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Rencontres avec les leaders ambazoniens : le silence (suspect ?) de Yaoundé

Après des discussions avec les indépendantistes Ambazoniens, pourquoi le gouvernement camerounais ne communique-t-il pas ? Des sources diverses confirment que Sisiku Ayuk Tabe et compagnie ont rencontré un émissaire du gouvernement camerounais le 2 juillet 2020. Ces infos circulaient sur la Toile depuis le 3 juillet, au lendemain de la rencontre, notamment sur les réseaux à la suite d’un tweet de Sisiku Ayuk Tabe lui-même. Curieusement, le peuple camerounais n’a eu droit à aucune communication gouvernementale donnant des précisions sur cette rencontre. Au-delà de l’explication de ce mutisme total, nous essayerons de comprendre ses enjeux politiques ?

Sisiku Ayuk Tabe, le leader autoproclamé de l’Ambazonie, territoire anglophone du Cameroun, fait un tweet le 3 juillet annonçant une discussion qu’il appelle « rencontre » avec le gouvernement de la République du Cameroun. A la suite du même tweet, le leader Ambazonien précise toutefois que cette rencontre est un prélude à une éventuelle discussion. Quelle en était le but ? Et qui en était l’initiateur ? Les réponses à ces deux questions sont visibles à l’œil nu : rencontre à l’initiative du Conseil de sécurité de l’ONU en vue d’une négociation pour un cessez-le-feu entre l’armée de la République du Cameroun et les groupes armées ambazoniens. Cette info a particulièrement fait le tour des médias internationaux à l’instar de Jeune Afrique. Selon ce média panafricain, Sisiku Ayuk Tabe avait été prévenu le 1er juillet par le régisseur de la Prison Centrale de Yaoundé où il est incarcéré avec plusieurs de ses compatriotes.

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Communiqué du vice-président de « The Fédéral Republic of Ambazonia », Dahney Yerima

Plus les heures passent, plus les précisions sur la rencontre deviennent plus claires. Selon un communiqué officiel de l’Ambazonie, signé du vice-président de la Federal Republic of Ambazonia, Dahney Yerima, il n’est plus de doute que, non seulement cette rencontre a eu, mais surtout elle a eu sur la table de discussion, deux parties. La première, c’est celle du leaders Ambazonien Sisiku Ayuk Tabe et son équipe composée de Me. Blaise Shufai, Me. Eyambe, Prof. Awasun, Mancho Bibixy, Conrad Tsi, Terence Penn, Richard Ngome et Bush Hunter. La deuxième, est celle des émissaires du gouvernement de la République du Cameroun composée du Commissaire Léopold Maxime Eko Eko, Directeur des renseignements généraux (DGRE), du Lieutenant-colonel Boudoin Misse Njone et du Colonel Michel Mem.

L’une des curiosités de ce communiqué de Dahney Yerima est qu’il précise qu’il y avait un facilitateur, non moins que Monseigneur Jean Mbarga (Archeveque de Yaounde, Église catholique de Mvolye). C’est une curiosité dans la mesure où cet archevêque métropolitain de Yaoundé ne s’est jamais illustré par un acte quelconque en faveur de la paix dans le NOSO.

Il était une fois l’initiative suisse en juin 2019

Il nous souvient qu’un 28 juin 2019, la Confédération Suisse a rendu public un communiqué dans lequel elle informait l’opinion de ce qu’il y avait eu une rencontre entre les leaders Ambazoniens de la diaspora et quelques émissaires de la République du Cameroun. A la suite de ce communiqué, l’un des leaderships de la délégation ambazonienne, à savoir « Southern Cameroons/Ambazonia », publie également un communiqué pour annoncer à l’opinion l’effectivité de cette rencontre Suisse. C’est ce dernier communiqué qui donne plus de précision sur la rencontre. Mais, Jeune Afrique a été un peu plus claire. Dans un article consacré à la question, j’avais formulé la version du journal panafricain résumée ainsi qu’elle suit :

C’est le journal panafricain Jeune Afrique, version magazine et paru ce mois, qui va plus loin. Le journal précise d’ailleurs que c’était une « discrète réunion préparatoire » tenue à « Saint-Luc, un petit village du canton de Valais ». Le journal donne quelques détails sur les noms des personnes qui représentaient la partie Ambazonienne. Il y avait notamment Ebenezer Akwanga, chef du Socadef, Marc Njoh Chebs, leader du RoAN, Elvis Kometa, leader du SCNC. Par contre, le charismatique Gorji Dinga était représenté par son fils. Jeune Afrique précise également que, bien que ce soient des travaux préparatoires, les discussions se sont achevées généralement très tard dans la nuit. Cerise sur le gâteau : Paul Biya et l’Etat Camerounais désignés par la Republic of Cameroon n’étaient pas représentés à ces discussions. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette partie n’a pas fait de communiqué.

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Que cache le silence de Yaoundé depuis 2019 ?

En effet, depuis ces rencontres, qu’on pourrait appeler d’informelles, le gouvernement camerounais n’a publié aucune information officielle. On se poserait donc la question de savoir les raisons de ce silence suspect ? Pourquoi les Ambazoniens sont-ils les seuls à communiquer sur ces rencontres quoiqu’officieuses ? La réponse évidente, pour tout observateur de la scène politique camerounaise depuis le déclenchement de cette guerre, est que les autorités camerounaises sont sous la contrainte de négociations. Au-delà de cette contrainte, il y a surtout le souci de ne pas mettre leur faiblesse qu’elles essaient de cacher tant bien que mal. Pour le gouvernement camerounais, communiquer sur la rencontre avec les Ambazoniens consisterait à avouer leur échec dans la guerre contre les Ambazoniens qu’elles ont longtemps considéré comme des « terroristes » et continuent d’ailleurs de les appeler ainsi. C’est donc un problème d’orgueil.

