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Adresse à la jeunesse camerounaise : le discours de Biya est-il encore crédible ?

La « génération androïd », nouvelle trouvaille du président Biya pour désigner les jeunes, est désormais appelée à prendre les houes et les machettes. C’est l’un des conseils prodigués par l’octogénaire pour résoudre leur problème de l’emploi qui est, depuis plusieurs décennies, la préoccupation majeure de toute la nation. Las de trouver une solution définitive à ce problème d’insertion socioprofessionnelle, le président octogénaire androïde se fend en donneur de leçon en demandant aux jeunes de se prendre eux-mêmes en charge désormais, car, selon lui, il n’y a plus la place pour tout le monde au soleil.

Un discours adressé à la jeunesse camerounaise a suffi, pour nombreux observateurs, d’avoir une idée ferme et intransigeante de l’incapacité du vieillard à résoudre les problèmes de ses jeunes compatriotes. Situons d’abord le contexte du discours.

Tracteur abandonnés dans une broussaille à Ngalan vers Ebolowa
Tracteur abandonnés dans une broussaille à Ngalan vers Ebolowa

Qu’est-ce que la « fête nationale de la jeunesse » ?

Le 11 février 2016, comme chaque année depuis 1982, le président de la République Paul Biya fait une annonce à la nation camerounaise. Cette date, déclarée fériée chômée sur toute l’étendue du territoire nationale, est réservée à la jeunesse depuis 1966. J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que pour ce qui concerne l’origine véritable de cette fête, il faut tout simplement remonter dans l’histoire de la tutelle octroyée par l’ONU au Cameroun francophone et au Cameroun anglophone. Cette décision qui fait du pays une tutelle est contestée par plusieurs Camerounais et oblige l’ex-feu président Ahidjo à porter l’affaire à La Haye qui se prononce incompétent le 11 février 1963. C’est donc à partir de 1964 que le 11 février sera considéré comme un deuil national. Fermons la parenthèse.

C’est donc par décision unilatérale d’Ahidjo que le Cameroun consacre donc une journée pour célébrer sa jeunesse dès 1966 : c’est la « fête nationale de la jeunesse ». Le Cameroun, étant un jeune État en pleine construction, était à la recherche des compétences nationales dans tous les domaines. L’occasion est donc donnée, à toute cette couche sociale, de démontrer, avec ferveur, ses potentialités, ses prouesses, ses savoirs faires, bref, de montrer aux yeux du monde ce qu’elle sait faire de mieux, ce qu’elle est capable de faire et qui reste méconnu jusqu’ici. C’est ainsi que toutes les institutions de formations, d’encadrement et de suivi des jeunes, c’est-à-dire les écoles, les universités, les associations, etc. seront mobilisées pour la circonstance. Dans chacune de ces institutions, une semaine appelée « semaine de la jeunesse » sera donc consacrée aux activités de démonstrations des savoirs faire dans les domaines culturels, artistiques, scientifiques, techniques et littéraires.

Les moments forts du 11 février : le discours du président et le défilé

Pour l’apothéose, chaque institution de jeunesse est invitée à une parade publique nommée « Défilé du 11 février ». Les jeunes sont appelés à entonner des chants patriotiques, à s’exhiber à travers des démonstrations spectaculaires semblables aux carnavals. Les couleurs, les chants, les danses, les acrobaties, les fanfares, les tenues multiformes sont au rendez-vous. Tout un arsenal est mobilisé pour une démonstration haut de gamme devant une autorité administrative de la place : gouverneur, préfet ou sous-préfet et maire. On voit même le public se mobiliser pour y assister. Cette parade a donc lieu le 11 février dans chaque arrondissement du pays.

