fonctionnaires, ayant compris la manœuvre de leur chef, ont mis le pot aux roses en organisant un gigantesque détournement de fonds qui a conduit le DG de la Camair, le Secrétaire Général de la Présidence de la République, le ministre de l’Administration Territoriale, et bien d’autres encore en prison. Si cette opération avait réussi, personne n’aurait compris comment, avec une restriction budgétaire, le président de la République pouvait avoir le toupet de s’offrir un avion dans un contexte de pauvreté.

En tout cas, depuis que le Cameroun, sous l’impulsion de Paul Biya lui-même, a sollicité à faire partie des membres du FMI, les rapports restent plus ou moins tendus. Une visite de Lagarde a même fait dire à beaucoup de gens qu’elle venait faire le bilan des privatisations et des dégâts des mesures imposées par cette institution financière internationale. Non, Maman Christine sait très bien que ces mesures du FMI ont accouché d’une souris. Les entreprises de gestion de l’électricité, de l’eau et du transport ferroviaire ont été privatisées et laissées entre les mains des privés. Elle sait aussi qu’il existe une tension dans l’opinion, qui ne comprend pas qu’un autre pays, la France ou les Etats-Unis par exemple, puisse contrôler une monnaie qui n’est pas la sienne. Elle n’ignore pas que les Camerounais ont marre de se sentir sous la botte d’un pays étranger, fût-il puissant. Elle ne peut pas ne pas savoir qu’un vent teinté de panafricanisme hostile à une quelconque autorité tutélaire est en vogue au Cameroun.

Quand la patronne du FMI est au parfum de ce climat, sachez qu’elle va toujours se méfier de toutes les déclarations qui frisent l’indécence. À la question des journalistes, qui veulent savoir si elle est venue au Cameroun pour tirer les oreilles de Paul Biya (pour n’avoir pas respecté les consignes des fonctionnaires du FMI), elle s’est toujours fendue en courtoisie et crié à tue-tête qu’elle vient pour une « assistance technique ». Une assistance qui a eu les effets pervers que l’on sait, mais qui n’a pas évité de faire dire à la chère visiteuse des orphelins que le climat des affaires est morose au Cameroun.

Maman Christine a, comme il n’est pas de coutume, visité Douala, la capitale économique. Pour info, des visites de ce genre se limitent généralement à Yaoundé, capitale politique. Elle est venue à Douala rencontrer les opérateurs économiques de tout bord : une quinzaine de femmes leaders, à l’Hôtel Pullman, les représentants du secteur privé et des organisations de la Société civile, à la Direction régionale de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC).

J’ai entendu des enfants orphelins crier en cœur : « Bienvenue Maman Christine ! ». Voilà qui en dit long sur les relents d’apaisement pour une visite qui avait au départ, pour certains d’entre nous, des relents de tensions. Pour embellir sa visite, elle n’est pas venue les mains vides. Un pactole de 7 500 dollars a été offert à cet orphelinat, vieux de 25 ans, qui n’attendait que des occasions pareilles de dons pour vivre et survivre. Nous devons vivre la main dans la main, nous entraider en solidaire. Pouvait-on imaginer dans la mine qu’affichait la fondatrice de l’orphelinat « Main dans la main », Mme Marie Siste Nomo Messina, qui s’est vue obligée de mettre les petits plats dans les grands. Les chants, les pièces d’humour et les one-man-show, les poèmes et surtout les danses à n’en plus finir.

Oui, maman Christine a aussi dansé. Des pas de danse aux rythmes de chez nous. Imaginez un peu une blanche en train d’esquisser des pas de danse qu’elle n’aurait jamais imaginé exécuter. Il fallait être là pour voir. Nonchalante dans ses pas, mais magnifique tout de même. Cette curiosité pour une visite d’affaires, une visite professionnelle et purement « technique », a été une grande première. Beaucoup de questions ont donc été posées sur cette étape de sa visite : la fondatrice de l’orphelinat en avait-elle fait la demande ? Si oui, le FMI, où la tendance est plutôt capitaliste que philanthropique, en acceptant cette demande, voulait-il marquer les esprits ? Voulait-il faire dire aux Camerounais que le FMI a aussi un cœur ? Si non, quelle était le critère du choix de l’orphelinat qui, par rapport aux autres, qui manquent de dortoirs, n’est pas si mal loti que ça. Loin de moi l’intention de dire que « Main dans la main » n’a pas droit à une aide. Il est juste question ici de m’interroger sur ce choix qui, pour quelqu’un comme moi, qui côtoie les orphelinats souvent, est quand même problématique.

Maman Christine n’est donc pas venue, comme on avait coutume de le voir chez les patrons des institutions financières internationales, faire des injonctions, donner des ordres. Elle est venue pour conseiller, dit-elle, mais aussi danser avec les orphelins en leur donnant leur sourire aux dollars. Malgré tout, les Camerounais ont toujours la gorge nouée, quand ils se rappellent encore des désastres causés par ces mesures draconiennes qui frisent le Rubicon. Sa visite a-t-elle mis de l’eau dans le vin ? Je peux en douter.

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Auteur·e

tkcyves

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