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Présidentielle 2018 au Cameroun : les subversifs sortent du bois

Des campagnes et des contre-campagnes à la candidature du président Paul Biya pour l’élection présidentielle de 2018 continuent de faire les choux gras de la presse, d’occuper l’espace digital des réseaux sociaux et de polluer toutes les chaumières de la République. Depuis le début de l’année, et un peu plus tôt avant, les militants du RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais) ont sonné l’alerte avec des motions de soutien à leur président national à travers des meetings sur toute l’étendue du territoire.

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Des appels de plus en plus pressants et stressants de ces militants pour exhorter leur champion à rempiler pour un énième mandat, infestent l’air. Un mandat qui, avec ses 85 ans en 2018, permettra à Paul Biya de demeurer encore au pouvoir pour 7 ans. Pour celui qui a déjà fait toute sa carrière politique comme ministre, premier ministre et président de la République en 50 ans, cela ressemble fort opportunément, ni plus ni moins, à une confiscation du pouvoir politique au détriment des générations futures.

Cette actualité des motions de soutien à la candidature de Paul Biya avait déjà fait l’objet d’un développement, dans une de mes chroniques le mois dernier (il y a quelques jours). L’intérêt que suscite le déroulement de cette actualité ces derniers temps, ce sont des voix dissonantes d’origines diverses. Des dissonances porteuses d’enjeux pour la simple raison qu’elles ont été portées par des voix non moins célèbres parmi les plus écoutées. La presse relève depuis un certain temps les contre-appels venant de ceux qu’elle attendait le moins d’autant plus que les partis politiques de l’opposition sont restés divisés, lents, voire muets, à la réaction des élites zélées du RDPC. Certains leaders des partis politiques tels que le MRC et le Manidem, à travers leurs équipes dirigeantes, se mobilisent et continuent de mobiliser l’opinion sur la dangerosité d’une telle candidature caractéristique d’une forfaiture. Ce week-end, pas plus tard que ce samedi, le Sdf, considéré comme la tête de file de l’opposition, s’est juste indigné dans un communiqué de son Comité Exécutif.

Depuis ce début février, période réservée à la jeunesse au Cameroun, on a vu et entendu des sons de cloches divergentes dont la source n’a laissé personne indifférent. Les jeunes, justement, ont saisi cette opportunité de la célébration de la fête nationale de la jeunesse le 11 février de chaque année pour donner un autre son de cloche à ces appels à la candidature de Biya.

Les jeunes de la Lékié tancent vertement les vieux « retraités »

C’est donc autour du 8 février que Denis Émilien Atangana, porte-parole des jeunes du département de la Lékié, zone réputée pour être le fief du parti au pouvoir, a choisi de lancer sa contre-campagne.  Pour rappel, les élites de ce département ont été l’un des premiers à signer des motions de soutien à une candidature du président Biya. Il n’a pas fallu plus que ça pour que la presse s’intéresse à ce contre-appel presque inattendu. Dans une correspondante fumante, Denis Émilien Atangana, fils originaire du département, est donc monté sur les créneaux pour dénoncer ce qu’il appelle lui-même un « macabre plus proche de l’imposture politique ». En effet, ce jeune fait savoir aux élites de son département qu’elles n’ont aucune légitimité de parler au nom de la jeunesse de la Lékié qui est plongée depuis belle lurette aux affres du chômage. Ces élites, dit-il, ne sont que ces « … quelques personnes, qui bénéficient des largesses du régime, soucieuses de préserver leurs intérêts ».

Un peu plus tard, le 11 février 2016, le jour J donc de cette célébration de la fête de la jeunesse, les jeunes du Sdf sont sortis de leur silence pour donner de la voix dissonante à ces appels. En effet, dans un élan de cœur, ils, « la jeunesse de Yaoundé 4 », ont dit « non à une nouvelle candidature de Paul Biya en 2018 ou avant ». C’est ce qu’on peut lire sur la banderole qu’ils avaient affiché superbement au-dessus d’eux et visible au premier coup d’œil. Il s’agissait donc des jeunes de l’arrondissement de Yaoundé 4ème, capitale du pays et presque considérée comme le fief du parti au pouvoir.

L’âge avancé de Paul Biya pris comme contre-argument

Ne quittons pas les jeunes et rendons-nous immédiatement au siège d’un jeune parti politique qui a fait parler de lui durant tout ce week-end. Pour sa première sortie statutaire, le parti Univers dont le président est un professeur de droit privé,  Prosper Nkou Mvondo, Maître de conférences à l’Université de Ngaoundéré, a lancé aussi un contre-appel à la candidature à travers une lettre au président de la République, le 20 février également. L’attention de la presse pour cette actualité demeure le statut de l’homme présenté comme président du parti qui exige le départ à la retraite de Paul Biya. Généralement, les appels à la candidature dans les milieux universitaires ne sont ponctués que par des motions de soutien où chaque universitaire est appelé à signer, à visage découvert, le maintien du RDPC au pouvoir. Les voix dissonantes n’ont pas toujours été les bienvenues dans ce milieu où elles étaient toujours obligées à rester discrètes. Même s’il ne s’agit pas ici d’un appel issu du milieu universitaire, il n’en demeure pas moins vrai que le Pr Nkou Mvondo, enseignant, est l’un des rares universitaires à se mettre dans une telle posture de subversif dans un milieu totalement monopolisé.

Son contre-appel, lu et publié par plusieurs journaux locaux, fait l’objet de commentaires les plus fous dans l’opinion. Prenons ici deux extraits qui ont attiré l’attention de beaucoup plus de la curiosité à la camerounaise.