Mais, à la veille, le président de la République doit s’adresser à ses jeunes compatriotes dans un discours à la nation à 20 h précise. Ce qui est pourtant curieux cette année, c’est le contexte dans lequel ce discours est prononcé. Dans un élan d’euphorie, les pontes de l’UNC au RDPC qui tiennent l’arène du pouvoir depuis l’indépendance, s’exhibent en public pour demander au président Biya, non seulement d’être candidat à la prochaine élection présidentielle, mais de l’anticiper en l’organisant en 2016 pour les uns et en 2017 pour les autres au lieu de 2018. Des rumeurs plus ou moins fondées certifient que cette anticipation passera sûrement par une révision constitutionnelle qui, non seulement modifiera la durée du mandat à 5 ans au lieu de 7 ans, mais lèvera le verrou de la limitation du mandat présidentiel et créera un poste de vice-président de la République.

Ajoutées à ce contexte, la situation de misère ambiante et les conditions de vie de la jeunesse en termes d’éducation, d’emploi, de santé et de logement, sont moins reluisantes. Cette combinaison de contexte devrait plutôt appeler à une certaine posture sur le plan de l’assurance à travers une sorte de bilan pour montrer les évolutions de la politique dans la prise en charge des préoccupations des jeunes. Une sorte de rétrospective était donc nécessaire pour faire une catharsis permettant dans une transition entre les appels à sa candidature et sa candidature proprement dite sans en faire allusion si pour lui le moment n’était pas encore arrivé.

Comme à son habitude, l’octogénaire est donc resté silencieux face à cette jeunesse dont le résumé de la vie au Cameroun n’est limité qu’à un seul mot : débrouillardise. Une jeunesse dont l’avenir ne repose plus sur sa terre natale, dont le rêve de partir est toujours pressant malgré les mauvaises nouvelles qui proviennent de l’hexagone et qui étaient susceptibles de freiner leurs ardeurs. Une jeunesse qui vieillit et ne grandit pas se morfond et se meurt dans les oubliettes sous le prétexte que la situation économique du Cameroun est difficile. Comme il le dit d’ailleurs lui-même, « Des facteurs exogènes, liés à l’environnement économique global, combinés à certaines pesanteurs internes, limitent notre capacité à créer des emplois décents ». Comme le Cameroun est en crise depuis plusieurs années, c’est à cette jeunesse-là que le président trouve le réconfort en lui demandant de se consacrer aux métiers de l’agriculture et de l’informatique en ces termes : « Je viens de vous indiquer tout le bien que vous pouvez tirer du travail de la terre, de notre nouvelle industrialisation, et aussi de l’économie numérique ». En observateur averti, je me souviens que ce même président a eu un projet agricole très ambitieux. Ce projet était alors susceptible de faire passer le Cameroun, sans exagération de ma part, vers une révolution agricole. De quoi s’agit-il et que s’est-il donc passé ?

Le scandale politique des tracteurs distribués

En avril 2006, il a fallu deux années de négociations entre le ministre camerounais des affaires étrangères et le gouvernement indien. Cette négociation a abouti à un don de 60 tracteurs de la marque Solanika destinés à un test. Si ce test était positif et répondait aux « conditions agroécologiques du Cameroun », alors, le pays devrait s’engager pour un accord dans les années à venir et qui consisterait à installer une usine de montage de tracteurs.

Après l’octroi de ce don, il appartenait alors au ministère de l’Agriculture et du Développement (Minader) de prendre en charge les frais de transport (de l’Inde vers le Cameroun) et de formalités liées au dédouanement de ces engins. C’est dans cette optique que le Minader décida d’exiger aux bénéficiaires une somme de 2.5 millions de FCFA pour l’acquisition d’un tracteur.

En 2008, l’Association Citoyenne de Défense d’Intérêt Collectif (Acdic) publie un rapport dans lequel il avoue avoir trouvé ces tracteurs dans les domiciles de ministres et pontes du régime. Ainsi, l’enquête a révélé que 53 % de tracteurs leur ont été alloués alors que 60 % d’entre eux ne possèdent pas de champs. Conséquences, ces tracteurs, presque 87 %, sont garés dans leur parking depuis 2006. Par le refus de l’Acdic de publier cette fameuse liste des personnalités impliquées dans le bradage des biens publics, le quotidien Le Jour, dans son édition N° O338 du mercredi 17 décembre 2008, a eu le courage de rendre public cette liste de bénéficiaires des tracteurs indiens où l’on retrouve « des ministres en fonction, démis ou embastillés, des directeurs généraux, des magistrats, des hauts gradés de l’armée, des députés et plusieurs personnalités qui ne sont pas inconnus du paysage socio politique camerounaise ».