Le 6 juillet 2020, le communiqué du ministre de la communication du Cameroun, René Sadi, par ailleurs porte-parole du gouvernement, ne fait pas office de communication officielle du gouvernement. Elle vient tout simplement mettre un terme à ce qu’elle appelle « une information diffusée dans les réseaux sociaux » qui fait allusion à une négociation qui n’en est pas une, selon elle, entre le gouvernement camerounais et les leaders Ambazoniens. Même si le communiqué de René Sadi avoue qu’il n’y a pas eu « négociation », elle ne nie pas expressément l’effectivité de la rencontre, elle fait par contre croire à l’opinion qu’il n’y a rien eu, pourtant, toutes les sources médiatiques avouent mordicus qu’il y a d’ailleurs eu plusieurs « rencontres » en précisant que ce sont des « rencontres » en vue d’une éventuelle « négociation ».

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Communiqué du ministre de la communication, porte-parole du gouvernement camerounais, René Sadi.

Les parties posent-elles des conditions de négociation ?

Pour l’instant, seule la partie ambazonienne a mis ses conditions d’une éventuelle négociation sur la table, puisqu’elle est pour le moment la seule à communiquer. Le communiqué du vice-président, Dahney Yerima, est allé plus loin en précisant que la délégation ambazonienne a posé quatre conditions. Les voici par ordre de priorité :

  1. L’appel à un cessez-le-feu et la démilitarisation complète du Cameroun anglophone
  2. La libération inconditionnelle de chaque prisonnier arrêté en raison de la guerre d’indépendance ambazonienne (AWI)
  3. L’octroi d’une amnistie générale à tous les Ambazoniens du monde entier à rentrer chez eux sans crainte de harcèlement policier
  4. Négociations inclusives en présence d’un tiers dans un pays neutre.

La question est maintenant de savoir si le gouvernement camerounais est capable de remplir une, deux, ou trois conditions seulement aux négociations cumulativement. Si c’est une, laquelle, sinon, lesquelles des conditions ne peut-il pas remplir, et pourquoi ?

Je pense que vu son arrogance, le point 2 me semblerait la condition difficile à remplir par Paul Biya. Je constate tout de même que le président de la « Federal Republic of Ambazonie » Ayuk Tabe aimerait que Paul Biya utilise la même méthode, le même canal pour le cessez-le-feu comme pour la déclaration de guerre en novembre 2017. Si les Ambazoniens étaient défaits, Sisiku Ayuk Tabe aurait-il eu assez d’audace ? Never ! Ça me fait penser aux négociations entre Laurent Kabila et le Marechal Mobutu.

Réaction d’un internaute, Adrien de Chelsea, sur Facebook

La pression viendrait-elle de la France ?

Cette piste n’est pas à négliger bien que les Nations unies, sous le couvert de la Suisse en 2019 et les Etats-Unis aujourd’hui, soient vus au premier plan. Mais ce qui ne saute pas à l’œil nu, c’est la mains (cachée ?) de la France.

Le 15 avril 2020, l’ambassadeur Français à Yaoundé, Christophe Guilhou, a été reçu en audience au palais de l’Unité par le président Paul Biya. Rencontre devenue désormais traditionnelle entre ces deux personnalités, elle est pourtant vue comme celle qui oriente la politique camerounaise sous les auspices de la France. Ce qui est intéressant ici, c’est surtout le passage de Christophe Guilhou à la télévision nationale camerounaise (Crtv) après cette audience, le 19 avril 2020. Au cours d’une émission à laquelle l’ambassadeur était invité, il déclare notamment que la France reste disposée à reconstruire le NOSO mais à une seule condition : la signature d’un accord de paix entre le gouvernement camerounais et les bandes armés.

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Propos de l’ambassadeur Christophe Guilhou publié par la CRTV après son entretien à l’émission Actualité Hebdo. Crédit photo : Crtv

Même s’il reste prématuré de dire avec certitude que la pression des négociations viendrait de la France, il ne faut également pas oublier que ce pays des Gaulois est pour beaucoup dans la perpétuation de la guerre. Depuis le déclenchement de ce qu’on avait appelé la « crise anglophone », la France, par la voix d’Emmanuel Macron et par la suite de son ministre des affaires étrangère Le Drian, est restée ferme dans l’option de la décentralisation, donc au statu-quo, contrairement aux vœux des Camerounais qui, pour la grande majorité, sont favorables pour le changement. Cette position de la France n’a pas surtout permis à la communauté internationale sous les auspice du Conseil de sécurité d’agir pour stopper le massacre des civils dans les régions en guerre. Ce qui faisait d’ailleurs l’affaire de Paul Biya et de son gouvernement.

Ce changement de cap de la France en faveur des négociations marque sans aucun doute celui du gouvernement camerounais. Mais au vu des événements, Yaoundé, obnubilé par l’orgueil et la honte d’une déculottée militaire, ne semble pas encore avoir compris, du moins, avoir été convaincu par la nécessité de l’option des négociations compte tenu de sa nonchalance dans la communication.

Yaoundé croit toujours, dur comme fer, à la victoire de l’armée camerounais sur les Ambazoniens, mais curieusement avec l’aide de la France qui, visiblement, montre déjà visiblement sa volonté pour un changement de cap. C’est, pour le moment, l’une des explications qu’on peut avoir sur la nonchalance dans la stratégie de communication du gouvernement camerounais.

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Auteur·e

tkcyves

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