Crédit:

Santé : Une sécurité sociale au Cameroun est-elle (encore) possible ? (2)

images

Les résultats de la commission Abolo Mbendi créé par le chef de l’État pour trouver l’équation de la sécurité sociale maladie au Cameroun restent attendus. Dans l’exposé de Basile Ngono qui propose l’adoption d’une loi des finances sur les externalités négatives inspirée par Pigou en vue de financer la santé au Cameroun, beaucoup de griefs ont été soulevés quant aux compétences disponibles pour gérer ces fonds. Pour avoir une idée précise sur les fondements de la théories des externalités de Pigou, un détour sur le précédent billet est un préalable avant de lire la suite ici consacrée aux implémentation des nouvelles taxes et à leurs effets pervers.

Les mesures d’application et le système de recouvrement sur les externalités négatives

Tant qu’il y aura la vie, il y aura des produits polluants et la sécu sera financée. Il n’est point ici question de prôner l’État providence car l’État n’assume rien, sinon en partie. Ce sont les pollueurs qui prennent en charge la santé de la population. Ainsi, au bas mot, on prévoit 4 milliards de Fcfa de prélèvement pour financer la sécu et dans l’intuition fondamentale, le gouvernement devait y contribuer à hauteur de 2 milliards de Fcfa. Les taxes pigouviennes ne sont donc pas comme les autres. C’est un moyen efficace et efficient de s’attaquer à des problèmes majeurs tout en fournissant des rentrées fiscales pouvant être utilisées au choix pour baisser les impôts, équilibrer le budget, rembourser la dette ou augmenter les ressources allouées à la santé, à l’éducation ou au transport collectif ?

Que taxe-t-on réellement ? On taxe les sociétés et les produits dangereux pour financer la santé des pauvres et ceux qui sont nantis se prennent eux-mêmes en charge. L’exemple type des externalités négatives sont celui des dommages environnementaux causés par l’exploitation des ressources ou par l’activité manufacturière : les usines brassicoles et de tabac. Étant donné les diverses pathologies qu’elle génère, la mauvaise alimentation constitue aussi une externalité qui contribue au gonflement des coûts du système de santé. Ainsi, une étude fort remarquée parue récemment dans le journal JAMA Internal Medicine concluait que la surconsommation de sucre augmente sensiblement la probabilité de mourir de maladie cardiaque (« Addedsugarabundant in U.S. dietslinked to death », Reuters, 3 février 2014). Cette étude n’était que la dernière d’une longue série qui a mis en lumière les méfaits du sucre, non seulement en ce qui concerne les maladies cardiaques, mais aussi l’obésité, le diabète, les troubles de l’attention et le mauvais état des dents, entre autres. La même logique pourrait s’appliquer aussi à la consommation excessive de sel, à laquelle on associe non seulement l’hypertension artérielle, et donc les accidents vasculaires cérébraux (AVC), mais aussi l’ostéoporose, l’insuffisance rénale et des problèmes dermatologiques. Or les consommateurs désireux de limiter leur consommation de sel se trouvent devant une mission quasi impossible, tellement celui-ci fait maintenant partie intégrante de la grande majorité des aliments vendus en épicerie. Comme Dieu, le sel est partout : dans le pain, le fromage, les viandes froides, les conserves, les céréales à déjeuner et, évidemment, dans les plats préparés.

Le but recherché de ce système est clair : le résultat probable de l’imposition d’une taxe pour compenser les nuisances générées est que l’exploitant devra augmenter ses prix et réduire ses activités. Une taxe bien calibrée aura pour effet que le gain de bien-être des tiers fera plus que compenser la perte de bénéfice subie par l’exploitant. Les recommandations de Pigou permettent aux gouvernements de faire d’une pierre deux coups en instaurant des taxes qui contribuent à la fois à l’équilibre des finances publiques et à la solution des problèmes sociaux ou environnementaux préoccupants : Instaurer une taxe visant à réduire les émissions de gaz carbonique à l’origine des changements climatiques. Comme l’a rappelé récemment le Groupe intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du climat (GIEC), si rien n’est fait pour endiguer la progression de ces émissions de carbone dans l’atmosphère, des conséquences dramatiques risquent de survenir par suite de la rareté de l’eau potable, des rendements réduits de l’agriculture, des pêcheries et de la multiplication des événements climatiques extrêmes.