Les tracteurs refont surface : une promesse présidentielle non tenue

Le 14 avril 2009, le président Biya avait signé à New Delhi un accord de prêt de presque 18 825 milliards de FCFA avec l’Inde grâce à Export-Import Bank of India. Cet accord stipulait que le gouvernement camerounais devrait construire un complexe industriel de 10 000 ha de culture mécanisée, plus précisément de riz (5 000 ha) et de maïs (5 000 ha). La durée de ce projet était estimée à 20 ans avec 5 ans de grâce. Évidemment, réaliser une culture de cette taille ne pouvait pas se faire avec les houes et les machettes comme le font les parents actuellement. L’apport de l’Inde dans ce projet était de mettre à la disposition du Cameroun une usine de chaîne d’assemblage et de montage de tracteurs. La signature de cet accord témoigne à suffire que le gouvernement camerounais marque son accord pour la réussite du test des 60 tracteurs, malgré le scandale qui s’en est suivi.

Depuis 2011, un ramdam de tintamarre a fait dire à beaucoup que l’agriculture camerounaise va connaitre enfin un réveil lors du « Comice agropastoral » tenu à Ebolowa du 17 au 22 janvier 2011. Le président de la République, dans son discours d’ouverture le 17 janvier, annonce la création d’une usine bâtie sur 10 ha. Elle sera uniquement mise à contribution dans le montage et l’assemblage des engins agricoles comme « des tracteurs, des moissonneuses, des batteuses, des égraineuses et des motos-pompes ». On devait enfin vivre une mécanisation de l’agriculture à haute échelle. Au moment de son discours, il existait déjà presque « 800 tracteurs et près de 4 500 équipements agricoles divers déjà montés ». Le seul hic, c’est l’espace nécessaire pour stocker tout cet arsenal d’engins lourds. Il fallait donc faire vite, car l’urgence était effective.

C’est les 21 novembre 2013 et 23 septembre 2014, donc 2 et 3 ans après la fin du comice, que le ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, Emmanuel Nganou Djournessi, s’est rendu compte que les tracteurs sont encore stockés dans la broussaille faute de hangar approprié. Paul Bernard Soppo Moukouri, ci-devant directeur général de l’entreprise d’Immobiliare M&M,  chargée, de la construction de l’usine se plaignait, de « nombreux goulots d’étranglement » qui empêchaient le déroulement normal des travaux non achevés. Ces goulots d’étranglement viennent principalement des difficultés financières, avoue-t-il.

Paul Biya ment et il mentira toujours

Les discours tintés de promesses fallacieuses, de chiffres faramineux pour mystifier les progrès que lui seul voit, n’illusionnent plus les jeunes camerounais. Comme d’habitude, des promesses n’ont pas manqué le 10 février 2016 : « Dans cette optique, je viens de prescrire le lancement d’un plan triennal « Spécial Jeunes », doté d’une enveloppe globale de 102 milliards de francs CFA. Ce plan devra faciliter et accélérer l’insertion économique de notre jeunesse. Nous devons tous y tenir particulièrement. Vous aurez là, je crois, l’occasion de faire la preuve de votre « patriotisme économique ». Qu’il me soit permis ici de remettre au goût du jour cette promesse faite par le président « androïde » pour motiver la jeunesse à se consacrer au football : «J’envisage de mettre à l’étude la création d’une École supérieure de formation au football qui, en liaison avec le ministère des Sports et de l’Éducation physique et le ministère de la Jeunesse ainsi qu’avec la Fédération et les académies existantes, aura pour mission d’encadrer et de perfectionner les jeunes qui manifesteront des dispositions exceptionnelles pour notre “sport-roi”». C’était le 10 février 2010 et jusqu’aujourd’hui, cette école supérieure tarde encore à voir le jour.

Quel désastre !

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Auteur·e

tkcyves

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