La particularité du discours est sa propension à faire appel à des situations, des anecdotes et des exemples de récit de vie pour placer chacun devant ses responsabilités au cas où il s’avérerait que des Camerounais, qu’importe le nombre, s’entêtaient à faire le choix de Paul Biya. C’est d’ailleurs à cet enseignant qu’on doit désormais le slogan « 2018 : tout sauf Paul Biya » contenu dans sa lettre datée du samedi 20 février 2016. Ces deux extraits ci-dessous mettent en exergue l’âge très avancé qui, à lui seul, ne milite pas en faveur du probable candidat du RDPC :

1er extrait : « Si vous entrez dans une voiture pour vous laisser conduire par un homme de 83 ans, c’est que vous êtes suicidaire ; de même, si vous allez dans un hôpital et vous vous laissez opérer par un homme de 83 ans, c’est que vous avez décidé de mourir ». Il s’agit ici de montrer à l’opinion qu’un homme de cet âge, loin de mépriser son intelligence, ne pourra pas tenir ses engagements face aux défis que lui confèreraient ses charges républicaines. Pour cet universitaire, il est pratiquement irresponsable que des personnes dites sensées se laissent conduire, guider, piloter par un octogénaire qui n’a plus toutes ses facultés intellectuelles pour mener le peuple à bon port. Loin pour lui d’affirmer que les vieillards n’ont plus de place dans la société. Il n’est d’ailleurs pas allé chercher très loin que dans la tradition africaine pour démontrer la place que chaque personne du troisième âge devrait avoir en Afrique.

2nd extrait : « Dans les traditions africaines, un homme de 83 ans ne va ni au champ, ni à la chasse, ni à la pêche ; il dort, il mange, il raconte de belles histoires à ses petits-enfants et arrière-petits-enfants. Il ne travaille plus pour les autres; les autres travaillent pour lui. Ceux qui font des appels pour que le président Paul Biya se représente ont visiblement perdu la raison ». On voit ici toute la quintessence qu’occupe la sagesse d’un vieux dans des sociétés africaines. D’où l’affirmation d’Amadou Hampâté Bâ selon laquelle « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » porte tout son sens : il doit raconter des contes à ses petits-enfants et ses arrières petits-enfants. Pour ceux qui manquaient donc d’argument pour incriminer l’âge avancé, une réponse a été donnée par le Pr Nkou Mvondo qui ne fait pas de différence entre un vieillard et un bébé qui ne peut qu’attendre d’être chouchouté.

L’Ouest se démarque, subjugue les attentes et suscite le débat statutaire

Les appels à la candidature de Paul Biya avaient déjà assez pris une tournure à telle enseigne que les élites de chaque région et chaque département du pays ne voulaient pas être à la traîne. Du Nord au Sud, de l’Est au Littoral, toutes les élites s’étaient déjà fait remarquer par leur zèle d’arrogance et de fanfaronnade, fût-il, imperturbable. Seule la région de l’Ouest restait la plus attendue par la presse qui commençait déjà à se demander où étaient passées ces élites Bamiléké, l’un des piliers du régime. La région attendue a donc fait son entrée dans la vague des motions de soutien ce samedi 20 février 2016. Évidemment, contrairement à ce que beaucoup attendaient, la dissonance du son de cloche a raisonné de la bouche du Sultan Mbobo Njoya, roi de Foumban et membre influent du parti au pouvoir. Le discours de ce sénateur a défrayé la chronique par le fait qu’il était moins laudateur, moins empreint d’enthousiasme comme l’étaient pour tous les autres avant lui. Ce qu’il faut retenir dans son discours, c’est le fait d’avoir exigé, comme il le disait en s’adressant aux militants présents à ce meeting, « la tenue de notre Congrès ordinaire, prévu statutairement cette année, afin de permettre à notre grand parti, non seulement de faire son toilettage de jouvence que nous appelons de tous nos vœux, mais aussi de s’arrimer aux nouvelles résolutions issues de notre Congrès extraordinaire, et éventuellement, de certaines dispositions législatives que les deux chambres pourraient être amenées à prendre, dans le sens où cette situation qui préoccupe tant tout un chacun. Nous sommes convaincus Monsieur le Président National, que votre réponse à cet appel, viendra combler ce vœu ardent des militants de la région de l’Ouest et d’ailleurs. Nous vous y encourageons et vous pouvez compter sur notre indéfectible soutien ».

Loin d’être considéré de subversif, le ton du discours appelle tout simplement à la mise en place des cadres statutaires du parti nécessaire à une candidature de Paul Biya. En effet, la convocation d’un congrès ordinaire qui donnera les pleins droits au président national d’avoir la légitimité de postuler à cette candidature à travers une onction des congressistes. À bien lire entre les lignes, ce congrès du RDPC mettra en jeu le poste du président du parti dont le mandat de 5 ans tirera à sa fin cette année. Le président du parti étant statutairement le candidat à toute élection présidentielle, Paul Biya risquera tomber dans l’illégalité si l’élection a lieu sans avoir tenu un congrès du parti au pouvoir. En clair, la région de l’Ouest exige donc un congrès avant toute élection présidentielle et non une élection anticipée comme l’ont exigé les autres élites. Le voile a donc été levé sur cette frénésie et cette effervescence effrénée des appels, des motions de soutien à la candidature du président Paul Biya. Seule une élection présidentielle anticipée peut sortir le RDPC dans la gabegie politico-juridique dont il allait faire preuve. La peur dans le ventre de voir un concurrent hante les ténors et vénérés du régime de se voir évincer leur champion à travers un congrès. Stratégiquement, une élection anticipée permettra à Paul Biya, président du RDPC de postuler à la candidature avant d’organiser le congrès qui pourrait même avoir lieu un peu plus tard selon son bon vouloir.

Assister-t-on désormais à une bataille rangée entre deux camps du RDPC ? Seul Paul Biya a la réponse.

Tchakounté Kémayou

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