La mal gouvernance au centre de l’inefficacité d’une sécurité sociale pigouviènne

Ces nouvelles taxes inspirées par Pigou et proposées par Basile Ngono ne sont pas exemptes de limites. Elles ont fait l’objet des critiques qui soulèvent de multiples effets pervers. La première contradiction relevée dans ce système de financement de la sécurité sociale n’est pas, comme le soulignerait quelques-uns, le revirement à l’État providence, car pour Pigou l’argent ne viendra jamais de la poche de l’État. Ce sont les entreprises polluantes qui seront, par un mécanisme de taxation, soumises à financer la santé publique. La question ne se poserait donc plus sur la provenance de l’argent. Il n’en demeure pas moins vrai que, les entreprises trouveront aussi des stratégies moins contraignantes pour ne pas subir les coûts supplémentaires de la production. La nécessité, pour elles, de trouver des mécanismes d’adaptation de sa comptabilité aboutira, à coup sûr, à l’imputation de ces coûts supplémentaires sur le prix de la production. Ainsi, il faut éviter de jubiler trop tôt, car : 1-offrir les soins de santé gratuits sans faire de coupes dans les autres services publics et sans alourdir le fardeau des contribuables risquerait d’être un leurre si, 2-L’État organise lui-même les prélèvements sur des secteurs comme les brasseries, les industries de tabac, les exploitants forestiers, les vieilles voitures et les industries polluantes foncièrement capitalistes.Pour me répéter en français facile, cela veut dire que pour financer la sécurité sociale maladie, il faut prendre l’argent quelque part : les entreprises et les produits polluant. Ces entreprises polluantes imputeront ces dépenses-là à quelqu’un, et donc aux contribuables à partir des produits vendus ou en réduisant par exemple leurs charges sociales. En conclusion ces entreprises vont tout faire pour compenser ces nouvelles taxes quelque part : les consommateurs.

La deuxième limite repose inévitablement sur les questions de la bonne gouvernance. Cette limite, que semble botté en touche Basile Ngono lui-même pour la simple raison qu’il n’y a que des imbéciles qui ne changeraient pas, ne doit pas être prise à la légère. Si le gouvernement mettait en application ne serait-ce que le quart de la loi existante cadre sur l’environnement (loi N° 96/12 du 5 Août 1996) notamment le principe du pollueur-payeur qui ne sont pas trop loin des externalités pigouviennes, les fonds obtenus par les gouvernements liés a la pollution des industries et personnes physiques suffiraient en partie pour une subvention des soins de santé des citoyens. Comment feraient-on pour gérer alors les fonds issus de ces nouvelles taxes si celles qui existent déjà ne sont pas appliquées pour deux raisons : les taxes sont prélevées en aval et détournées en amont ; soit ne sont même pas prélevées pour la simple raison que les entreprises polluantes et les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi se livrent aux pratques de la corruption.

La meilleure solution pour résoudre ce problème de corruption est de commencer par mettre l’accent sur l’exactitude des données démographiques en matière du nombre d’habitants, et donc de la population camerounaise. A combien s’élève-t-elle exactement ? Combien y a-t-il de travailleurs au Cameroun ? Quel est le nombre réel de contribuable ? Et enfin, quel le nombre de cotisants d’une part et le nombre d’assurés d’autre part ? Certains experts affirment que ces chiffres de la démographie ne reflèteraient pas la réalité pour la simple raison qu’ils sont, d’une part désuets et d’autre part subissent des modifications pour des intérêts de clientélisme politique. Pour illustration : En France, l’augmentation du prix du savoir est une donnée prévisionnelle qui entre dans le domaine bien précis de la lutte contre les maladies pulmonaires. Comment pourrait-on, par exemple, gérer efficacement la prise en charge des victimes des maladies pulmonaires si les données sont faussées dès la base ? Ce sont des préalables qu’il faut d’abord résoudre avant la mise sur pieds des recommandations de la commission Abolo Mbendi.

Une autre limite et pas la moindre, c’est l’hypothèse d’un soulèvement populaire face à la montée excessive des taxes. Les taxes sur la pollution, comme définies plus haut, obligeraient des entreprises pollueuses à imputer les surtaxes sur les prix des marchandises vendues. La population serait alors fondé de descendre dans la rue contre la vie chère comme on l’a vécu ici en février 2008. Mais, cette limite ne semble pas convaincre beaucoup qui pensent que les Camerounais n’ont pas encore une culture de la revendication. Pour preuve, la plupart d’augmentations des prix des produits de première nécessité sont passé comme une lettre à la poste sans réaction de la population comme cela se voit ailleurs, généralement au Maghreb et en Afrique de l’Ouest.

En conclusion, pourquoi les résultats de la commission Abolo Mbendi restent encore dans les tiroirs s’il reste que cela pourraient être une panacée à la sécurité sociale maladie au Cameroun ? En attendant donc, le débat reste ouvert.

Tchakounté Kémayouavec Olivier Arnaud, Basile Ngono, Jean-claude Owona Manga, Herve Arsenal Ngakeu, Jean-baptiste Bikai, et Hyacinthe N. Ntchewòngpi (Débat sur le forum Le Cameroun C’est Le Cameroun)

Partagez

Auteur·e

tkcyves

Commentaires